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Décisions

CA Bastia, ch. civ. b, 13 novembre 2013, n° 12/00139

BASTIA

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Village Center (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lavigne

Conseillers :

Mme Alzeari, Mme Luciani

TGI Bastia, du 17 janv. 2012, n° 10/0098…

17 janvier 2012

EXPOSÉ DU LITIGE

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Corse (le Crédit Agricole), qui a consenti divers crédits à la société BC Production en liquidation judiciaire, a assigné les cautions, M. Jean Costantini et M. Léonard Battesti, en remboursement des sommes dues.

Par jugement du 1er décembre 2011 réputé contradictoire, le tribunal de commerce de Bastia a condamné solidairement les défendeurs à payer à la demanderesse la somme de 43 813,08 euros avec intérêts au taux de 6,20 % et la somme de 93 228,05 euros avec intérêts au taux de 6 %, à compter du 2 septembre 2010. Il a cependant autorisé M. Costantini à se libérer en 24 versements mensuels égaux et consécutifs. Enfin, il a condamné les défendeurs, solidairement, au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 mars 2012, M. Costantini a relevé appel de cette décision.

En ses dernières conclusions déposées le 9 octobre 2012, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- constater que le Crédit Agricole a commis une faute en octroyant inconsidérément à la Société BC Production au mois d'août et au mois de septembre 2007, deux crédits de 74 000 et 76 000 euros qui ont prolongé artificiellement la vie de l'entreprise et ont aggravé son insolvabilité,

- constater que la banque a commis une faute à l'égard de M. Costantini dans son obligation d'information et son devoir de mise en garde,

- dire et juger que cette faute ouvre droit à des dommages-intérêts envers la caution pour un montant de 150 000 euros qui se compensera avec l'obligation résultant des deux cautionnements litigieux,

- constater la disproportion des engagements souscrits par M. Costantini eu égard à ses revenus et à son patrimoine propre,

- en conséquence, prononcer l'inefficacité totale des deux contrats de cautionnement,

- débouter en définitive le Crédit Agricole de toutes ses demandes,

- à titre subsidiaire, prononcer la dé ch éance des intérêts échus depuis la date de souscription des deux prêts pour défaut d'information annuelle de la caution,

- à titre encore plus subsidiaire, accorder à l'appelant les plus larges délais de paiement et dire que les paiements s'imputeront en priorité sur le capital et que le taux d'intérêt sera réduit au taux légal,

- dans tous les cas, condamner le Crédit Agricole au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile .

Mme Frédérique Peylet épouse de M. Costantini est intervenue volontairement à l'instance pour, en l'état de ses dernières conclusions déposées le 9 octobre 2012, demander à la cour de :

- constater que Mme Costantini n'a pas signé les actes de cautionnement produits par la banque,

- ordonner la vérification d'écriture de Mme Costantini,

- constater que les actes de cautionnement ne respectent pas les exigences de formalisme imposées par les dispositions de l' article L 341-2 du code de la consommation en ce qui concerne Mme Costantini,

- déclarer les cautionnements inopposables à Mme Costantini.

En ses dernières conclusions déposées le 24 août 2012, le Crédit Agricole demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter en conséquence M. Costantini de toutes ses demandes et de le condamner au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile .

Un avocat a été constitué par M. Battesti mais il n'a pas déposé de conclusions alors que les dispositions de l' article 911 du code de procédure civile ont été respectées à son égard.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mai 2013 , fixant l'audience de plaidoiries au 19 septembre 2013 .

SUR QUOI, LA COUR

La cour se réfère à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives susdites pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

Il convient de constater, qu'en l'absence de conclusions déposées par M. Battesti, la cour n'est saisie d'aucun moyen d'appel contre les disposition du jugement prononçant des condamnations à son encontre. Dans de telles conditions, et en l'absence de moyens d'ordre public devant être soulevés d'office, la cour ne peut qu'entrer en voie de confirmation de ces chefs.

L'intervention volontaire en cause d'appel est subordonnée à la seule condition d'un intérêt pour celui qui la forme et d'un lien suffisant avec la prétention originaire souverainement appréciés par le juge du fond.

L'intervention de Mme Costantini n'est pas critiquée par l'intimée. L'intervenante a manifestement intérêt à agir pour contester l'authenticité de la signature qui lui est attribuée sur les cautionnements litigieux et faire juger que ces actes lui sont inopposables ne serait-ce que pour préserver des poursuites les biens de la communauté.

Son intervention volontaire doit dès lors être déclarée recevable.

