CA Poitiers, 2e ch. civ., 30 avril 2019, n° 18/02642
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sté D’Outillage et de Fournitures Automobiles et Industrielles Rochelaises Sofair (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sallaberry
Conseillers :
Mme Caillard, M. Waguette
Avocats :
Me Bo, Me Monteragioni Lambert
EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société d'Outillage et de fournitures automobiles et industrielles rochelaises (ci-après la Sofair) ayant pour gérante Mme N L H et pour objet l'achat, la vente, la réparation de toutes pièces détachées et de tous accessoires et de tous équipements et matériels, pour cycles, motocyclettes, automobiles, véhicules poids lourds et transport en commun, et toutes machines industrielles ou agricoles a été constituée le 1er juin 1979.
Avant le décès de l'un de ses associés, M. E F, le capital de la société Sofair comprenait 2500 parts sociales réparties comme suit :
- M. S A : 250 parts
- M. G C : 250 parts
- M. M D : 250 parts
- M. E F : 250 parts,
- M. I H : 500 parts en pleine propriété et 125 parts en nue-propriété,
- L'indivision H, Z et K : 375 parts en pleine propriété et 125 parts en usufruit,
- Mme N L H : 250 parts
- M. Q J : 250 parts.
M. E F est décédé le 29 juillet 2015, ses deux filles X et Y F étant héritières.
Par lettre du 23 juillet 2016 reçue le 4 août 2016, Maître Meynard, notaire en charge de la succession de M. E F a informé la société Sofair de la désignation de Mme Y F en qualité de représentante de la succession.
Par courrier du 9 septembre 2016, Mme Y F a sollicité auprès de la société Sofair, pour le compte des héritières de M. E F, leur agrément en qualité d'associées.
A réception, la société Sofair l'a informée de la tenue d'une assemblée générale le 17 octobre 2016 pour statuer sur cette demande. Par courrier du 17 novembre 2016, elle l'a informée que l'assemblée générale avait rejeté la demande d'agrément, qu'elle avait dès lors l'obligation de faire racheter ou de racheter elle même les titres sociaux concernés, qu'elle n'avait reçu aucune proposition de tiers ou d'associé pour l'acquisition des parts sociales et qu'en conséquence la gérance avait proposé le rachat de la valeur financière des titres sociaux avec pour conséquence obligatoire l'annulation des titres par voie de réduction de capital, une assemblée générale étant prévue le 5 décembre 2016.
Le 5 décembre 2016, l'Assemblée Générale a approuvé le principe du rachat par la société Sofair de la valeur financière des titres sociaux détenus par l'indivision pour un montant de 97.468€, en vue de leur annulation par voie de réduction de capital. La société Sofair en a informé par courrier du 12 décembre 2016 Mme Y F en lui adressant l'acte de rachat et en précisant avoir opéré un abattement de minorité de 60%.
Mesdames F ont refusé la proposition, estimant le prix proposé en dessous de la valeur des parts et contestant l'abattement de minorité retenu par la société Sofair.
Par acte du 19 juillet 2018, elles ont fait assigner en référé la société Sofair devant le président du tribunal de commerce de La Rochelle, afin d'obtenir une expertise sur le double fondement de l'article 1843-4 du Code civil et de l'article 145 du Code de procédure civile. La Société Sofair a indiqué être d'accord sur l'organisation d'une mesure d'expertise destinée à évaluer la valeur financière des droits sociaux ayant appartenu à M. E F sur le fondement et dans le cadre de l'article 1843-4 du Code civil visé à l'assignation mais s'est opposée à toutes les autres missions confiées à l'expert judiciaire, non prévues à l'article 1843-4.
