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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 9 octobre 2014, n° 13/01323

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Estuaire Consultants (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

M. Martin, M. Semeriva

Avocats :

Me Chauve Bathie, SCP Legalys Conseils

T. com. Lyon, du 22 janv. 2013, n° 2011J…

22 janvier 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

M. G., associé minoritaire de la société par actions simplifiée Estuaire Consultants et salarié de cette dernière, a été licencié le 27 novembre 2007.

Au mois de juillet 2008, il a fondé la société PGE Conseil, tout en demeurant actionnaire de la société Estuaire Consultants.

Estimant qu'il faisait à cette dernière une concurrence prohibée par les statuts, l'assemblée générale des associés de la société Estuaire Consultants a prononcé l'exclusion de M. G. ; la somme prévue en pareil cas au pacte social, soit la valeur nominale de ses parts, lui a été payée.

M. G. a saisi le tribunal de commerce en demandant paiement d'une somme représentant la valeur réelle de ces actions, au besoin, l'organisation d'une expertise, et l'indemnisation de son préjudice moral, ainsi que de celui causé par l'obligation de respecter une clause de non-concurrence nulle.

Le jugement entrepris retient notamment que la procédure d'exclusion avait pour seul objectif le rachat des parts à leur valeur nominale, et :

- dit que M. G. justifie de sa qualité à agir et le déclare recevable en son action,

- dit que cette exclusion est illicite et qu'elle a causé un préjudice à M. G. correspondant à la valeur vénale de l'action à la date de l'exclusion, moins la valeur nominale qu'il a déjà perçue,

- dit que le tribunal n'est pas en mesure de déterminer la valeur vénale de l'action à la date du 4 août 2009,

- ordonne une expertise visant à l'éclairer sur l'évaluation du préjudice subi par M. G.,

- condamne la société Estuaire Consultants à payer à M. G. la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et de son préjudice économique constitué par l'immobilisation de sa créance depuis août 2009,

- condamne la société Estuaire Consultants à payer à M. G. la somme de 48 000 euros au titre du préjudice subi du fait du respect d'une clause de non-concurrence nulle,

- condamne la société Estuaire Consultants à payer à M. G. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Estuaire Consultants aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de son appel, la société Estuaire Consultants fait valoir :

- que la créance contractuelle relative à la valeur des parts est éteinte par paiement,

- que M. G. a ratifié et exécuté la clause de non-concurrence,

- que l'objet social de la société PGE Conseil est identique à celui de la société Estuaire Consultants, ses activités, similaires, et que sa création même est constitutive de concurrence,

- que les formes prévues par les statuts pour l'exclusion d'un associé ont été respectées,

- que, de même, la valeur des actions a été arrêtée conformément aux statuts,

- qu'en toute hypothèse, le tribunal devait renvoyer M. G. à la procédure applicable en pareil cas,

- que la clause de non-concurrence est valable, notamment en ce qu'elle ne fait pas obstacle à l'exercice d'une activité concurrente après que l'associé a quitté la société,

Elle demande, au visa des articles 1134, 1234, 1833 et 1843-3 du code civil, des articles 122, 514, 699, 700 du code de procédure civile et des statuts de la société, de :

- dire et juger son appel recevable,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- à titre principal,

- dire et juger que M. G. ne justifie d'aucun intérêt à agir,

- à titre subsidiaire,

- dire et juger que l'exclusion est régulière et justifiée,

- dire et juger que la société Estuaire Consultants a fait une application régulière de ses statuts en allouant à M. G. la somme de 15 000 euros au titre du rachat de ses actions,

- dire et juger que l'article 15 des statuts est conforme à la loi, puisque M. G. conservait la totale liberté de se rétablir en se retirant de la société Estuaire Consultants,

- débouter M. G. de l'intégralité de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que le tribunal de commerce de Lyon statuant au fond était incompétent pour connaître de la demande de M. G. relative à l'évaluation de ses droits sociaux, cette évaluation devant se faire par un expert désigné par M. le président du tribunal de commerce de Lyon statuant en la forme des référés et ce conformément aux dispositions d'ordre public,

