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Décisions

CA Douai, 10 novembre 2022, n° 20/02393

DOUAI

Arrêt

Confirmation

Lille Métropole, du 30 avr. 2020

30 avril 2020

EXPOSE DU LITIGE

Mme Baurain exploitait une pharmacie située à [Localité 9] sous la forme d'une SELARL dont elle était l'associée unique. Souhaitant trouver un associé et céder la moitié de ses parts de la SELARL, elle a notamment conclu le 5 mai 2017 avec la SAS Pharma cession conseil, intermédiaire dans le cadre d'acquisitions et cessions d'officines, un mandat non exclusif de recherche d'un acquéreur.

Mme Watine, pharmacienne souhaitant acquérir des parts d'une officine dans la région littorale, a signé le 13 novembre 2017 un document intitulé « Engagements et reconnaissance de confidentialité des données

sur les mandats de vente » émis par la SAS Pharma cession conseil.

Le 31 décembre 2018, Mme Baurain et Mme Watine se sont associées, la SELARL Pharmacie Baurain à associé unique cédant la moitié de ses parts sociales à la Holding Watine-[L], dont Mme Watine est l'associée unique, et devenant la SELARL Pharmacie Baurain-Watine.

Par acte d'huissier de justice du 14 février 2019, la SAS Pharma cession conseil, estimant avoir été exclue de l'opération qu'elle estimait avoir initiée, a fait assigner la SELARL Pharmacie Baurain-Watine, Mme Baurain et Mme Watine devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, afin d'obtenir leur condamnation au paiement de la rémunération contractuellement prévue en raison de la bonne exécution de ses obligations ou de dommages et intérêts.

Par jugement du 30 avril 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

-condamné Mme Watine à payer une indemnité de 10 000 euros à la SAS Pharma cession conseil à titre de dommages et intérêts,

-condamné Mme Watine à payer à la SAS Pharma cession conseil la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Mme Watine aux dépens,

-ordonné l'exécution provisoire du jugement,

-débouté les parties de leurs autres demandes.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 1er juillet 2020, Mme Watine a relevé appel du jugement en ce qu'il :

- l'a condamnée à payer à la SAS Pharma cession conseil une indemnité de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

-l'a condamnée à payer à la SAS Pharma cession conseil la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamnée aux dépens,

- a ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- l'a déboutée ainsi que la Pharmacie Baurain et Mme Baurain de leurs demandes de condamnation de la SAS Pharma cession conseil à leur payer 1 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- l'a déboutée ainsi que la Pharmacie Baurain et Mme Baurain de leurs demandes de condamnation de la SAS Pharma cession conseil sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 10 mars 2021, Mme Watine, la SELARL Pharmacie Baurain-Watine et Mme Baurain demandent à la cour de :

* sur l'appel principal de Mme Watine :

-infirmer la décision du tribunal de commerce de Lille Métropole du 30 avril 2020 en ce qu'elle a condamné Mme Watine à payer une indemnité de 10  000 euros à la SAS Pharma cession conseil à titre de dommages et intérêts et dire qu'en l'absence de toute faute commise par Mme Watine dans ses rapports avec la SAS Pharma cession conseil, elle ne saurait être condamnée à lui payer quelque somme que ce soit,

-infirmer la décision en ce qu'elle a condamné Mme Watine à payer une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- infirmer la décision en ce qu'elle n'a pas dit et jugé abusive la procédure entreprise par la SAS Pharma cession conseil et, statuant à nouveau, condamner cette société à payer à Mme Watine une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* sur l'appel incident de la SAS Pharma cession conseil :

-dire et juger que Mme Baurain et la SELARL Baurain ne sont redevables à la SAS Pharma cession conseil d'aucune commission pour inexécution contractuelle ni de dommages et intérêts solidairement avec Mme Watine à raison de leur comportement,

- en conséquence, débouter la SAS Pharma cession conseil de l'ensemble de ses demandes incidentes visant à condamner solidairement la SELARL Baurain, Mme Baurain et Mme Watine à lui payer la somme de 24 750 euros,