Par ordonnance du 19 juillet 2018, le Président du Tribunal de Commerce de La Rochelle, au visa de l'article 145 du Code de Procédure civile, a principalement statué comme suit :
Recevons Mesdames F en leurs demandes et prétentions,
Ordonnons une expertise et désigné à cet effet M P R, demeurant ..., ..., en qualité d'expert, qui aura pour mission, parties présentes ou dûment appelées, en entendant tous sachants de :
- Convoquer les parties et leur conseil,
- Réunir les parties,
- Se faire remettre tous documents utiles, notamment comptables et juridiques depuis le 1er janvier 2015,
- Procéder à l'évaluation des 250 parts détenues par l'indivision F dans le capital de la SARL Sofair tant à la date du décès de M. F (29 juillet 2015) qu'à la date la plus proche de la cession,
- Procéder à l'examen détaillé des comptes de la SARL Sofair depuis le 1erjanvier 2015, et plus particulièrement les augmentations de rémunérations et les frais,
- Dire s'ils présentent des irrégularités ou si des postes paraissent anormaux,
- D'une manière générale, donner son avis sur la régularité et la sincérité des comptes et la gestion de la SARL Sofair depuis le décès de M. E F, et sur les conséquences en résultant pour Mesdemoiselles X et Y F.
Fixons la somme de 1.000 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, provision qui devra être versée par moitié entre la société Sofair et Mesdames Escarment pour la valeur à date du décès dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle la présente décision sera devenue définitive, au greffe du tribunal de commerce de La Rochelle, par application des dispositions de l'article 269 du Code de procédure civile,
Fixons la somme de 1.000 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, provision qui devra être versée par Mesdames F pour vérification des comptes depuis décès et valeur à date proche de la cession future dans un délai de 15 jours, à compter de la date à laquelle la présente décision sera devenue définitive, au greffe du tribunal de commerce de La Rochelle, par application des dispositions de l'article 269 du Code de procédure civile,
Ordonnons à la société Sofair de communiquer toute pièce entre l'année 2015 et l'année 2018 demandée par l'expert,
Ordonnons la consignation de la somme de 97.468 € sur le compte séquestre du Bâtonnier de La Rochelle Rochefort,
Mettons les dépens à la charge des demanderesses.
La société Sofair a formé appel le 3 août 2018 de la décision en intimant Mesdames X et Y F et en critiquant l'ordonnance en ce qu'elle a :
- Donné mission à l'expert de :
* Procéder à l'examen détaillé des comptes de la SARL Sofair depuis le 1er janvier 2015 et plus particulièrement les augmentations de rémunérations et les frais,
* Dire s'ils présentent des irrégularités ou si des postes paraissent anormaux,
* D'une manière générale, donner son avis sur la régularité et la sincérité des comptes et la gestion de la SARL Sofair depuis le décès de M. E F et sur les conséquences en résultant pour X et Y F,
- Ordonné la consignation de la somme de 97468€ sur le compte séquestre du Bâtonnier de la Rochelle Rochefort.
Dans ses dernières conclusions du 29 janvier 2019, la SARL Sofair demande à la cour de:
Réformer l'ordonnance du 19 juillet 2018 rendue par le Président du Tribunal de Commerce de La Rochelle ;
A titre subsidiaire,
Donner acte à la société Sofair qu'elle accepte la désignation d'un expert judiciaire art. 1843-4 du Code Civil avec pour mission de :
- Convoquer les parties et leur conseil ;
- Réunir les parties ;
- Se faire remettre tous documents utiles, notamment comptables et juridiques jusqu'au 29 juillet 2015, date du décès de M. E F ;
- Procéder à l'évaluation de la valeur financière des 250 parts ayant appartenu à M. E F dans le capital de la SARL Sofair à la date du décès de M. E F intervenu le 29 juillet 2015 ;
Juger que les frais d'expertise seront à la charge de Mesdames F ;
Réformer pour le surplus l'ordonnance rendue le 19/07/2018 par le Président du Tribunal de Commerce de La Rochelle, quant à la consignation, la communication de toute pièce entre 2015 et 2018 ;
Condamner Mme Y F et Mme X F in solidum au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner Mme Y F et Mme X F in solidum aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel.