- à titre encore plus subsidiaire,

- dans l'hypothèse où la Cour venait à considérer que les dispositions de l'article 15 des statuts seraient nulles,

- constater que M. G. a exercé une activité concurrente à celle exercée par la société Estuaire Consultants alors qu'il était toujours associé de la société Estuaire Consultants,

- débouter M. G. de sa demande tendant à la voir condamner à lui verser la somme de 160 000 euros au titre d'un prétendu préjudice subi par le fait d'une clause de non-concurrence qui serait jugée nulle et inopposable,

- en tout état de cause,

- condamner M. G. à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, avec droit de recouvrement direct.

*

M. G. expose pour sa part :

- qu'il n'a jamais voulu céder ses actions, que la seule obligation éteinte par le paiement est celle résultant de l'évaluation statutaire, que l'extinction d'une créance contractuelle par paiement n'emporte pas renonciation à se prévaloir d'une créance indemnitaire et que le fondement de son action relative à son exclusion est de nature délictuelle,

- que la remise prétendue n'existe pas,

- qu'en toute hypothèse, ces deux fins de non recevoir sont irrecevables, car elles nécessitent un examen au fond,

- que l'exclusion est abusive, car elle n'a pas été prononcée dans le respect des formes statutaires, elle est dépourvue de fondement, aucune activité concurrente n'étant démontrée, et ne tendait qu'à l'acquisition des parts à vil prix,

- que les statuts fixant la valeur des parts, il ne pouvait être recouru à la désignation de l'expert visé à l'article 1843-4 du code civil,

- que la clause de non-concurrenceest nulle, faute de respecter aucune des conditions nécessaires à sa validité,

- qu'en son absence, les associés ne sont pas tenus d'une telle obligation,

- qu'il est nécessairement résulté un préjudice, en l'espèce sous la forme d'une perte de revenus.

M. G. conclut en conséquence :

Vu les articles 1315 et 1382 du code civilet l'article L. 227-16 du code de commerce,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il justifiait de sa qualité à agir et l'a déclaré recevable en son action, dit que cette exclusion est illicite et qu'elle lui a causé un préjudice correspondant à la valeur vénale de l'action à la date de l'exclusion, moins la valeur nominale qu'il a déjà perçue, condamné la société Estuaire Consultants à lui payer et porter la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et de son préjudice économique constitué par l'immobilisation de sa créance depuis août 2009, condamné la société Estuaire Consultants à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,

- et pour le surplus, statuant à nouveau,

- débouter la société Estuaire Consultants de l'ensemble de ses moyens et prétentions,

- condamner la société à lui payer et porter la somme de 103 000 euros au titre du rachat forcé de ses actions outre intérêt au taux légal à compter du 4 août 2009 ; au besoin, et pour y parvenir, désigner un expert,

- condamner la société Estuaire Consultants à lui payer et porter la somme de 160 000 euros au titre du préjudice subi du fait du respect d'une clause de non-concurrencenulle,

- condamner la société Estuaire Consultants à une somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

* *

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. G. indique qu il a respecté l obligation statutaire lui interdisant toute activité concurrente à celle d'Estuaire Consultants ; il n'en résulte cependant pas un acte positif de ratification impliquant l'approbation de cette stipulation, en connaissance de cause de sa nullité, de surcroît.

L'action tendant à voir prononcer cette nullité ne se heurte pas à une fin de non recevoir tiré d'un défaut d'intérêt à agir (comme l'indique le dispositif des conclusions d'appel) ou d'une remise volontaire (ressortant du visa, dans ces conclusions, de l'article 1234 du code civil) dès lors, d'une part, que M. G. a intérêt à l'annulation d'une clause limitant sa liberté d'entreprendre et, d'autre part, que les conclusions d'appel, pas plus que les pièces produites, ne décrivent aucune circonstance susceptible de caractériser une remise de dette.

Selon les statuts de la société Estuaire Consultants (article 15), l exclusion d un associé peut être prononcée dans les cas suivants : exercice direct ou indirect d une activité directement concurrente de celle exercée à titre principal par la société sauf en cas d'incompatibilité'.

