CA Orléans, 24 septembre 2007, n° 06/02345
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Boscher
Défendeur :
Comptoir De Bois Daniel Sabbe (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bureau
Conseillers :
Mme Nollet, Mme Hours
Avoués :
SCP Desplanques-Devauchelle, SCP Laval-Lueger
Avocats :
Me Gaultier, SCP Wedrychowski et Associes
Prononcé publiquement le 24 SEPTEMBRE 2007 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
L'indivision BOSCHER, représentée par son mandataire l'expert forestier Alain AUDEVAL, a conclu, le 02 mars 1999, un contrat de vente de bois avec la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE portant sur la vente sur pied de bois de chêne au prix de 5,34 € le stère pour le bois de chauffage, 22,87 €/m3 pour les billes qualité traverse, 60,98 €/m3 pour la qualité charpente et de 213,453 €/m3 pour la qualité plot ;
Après réception, la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE a finalement acquis en qualité bois de chauffage la quantité de 1773 stères ; l'intégralité du prix a été payée à l'indivision BOSCHER au 26 novembre 2002 ;
Le 16 septembre 2003, Daniel BOSCHER, ès qualités de gérant de l'indivision, se plaignant de ce que la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE n'avait pas procédé au retirement complet du bois de chauffage a mis celle-ci en demeure de procéder à l'enlèvement avant le 15 octobre 2003 faute de quoi, il considérerait que l'acquéreur a abandonné ce bois ;
La société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE soutient alors avoir mandaté la société TRANSPORTS LEBERT qui se serait vu opposer un refus de Daniel BOSCHER, ès qualités, et du garde chasse d'intervenir le 14 octobre après quoi l'acquéreur a mis en demeure l'indivision de délivrer le bois manquant ou d'en restituer le prix ;
Daniel BOSCHER, ès qualités, conteste, pour sa part, avoir refusé au transporteur l'entrée du domaine pour y chercher le bois, il soutient que la société LEBERT lui a demandé un délai supplémentaire au 30 octobre 2003 pour enlever le bois, ce qui lui a été accordé, mais que la veille, elle a prétexté une panne de ses camions pour ne pas intervenir ;
Saisi du différend par la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE, le Tribunal d'Instance d'ORLÉANS a, par jugement du 22 juin 2006, notamment, :
' condamné Daniel BOSCHER, ès qualités de gérant de l'indivision BOSCHER, à tenir à la disposition de la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE les 176 stères de bois de chauffage sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 7 ème jour suivant la signification du jugement ;
' au cas où les 176 stères de bois auraient disparu, condamné Daniel BOSCHER, ès qualités, à payer à la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE la somme de 3.157,44 € en remboursement du bois ;
' condamné Daniel BOSCHER, ès qualités, à payer à la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE 1.000 € de dommages-intérêts (2.000 € dans les motifs) et 1.500 € d'indemnité de procédure ;
Vu les conclusions récapitulatives :
- du 18 mai 2007, pour Daniel BOSCHER, ès qualités, appelant ;
- du 04 mai 2007, pour la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE ;
auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et demandes ;
Au soutien de son appel, Daniel BOSCHER, ès qualités de gérant de l'indivision BOSCHER, fait valoir que, contrairement à ce qu'écrit le Tribunal, le contrat prévoyait que la vidange de la partie appelée "enclos" devait être faite pour le 30 juin 2000 ; il affirme en effet, en se fondant sur la définition de la vidange donnée par plusieurs dictionnaires, qu'il s'agit de l'opération consistant à sortir intégralement le bois de la forêt et que cette opération ne se confond pas, comme voudrait le faire croire son adversaire, avec le débardage qui consiste à enlever les grumes de la coupe ; il fait valoir que, plus de dix-huit mois après avoir payé le prix, la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE a préféré encombrer le terrain de l'indivision en laissant ses clients venir chercher le bois au bord du chemin plutôt que de l'entreposer elle-même sur un terrain lui appartenant ; il estime que dès l'instant où la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE n'a pas tenu compte de la mise en demeure qu'elle lui avait adressée, il pouvait enlever lui-même les stères litigieux pour en disposer ; il fait valoir, en effet, qu'en application