La société Sofair reproche au premier juge :
- D'avoir fondé son ordonnance sur une base légale erronée, l'article 145 du Code de Procédure civile alors que le litige porte sur l'évaluation des titres sociaux de M. E F, prévue par l'article 1843-4 du Code Civil, qui est d'ordre public, le juge ne pouvant y déroger en ordonnant une expertise sur un autre fondement car elle serait inopposable,
- D'avoir donné mission à l'expert judiciaire de procéder à l'évaluation des 250 parts sociales détenues tant à la date du décès de M. E F le 29 juillet 2015 qu'à la date la plus proche de la cession alors que la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès,
- D'avoir inclus dans la mission de l'expert des chefs de mission complémentaires alors que le litige porte sur l'évaluation des droits sociaux ayant appartenu à E F et que seules les investigations utiles à cette évaluation doivent être prescrites.
Elle soutient en outre :
- Que contrairement à ce que prétendent Mesdames F, elles n'ont pas vocation à la répartition des bénéfices jusqu'au rachat des parts sociales de leur auteur, la décision de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 qu'elles citent concernant les associés d'une société de type SCP dans laquelle il est prévu de rémunérer le travail des associés, et où les associés sont imposés à l'impôt sur le revenu sur le résultat de la société au prorata de leur participation de sorte qu'il est normal en contrepartie qu'ils aient vocation à percevoir les bénéfices, alors que la Sofair est une société
commerciale assujettie à l'impôt sur les sociétés et que l'Assemblée générale n'a pas voté la distribution de dividendes pour les exercices clos les 31 décembre 2015, 2016 et 2017, les héritières n'ayant donc pas vocation à percevoir des bénéfices pour cette période,
- À titre subsidiaire sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, qu'il n'existe aucun motif légitime à vérifier la sincérité des comptes sociaux de la Sofair, qui ont été certifiés par le comptable la société Coriolis et le commissaire aux comptes, la constatation d'un éventuel abus de majorité relevant de la mission du commissaire aux comptes, contrairement à ce que soutiennent les intimés,
- Qu'il n'y a eu aucun abus de majorité, tous les associés étant minoritaires,
- Que l'augmentation de la rémunération et des frais contestée résulte de la souscription d'un contrat IFC Antarius, prévoyant une indemnité de fin de carrière pour tous les salariés de la Sofair, souscrit auprès de la banque Tarneaud pour un montant de 100.000€ et ouvert le 1er janvier 2015, ce qui relève d'une gestion prudente d'une société visant à protéger ses salariés,
- Que l'absence de
- Que Mesdames F ne peuvent lui reprocher de ne pas les avoir convoquées aux assemblée générales de la Sofaire depuis le décès de leur père alors qu'elles n'ont pas la qualité d'associées, leur agrément ayant été refusé par l'assemblée générale,
- Que l'article 145 du Code de procédure civile ne permet pas d'ordonner une consignation et si la somme de 97.468€ a été un temps proposée, elle ne l'est plus compte tenu de la procédure et des propos tenus par Mesdames F et une contestation sérieuse existe sur la valeur des droits sociaux de M. E F et donc sur la provision sollicitée.
Mme Y F et Mme X F demandent à la cour, par dernières conclusions du 21 janvier 2019 de :
Vu les dispositions de l'article 1843-4 du Code Civil,
Vu les dispositions de l'article 145 du CPC,
Vu les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile,
Confirmer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de La Rochelle le 19 juillet 2018 sauf en ce qu'il a mis à la charge de Mme Y F et Mme X F, l'intégralité de la provision à valoir sur les frais d'expertise judiciaire concernant l'évaluation des parts sociales à la date du décès ainsi que les dépens,
Débouter la SARL Sofair de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Statuant de nouveau,
Désigner tel expert judiciaire qu'il plaira avec pour mission de :
- Convoquer les parties et leur Conseil,
- Réunir les parties,
- Se faire remettre tous documents utiles, notamment comptables et juridiques depuis le ler janvier 2015,
- Procéder à l'évaluation des 250 parts sociales détenues par l'indivision F dans le capital de la SARL Sofair tant à la date du décès de M. F (29 juillet 2015) qu'à la date la plus proche de la cession,
- Procéder à l'examen détaillé des comptes de la SARL Sofair depuis le 1er janvier 2015, et plus particulièrement les augmentations de rémunérations et les frais,
- Dire s'ils présentent des irrégularités ou si des postes paraissent anormaux,
- D'une manière générale, donner son avis sur la régularité et la sincérité des comptes et la gestion de la SARL Sofair depuis le décès de M. E F, et sur les conséquences en résultant pour Mesdemoiselles X et Y F.