Il ressort de la procédure que le Crédit Agricole a octroyé à la société BC Production le 23 août 2007 un prêt de 76 000 euros au taux de 6, 20 % remboursable en 48 mensualités et le 11 septembre 2007 un prêt de 74 000 euros au taux de 6 % remboursable au terme d'une année dans sa totalité ; que suite à la défaillance de la société, le Crédit Agricole a prononcé le 17 mars 2010 la dé ch éance du terme dans des conditions dont la régularité n'est pas contestée ; que la société a été mise en liquidation judiciaire le 13 avril 2010 et que dans ce cadre le Crédit Agricole a déclaré sa créance pour un montant de 141 155,67 euros au titre des deux concours ; que le montant de cette créance n'a pas été contesté dans la procédure collective et ne l'est pas davantage dans la présente instance.

Par actes sous signatures privées du 23 août 2007 et du 11 septembre 2007, M. Costantini s'est porté caution solidaire à concurrence de 98 800 euros pour le premier prêt et de 96 200 euros pour le second, ce avec le consentement de son épouse selon les mentions portées dans les actes.

Mme Costantini conteste avoir apporté ce consentement et dénie tant l'écriture de la mention 'bon pour consentement aux engagements résultant des présentes' que la signature apposées sur les deux actes. Pour permettre la vérification qu'elle sollicite au visa des dispositions de l' article 288 du code de procédure civile , elle produit à titre d'éléments de comparaison son passeport, des formules de ch èques, un acte de prêt et un bulletin d'adhésion à une coopérative.

Le moyen pris de la contestation de l'écriture et de la signature attribuées à Mme Costantini ne peut être déclaré irrecevable car nouveau comme le prétend, à tort, le Crédit Agricole. En effet, ce moyen, en ce qu'il est soutenu par une partie qui n'est intervenue qu'en appel, ne pouvait être invoqué en première instance. En outre, il est développé dans le cadre d'une intervention volontaire jugée recevable et il se rattache suffisamment à la prétention originaire qui s'analyse en une contestation des cautionnements.

Il appartient dès lors à la cour de procéder à la vérification d'écriture prescrite par l'article 288 précité.

Il apparaît en premier lieu que l'écriture des mentions manuscrites figurant sur chaque acte présente des différences marquées ne permettant de les attribuer au même scripteur, ce qui constitue une première anomalie. Surtout, la comparaison de ces écritures avec celle figurant sur les pièces de comparaison (contrat de prêt et bulletin d'adhésion ) révèle des différences particulièrement marquées n'autorisant pas l'attribution de l'écriture des mentions litigieuses à Mme Costantini. S'agissant des signatures, celle figurant de façon homogène sur les documents de comparaison produits ne présentent pas la moindre similitude avec celles portées sur les actes litigieux alors que toutes ces signatures sont contemporaines. Dès lors, les signatures contestées ne peuvent être attribuées à Mme Costantini.

Les vérifications qui viennent d'être effectuées permettent d'accréditer sans le moindre doute les dénégations de Mme Costantini et en conséquence de retenir que le consentement aux actes de caution souscrits par son conjoint qui lui est attribué n'a pas été exprimé de sa main et doit dès lors être écarté, en l'absence d'éléments complémentaires. Par suite, il convient, conformément à la demande de Mme Costantini, de dire que ces cautionnements lui sont inopposables.

Pour obtenir l'infirmation du jugement déféré le condamnant, en sa qualité de caution, au paiement des sommes dues au Crédit Agricole par la société BC Productions, M. Costantini soutient, dans un premier moyen, que le banquier a commis une faute entraînant sa responsabilité envers la caution en accordant inconsidérément son crédit au débiteur et, ainsi, prolongé artificiellement la vie de l'entreprise tout en aggravant son insolvabilité.

A cet égard, l'appelant fait valoir que les deux prêts de trésorerie d'un montant total de 150 000 euros ont été consentis à une société déjà confrontée à d'importantes difficultés financières ; ainsi, le compte de résultat de l'année 2007 fait apparaître une absence totale de chiffre d'affaire, un résultat déficitaire de 42 422 euros et un passif de 195 338 euros ; le bilan de 2008 indique un résultat déficitaire de 61 752 euros, un passif de 271 151 euros et toujours pas de chiffre d'affaire. L'appelant prétend que, dans de telles conditions, la liquidation judiciaire prononcée le 13 avril 2010 était inéluctable et que la banque a manqué à son devoir de mise en garde.

Toutefois, c'est à bon droit que le Crédit Agricole soutient que ne constitue pas un comportement fautif le seul fait pour une banque d'accorder un crédit de trésorerie à une entreprise, avant toute activité pour en permettre le démarrage afin de financier son activité ; que si la banque qui finance un projet de création d'entreprise a une obligation d'information à l'égard de l'emprunteur, il ne lui appartient pas de se faire juge de l'opportunité du crédit ni de fournir des documents prévisionnels ou des études de marché, ces diligences incombant au premier chef au créateur de l'entreprise.