§ M. G. est devenu actionnaire, le 30 janvier 2006, puis salarié de la société Estuaire Consultants à compter du 1er juillet 2006 ; la validité de la clause de non-concurrencen'était donc pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière.

Mais, lorsqu'elle a pour effet d'entraver la liberté de se rétablir d'un actionnaire ou associé de la société, une telle clause n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et limitée dans le temps, comme dans l'espace.

En l'espèce, cette stipulation produisait effet tant que M. G. demeurait associé et, tout particulièrement, après son licenciement et jusqu'à son exclusion, donc entre le 27 novembre 2007 et le 4 août 2009.

Elle n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de la société, eu égard au fait que M. G. ne détenait que 10 % des parts et n'exerçait pas de fonction dirigeante.

En toute hypothèse, cette interdiction ne connaît aucune limite géographique.

En conséquence, elle emporte violation du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle ; elle est nulle.

§ A défaut de stipulation valable en ce sens, le simple associé d'une société par actions simplifiées n'est pas tenu de s'abstenir d'exercer une activité concurrente.

§ Et, de toute façon, aucun élément du dossier ne fait preuve d'un acte de concurrence réel et effectif de M. G..

Cette observation s'impose encore, à la lecture des conclusions de la société Estuaire Consultants, qui se cantonnent à des considérations générales tirées de la fondation même d'une société ayant un objet social similaire, ou de l'appartenance à un GIE dont les membres interviennent dans le secteur considéré, ce dont ne résulte aucune démonstration d'un comportement fautif ou interdit.

Comme l'a retenu le jugement, il n'est pas établi que M. G. a concrètement commis des actes propres à justifier son exclusion, même à supposer valable la clause de non concurrence.

§ Enfin, la thèse selon laquelle M. G. aurait fait part, lors de l'assemblée générale du 24 septembre, de son souhait de se retirer de la société, ne s'appuie sur aucune pièce assez probante, notamment sur la production du procès verbal de cette assemblée.

En toute hypothèse, un retrait et une exclusion ne sont pas la même chose, d'autant que, statutairement, ils n'avaient pas les mêmes conséquences.

L'exclusion a ainsi été prononcée sur le fondement d'une clause nulle et, de surcroît, en l'absence de toute preuve d'un fait justifiant son application.

Sous la rubrique prise d effet de la décision d exclusion , les statuts prévoient que le prix de rachat de l'associé exclu sera égal à leur valeur nominale ; le paiement interviendra le jour de la cession'.

La somme correspondante a été payée.

M. G. ne poursuit ni l'annulation de l'exclusion, ni celle de la cession de parts.

Mais cela ne lui interdit pas de poursuivre l'indemnisation de la perte résultant du recours à une valeur sanction à l'encontre de l'associé qui est soumis à exclusion', selon la propre expression de la société Estuaire Consultants.

Une telle valorisation n'a en effet été appliquée qu'en raison de la mise en uvre de cette sanction, qui n'avait pas lieu d'être, en l'absence de fondement contractuel, comme factuel.

En conséquence, le paiement reçu n'éteint pas l'obligation, les bases retenues pour la cession ne reflétant que cette pénalité, et non un prix, dont l'acquittement ne laisserait pas place à une réclamation, sauf nullité de la cession.

En conséquence, le chef de jugement retenant que le préjudice de M. G. correspond à la valeur vénale de l'action à la date de l'exclusion, sous déduction de la valeur nominale qu'il a déjà perçue, est exact.

M. G. réclame à ce titre une somme de 103 000 euros, en se fondant sur le rapport déposé par le commissaire aux comptes dans le cadre d'un apport de participations à une holding, en 2007.

Cette pièce donne une idée du montant du préjudice, mais, à elle seule, elle n'en établit pas suffisamment le montant ; le recours à une expertise s'impose.

La juridiction de droit commun a le pouvoir d ordonner une telle expertise.