Dire que les frais d'expertise judiciaire seront à la charge de la SARL Sofair et subsidiairement, partagés pour moitié entre d'une part, la SARL Sofair et d'autre part Mme Y F et Mme X F.
Condamner la SARL Sofair à régler, à titre provisionnel, à Mme Y F et Mme X F la somme de 97.468 € à valoir sur le prix de rachat des 250 parts sociales de la SARL Sofair ; subsidiairement, ordonner la consignation de cette somme sur le compte séquestre du bâtonnier de La Rochelle Rochefort.
Elles font valoir :
- Qu'elles demandent sur le fondement de l'article 1843-4 du Code Civil qu'une mesure d'expertise judiciaire soit ordonnée avec mission d'évaluer les parts de la SARL Sofair tant à la date du décès de M. F, soit le 29 juillet 2015 qu'à ce jour car elles craignent que les associés de la SARL Sofair aient volontairement fait en sorte, en trois ans, d'appauvrir la société afin que le prix de cession se trouve diminué à leur détriment,
- Que la Cour de cassation a expressément jugé qu'en l'absence de dispositions statutaires contraires, 'la valeur des actions est déterminée à la date la plus proche de la cession future', peu important que cette jurisprudence concerne une cession à titre onéreux dès lors qu'elle est intervenue au visa de l'article 1843-4 du Code Civil,
- Qu'elles ont visé dans leur assignation tant les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil que celles de l'article 145 du Code de procédure civile et l'expert judiciaire peut se voir confier une mission complémentaire sur ce second fondement,
- Qu'en cas de décès de l'associé, ses héritiers conservent vocation à la répartition des bénéfices jusqu'à la cession ou le rachat des parts de leur auteur, or elles craignent que la volonté des autres associés soit de les écarter de leur droit aux bénéfices et s'interrogent notamment sur les augmentations anormales des rémunérations accordées et frais engagés et sur les reports à nouveau intervenus sur les exercice 2015 et 2016 alors que des distributions de dividendes significatives étaient intervenues sur les deux exercices précédents pour 152.500 €,
- Que le fait que les comptes soient établis par un expert comptable et certifiés par un commissaire aux comptes est inopérant car ces professionnels n'ont mission que d'examiner les comptes de la société par rapport aux éléments comptables qui leur sont communiqués et non de se prononcer sur les raisons personnelles conduisant les associés à décider une distribution ou une non distribution des dividendes, et en considération d'un éventuel abus de majorité.
- Que la SARL Sofair doit faire l'avance des frais d'expertise,
- Qu'une provision à hauteur de la somme de rachat proposée doit leur être versée sur le fondement des dispositions de l'article 809 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à l'audience du 27 février 2019 en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 31 janvier 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'expertise :
L'article 223-13 du Code de commerce relatif aux sociétés à responsabilité limitée dispose dans ses alinéa 1, 2 et 5 :
'Les parts sociales sont librement transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux, et librement cessibles entre conjoints et entre ascendant et descendant.
