Cass. 1re civ., 5 mars 2009, n° 07-19.735
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu que la société Precom reproche à l'arrêt attaqué (Rennes, 26 juin 2007) de l'avoir déboutée de ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ qu'a la qualité de producteur d'une base de données la société qui prend l'initiative et le risque d'investissements engagés en vue de la collecte, du classement et de la présentation d'annonces immobilières destinées à mettre en relation des acheteurs et des vendeurs potentiels ; qu'en l'absence de toute revendication d'éventuels ayants droit, la personne qui procède à des extractions substantielles et systématiques des données dans un but d'exploitation commerciale, ne saurait utilement contester la qualité de producteur de la personne dont il est établi qu'elle a engagé des investissements importants pour collecter, classer et présenter les données constituant la base litigieuse ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le très grand nombre d'annonces collectées, classées et présentées par la société Precom constituaient bien une base de données ; qu'elle a encore relevé que la constitution de cette base avait demandé un travail ainsi que des investissements importants, réalisés par la société Precom ; qu'il ressort encore de ses constatations que c'est bien la société Precom qui a décidé de constituer ladite base, fût-ce pour améliorer l'efficacité de la diffusion des annonces ; qu'en refusant néanmoins à la société Precom la protection du contenu de la base litigieuse, insusceptible d'être utilement contestée par la société Direct annonces, dont il était constant qu'elle utilisait de manière systématique un logiciel spécialement destiné à extraire chaque nuit les nouvelles annonces ajoutées à la base, à la constitution de laquelle elle n'avait pris aucune part, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que la cour d'appel a constaté que c'était bien la société Precom qui avait collecté, classé et présenté l'ensemble des annonces immobilières constituant incontestablement une base de données ; qu'elle a encore relevé que la constitution de cette base, réunissant un très grand nombre d'annonces, avait nécessité un travail et des investissements importants de la part de la société Precom ; que pour néanmoins refuser, à tort, à cette dernière la protection sui generis due au producteur de base de données, la cour d'appel a relevé que la convention conclue avec les sociétés Ouest France et Ouest France Multimédia en vue de la publication des annonces en ligne ne se référait qu'à la nécessité d'accroître l'efficacité des annonces collectées par Precom mais non pas directement à la base de données constituée par l'ensemble des annonces recueillies, ce dont elle a déduit que les parties à la convention du 15 juin 1999 ne s'étaient pas intéressées à cet aspect de leur coopération, et que la société Precom ne pouvait en conséquence être considérée comme ayant pris l'initiative et le risque financier de constituer la base de données litigieuse ; qu'en se déterminant ainsi, par un motif radicalement inopérant, quand d'une part elle avait elle-même relevé les éléments objectifs faisant de Precom le producteur de la base, quand d'autre part la société Ouest France Multimédia était intervenue volontairement en sa qualité de diffuseur des annonces systématiquement pillées par la société Direct annonces, pour soutenir la qualité de producteur de la société Precom et son droit à la protection correspondante, et quand, enfin, l'absence de référence expresse à la base de données dans la convention de 1999 ne constituait en rien un obstacle, tout au contraire, à ce que la société Precom ait été à l'initiative de sa création, et en ait assumé le risque et les investissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ qu'implique nécessairement des investissements substantiels, tant humains que financiers, ouvrant droit à la protection sui generis, le fait pour une entreprise de collecter, classer et présenter un très grand nombre d'annonces immobilières dans une base de données dont elle a conçu l'architecture et les fonctionnalités, aux fins de faciliter la consultation de ces annonces et de mettre en relation acheteurs et vendeurs de biens immobiliers ; qu'en l'espèce, en refusant à la société Precom la protection instaurée au bénéfice du producteur de base de données ayant réalisé des investissements substantiels, après avoir constaté qu'il n'était pas contesté que l'ensemble des annonces immobilières collectées, classées et présentées par Precom, et mises en ligne par Ouest France Multimédia, constituait une base de données au sens de l'article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a partant violé les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que constitue une base de données un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ; qu'une telle base de données a ainsi, ou par nature, vocation à constituer un outil destiné à permettre l'accès et la diffusion des données réunies au sein de la base, de sorte qu'une telle base est, intrinsèquement, un moyen et non une fin ; qu'à ce titre, la protection sui generis instaurée au bénéfice du producteur de base de données n'est subordonnée qu'à la condition objective de l'engagement d'investissements substantiels pour la constitution d'une telle base, abstraction faite de la finalité de celle-ci ou des mobiles de son producteur ; qu'en l'espèce, en refusant à tort la protection à la société exposante, au motif erroné que la base de données qu'elle avait incontestablement constituée aurait été l'accessoire de son activité de diffusion des annonces et non pas recherchée en tant que telle, que le but même de