En effet, aux termes de l'article L. 227-18 du code de commerce, si les statuts ne précisent pas les modalités du prix de cession des actions lorsque la société met en uvre une clause introduite en application des articles L. 227-14, L. 227-16 et L.227-17, ce prix est fixé par accord entre les parties ou, à défaut, déterminé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil.

En l'espèce, les statuts précisent les modalités de calcul en pareil cas.

Cette stipulation n'est pas illégale, c'est son application en l'espèce qui est inadéquate.

En conséquence, l'article 1843-4 du code civil ne trouve pas à s'appliquer et cette expertise pouvait être ordonnée par le tribunal, d'autant qu'il s'agit d'évaluer le préjudice né de l'application d'une sanction, et d'examiner l'existence et le montant du dommage au regard de la valeur des droits sociaux, déterminée, non point à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, mais bien à la date de l'exclusion.

Le jugement prescrivant une expertise est justifié.

La Cour estime qu un double degré de juridiction est nécessaire sur la quantification du dommage et n'entend donc pas user de son pouvoir d'évocation.

Les parties sont renvoyées devant les juges de première instance.

Il convient toutefois de constater que M. G. est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dans l'instance d'appel.

Il y a donc lieu, s'il obtient la même décision pour ce qui concerne la suite de la procédure devant le tribunal de commerce, de dire qu'il sera dispensé de consignation.

M. G. réclame à juste raison l indemnisation du dommage causé par la clause de non concurrence, qui est nulle et dont il ne résulte d'aucun élément probant qu'il ne l'aurait pas respectée.

En se déterminant au regard du poste que M. G. a occupé, de la durée pendant laquelle la clause a été respectée et de l'ancienneté dans ses fonctions, le tribunal a retenu une indemnité de 48 000 euros.

M. G. soutient que son dommage doit être fixé à une somme qui ne saurait être inférieure aux revenus qu'aurait généré une activité professionnelle sans entrave, depuis son licenciement survenu à la fin novembre 2007, jusqu'à son exclusion début août 2009, soit :

(Salaire mensuel) x 20 mois = 8 000 x 20 = 160 000 euros.

Ce calcul supposerait que M. G. ait conservé son emploi ; mais il n'a perdu que les revenus qu'il aurait pu tirer d'une autre activité ; cette réclamation ne peut être accueillie.

Et la société Estuaire Consultants se bornant à contester le principe même du préjudice, pourtant établi, et à faire valoir que la somme de 48 000 euros est injustifiée, il n'existe pas plus de moyen d'infirmation pertinent sur l'appel principal.

Ce chef de jugement doit être confirmé.

S’agissant du préjudice moral et économique fixé à 2 000 euros par le tribunal, les conclusions d'appel de la société Estuaire Consultants relèvent seulement qu'une telle condamnation n'apparaît nullement justifiée.

Il n'en ressort pas de moyen d'infirmation ; le jugement doit également être confirmé sur ce point.

Dans la mesure où l’instance n’est pas terminée, les premiers juges n’avaient pas à statuer sur les dépens, qui seront réservés.

En revanche, les dépens d'appel sont à la charge de la société Estuaire Consultants, qui succombe en son recours.

Cette instance d'appel étant terminée, la partie perdante est tenue aux dépens, et il n'est pas de raison d'écarter l'application de l'article 700 du code de procédure civile, dans les conditions prévues à l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, en sa rédaction applicable en la cause.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il condamne la société Estuaire Consultants à payer à M. G. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il condamne la société Estuaire Consultants aux entiers dépens de l'instance,

- Statuant à nouveau sur ces points,

- Réserve les dépens de première instance et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à évocation,

- Renvoie l'affaire, pour la poursuite de l'instance, devant le tribunal de commerce de Lyon,

- Dit que M. G. sera dispensé de la consignation mise à sa charge par le jugement confirmé, sur présentation d'une décision d'admission à l'aide juridictionnelle,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Estuaire Consultants à payer à M. G. une somme de 3 000 euros au titre de la présente instance d'appel, dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, en sa rédaction applicable en la cause,

- Condamne la société Estuaire Consultants aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.