Toutefois, les statuts peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu'après avoir été agréé dans les conditions prévues à l'article L223-14. A peine de nullité de la clause, les délais accordés à la société pour statuer sur l'agrément ne peuvent être plus longs que ceux prévus à l'article L223-14 et la majorité exigée ne peut être plus forte que celle prévue audit article. En cas de refus d'agrément, il est fait application des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article L223-14. Si aucune des solutions prévues à ces alinéas n'intervient dans les délais impartis l'agrément est réputé acquis.
(...)
Dans les cas prévus au présent article, la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès conformément à l'article 1843-4 du Code civil'.
Au terme de l'article 223-14 alinéas 3 et 4 du même code, 1870-1 du même code :
'Si la société a refusé de consentir à la cession, les associés sont tenus dans le délai de trois mois à compter de ce refus, d'acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil, sauf si le cédant renonce à la cession de ses parts. Les frais d'expertise sont à la charge de la société. A la demande du gérant ce délai peut être prolongé par décision de justice sans que cette prolongation puisse excéder six mois.
La société peut également, avec le consentement de l'associé cédant, décider dans le même délai de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts de cet associé et de racheter ces parts au prix déterminé dans les conditions prévues ci dessus. (...)'
L'article 1843-4 du Code civil énonce :
'Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée en cas de contestation par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer lorsqu'elles existent, les règles et modalités de
détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties'.
L'article 14 des statuts de la SARL Sofair stipule :
'Les parts ne sont cessibles entre associés, conjoints, ascendants et descendants que dans les conditions suivantes : le cédant informe les associés par lettre recommandée avec avis de réception de son projet de cession ; les associés disposent d'un délai d'un mois pour apprécier les motifs de cette cession. (...)
Si la société a refusé de consentir à la cession, le cédant peut, dans les 8 jours de la notification de refus qui lui est faite, signifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, qu'il renonce à son projet de cession.
A défaut de renonciation de sa part, les associés sont tenus, dans le délai de 3 mois à compter du refus d'agrément, d'acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé à dire d'expert dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code Civil.
La société peut également, avec le consentement de l'associé cédant, décider dans le même délai, de racheter les parts au prix déterminé dans les conditions prévues ci dessus et de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts du cédant. (...)
La transmission des parts sociales par voie de succession ou de liquidation de communauté est soumise à l'agrément de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales sauf pour les héritiers déjà associés (...)'.
Il ressort clairement des écritures des parties que le litige porte au premier chef sur la valeur des parts sociales ayant appartenu avant son décès à M. E F, les statuts stipulant la nécessité d'un agrément pour que les héritiers d'un associé décédé puissent avoir la qualité d'associé, celui ci ayant été refusé à Allisson et Y F par l'assemblée générale de la Sofair le 17 octobre 2017 et leurs parts devant dès lors être rachetées.
Les parties ne s'accordant pas sur la valeur des parts sociales devant être payées à Mesdames F, la désignation d'un expert est nécessaire et ne peut être effectuée, en application de l'article 1870-1 du Code civil précité, que selon les modalités prévues par l'article 1843-4 du Code civil qui est d'ordre public.
Le premier juge ne pouvait donc pas désigner un expert, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile pour évaluer les 250 parts détenues par l'indivision F dans le capital de la SARL Sofair, une telle mission relevant spécifiquement des attributions d'un tiers évaluateur désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil.
En outre, le Président du tribunal de commerce qui statue en application de l'article 1843-3 du Code civil doit être saisi en la forme des référés et non en référés et statue au fond.
Or, en l'espèce, l'assignation délivrée par X et Y F devant le Président du tribunal de grande instance de La Rochelle s'intitule'assignation en référé' et a assigné la Sofair à comparaître 'en référé à l'audience de M. Le président du tribunal de commerce' en visant expressément l'article 1843-4 du Code civil et l'article 145 du Code de procédure civile.
Néanmoins, dans leurs dernières conclusions devant la cour, les deux parties sont expressément d'accord pour qu'un expert soit désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil, dans le cadre de la présente instance devant la cour bien qu'engagée en référé, leur désaccord concernant seulement la date d'évaluation des parts sociales et l'extension de la mission de l'expert fondée sur
l'article 145 du Code de procédure civile. Elles ne contestent pas non plus la désignation par le premier juge de M. R à ce titre.
