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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 4 juillet 2006, n° 06/02418

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Denjean Béton (SAS), Stasia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

M. Verde de Lisle, M. Baby

Avoués :

SCP Boyer-Lescat-Merle, Me de Lamy

Avocats :

Cabinet Camille et Associés, Me Dublanche

T. com. Toulouse, du 5 mai 2006, n° 06/5…

5 mai 2006

Attendu que par acte sous-seing privé du 30 août 2004 Monsieur Eric BENAC a cédé à la société DENJEAN FINANCE 51 % des actions de la société STASIA, laquelle détient 100 % du capital des sociétés BETON BENAC devenue DENJEAN BETON et SABLIÈRE BENAC devenue DENJEAN GRANULAT ;

que de très nombreuses difficultés sont apparues quant à l'application de cet acte et qu'elles ont donné lieu à toute une série d'instances dont certaines sont toujours pendantes devant le tribunal de commerce de Toulouse ; que c'est le cas notamment d'une action tendant à la résolution de la cession introduite par le cédant et d'une action concurrence déloyale initiée par le cessionnaire ;

que c'est dans ce contexte que Monsieur DENJEAN, président de la société STASIA, a décidé de convoquer les assemblées générales des sociétés STASIA et DENJEAN BETON, aux fins de voir statuer sur les exclusions de Madame Isabelle BENAC et de Monsieur Eric BENAC, tous 2 actionnaires de ces deux sociétés, et ce en application de l'article 13 des statuts de chacune d'elles ;

que Monsieur Eric BENAC et son épouse ont alors saisi le président du Tribunal de commerce de Toulouse statuant en référé qui par ordonnance du 5 mai 2006 a décidé de suspendre et de reporter sine die les assemblées générales ordinaires des sociétés STASIA et DENJEAN BETON qui devaient se tenir le 9 mai 2006 ;

qu'il a considéré, pour se prononcer ainsi, que l' exclusion n'était possible qu'en cas d'exercice d'une activité concurrente par un associé et que dans le cas précis seule Madame BENAC, par l'intermédiaire de la société SBI, concurrençait les sociétés STASIA et DENJEAN BETON mais que de son côté Monsieur Eric BENAC n'avait rien à se reprocher ;

Attendu que les sociétés STASIA et DENJEAN BETON ont fait appel de cette ordonnance dans des conditions de forme de délai qui ne sont pas discutées ; qu'elles font valoir pour l'essentiel

- que le juge des référés a excédé ses pouvoirs ; qu'il ne lui appartenait pas de trancher le litige mais uniquement de vérifier que la procédure d' exclusion prévue par les statuts, conformément aux dispositions des articles L. 227-16 et L. 227-18 du Code de commerce, avait été régulièrement suivie ; qu'en d'autres termes il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la concurrence et qu'il n'avait pas le pouvoir de paralyser le jeu des statuts ;

- que le fait pour le président d'une SAS de demander l'application des statuts ne peut en aucun cas constituer un trouble manifestement illicite ; qu'un tel trouble est exclu dès lors que l'une des parties se prévaut de l'application de la loi, d'un décret ou d'une convention qui est la loi des parties ;

- que les époux BENAC ne peuvent pas prétendre que le juge des référés devait prendre des mesures pour éviter que leur soit causé un dommage imminent ; qu'en effet leurs parts, s'ils sont exclus, leur seront rachetées, au besoin à dire d'expert, et qu'au demeurant l'exécution d'une convention ne peut pas en elle-même être dommageable pour celui qui l'a signée ;

- que le juge, en tout état de cause, peut ajourner une assemblée générale en cas de convocation irrégulière mais certainement pas la reporter sine die, privant ainsi les associés des droits qu'ils tiennent des statuts ; que paralyser l'exercice d'un droit au motif que l'on pourrait en abuser reviendrait à nier ce droit lui-même et qu'il n'est pas possible de soumettre à l'autorisation préalable du juge des référés tout exercice d'un droit quelconque au prétexte qu'un abus de droit n'est pas exclu ;

- qu'il n'est nul besoin pour statuer sur l'article 13 des statuts d'attendre l'issue des nombreuses procédures qui opposent les parties et plus spécialement de l'action en concurrence déloyale et de l'action en résolution de l'acte de cession,

- que Monsieur Eric BENAC exerce bien une activité concurrente sous couvert de la société SBI constituée par son épouse ; 

qu'elles concluent par conséquent à l'infirmation de l'ordonnance dont appel et à la condamnation des époux BENAC au paiement à chacune d'elles de la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que les époux BENAC font au contraire valoir

- que l'action en concurrence doit être jugée prochainement et que surtout s'il était fait droit à l'action en résolution de l'acte de cession dont le tribunal de commerce est également saisi le groupe DENJEAN serait privé de tout droit à se prévaloir de la majorité qu'il détient aujourd'hui et dont il voudrait profiter pour voter seul l' exclusion de ses associés, détenteurs de 49 % du capital ;