* en tout état de cause :

- condamner la SAS Pharma cession conseil à payer à chacune la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la SAS Pharma cession conseil à leur payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de leurs prétentions, elles font valoir que Mme Watine n'a commis aucune faute à l'égard de la SAS Pharma cession conseil. Elles précisent que la SAS Pharma cession conseil n'a fait signer à Mme Watine qu'un document unilatéral peu explicite intitulé « engagements et reconnaissance de confidentialité des données sur les mandats de vente », dont aucune copie ne lui a été remise. Elles précisent que si ce document contient une clause qui prévoit l'information de la SAS Pharma cession conseil dans les trois jours ouvrables dans le cas où les renseignements sur une pharmacie seraient déjà détenus par un autre intermédiaire, le tribunal de commerce ne s'est pas interrogé sur la nature et la valeur de cette clause et du document dans lequel elle est insérée. Elles soulignent qu'il ne s'agit pas d'un contrat de mandat de recherche mais d'un simple engagement unilatéral rappelant la confidentialité des informations professionnelles communiquées par la SAS Pharma cession conseil et s'apparentant en jurisprudence à un accord de confidentialité, destiné uniquement au stade des rapports pré contractuels entre les parties, à obtenir un engagement de ne pas faire, à savoir ne pas exploiter et divulguer des informations marquées comme confidentielles. Un tel accord ne peut prévoir une obligation de faire, en l'espèce une contrainte à la charge de la signataire devant dénoncer immédiatement à la SAS Pharma cession conseil tout autre contact ou mise en relation obtenue hors de son intermédiaire, ce qui revient à accorder indirectement un droit d'exclusivité sur la suite des contacts que Mme Watine pouvait obtenir par ailleurs à l'occasion de ses propres recherches.

Elles soutiennent que Mme Watine n'a jamais signé de contrat vis-à-vis de la SAS Pharma cession conseil l'engageant à de telles obligations et que la seule apposition de son paraphe sur un simple accord de confidentialité à l'intitulé équivoque et dont il ne lui est pas laissé copie ne saurait juridiquement piéger son consentement et la constituer fautive de ne pas avoir négocié avec l'entremise exclusive de la SAS Pharma cession conseil.

Au surplus, elles exposent que le caractère direct et certain du préjudice découlant de la prétendue faute imputée à Mme Watine n'est pas démontré.

Sur l'appel incident de la SAS Pharma cession conseil, elles indiquent que leur mise en relation n'a pas été faite par l'intermédiaire de la SAS Pharma cession conseil, Mme Baurain n'ayant pas eu connaissance des mails que la SAS Pharma cession conseil lui aurait adressés avant leur mise en relation par d'autres intermédiaires. Elles ajoutent que Mme Baurain, qui n'avait pas à supporter la charge de la commission de l'intermédiaire, n'avait aucune raison particulière de vouloir esquiver la présentation par la SAS Pharma cession conseil d'une jeune pharmacienne, d'autant qu'elle multipliait les démarches pour trouver un associé. Elles en concluent donc qu'en l'absence d'intervention dans la mise en relation et compte tenu du fait que la rémunération contractuellement prévue était liée au seul résultat, aucune somme ne saurait être exigée par la SAS Pharma cession conseil.

Enfin, sur la demande subsidiaire de la SAS Pharma cession conseil en dommages et intérêts sur le fondement d'une collusion frauduleuse à ses dépens, elles indiquent que la clause pénale du contrat est mal rédigée et qu'il ne peut être prétendu qu'elle n'est pas manifestement excessive ou insusceptible de réduction au titre de l'article 1231-5 du code civil.