En conséquence, il convient de donner acte aux parties de leur accord pour que M. R soit désigné conformément à l'article 1843-4 du Code civil afin d'évaluer les parts sociales ayant appartenu à M. F, l'ordonnance étant confirmée quant au principe de cette désignation mais infirmée en ce que cette désignation a été effectuée sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. Conformément à l'article 1843-4 susvisé, il sera rappelé que l'expert est tenu d'appliquer lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
S'agissant de la date d'évaluation des parts sociales, les statuts ne donnent aucune précision mais l'article L223-13 du Code de commerce précité dispose expressément dans son dernier alinéa 5 que 'la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès conformément à l'article 1843-4 du Code civil'.
Contrairement à ce qu'indiquent les appelantes, ces dispositions de l'alinéa 5 ne se bornent pas à préciser la possibilité de prévoir dans les statuts la valorisation des droits sociaux au jour du décès', mais énoncent expressément que 'dans les cas prévus au présent article', soit notamment quand il est fait application de l'alinéa 2, c'est à dire quand les statuts stipulent 'que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu'après avoir été agréé', ce qui est le cas en l'espèce, la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès.
Ces dispositions ne prévoient donc pas que la valeur des parts sociales puisse être déterminée au jour le plus proche de la cession ainsi que sollicité par Mesdames F, étant observé que la jurisprudence (C. Cassation Com. 16 septembre 2014) qu'elles citent a certes été rendue au visa de l'article 1843-4, mais pas de l'article L223-13 puisqu'elle concernait l'hypothèse de l'exclusion d'un associé d'une société par actions simplifiées, prévue par l'article L227-16 du Code de commerce qui ne précise pas la date à laquelle les parts doivent être évaluées.
En conséquence, l'évaluation des parts sociales doit être effectuée à la date du décès.
S'agissant des frais de la mesure d'évaluation, l'article L213-14 du Code de commerce auquel renvoie expressément l'article L213-3 alinéa 2 du même code en cas de refus d'agrément, prévoit expressément dans son alinéa 3 que les frais d'expertise sont à la charge de la société, l'alinéa 4 renvoyant expressément à cet alinéa 3, ('dans les conditions prévues ci dessus') quant à la détermination du prix, en cas de rachat des parts par la société.
Mesdames F demandent que l'expert soit en outre chargé sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile de plusieurs chefs de mission complémentaire. Cette demande était déjà formée dans l'assignation en référé qu'elles ont délivrée et il en ressort que le litige ne porte pas seulement sur l'évaluation des parts sociales au jour du décès mais aussi sur la gestion de la société postérieurement au décès et la régularité et la sincérité des comptes depuis cette date, les intéressées mettant en cause d'une part les augmentation des rémunérations accordées et les frais, qu'elles qualifient d'anormales, d'autre part l'absence de distribution de dividendes pour les exercices 2015 et 2016, l'entier bénéfice étant affecté en 'report à nouveau' alors que des distributions de dividendes significatives étaient intervenues sur les exercices précédents.
Il n'apparaît toutefois pas justifié de donner au même expert dans le cadre de la même mission, le soin de déterminer la valeur des parts au jour du décès de l'auteur des demanderesses sur le fondement de l'article 1843-5 du Code civil et celui d'étudier, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile dans le cadre d'une expertise in futurum, la régularité des comptes postérieurement au décès, chefs de mission qui sont totalement distincts. Les chefs de mission complémentaires seront donc rejetés dans le cadre de la présente instance.