des dispositions de l'article 1657 du code civil, le contrat s'est trouvé résolu de plein droit à la suite du non enlèvement par l'acheteur et il soutient qu'il ne s'agit pas là d'une demande nouvelle au sens de l'article 564 du nouveau code de procédure civile ; il relève que la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE pourrait, tout au plus, demander la résolution partielle du contrat pour les stères non livrés mais qu'elle ne peut en aucun cas, réclamer un prix supérieur au prix fixé au contrat qui est, d'ailleurs, celui auquel elle a elle-même revendu le bois de chauffage à ses détaillants ; il remarque cependant que, dans ce cas, il a droit à la clause pénale prévue au contrat en cas de retard dans la vidange et que le montant de l'indemnité, 3.216,44 €, se compense exactement avec le prix des stères manquants puisqu'il faut tenir compte aussi de la dépréciation du bois laissé à l'abandon au bord du chemin ; il estime, là encore, cette demande recevable puisqu'elle tend à opposer la compensation à la demande de son adversaire ;
La société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE conclut à la confirmation du jugement sauf à voir rectifier l'erreur matérielle constituée par la contradiction entre les motifs et le dispositif sur le montant des dommages-intérêts qui lui ont été accordés ; elle rappelle que la convention passée avec l'indivision est une vente en bloc qui est parfaite dès le 02 mars 1999 en application des dispositions des articles 1583 et 1586 du code civil ; elle estime, dès lors, que l'indivision ne pouvait plus disposer du bois de chauffage même après l'avoir mise en demeure de procéder à son enlèvement ; qu'elle devait au contraire, dans le cadre de son obligation de délivrance et alors qu'elle en avait perçu le prix intégral, le tenir à sa disposition ; elle précise que le contrat ne contenait qu'une date de vidange de la coupe et non une date de retirement de la propriété de son adversaire ; elle rappelle qu'elle a parfaitement rempli ses obligations ainsi que l'écrit l'expert forestier AUDEVAL, mandataire de l'indivision ; elle considère que le délai de retirement du bois de chauffage n'est pas excessif compte tenu de la nécessité du séchage et elle soutient que la demande de résolution fondée sur l'article 1657 du code civil est irrecevable comme nouvelle en appel ; elle ajoute que ce texte est inapplicable faute de délai convenu pour le retirement et faute de carence de sa part puisque c'est Daniel BOSCHER ès qualités qui a fait opposition à l'enlèvement par les transports LEBERT ; elle termine en soulevant l'irrecevabilité de la demande de compensation présentée elle aussi pour la première fois en appel et relevant, à titre subsidiaire, que, de toutes façons, elle n'est pas fondée car le délai contractuel de vidange de la coupe a été respecté et aucune pénalité ne peut donc lui être décomptée en l'absence de date prévue conventionnellement pour le retirement ; elle précise que, si les 176 stères ne peuvent lui être restitués, son préjudice doit être calculé en tenant compte des frais d'abattage et de débardage qui ont été exposés par elle et qui ont bénéficié au vendeur ;
SUR QUOI LA COUR :
Attendu que, devant le Tribunal, Daniel BOSCHER ès qualités, concluait seulement au débouté de la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE en sa demande de restitution des stères manquants mais nullement à voir constater la résolution partielle de plein droit du contrat de vente sur le fondement des dispositions de l'article 1657 du code civil ; que la demande formulée à ce titre pour la première fois en appel est cependant recevable car elle tend à faire écarter les prétentions adverses en délivrance de la chose vendue ;
Attendu, en revanche, qu'elle n'apparaît pas fondée car s'il est admis que ce texte s'applique aux coupes de bois, la résolution de plein droit qu'il prévoit exige le non respect par l'acquéreur du terme convenu pour le retirement or il résulte des éléments du dossier qu'aucun délai de retirement n'était prévu dans le contrat qu'il convient d'interpréter sur ce point compte tenu de son caractère ambigu ;
Attendu que l'article V "DÉLAIS" est rédigé de la façon suivante " : l'abattage et la vidange seront terminés avant le : ENCLOS 1 er mars au 30 juin 2000, HORS ENCLOS : 1 septembre 1999 au 31 octobre 1999"