Elles ajoutent que le contexte de l'action en justice et les insinuations à leur égard justifient leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts en raison du préjudice consécutif au caractère abusif de la procédure.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 29 décembre 2020, la SAS Pharma cession conseil demande à la cour de :

-réformer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 10 000 euros et a rejeté la demande de condamnation solidaire entre la SELARL Baurain, Mme Baurain et Mme Watine,

* statuant à nouveau :

-condamner la SELARL Baurain-Watine et Mme Baurain, mandants, à lui payer une somme égale à 24 750 euros à titre de commission, auquel cas une facture sera émise, ou à titre de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle,

-dire que si la SELARL Baurain-Watine et Mme Baurain sont condamnées au paiement de la commission due, l'exécution se fera sur émission d'une facture assortie de TVA,

-condamner solidairement Mme Watine, vu son comportement fautif et compte tenu de la violation de l'obligation contractuelle d'information ayant causé un préjudice, au paiement de la somme de 24 750 euros,

* en tout état de cause :

-débouter la SELARL Baurain-Watine, Mme Baurain et Mme Watine de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-condamner solidairement la SELARL Baurain-Watine, Mme Baurain et Mme Watine à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la SELARL Baurain-Watine, Mme Baurain et Mme Watine au dépens,

* très subsidiairement, confirmer la décision en ce qu'elle a condamné Mme Watine à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement fautif.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir qu'elle a présenté Mme Watine à Mme Baurain dès le 17 novembre 2017 par un mail extrêmement détaillé, bien que le nom de l'acquéreur potentiel ne soit pas dévoilé, conformément à l'usage. Elle précise avoir exécuté les termes du mandat en identifiant un acquéreur et que seul le comportement du mandant a empêché que le mandat soit pleinement effectué. Elle met en avant les manquements du mandant à ses obligations contractuelles :

manquement à une obligation de loyauté sur le fondement des articles 1194 et 1999 du code civil (en ignorant les mails envoyés),

manquement à l'obligation d'information du mandant, dès lors que contrairement à ses obligations contractuelles, Mme Baurain ne l'a pas informée de la mise en contact prétendument intervenue par l'intermédiaire d'un tiers avec Mme Watine.

Elle précise que l'engagement souscrit par Mme Watine à son égard est usuel dans le métier de l'intermédiation et qu'elle a également commis des manquements contractuels en sa qualité d'acquéreur puisque lorsque la SAS Pharma cession conseil lui a transmis la fiche de la pharmacie Baurain, elle aurait du l'aviser qu'elle avait déjà connaissance de cette pharmacie dans les meilleurs délais.

La SAS Pharma cession conseil expose qu'elle subit un préjudice consécutif aux inexécutions contractuelles de Mme Watine et de Mme Baurain, qui doit être réparé et qui est égal à la commission qu'elle aurait du percevoir, dès lors que la transaction entre Mme Baurain et Mme Watine est allée à son terme, soit la somme de 24 750 euros HT. Elle ajoute que le contrat de mandat prévoit une clause pénale qui doit trouver à s'appliquer dès lors que le mandant a cédé ses titres à Mme Watine, présentée par elle durant la validité du mandat, qui a expiré le 4 mai 2018 et doit être fixée à 24 750 euros, somme qui n'apparaît pas excessive au sens de l'article 1231-5 du code civil.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 juillet 2022 . Plaidé à l'audience du 7 septembre 2022 , le dossier a été mis en délibéré au 10 novembre 2022 .

MOTIVATION 

1) Sur la demande de condamnation de la SELARL Baurain-Watine et de Mme Baurain

Sur la demande de condamnation au paiement de la commission prévue dans le contrat de mandat

Aux termes du mandat de vente sans exclusivité conclu le 5 mai 2017 entre la SELARL Pharmacie Baurain et la SAS Pharma cession conseil, il était prévu que le mandant confiait au mandataire le mandat de rechercher un acquéreur en vue de la cession de 50% des parts sociales de la société. Les obligations du mandataire étaient stipulées de la façon suivante :

proposer, présenter, faire visiter l'officine de pharmacie à toute personne qu'il jugera utile et en informer le mandant,

recueillir les offres d'achat des acquéreurs potentiels,

participer aux négociations pour la formulation d'une offre d'achat ferme par un acquéreur notoirement solvable,

réclamer toutes pièces utiles auprès de toutes personnes privées ou publiques et effectuer, le cas échéant, toutes démarches administratives,

entreprendre, d'une façon générale, toutes démarches entrant dans la mission qui lui est confiée.

