Livv
Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, 16 avril 2021, n° 19/01045

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Confirmation

TGI Saint-Denis de la Réunion, du 30 jan…

30 janvier 2019

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte authentique du 16 décembre 2016, faisant suite à un compromis de vente conclu le 28 avril 2016, la société B&M STRUCTURE a acquis de Mesdames Virginie T., Muriel T. et Claire T. un terrain à bâtir sis [...] - [...], cadastre section EW n°30, d'une surface de 3.268 m², pour un montant de 200.000€.

Par courrier du 2 juillet 2018, la société B&M STRUCTURE faisait état d'un glissement de terrain, et alléguait de l'existence de remblais dont elle n'aurait pas été informée par les vendeurs, mettant ainsi en demeure Virginie T. de régler une somme de 127.138,88€.

Sollicitant le bénéfice de la garantie d'éviction, la société B&M STRUCTURE a fait assigner, par acte d'huissier des 13 et 28 août 2018, Mesdames Virginie T., Muriel T. et Claire T. devant le Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis en réparation des dommages subis sur le fondement des dispositions de l'article 1626 du Code civil.

Par jugement du 30 janvier 2019, le tribunal de grande instance a :

  • Rejeté toutes les demandes de la société B&M STRUCTURE;
  • Condamné la société B&M STRUCTURE aux dépens.

La SARL B&M STRUCTURE a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 avril 2019.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées au greffe de la cour par voie électronique le 31 octobre 2019, la SARL B&M STRUCTURE demande à la cour de:

  • Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de SAINT-DENIS en date du 30 janvier 2019 ;

Et, statuant à nouveau, de :

  • Juger qu'elle doit bénéficier de la garantie d'éviction ;

En conséquence :

  • Condamner solidairement les consorts T. à lui payer la somme de 126.345,02 euros TTC au titre de la garantie d'éviction;
  • Débouter les Consorts T. de leur demande formulée au titre des frais irrépétibles :
  • Condamner solidairement les consorts T. à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à s'acquitter des entiers dépens de l'instance.

Elle rappelle que le vendeur est tenu d'une garantie d'éviction prolongeant l'obligation de délivrance, à laquelle il convient d'assimiler les charges non déclarées lors de la vente, ce qui est le cas de l'existence de remblais ayant contribué au glissement de terrain. La preuve du glissement de terrain est rapportée par le constat d'huissier produit, et elle n'est pas imputable à l'intervention d'une tierce société. Ces remblais, qui existaient préalablement à la vente n'étaient pas visibles, puisqu'ils étaient enterrés. Or les vendeurs sont restés taisant sur la nature du terrain, alors même qu'ils avaient connaissance de ces déplacements de terre.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées au greffe de la cour par voie électronique du 12 septembre 2019, les Consorts T. demandent à la cour de :

  • Débouter la SARL B&M STRUCTURE de l'intégralité de ses demandes et prétentions
  • Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint Denis du 30 janvier 2019 en toutes ses dispositions
  • Condamner la SARL B&M STRUCTURE à leur verser la somme totale de 5000 € en application de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maitre C..

Ils font valoir que la preuve d'un glissement de terrain n'est pas rapportée sur la base de simples factures et d'un constat d'huissier produisant des photographies non datées, des modifications de terrain ayant pu être apportées par la société elle-même alors que les travaux avaient largement commencé au moment du prétendu glissement de terrain, la responsabilité d'une tierce société étant du reste évoquée dans ce constat d'huissier.

La preuve de l'existence de remblais au moment de la vente n'est pas rapportée, alors que les vendeurs non professionnels domiciliés en métropole n'en avaient pas connaissance, l'attestation produite n'ayant qu'une valeur probante très limitée puisqu'elle émane d'une personne manifestement en conflit avec leur père.

Par ailleurs, la garantie du vendeur ne s'applique pas si l'acheteur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la charge, ce qui était le cas lors de la visite du terrain, l'acheteur tentant de faire régler à l'acheteur le coût de réalisation de murs de soutènement dont la réalisation était inévitable au vu de la configuration du terrain.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 24 octobre 2019.

Les pièces n°20 à 22 ont été communiquées par la SARL B&M STRUCTURE via RPVA le 24 février 2020 soit postérieurement à l'ordonnance de clôture, cause d'irrecevabilité qui a été soulevée d'office à l'ouverture de l'audience, les parties ayant pu présenter leurs observations dans le cadre de la plaidoirie.

MOTIFS :

I° la communication tardive des pièces n°20 à 22 :

Vu l'article 783 du code de procédure civile ;

Les conclusions ou pièces déposées après l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été demandée ou prononcée d'office, sont irrecevables. Le juge qui relève d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de pièces déposées après l'ordonnance de clôture n'a pas à inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen (civ 2ème 11 mars 1992).

Les pièces n°20 à 22 de l'appelant ont été communiquées via RPVA le 24 février 2020 soit postérieurement à l'ordonnance de clôture du 14 novembre 2019 de sorte qu'elles sont irrecevables.

II° la garantie d'éviction :

Vu l'article 1626 du code civil,

La garantie du fait personnel couvre les troubles de fait que le vendeur pourrait occasionner par la réalisation d'actes matériels de nature à compromettre la possession paisible de l'acheteur. Le trouble de fait doit survenir postérieurement au transfert de la propriété du bien vendu. Toute charge, à laquelle il convient d'assimiler l'existence de remblais diminuant l'usage et la valeur du terrain vendu, peut donner lieu à garantie pour éviction partielle, si elles n'ont pas été révélées par le vendeur et qu'elles n'étaient pas apparentes.