Attendu que les parties sont en désaccord sur la notion de vidange qui, selon la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE, ne concerne que la parcelle de coupe et, selon Daniel BOSCHER ès qualités, concerne toute la propriété de l'indivision ;
Attendu qu'à l'appui de sa thèse, Daniel BOSCHER se réfère au dictionnaire de l'Académie qui distingue la vidange, opération qui consiste à enlever d'une forêt le bois que l'on a abattu et le débardage, opération qui consiste à transporter les grumes hors de la coupe où elles ont été abattues jusqu'au lieu de dépôt ou de chargement ;
Mais attendu que Daniel BOSCHER verse aussi aux débats un extrait du dictionnaire ROBERT qui définit la vidange comme l'opération consistant à enlever la totalité des bois abattus dans une coupe ce qui va à l'encontre de sa thèse ; que cette définition est aussi celle du LABORATOIRE D'ANALYSE ET DE TRAITEMENT INFORMATIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE qui parle de l'enlèvement du bois abattu dans une coupe ;
Attendu que tous ces articles se réfèrent à l'acception du terme "vidange" en sylviculture ; qu'il convient d'en déduire que, même dans le langage professionnel, la notion de vidange est sujette à imprécision ;
Attendu que le contrat ambigu s'interprète contre la partie qui l'a rédigé ; qu'en l'espèce, le contrat est rédigé sur du papier professionnel d'Alain AUDEVAL qui était le représentant de l'indivision à la vente et son mandataire ; que, par ailleurs, quoi qu'il en dise, Daniel BOSCHER, ès qualités, ne contestait pas, en première instance, l'absence de date limite pour le retirement des bois de chauffage puisqu'il écrivait clairement dans ses conclusions devant le Tribunal : "s'il est exact que le contrat reste taisant sur les délais d'enlèvement, il précise malgré tout que..." (suit la reproduction des termes du contrat) ; qu'à l'époque, Daniel BOSCHER ès qualités faisait donc la même analyse que son adversaire de la convention et admettait que la notion de vidange s'appliquait à l'enlèvement des bois hors de la coupe et non à leur transport hors de la propriété de l'indivision ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la vidange de la coupe a été faite dans le délai fixé ce qui est d'ailleurs confirmé par AUDEVAL, mandataire de l'indivision chargé de surveiller les travaux, dans la lettre qu'il adresse à Daniel BOSCHER le 12 décembre 2002 ; que la réception définitive de la vente de bois sur pied s'est déroulée le 05 septembre 2002 ce qui n'aurait pu avoir lieu si la vidange de la coupe n'avait pas été effectuée ;
Attendu que l'absence de délai convenu pour le retirement du bois hors de la propriété empêche qu'il soit fait application des dispositions de l'article 1657 du code civil ; que la mise en demeure unilatérale adressée par le vendeur ne saurait se substituer au délai convenu pour justifier la résolution de plein droit d'un contrat largement exécuté par ailleurs ;
Attendu, certes qu'une jurisprudence isolée et ancienne renvoie, en l'absence de délai convenu, aux usages généraux du commerce qui imposent qu'une marchandise soit retirée dans un délai suffisant tel qu'un vieillissement excessif de celle-ci ne pourrait empêcher sa commercialisation ; que, cependant, en l'espèce, s'agissant de bois de chauffage de chêne réceptionné le 05 septembre 2002, le délai d'un an utilisé par la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE pour le retirement n'avait rien d'excessif et n'empêchait nullement la commercialisation ; que la résolution de plein droit de la vente des 176 stères n'est donc pas encourue sans qu'il soit besoin de s'interroger si le défaut d'enlèvement est imputable à un acheteur négligent ou au vendeur qui s'est opposé à l'entrée dans les lieux du transporteur mandaté par la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE, faits sur lesquels les parties sont en total désaccord ;
Attendu que la vente en bloc s'apparente à une vente de corps certain et le transfert de propriété s'effectue dès la signature du contrat manifestant l'accord des parties sur la chose et sur le prix ; qu'au surplus, la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE ayant versé intégralement le prix à son adversaire, l'indivision ne pouvait plus disposer des stères de bois de chauffage et, si elle pouvait mettre en demeure son adversaire de procéder à leur retirement, elle ne pouvait, en aucun cas décider de façon unilatérale qu'à l'expiration de la mise en demeure le bois litigieux redeviendrait sa propriété ;
