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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 8 juin 2023, n° 22/03046

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wyon

Conseillers :

M. Seitz, M. Gauthier

Avocat :

Me De Bernon

T. com. Lyon, du 12 déc. 2014

12 décembre 2014

Par jugement du 12 décembre 2014, le tribunal de commerce de Lyon a condamné M.

[T] [Y] [O] à payer à la société Banque populaire Loire et Lyonnais, aux droits de laquelle vient la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes (la banque), la somme de 36.684,63 euros en exécution d'un engagement de caution, outre intérêts au taux légal à compter du 28 août 2014, outre celle de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Ce jugement a été signifié à M. [Y] [O] le 06 février 2015, selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile.

M. [Y] [O] en a relevé appel le 27 septembre 2021, ensuite de la saisie de ses rémunérations.

Par ordonnance du 12 avril 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de M. [Y] [O] tendant au prononcé de la nullité de l'acte de signification du 06 février 2015 et déclaré son appel irrecevable comme tardif.

M. [Y] [O] a déféré cette ordonnance à la cour par requête du 25 avril 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions sur déféré, déposées le 24 mai 2023, M. [Y] [O] demande à la cour, au visa des articles 114 et suivants, 648, 654 et 914 du code de procédure civile, de :

avant dire droit :

- ordonner à la banque de communiquer la fiche de renseignement remplie par ses soins lors de la signature de l'acte de caution du 30 septembre 2010, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de l'arrêt à intervenir,

sur le fond :

- réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance du conseiller de la mise en état de la 3ème chambre section A (RG 21/07183) du 12 avril 2022,

statuant à nouveau :

In limine litis,

- juger que l'huissier instrumentaire n'a accompli aucune démarche ponctuée de succès pour délivrer l'acte à sa personne,

- juger que ces diligences infructueuses lui ont causé grief,

- prononcer la nullité du procès-verbal de signification du jugement du 12 décembre 2014,

- juger que le délai d'appel n'a pas couru à son encontre,

- déclarer son appel recevable,

- condamner la banque à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- réserver les dépens.

M. [Y] [O] fait observer que l'huissier ayant signifié le jugement entrepris ne s'est pas présenté à l'adresse qui était la sienne à la date de la signification et qu'il n'a pas effectué des diligences nécessaires pour parvenir à une signification à personne, au regard des exigences posées à l'article 659 du code de procédure civile.

Il explique qu'ayant quitté le lieu dans lequel l'huissier a tenté de lui signifier le jugement en début d'année 2014, il s'est établi dans un appartement dont il était propriétaire, sis [Adresse 6] (Isère).

Il affirme que l'huissier aurait dû interroger les services fiscaux, les groupes EDF ou RSI, ses anciens voisins de palier, la régie de son ancien logement ou l'huissier ayant dressé l'état des lieux de sortie de ce logement, ce qui lui aurait permis de connaître sa nouvelle adresse, à tout le moins son adresse électronique, à laquelle il recevait ses courriels.

Il conteste les déclarations de la banque selon lesquelles l'administration fiscale aurait opposé le secret fiscal à une telle interrogation.

Il ajoute que la fiche de renseignement patrimoniale dressée lors de la souscription du cautionnement ayant conduit à sa condamnation au paiement mentionne l'adresse de l'appartement dans lequel il s'est établi ensuite de son déménagement. Il estime en conséquence que ce document permettait de procéder à une signification du jugement litigieux à sa personne et demande qu'il soit produit aux débats.

Il énonce que l'irrégularité de l'acte de signification lui cause grief, en ce qu'elle l'a empêché de former appel en temps utile.

Par conclusions sur déféré déposées le 23 mai 2023, la banque demande à la cour, au visa des articles 659 et 538 du code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance critiquée,

- débouter M. [Y] [O] de l'intégralité de ses prétentions,

- constater la régularité du procès-verbal de signification du jugement du 06 février 2015 dressé par l'huissier de justice,

en conséquence :

- prononcer l'irrecevabilité de l'appel formé par M. [Y] [O] le 27 septembre 2021,

- condamner M. [Y] [O] au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Y] [O] aux entiers dépens de la procédure.

La banque fait valoir que M. [Y] [O] ne saurait reprocher à l'huissier ayant signifié le jugement selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile de n'avoir pas interrogé la régie de l'immeuble ou l'huissier ayant dressé l'état des lieux de sortie de son ancien domicile, alors que l'huissier instrumentaire ignorait totalement l'identité de ces professionnels.

Elle ajoute que l'interrogation des services fiscaux aurait été vaine, ceux-ci opposant systématiquement le secret fiscal.

Elle estime que les diligences effectuées par l'huissier significateur sont suffisantes au regard des exigences de l'article 659 du code de procédure civile et de la jurisprudence afférente et conclut en conséquence au rejet de la demande d'annulation du procès-verbal de signification du 06 février 2015, ainsi partant qu'à la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré l'appel interjeté irrecevable comme tardif.

Elle soutient en dernier lieu que les renseignements contenus dans la déclaration de patrimoine du 30 septembre 2010 ne démontrent pas qu'elle aurait eu connaissance de l'adresse de M. [Y] [O] en début d'année 2015.

L'affaire a été appelée à l'audience du 24 mai 2023, à laquelle elle a été mise en délibéré au 8 juin 2023.

