Cass. crim., 8 janvier 2003, n° 02-82.555
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Rognon
Avocat général :
M. Finielz
Avocats :
SCP Laugier et Caston, SCP Piwnica et Molinié
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Jean- François X..., pris de la violation des articles 441-1 du Code pénal, L. 626-2 du Code de commerce, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision des premiers juges déclarant Jean-François X... coupable de banqueroute par dissimulation ou détournement d'actif et d'usage de fausses factures (pour un montant de 2,2 millions de francs) ;
"alors que l'appréciation que les juges répressifs font d'un même fait objectif, support de la prévention, au regard des éléments de preuve qui leur sont soumis, n'est souveraine qu'autant que cette appréciation n'est pas divergente à l'égard des prévenus compris dans une même poursuite et que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, pour déclarer Jean-François Y... non coupable de complicité de banqueroute par détournement d'actif, faire état de ce que l'existence de surfacturations pour un montant de 2,2 millions de francs, support du délit de banqueroute par détournement d'actif, n'était pas établie dans sa matérialité compte tenu des éléments objectifs comptables et économiques qui leurs étaient soumis et entrer à l'inverse en voie de condamnation à l'encontre de Jean-François X... sous prétexte que celui-ci ne contestait pas l'existence de cette surfacturation ;
"alors que, dès lors qu'ils sont tenus de constater tous les éléments de l'infraction qui leur est soumise, les juges ne peuvent jamais fonder une décision de condamnation sur la seule considération que le prévenu ne conteste pas cette infraction, surtout lorsque, comme en l'espèce, il résulte de leurs propres constatations objectives, que l'élément matériel qui sert de support à l'infraction fait défaut ;
"alors que l'aveu ne s'impose jamais aux juges comme un élément de preuve péremptoire et qui les obligerait à prononcer une décision de condamnation et que, dès lors qu'il résulte clairement, comme en l'espèce, des constatations des juges que l'aveu du prévenu est contredit par des éléments objectifs dont il constate le sérieux, les juges ne sauraient se déclarer tenus par cet aveu pour entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu" ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Alain Y..., pris de la violation des articles L. 626-2 du Code de commerce, 121-6, 121-7, 321-1 et 441-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, retenant la culpabilité d'Alain Y... des chefs de complicité de faux et d'usage de faux, complicité de banqueroute et recel de biens provenant d'une banqueroute, l'a condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 100 000 francs ;
"aux motifs que les trois factures arguées de faux sont les suivantes : la première, datée du 6 mars 1996, d'un montant de 221 733 francs qui a été établie au nom de la société Boucherie Coquillère par la société GRG, porte sur 4 883 kg de "cuisseaux de veaux désossés congelés" et a été réglée, la deuxième, datée du 11 mars 1996, d'un montant de 75 861 francs, qui a été établie au nom de la société Etablissements Borrini par la société GRG, porte sur 2 052 kg de "bavettes d'aloyaux congelées" et a été réglée, et la troisième, datée elle aussi du 11 mars 1996, d'un montant de 123 542 francs, qui a été établie au nom de la société Etablissements Borrini par la société Jacalvia, porte sur 3 106 kg de "sous-noix de veaux, noix de veaux, noix pâtissières et faux filets congelés" et n'a pas été payée, mais a été produite au passif des sociétés Boucherie Coquillère et Etablissements Borrini ; que ces factures, établies par Alain Z... et acceptées par Jean-François X..., comportent des dates inexactes ; qu'Alain Z... et Jean-François X... déclarent qu'elles ont été établies au mois de mai 1996 ; que leurs déclarations sont corroborées par celles d'Hélène A..., comptable de la société Boucherie Coquillère ; qu'en outre, il ressort des journaux d'achats de la société Boucherie Coquillère pour les mois de février à septembre 1996, que les achats mensuels de viandes de veau, qui varient entre 350 000 francs et 400 000 francs, se sont élevés, sans explication, à 618 816,79 francs en mai 1996 ;
que les affirmations d'Alain B..., vendeur de la société GRG et ancien associé d'Alain Y..., selon lesquelles les trois factures antidatées de mars 1996 correspondent à des ventes effectives de viandes congelées dont Jean-François X... a pris possession en octobre et novembre 1996 par petits lots espacés dans le temps, ne sont corroborées par aucun élément objectif et probant, et sont contredites par les déclarations concordantes d'Alain Z... et Jean-François X..., corroborées par celles d'Hélène A..., outre par les constatations de l'expert Claude Gutierre Requenne ;
que cet expert précise, en outre, que s'il y a une cohérence des quantités totales en stocks avec celles facturées à Jean-François X..., le suivi en place ne permet pas d'affirmer que les marchandises en stocks correspondent ou non à celles facturées ;
que, dans ces conditions, Alain Y... ne justifie pas avoir effectivement livré, comme il le soutient, la marchandise correspondant aux trois factures antidatées et dont il a obtenu le paiement partiel ; que ces fausses factures ont permis à Alain Y... d'obtenir le paiement de précédentes factures impayées ;
que les aveux et les explications cohérentes d'Alain Z... et de Jean-François X..., confortés sur ce point par les déclarations d'Hélène A..., établissent que ces fausses factures ont été établies sur les instructions d'Alain Y..., dirigeant du groupe GRG et bénéficiaire de cette opération délictueuse ;