Attendu que le non respect par l'acquéreur de cette date pourrait, tout au plus, entraîner l'octroi de dommages-intérêts s'il était établi que la présence du bois au-delà de la date fixée est de nature à causer un préjudice au propriétaire, ce qui est invoqué mais nullement démontré en l'espèce ; que, dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a décidé que l'indivision BOSCHER n'avait pas respecté son obligation de délivrance et devait restituer les 176 stères ou en payer la contre-valeur ;
Attendu que la demande d'indemnité de clause pénale est recevable pour la première fois en appel puisqu'elle tend à opérer une compensation entre son montant et le prix des stères de bois non restitués ; qu'elle est cependant non fondée car cette clause pénale ne peut s'appliquer qu'en cas de retard d'exploitation ou de vidange or il vient d'être vu qu'il n'existait ni retard d'exploitation, ni retard de vidange au sens donné par la Cour à cette dernière définition ; que la demande de Daniel BOSCHER, ès qualités, sera donc rejetée ;
Attendu que la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE a acheté au prix de 5,34 € le stère le bois de chauffage sur pied ; que si le vendeur est dans l'impossibilité de lui restituer les 176 stères débités placés au bord du chemin d'exploitation, le préjudice subi par la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE consiste en la perte de bois débité et conditionné et l'indemnisation doit donc tenir compte de la plus-value apportée au produit par le travail des bûcherons rémunérés par la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE ;
Attendu que la quantité restante de 176 stères ne peut être contestée puisque sur les 1773 stères acquis au vu du procès-verbal de réception, la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE en a revendu 1517 et que 80 stères ont été retirés par la société LEBERT ; que l'attestation du garde-chasse de l'indivision est trop imprécise pour établir que d'autres retirements ont eu lieu ; que la quantité de 176 stères doit donc être retenue ;
Attendu qu'aucune dépréciation du bois dont s'agit n'est démontrée ; que, de toutes façons, cet élément ne pourrait avoir d'intérêt que dans le cadre d'une résolution partielle prononcée sur le fondement de l'article 1657 du code civil mais non sur le fondement de l'absence de délivrance intégrale par le vendeur de la chose acquise ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il accorde à la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE la somme de 3.157,44 € si l'indivision BOSCHER ne lui restitue pas les 176 stères en nature ;
Attendu que le jugement entrepris est affecté d'une erreur matérielle sur le montant des dommages-intérêts qui sont d'un montant différent dans les motifs et dans le dispositif ; qu'il y a donc lieu à interprétation ; que la mention portée au dispositif, qui constitue la décision du Tribunal, doit l'emporter sur celle figurant dans les motifs ; que la Cour rectifiera l'erreur précitée en retenant la somme de 1.000 € de dommages-intérêts qui apparaît, au surplus, largement suffisante eu égard aux éléments du dossier ;
Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser supporter à l'intimée la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager ; qu'il lui sera accordé une indemnité de mille euros (1.000 €) à ce titre ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
VU les articles 1156 et suivants, 1583, 1586 et 1657 du code civil ;
VU les articles 564 et 700 du nouveau code de procédure civile ;
CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
RECTIFIE l'erreur matérielle résultant de la contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement entrepris sur le montant des dommages-intérêts ;
DIT que le Tribunal a décidé de fixer le montant des dommages-intérêts mis à la charge de Daniel BOSCHER, ès qualités de gérant de l'indivision BOSCHER à mille euros (1.000 €) ;
DIT que cette rectification sera portée en marge du jugement précité et qu'il ne pourra en être délivré expédition ou copie sans que la mention de la rectification n'y figure ;
CONDAMNE Daniel BOSCHER ès qualités de gérant de l'indivision BOSCHER à payer à la société COMPTOIR DE BOIS DANIEL SABBE la somme de mille euros (1.000 €) au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
CONDAMNE Daniel BOSCHER ès qualités de gérant de l'indivision BOSCHER aux dépens d'appel ;
ACCORDE à la S.C.P. LAVAL-LUEGER, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.