En l'espèce, les concours critiqués ont été octroyés dans le cadre de la création d'une entreprise dont l'activité consistait en la distribution de films cinématographiques. Ses créateurs, dont M. Costantini, disposaient dans ce domaine de sérieuses références et d'une expérience augurant favorablement de la réussite d'un projet en outre soutenue par divers partenaires. La banque justifie, à travers les pièces qu'elle produit, notamment un provisionnel détaillé, précis, convaincant, avoir suffisamment rempli son obligation de renseignement et qu'elle pouvait, au vu des éléments obtenus, raisonnablement escompter le succès de l'entreprise de sorte que l'appelant n'est pas fondé à lui reprocher un manquement à son devoir de mise en garde et une faute dans l'octroi d'un crédit dont le montant n'est pas excessif au regard de l'envergure du projet et des possibilités de l'entreprise telles qu'elles pouvaient alors être évaluées.

Dans un second moyen, nouveau en appel mais recevable en vertu de l' article 563 du code de procédure civile contrairement à ce que prétend la banque, l'appelant invoque le caractère disproportionné de son engagement et se prévaut des dispositions de l' article L 341-4 du code de la consommation selon lesquelles 'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation'.

La disproportion requise doit s'apprécier aux mois d'août et septembre 2007, date de la souscription des engagements et au regard des seuls biens et revenus propres de M. Costantini, les biens de la communauté et ceux propres du conjoint ne pouvant être pris en considération dès lors qu'il vient d'être jugé que Mme Costantini n'a pas valablement consenti aux cautionnements souscrits par son époux

Dans de telles conditions, le Crédit Agricole, pour contester la disproportion, n'est pas fondé à se prévaloir des revenus indiqués sur la déclaration de revenus de 2005, dont il s'est pourtant contenté alors que ce document n'était plus d'actualité à la date de l'engagement. Il ne peut davantage invoquer les renseignements figurant dans la déclaration remplie par M. Costantani puisque les revenus de son épouse y sont intégrés.

En revanche, l'appréciation doit être effectuée, comme le soutient justement l'appelant, par rapport aux ressources propres de la caution telles qu'elles pouvaient être évaluées au vu des éléments disponibles en août 2007. Il résulte des productions que M. Costantini ne bénéficiait alors, en propre, que de ses salaires à l'exclusion de tout patrimoine immobilier ou mobilier. Au vu de l'avis d'imposition sur le revenu de l'année 2006, dont le Crédit Agricole aurait pu demander la production, ses revenus s'établissaient alors à la somme annuelle de 58 322 euros proche de celle de 60 000 euros correspondant aux salaires déclarés pour 2007 qu'il était loisible à la banque de connaître en sollicitant des justificatifs concernant cette période au lieu de se contenter des revenus de l'année 2005.

Un engagement de caution portant sur une somme globale de

195 000 euros est manifestement disproportionné aux possibilités financières autorisées par des ressources se limitant à un revenu annuel de l'ordre de 60 000 euros alors qu'il n'existe aucun patrimoine pouvant asseoir une garantie. De plus, il est établi que la situation financière de la caution a défavorablement évolué entre la date de son engagement et celle des poursuites puisque M. Costantini n'a déclaré qu'un revenu de 38 000 euros en 2010 (date de l'assignation) que celui déclaré en 2001 s'est élevé à 48 000 euros et que l'intéressé a connu une longue période de ch ômage en 2012.

L'appelant est en conséquence fondé dans son moyen tiré de l'application des dispositions de l' article L 341-4 du code de la consommation . Par suite, il convient, infirmant le jugement déféré, de décharger en totalité M. Costantini de son engagement de caution et de débouter la banque de la demande en paiement dirigée à son encontre.

Le jugement sera également infirmé dans ses dispositions condamnant M. Costantini aux dépens de l'instance et au versement d'une indemnité sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile .

Les dépens de l'appel seront mis à la charge du Crédit Agricole. Il n'y a pas lieu de faire application dans cette instance, au profit de quiconque, des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Donne acte à Mme Frédérique Peylet épouse Costantini de son intervention volontaire et la déclare recevable,

Constate que la mention manuscrite et la signature exprimant son consentement aux deux actes de cautions souscrits par son époux M. Jean-Patrick Costantini le 23 août 2007 et le 11 septembre 2007 ne sont pas de sa main,

Dit en conséquence que ces deux actes de caution ne sont pas opposables à Mme Costantini,

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions prononçant des condamnations à l'encontre de M. Léonard Battesti,

L'infirme dans toutes ses dispositions concernant M. Jean-Patrick Costantini,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Décharge M. Jean-Patrick Costantini de ses deux engagements de caution,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Corse de toutes les demandes formées à son encontre,

Rejette toutes les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Corse Crédit Agricole aux dépens de l'appel.