L'article 3 du contrat de mandat prévoit que lorsque l'acte translatif de propriété aura été effectivement conclu, la rémunération du mandataire sera immédiatement exigible et qu'elle représentera 5% du prix de vente de l'officine de pharmacie.

La SAS Pharma cession conseil produit deux courriels adressés par Mme [U], pour le compte de la société, à Mme Baurain. Le premier, daté du 17 novembre 2017, l'interroge sur le déroulement de son projet d'association en cours et lui fait part de ce qu' « une jeune femme est venue se présenter cette semaine au cabinet. Elle souhaite s'installer prochainement. Je la connais très bien puisqu'elle a fait son stage de 6ème année chez mon mari à Hem et c'est vraiment quelqu'un de très bien. Une jeune femme très souriante, sérieuse avec un très bon caractère. J'ai tout de suite pensé à vous. Vous vous entendriez à merveille avec elle. Si jamais vous souhaitez la rencontrer, ce sera avec plaisir que je reviendrais vous voir ». Dans le second courriel, daté du 12 décembre 2017, Mme [U] indique à Mme Baurain que « n'ayant pas eu de réponse à mon dernier mail, je reviens vers vous. La jeune pharmacienne que je connais est à la recherche d'une installation et s'associer avec vous lui correspondrait parfaitement. Votre dossier d'association se passe-t-il comme vous le souhaitez' ».

Les parties s'accordent sur le fait que Mme Baurain n'a pas répondu à ces courriels. Mme Baurain soutient qu'ils ne lui sont pas parvenus. Il appartient à la SAS Pharma cession conseil, qui prétend avoir exécuté son mandat, de rapporter la preuve de la bonne réception de ces courriels par Mme Baurain, ce qui n'est pas démontré en l'espèce. En outre, il ne peut qu'être constaté à la lecture du contenu des courriels, que Mme Watine n'y est pas nommément identifiée comme acquéreur potentiel, et que la SAS Pharma cession conseil ne démontre aucune autre démarche effectuée en exécution de ses obligations contractuellement prévues de mandataire.

La production de ces deux courriels ne saurait donc suffire à démontrer que la SAS Pharma cession conseil a rempli le mandat convenu entre les parties et justifier le versement de la commission contractuellement prévue.

En outre, la SELARL Baurain-Watine produit une attestation de Maître Duwat, avocat chargé par Mmes Baurain et Watine des négociations pour la vente des parts sociales et une attestation de M. [C], expert-comptable ayant accompagné Mme Watine dans sa démarche, qui attestent tous ne pas avoir eu de contacts avec la SAS Pharma cession conseil dans le cadre de la réalisation de l'opération.

L'exécution par la SAS Pharma cession conseil du mandat qui avait été convenu entre les parties n'est donc pas démontrée et elle ne peut donc solliciter le versement de la commission qui avait été contractuellement prévue.

sur la demande de condamnation au paiement de la clause pénale en raison des inexécutions contractuelles

Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Le mandat conclu entre la SAS Pharma cession conseil et la SELARL Baurain contient une clause intitulée Responsabilité qui prévoit qu' « en cas d'inexécution par le mandant de ses obligations au titre du mandat la même somme que celle visée à l'article 4.1 du mandat sera également due au mandataire, compte tenu du travail effectué par celui-ci dans l'exécution du mandat, à titre d'indemnité forfaitaire et irréductible. Cette somme sera notamment due lorsque le mandant n'aura pas procédé à la régularisation de la cession, le mandant aura traité directement ou indirectement pendant la durée de la validité du mandat ou dans les douze mois suivant l'expiration du mandat avec un acquéreur potentiel présenté par le mandataire ».