Sur la demande de provision :
Mesdames F sollicitent une provision sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile. Dans la mesure où elles ont saisi le Président du tribunal de commerce et non le Président du tribunal de grande instance, il convient de faire application de l'article 873 du Code de procédure civile qui dispose que ce magistrat peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, la société Sofair a proposé le 12 décembre 2016 à Mesdames F, à la suite de sa décision prise en assemblée générale le 5 décembre 2016, de céder les parts sociales au prix de 97.468€, calculé à partir de la valeur des capitaux propres de la société au 31 décembre 2014, date de l'arrêté des comptes les plus proches du décès (2.436.702€, soit pour 250 parts une valeur de 243.670€) en appliquant un abattement de minorité de 60%, au motif que les parts sociales à racheter ne représentaient que 10 % du capital social.
La Sofair indique ne plus former cette offre, non en raison de la modification de l'évaluation ou du souhait d'appliquer un coefficient de minorité supérieur à 60% mais compte tenu de la procédure et des propos tenus par Mesdames F, soit des éléments totalement extérieurs aux modalités d'évaluation elles même.
Or, il ressort des écritures de Mesdames F que c'est principalement l'abattement de minorité qu'elles contestent. Elles produisent un rapport du cabinet Audit Fiscalité Conseil établi non contradictoirement à leur demande qui a évalué les 250 parts sociales ayant appartenu à leur père à la somme de 269.000€ soit un peu supérieure à l'évaluation retenue par la société à hauteur de 243.670€ opérée avant application de cet abattement.
Ainsi, en réalité, la contestation sérieuse n'existe pas sur la somme de 97.468 € qui constitue un minimum, la Sofair ne prétendant pas que le prix à allouer serait encore inférieur à cette somme. Il convient donc de faire droit à la demande, sans qu'il y ait lieu à consignation desdites sommes.
Sur les autres demandes :
Compte tenu des circonstances du litige, chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés et l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- Donne acte aux parties de leur accord pour que M. P R, demeurant ..., soit désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil et confirme l'ordonnance en ce qu'elle a procédé à cette désignation ;
- Dit que M. R a pour mission de :
- Convoquer les parties et leurs conseils,
- Réunir les parties,
- Se faire remettre tous documents utiles, notamment comptables et juridiques jusqu'au 29 juillet 2015, date du décès de M. E F,
- Procéder à l'évaluation des 250 parts ayant appartenu à M. E F et actuellement détenues par l'indivision F dans le capital de la SARL Sofair à la date du décès de M. F le 29 juillet 2015, en appliquant, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ;
- Dit que les frais de la présente mesure incombent à la société Sofair et fixe à la somme de 1.500€ le montant de la provision à valoir sur sa rémunération, qui devra être versée par la société Sofair dans le délai d'un mois à compter de la présente décision ;
- Dit qu'en cas d'insuffisance de la provision initialement fixée, il appartiendra à l'expert d'adresser aux parties et au magistrat chargé du contrôle de l'expertise une note explicative détaillant ses frais et honoraires prévisibles et qu'il appartiendra aux parties de faire parvenir leurs observations dans un délai d'un mois au magistrat chargé du contrôle de l'expertise au vu desquelles il sera statué ;
- Dit que l'expert donnera connaissance de ses conclusions aux parties et répondra à tous dires écrits de leur part formulés dans le délai qu'il leur aura imparti, puis établira un rapport définitif qu'il déposera au secrétariat greffe du tribunal de commerce de Niort dans les six mois du jour où il aura été saisi de sa mission ;
- Dit que les opérations de l'Expert se dérouleront sous le contrôle du magistrat chargé des expertises ;
- Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête de la partie la plus diligente ou d'office, à titre de mesure d'administration judiciaire ;
- Dit n'y avoir lieu à donner à l'expert évaluateur les autres chefs de mission sollicités sur le fondement de l'article 145 du Code pénal ;
- Condamne la SARL Sofair à régler, à titre provisionnel, à Mme Y F et Mme X F la somme de 97.468 € à valoir sur le prix de rachat des 250 parts sociales de la SARL Sofair ayant appartenu à leur père M. E F ;
- Rejette le surplus des demandes ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.