"1 ) alors que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, dans ses conclusions d'appel, Alain Y... faisait valoir qu'à l'instar de Jean-François X..., il n'avait aucun intérêt à faire établir des fausses factures pour obtenir le paiement de précédentes factures impayées, dès lors que celles-ci se suffisaient à elles seules pour justifier des paiements sans avoir à être réitérées sous un autre libellé au pris de faux ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, de nature à démontrer l'absence de culpabilité d'Alain Y..., la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2 ) alors que, le délit de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif suppose, pour être constitué, l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément du patrimoine d'une société en état de cessation des paiements ; qu'au surplus, en retenant la culpabilité d'Alain Y..., du chef de complicité de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif en se bornant à relever l'existence de fausses factures datées du mois de mars 1996, établies au mois de mai 1996 au nom de la société Boucherie Coquillère pour l'une d'entre elles et au nom de la société Etablissements Borrini pour les deux autres et dont deux avaient été réglées, sans constater que ces fausses factures ou les règlements étaient intervenus alors que ces sociétés se trouvaient en état de cessation des paiements, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;
"3 ) alors que, seuls les actes de disposition volontaire accomplis sur le patrimoine social, après la cessation des paiements, par le dirigeant d'une société, à son profit et en fraude des droits des créanciers, constituent le délit de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif ; qu'en toute hypothèse, en retenant la culpabilité d'Alain Y... du chef de complicité de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actif pour la raison qu'il avait fait établir des fausses factures pour obtenir le paiement, par les sociétés Boucherie Coquillère et Etablissements Borrini, de précédentes factures impayées, quand de la sorte, s'agissant de régulariser des impayés, il ne pouvait être question de complicité d'actes de disposition volontaires accomplis sur le patrimoine social, après la cessation des paiements, par le dirigeant d'une société, à son profit et en fraude des droits des créanciers, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"4 ) alors que, ne constitue un faux que l'altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un document qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ;
que, de même, en admettant la culpabilité de complicité de faux et d'usage de faux, dès lors qu'Alain Y... aurait fait établir des fausses factures pour obtenir le paiement, par les sociétés Boucherie Coquillère et Etablissements Borrini, de précédentes factures impayées, quand de la sorte, s'agissant de régulariser des impayés, aucun préjudice n'avait été causé à ces sociétés ou aux créanciers de celles-ci, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"5 ) alors que, le recel n'étant constitué que si les choses détenues proviennent d'une action jugée criminelle ou délictuelle, la cassation qui ne manquera pas d'intervenir du chef de la prévention de complicité de banqueroute, à raison de l'absence de banqueroute, entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de recel de biens provenant d'une banqueroute" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré coupables Jean-François X... et Alain Y... ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Alain Y..., pris de la violation des articles 132-24 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain Y... à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 100 000 francs ;
"aux motifs que, par infirmation du jugement entrepris, il y a lieu de déclarer Alain Y... non coupable des faits de complicité de banqueroute par détournements d'actifs opérés au moyen de surfacturations ; que, compte tenu des circonstances de la cause et des personnalités des prévenus appelants, les peines prononcées par les premiers juges, à l'encontre d'Alain Y... et de Jean-François X..., sanctionnent de manière adéquate et proportionnée les délits dont chacun d'eux s'est rendu coupable ;
"alors que, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en confirmant le jugement entrepris des chefs des peines encourues par Alain Y..., tout en infirmant ce jugement sur la prévention, relaxant partiellement Alain Y..., la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu qu'en condamnant Alain Y..., déclaré coupable de complicité de faux et d'usage de faux, de complicité et de recel de banqueroute, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 244,91 euros d'amende, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur l'appel du ministère public dans la limite du maximum prévu par la loi, n'a fait qu'user d'une faculté dont elle ne doit aucun compte ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais, sur le second moyen de cassation proposé pour Jean-François X..., pris de la violation des articles 131-27 du Code pénal, L. 625-8 et L. 625-6 du Code de commerce ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre de Jean-François X..., à titre de peine complémentaire, l'interdiction pour une durée de dix ans, de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale, artisanale, agricole et toute personne morale ;
"alors qu'il résulte des dispositions de l'article 131-37 du Code pénal que l'interdiction temporaire d'exercer une activité professionnelle ne peut excéder une durée de cinq ans et que cette règle est applicable à l'interdiction édictée par les textes susvisés du Code de commerce" ;
Vu l'article 131-27 du Code pénal ;
Attendu que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive soit temporaire; que, dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de 5 ans;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'après avoir déclaré Jean-François X... coupable de banqueroute, les juges du second degré l'ont condamné à 10 ans d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale, artisanale, agricole et toute personne morale, en application des articles L. 625-8 et L. 626-6 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi d'Alain Y... :
Le REJETTE ;
II - Sur le pourvoi de Jean-François X... ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 7 mars 2002, en ses seules dispositions ayant prononcé à l'encontre de Jean-François X... la peine de 10 ans d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale, artisanale, agricole et toute personne morale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la durée de l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale, agricole et toute personne morale que doit subir Jean-François X..., en raison du délit de banqueroute dont il a été déclaré coupable, est de 5 ans ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.