En l'espèce, les courriels adressés en novembre et décembre 2017 par la SAS Pharma cession conseil à la SELARL Baurain, dont les termes ont été précédemment rappelés, ne permettent pas de considérer que la SELARL Baurain, quand bien même elle les aurait reçus, ce qu'elle conteste, était en capacité d'identifier avec certitude, à partir des informations qui y sont contenues, que l'acquéreur potentiel qui y était évoqué était Mme Watine et ainsi prendre contact directement avec elle pour procéder à la cession des parts sociales sans passer par l'intermédiaire de la SAS Pharma cession conseil.

En outre, la SELARL Baurain produit deux attestations des personnes qu'elle désigne comme ayant été les intermédiaires dans la mise en contact entre Mme Baurain et Mme Watine.

[T] [I], employée de banque, atteste « avoir mis en relation Mme Baurain et Mme Watine par simple échange de numéros de téléphone interposés courant décembre 2017 après avoir échangé par fil avec [S] Watine à la même période. J'avais eu les coordonnées de Mme Watine par un ami commun, [Z] [A] qui m'avait demandé de la contacter car elle avait un projet d'installation sur le secteur côtier. A réception du sms de [Z], j'ai appelé Mme Watine dans la foulée. Je suis intervenue dans un cadre privé dans un contexte amical ».

[Z] [A], médecin et précisant n'avoir aucun lien de parenté avec les parties, atteste « avoir mis en relation [S] Watine et [T] [I] en décembre 2017. En effet je travaille régulièrement avec Mme [I] sur différents projets [']. Je lui ai donné le numéro de Mme Watine et communiqué également le numéro de Mme [I] à Mme Watine. J'ai su qu'elles s'étaient contactées rapidement et avaient pu échanger sur l'opportunité de reprise d'une pharmacie à [Localité 9] ».

Il résulte de ces éléments que concommitament aux courriels adressés par la SAS Pharma cession conseil à Mme Baurain, Mme Baurain et Mme Watine ont été mise en contact par d'autres intermédiaires, ce contact s'étant soldé par la cession des parts sociales entre elles.

Si Mme Baurain n'a effectivement pas répondu aux courriels envoyés par la SAS Pharma cession conseil, cette absence de réponse ne saurait être considérée comme un manquement à l'obligation de loyauté imposée au mandant à l'égard du mandataire, dès lors qu'elle soutient ne pas les avoir reçus et que la preuve de leur réception n'est pas rapportée par la SAS Pharma cession conseil. En outre, si l'obligation de loyauté impose au mandant de mettre le mandataire en mesure d'exécuter convenablement son mandat, il n'est pas démontré en l'espèce que Mme Baurain s'est volontairement abstenue de répondre aux courriels de la SAS Pharma cession conseil, pour l'empêcher d'exécuter son mandat et conclure sans son intermédiaire la cession de ses parts sociales.

S'agissant du manquement à son obligation d'information que la SAS Pharma cession conseil reproche à la SELARL Baurain, en l'absence d'exclusivité dans le mandat confié, la SELARL Baurain n'était pas tenue contractuellement d'informer la SAS Pharma cession conseil de ce qu'elle avait été mise en contact avec un acquéreur potentiel par un autre intermédiaire. Un tel engagement n'est pas prévu dans le contrat conclu entre les parties et l'obligation d'information à la charge du mandant dans le cadre d'un contrat de mandat se limite aux éléments nécessaires à la bonne exécution du mandat.

En conséquence, aucun manquement de la SELARL Baurain à ses obligations dans le cadre du contrat de mandat, justifiant que soit mise en œuvre la clause pénale, n'est démontré par la SAS Pharma cession conseil. S'agissant de Mme Baurain, il convient de rappeler qu'elle n'était pas partie au contrat de mandat, qui était conclu entre la SAS Pharma cession conseil et la SELARL Baurain.

Ainsi, le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 30 avril 2020 sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SAS Pharma cession conseil de ses demandes de condamnation de la SELARL Baurain-Watine et de Mme Baurain à lui payer la somme de 24 750 euros, que ce soit en paiement de la commission prévue au contrat ou au titre de la clause pénale prévue en cas d'inexécution de ses obligations par le mandant.