L'acte authentique signé le 16 décembre 2007 stipule que « le vendeur garantit l'acquéreur contre les risques d'éviction conformément à l'article 1626 du code civil (') ».

A ce sujet, le vendeur déclare qu'il n'a pas effectué de travaux de remblaiement, et qu'à sa connaissance il n'en a jamais été effectué ».

L'acheteur fait valoir que le glissement de terrain intervenu en raison de remblais non déclarés lors de la vente par les vendeurs a réduit de 28 m² la surface de 219 m² initialement prévue pour la Villa, occasionnant un trouble dans la possession de l'acheteur.

Concernant d'abord la preuve de l'existence et des causes du glissement de terrain intervenu, ainsi que le volume de perte de terrain, l'appelant produit exclusivement un constat d'huissier du 9 août 2017 dans lequel ce professionnel rappelle en page 7 « je remarque qu'une partie de la rampe d'accès s'est effondrée. Je relève également l'absence de végétation. Monsieur M. me souligne que la société Fen Tp a excessivement défriché le talus, ce qui a entraîné un glissement de terrain. Il ajoute que ce défrichage a été effectué dans le seul but d'y enfouir des déchets de chantier ». Ce constat est doublé de la mise en demeure adressée le 2 juillet 2018 aux vendeurs de régler une somme de 127.138,88€ sous quinzaine.

Ce document ne fait aucune référence au volume de terrain impacté par ce glissement. Il ne mentionne pas l'existence de remblais et la possible corrélation entre ce glissement de terrain et la prétendue existence de remblais non déclarés, évoquant du reste l'intervention d'un tiers qui aurait causé ce dommage. Aucune expertise contradictoire n'a été réalisée.

L'existence de ces remblais est évoquée exclusivement dans un courrier du 13 mars 2018 ' soit 15 mois après la signature de l'acte authentique - de la société SEGC chargée d'une note géotechnique pour le compte de l'acheteur qui mentionne dans une phrase « terrain à l'arrière : entre le talus amont, composé de remblais et de limons à bloc et les gabions sera mis en place un géotextile anticontaminant ». L'expert relevait du reste que le talus amont se caractérisait par une topographie horizontale et le talus aval par une pente de 45° environs. Ce courrier a été précédé d'un mail du 29 mars 2017 de la société SEGC évoquant « la présence de remblais sur la plateforme basse (épaisseur et géométrie à définir par essais à la pelle mécanique, qui seront inclus dans notre proposition ».

Si Madame N.F., domiciliée au centre-ville de Saint Denis atteste le 4 juillet 2018 être une des voisines de la parcelle des vendeurs et avoir « vu et entendu du voisinage que l'ancien propriétaire le docteur T. avait déplacé de la terre sur son terrain afin d'élargir et aplanir le sol », cette attestation très imprécise ne date pas ces déplacements de terrain, ne les localise pas et dispose d'une valeur probante limitée alors que Mme F. assurait être en procès contre M. T. pour la destruction d'un mur contre sa volonté.

La preuve de la réalisation de travaux de terrassement avant la vente par les vendeurs, de l'existence de remblais sur le terrain avant cette date, et en tout état de cause de la connaissance par les vendeurs non professionnels de ces remblais n'est pas rapportée, alors qu'ils n'étaient pas apparents pour eux, particuliers domiciliés en métropole, et soucieux de vendre un bien dont ils avaient hérité.

Enfin l'acheteur, professionnel de la construction, était représenté dans le cade de la négociation du prix d'achat de la parcelle par l'agence Century 21 qui par mail du 21 avril 2016 versé aux débats formulait l'offre à hauteur de 200.000€ tout en explicitant les points suivants :

« Le terrain :

Situé en bord de ravine, il offre une vue dégagée sur la mer mais de nombreuses contraintes d'aménagements. En effet, il sera obligatoire de construire des murs de soutènement.

Les clients :

Dirigeants et patrons (2 associés) de deux belles entreprises dans le Btp, ils sont présents depuis de nombreuses années sur le marché de l'Océan indien et investissent régulièrement dans l'immobilier. Ils souhaitent construire deux villas pour les revendre. Ce n'est pas ma première affaire avec eux et je peux aujourd'hui vous garantir de leur fiabilité (') ils ne souhaitent pas de condition suspensive relative au permis de construire ».

Il en résulte que les acheteurs, eux-mêmes professionnels de la construction sur la Réunion, étaient assistés lors de l'achat par un professionnel de l'immobilier et avaient une parfaite connaissance de la topographie du terrain avec un projet clairement identifié de construction de deux maisons sur un terrain en bord de ravine. Il en ressort que la prétendue existence de remblais sur un terrain fragile était pour eux apparente, et aurait justifié la réalisation des études géotechniques préalablement à la vente auprès d'acheteurs non professionnels domiciliés en métropole.

Les conditions d'application de la garantie d'éviction ne sont donc pas réunies.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société B&M STRUCTURE.

Sur les demandes accessoires:

L'équité commande de condamner la société B&M STRUCTURE au paiement à Mesdames Virginie T., Muriel T. et Claire T. d'une somme de 5.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de maître C..

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

- DECLARE les pièces n°20 à n°22 irrecevables

- CONFIRME le jugement

- CONDAMNE la société B&M STRUCTURE au paiement à Mesdames Virginie T., Muriel T. et Claire T. d'une somme de 5.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- CONDAMNE la société B&M STRUCTURE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maitre C..