MOTIFS

Sur la régularité de l'acte de signification du 06 février 2015 :

Vu l'article 659 du code de procédure civile ;

Vu l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2011-1895 du 19 décembre 2011 ;

En application de l'article 659 du code de procédure civile, la signification doit être faite à personne et il n'y a lieu à signification par procès-verbal de recherches que si le destinataire de l'acte n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, le procès-verbal devant comporter avec précision les diligences accomplies par l'huissier de justice pour rechercher le destinataire de l'acte.

Ces diligences doivent s'avérer suffisantes au regard du but poursuivi et traduire une recherche sérieuse du destinataire de l'acte signifié.

Il résulte du procès-verbal de signification du 06 février 2015 :

- que l'huissier chargé de la signification du jugement du 12 décembre 2014 s'est présenté au [Adresse 5] (troisième arrondissement), alors constitutif du dernier domicile de M. [Y] [O] connu de sa mandante,

- qu'il a constaté sur place qu'aucune personne ne correspondait à M. [Y] [O] et que le nom de l'intéressé ne figurait ni sur les boîtes aux lettres, ni sur le tableau des occupants,

- que la consultation de trois annuaires électroniques, dont les pages blanches et les pages jaunes, n'a fourni aucun renseignement,

- que la société Eden Belt, figurant au registre du commerce et des sociétés comme étant gérée par M. [Y] [O], était en liquidation judiciaire et que le liquidateur n'a pu communiquer aucun renseignement utile, M. [Y] [O] ne l'ayant pas informé de sa nouvelle adresse,

- que le moteur de recherche Google n'a permis d'obtenir aucun renseignement exploitable sur l'adresse de M. [Y] [O] ou son lieu de travail,

- que les services postaux ont opposé le secret postal à l'huissier instrumentaire.

M. [Y] [O] fait cependant observer que l'huissier aurait pu interroger les services fiscaux, lesquels connaissaient sa nouvelle adresse sise [Adresse 6] (Isère), ce dont il justifie par la production de son avis d'imposition sur le revenu 2015 et par l'avis de taxe d'habitation 2015.

L'article L. 152-1 du code des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose que les administrations de l'Etat, des régions, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou organismes contrôlés par l'autorité administrative doivent communiquer à l'huissier de justice chargé de l'exécution, porteur d'un titre exécutoire, les renseignements qu'ils détiennent permettant de déterminer l'adresse du débiteur, l'identité et l'adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier, à l'exclusion de tout autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel.

La signification d'un jugement constituant le premier acte de toute voie d'exécution, l'huissier chargé de cette signification peut valablement obtenir l'adresse du débiteur de l'administration fiscale, laquelle accorde le concours prévu à l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d'exécution sur présentation d'un titre exécutoire (voir en ce sens, implicitement, Cass. 2e civ., 10 juin 2021, n° 20-13.826).

Or, la banque disposait d'un titre exécutoire sous la forme du jugement rendu le 12 décembre 2014.

En omettant d'interroger l'administration fiscale, l'huissier chargé de la signification de ce jugement s'est privé d'une démarche efficace, qui aurait conduit à la localisation de M. [Y] [O].

Il n'a donc pas accompli les diligences suffisantes au sens de l'article 659 du code de procédure civile et cette omission a causé grief à M. [Y] [O], en ce qu'elle l'a privé de la possibilité de connaître la teneur du jugement du 12 décembre 2014 pour en interjeter appel en temps utile.

Il convient en conséquence d'annuler l'acte de signification du 06 février 2015.

Sur la recevabilité de l'appel :

Vu les articles 528 et 538 du code de procédure civile ;

Le procès-verbal de signification du 06 février 2015 étant annulé et la banque ne justifiant d'aucun autre acte ayant fait courir le délai d'appel, il convient de juger que le délai de l'article 538 du code de procédure civile n'a jamais commencé à courir et que l'appel interjeté le 27 septembre 2021 demeure recevable.

Sur la demande de production forcée de la déclaration de patrimoine du 30 septembre 2010 :

Cette production n'est pas nécessaire à la solution du litige dont la cour se trouve saisie par voie de déféré et il n'y a lieu de l'ordonner dans ce cadre précis.

Sur les frais irrépétibles et les dépens générés par le déféré :

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

La banque succombe à l'instance et il convient de la condamner aux dépens du déféré.

L'équité commande de la condamner en sus à payer la somme de 1.000 euros à M. [Y] [O], en indemnisation des frais non répétibles générés par le déféré, et de rejeter sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcée en dernier ressort,

- Infirme l'ordonnance du 12 avril 2022, rendu en l'instance RG 21/7183 entre M. [T] [Y] [O] et la société Banque Populaire Auvergne Rhône Loire, venant aux droits de la société Banque Populaire Loire et Lyonnais ;

- Prononce l'annulation du procès-verbal de signification en date du 06 février 2015 ;

- Déclare recevable l'appel interjeté par M. [T] [Y] [O] du jugement prononcé le 12 décembre 2014 par le tribunal de commerce de Lyon entre les parties ;

- Déboute M. [T] [Y] [O] de sa demande de production forcée de la déclaration de patrimoine du 30 septembre 2010

- Condamne la société Banque Populaire Rhône Alpes Auvergne aux dépens générés par le déféré;

- Condamne la société Banque Populaire Rhône Alpes Auvergne à payer à M. [T] [Y] [O] la somme de 1.000 euros en indemnisation des frais non répétibles générés par le déféré et la déboute de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.