- qu'il serait pour le moins singulier de permettre l' exclusion d'un associé au moment même où il plaide la résolution de la cession des actions qui permettraient de voter son exclusion ;

- que le juge des référés ne pouvait que constater l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant consistant

* à priver un actionnaire titulaire de 49 % du capital de son droit de vote,

* à l'exclure de la société en se fondant sur des dispositions exorbitantes du droit commun,

* à le contraindre à céder à vil prix les parts qu'il détient,

et ce avant que le tribunal de commerce ne se prononce au fond, pour le prendre de vitesse et pour que précisément il ne se prononce pas ;

que le juge de l'évidence ne saurait se limiter à la seule vérification de la régularité de la procédure alors qu'il a pour mission de faire cesser un trouble manifestement illicite ici constitué par la volonté d'exclure par défaut un associé alors que le tribunal est saisi du fond des difficultés dont tente précisément de se prévaloir l'actionnaire majoritaire pour obtenir cette exclusion ;

- que bien loin d'avoir commis un excès de pouvoir il a logiquement sanctionné un excès de procédure et une évidente violation du devoir de loyauté entre associés ;

- qu'enfin il ne peut pas être sérieusement soutenu que l' exclusion ne serait pas dommageable dès lors qu'elle s'accompagnerait du rachat des parts de l'associé évincé alors que ce rachat lui sera imposé au prix choisi par le groupe DENJEAN, sur la base d'une situation liquidative défavorable ;

SUR QUOI

Attendu que la faculté pour les actionnaires d'insérer dans les statuts une clause d' exclusion est expressément prévue par l'article L 227-18 applicable aux sociétés par actions simplifiées ;

que la validité de cette clause n'est ni discutable ni d'ailleurs discutée et que par suite la convocation adressée aux époux BENAC sur le fondement de l'article 13 des statuts ne peut pas en elle-même être constitutive d'un trouble manifestement illicite ;

que de même il n'est pas contesté que la procédure prévue par cette clause a bien été respectée et que la convocation n'est entachée d'aucune irrégularité susceptible d'en affecter la validité ou de nature à caractériser un dommage imminent ;

que pour le surplus le juge des référés, juge de l'apparence, n'a pas à préjuger du fond et qu'il ne pouvait pas, pour faire droit aux demandes des époux BENAC, rechercher s'ils se livraient ou non à une activité concurrentielle ;

que c'est au juge du fond qu'il appartiendra, le cas échéant, dans le cadre d'un contrôle a posteriori, de se prononcer sur cette question et de dire si les actionnaires majoritaires ont ou non abusé du droit d' exclusion dont ils disposent ;

qu'en l'état l'exercice par le groupe DENJEAN d'un droit qui lui est reconnu par les statuts et par la loi ne saurait être constitutif d'un trouble manifestement illicite ;

qu'il est prétendu par les époux BENAC que ce trouble est caractérisé dès lors que la mise en oeuvre de la procédure d' exclusion , exorbitante du droit commun, aboutirait à les priver du droit de vote attaché à leurs actions et conduirait au rachat de leurs parts à vil prix ;

que force est cependant de constater que cette procédure est prévue tant par la loi que par la convention des parties et qu'elle ne peut pas en elle-même être qualifiée d'illicite;

que les appelants paraissent dans leurs conclusions d'appel se situer sur le terrain du trouble manifestement illicite plutôt que sur celui du dommage imminent mais qu'en tout état de cause leurs prétentions sont dans les deux cas mal fondées ;

que l'existence d'un dommage imminent ne saurait se déduire du seul prix de rachat des actions, même s'il devait être très peu élevé, car, en cas d' exclusion , les époux BENAC seront indemnisés pour la valeur, quelle qu'elle soit, de leurs titres et cette indemnisation, faite en conformité avec les statuts, ne pourrait être dommageable que si elle était l'aboutissement de manoeuvres destinées à les spolier ; que ces manoeuvres en l'état ne sont pas caractérisées et que là encore c'est au juge du fond et à lui seul qu'il appartiendra, si l' exclusion est votée, de dire si le rachat des titres s'est fait de façon transparente ou non ;

que dans ces conditions et alors en outre que le report sine die des assemblées générales des sociétés STASIA et DENJEAN BETON aboutirait à paralyser leur fonctionnement, la décision déférée doit être infirmée ;

Attendu que les époux BENAC qui succombent en toutes leurs prétentions doivent être condamnés aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés appelantes la somme de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision déférée et statuant à nouveau

Déboute les époux BENAC de toutes leurs demandes,

Les condamne aux dépens d'appel et autorise la SCP BOYER/ LESCAT/MERLE, avoués associés, à recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante ;

Les condamne en outre à payer aux sociétés STASIA et DENJEAN BETON la somme de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.