la société Precom n'aurait pas été de stocker des données mais de les diffuser efficacement, et que les investissements importants consentis pour constituer la base n'auraient ainsi pas eu pour objet de développer, de façon autonome, la base de données elle-même, quand elle avait constaté l'existence objective d'une base de données résultant du stockage et du classement de nombreuses annonces, ayant nécessité d'importants investissements de la part de la société Precom, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à la loi, a violé les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ qu'a droit à la protection sui generis, a fortiori pour prévenir ou faire cesser un pillage systématique et massif, le producteur d'une base de données qui a réalisé des investissements substantiels en vue de constituer ladite base, et en particulier d'y classer de manière méthodique les données collectées, cette base fût-elle l'accessoire d'une activité de diffusion des données ainsi réunies ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même considéré que, fût-elle l'accessoire d'une activité de publication et de diffusion des annonces immobilières diffusées, la société Precom avait bien constitué une base de données nécessitant des investissements importants, en particulier pour classer le très grand nombre d'annonces ainsi réunies ; qu'il s'en évinçait, nécessairement, que les opérations liées à l'intégration et au classement des données dans la base ne se confondaient pas de manière indissociable avec la création même, au fur et à mesure, des annonces à diffuser, et avait par conséquent généré des investissements propres ; qu'en considérant le contraire, la cour d'appel, qui a derechef omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
6°/ que le droit sui generis ouvrant droit à protection pour le producteur de base de données ayant réalisé des investissements substantiels n'est pas subordonné à l'originalité du classement ou de la présentation des données constituant la base ; qu'en l'espèce, en considérant que les investissements importants réalisés par la société Precom, en eux-mêmes non contestés, n'auraient pas eu pour objet de développer de façon autonome la base litigieuse, au motif inopérant de l'absence d'originalité du classement et de la présentation des données au sein de cette base, la cour d'appel a une fois encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 9 novembre 2004, The british horseracing board Ltd c/ William hill organization Ltd - Aff. C-203/02, Fixture marketing Ltd c/ OPAP Aff. C-444/02 - Fixture marketing Ltd c/ Oy veikkaus ab Aff. C-46/02 Fixture marketing Ltd c/ Svenska spel ab Aff. C-338/02 ) a dit pour droit que "la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, doit s'entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base. Elle ne comprend pas les moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données", que "la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9 doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci. Des moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création d'éléments par la suite rassemblés dans une base de données ne relèvent pas de cette notion" ; qu'après avoir tout d'abord relevé que les investissements invoqués, s'ils étaient importants, concernaient également d'autres secteurs que celui de l'immobilier et d'autres entités, de sorte qu'ils ne pouvaient être affectés au seul secteur de la base de données, l'arrêt constate que celle-ci est constituée d'annonces formalisées par la société Precom lors de leur saisie aux fins de publication et selon les indications que les annonceurs ont été invités à fournir pour en permettre l'utilisation et leur classement, qu'aucune vérification du contenu de ces annonces, hormis illicéité manifeste ou incohérence, n'est et ne peut être effectuée, ladite société n'étant pas habilitée à le faire ; qu'au vu de ces constatations et appréciations faisant ressortir que les moyens consacrés par la société Precom pour l'établissement des annonces immobilières publiées dans les différentes éditions du journal Ouest France ne correspondaient pas à un investissement lié à la constitution de la base de données dans laquelle elles étaient intégrées mais à la création des éléments constitutifs du contenu de cette base et à des opérations de vérification, purement formelle, pendant cette phase de création, la cour d'appel a jugé à bon droit et sans encourir les griefs des première et sixième branches qui s'attaquent à des motifs surabondants, que cette base ne pouvait bénéficier de la protection instaurée par l'article L. 341-1 du code la propriété intellectuelle ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi de la société Ouest France Multimédia n° V 07-19.734 pris en ses quatre branches, tel qu'il figure dans le mémoire en demande :
Attendu qu'ayant relevé, d'une part, que la société Ouest France n'avait pas justifié des investissements prétendument engagés pour la diffusion et l'utilisation de la base, et, d'autre part, que la société Direct annonces s'était bornée à faire apparaître la source de ses informations, ce dont il résultait qu'elle n'avait pas entendu se mettre dans le sillage de la société Ouest France dont elle n'utilisait pas le nom pour en capter la valeur, la cour d'appel, par ces considérations qui permettaient d'exclure les griefs invoqués par la société Ouest France pour caractériser le parasitisme dont elle se prétendait victime, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois des sociétés Precom et Ouest France Multimédia ;
Laisse à chaque demanderesse la charge des dépens afférents à son propre pourvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille neuf.