2) Sur la demande de condamnation de Mme Watine

Mme Watine a signé le 13 novembre 2017 un document à l'entête de la SAS Pharma cession conseil intitulé « engagements et reconnaissance de confidentialité des données sur les mandats de vente ». Ce document indique : « je reconnais avoir demandé au cabinet Pharma cession conseil de m'envoyer les renseignements concernant les mandats dont il a la charge et de le mandater pour négocier, le cas échéant, dans les conditions que je lui indiquerai ». Il est également prévu : « je reconnais que ces renseignements me sont transmis à titre personnel et confidentiel et m'engage à une totale discrétion. Je certifie que ces informations seront traitées qu'à des fins d'un achat éventuel et de passer par leur seule intervention durant une période de 12 mois à réception des documents. ['] La violation de cet engagement me rendrait passible de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le cabinet ». Enfin, il est mentionné en fin d'acte : « au cas où je disposerai déjà desdits renseignements par un autre intermédiaire, je m'engage à en informer le cabinet Pharma cession conseil dans les 3 jours ouvrables, et à lui communiquer le nom de l'intermédiaire. A défaut, je serai réputé avoir reçu ces informations, à titre exclusif, du cabinet Pharma cession conseil ».

Les premiers juges ont estimé que Mme Watine n'avait pas respecté les termes de cet engagement en s'abstenant de prévenir la SAS Pharma cession conseil de ce qu'elle était déjà en contact avec la pharmacie lorsqu'elle lui a communiqué la fiche le 4 janvier 2018, ce comportement fautif de Mme Watine ayant fait perdre à la SAS Pharma cession conseil la possibilité d'exécuter son mandat.

Cependant, le document signé par Mme Watine a pour but principal le respect par celle-ci de la confidentialité des informations qui lui sont transmises et l'engagement de passer par l'intermédiaire de la SAS Pharma cession conseil pour d'éventuelles transactions faisant suite à la transmission d'informations par ses soins. Il apparaît que Mme Watine n'a commis en l'espèce aucune violation de son obligation de confidentialité, puisqu'elle n'a communiqué qu'avec Mme Baurain, qui est mandante de la SAS Pharma cession conseil dans le cadre du contrat de mandat qui les lie et est donc la personne qui a transmis les informations confidentielles dont il s'agit.

Il apparaît donc que, sous couvert de la faute contractuelle qu'elle reproche à Mme Watine, la SAS Pharma cession conseil cherche en réalité à se faire indemniser d'une faute délictuelle, consistant dans le fait d'avoir participé à la fraude de ses droits à commission dans le cadre du contrat de mandat conclu avec Mme Baurain.

En conséquence, le jugement sera réformé en ce qu'il a condamné Mme Watine à payer à la SAS Pharma cession conseil la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Statuant à nouveau, la SAS Pharma cession conseil sera déboutée de sa demande de condamnation de Mme Watine à lui payer la somme de 24 750 euros et subsidiairement la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

3) Sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive

En application des articles 1240 et 1241 du code civil, l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.

L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute.

Mme Watine ne démontrant pas de faute commise par la SAS Pharma cession conseil dans son droit d'agir en justice ni de préjudice subi par elle de ce fait, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

4) Sur les prétentions annexes

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné Mme Watine aux dépens et à payer la somme de 1 000 euros à la SAS Pharma cession conseil au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La SAS Pharma cession conseil sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de condamner la SAS Pharma cession conseil à payer à Mme Watine, Mme Baurain et la SELARL Pharmacie Baurain watine la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS  

La cour,

Réforme le jugement en ce qu'il a condamné Mme Watine à payer à la SAS Pharma cession conseil la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts, en ce qu'il a condamné Mme Watine aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déboute la SAS Pharma cession conseil de sa demande de condamnation de Mme Watine à lui payer la somme de 24 750 euros et subsidiairement la somme de 10  000 euros ;

Pour le surplus et y ajoutant,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne la SAS Pharma cession conseil aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SAS Pharma cession conseil à payer à Mme Watine, Mme Baurain et la SELARL Pharmacie Baurain-Watine la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.