CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 janvier 2022, n° 21/01427
REIMS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Edova Groupe (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl Jungbluth
Conseillers :
Mme Maussire, M. Lecler
Avocats :
Me Pelletier, Me Hyonne
La SAS Edova Groupe est constituée de deux associés, M. Z Y qui en est le président, et Mme X B F E.
Une assemblée générale s'est tenue le 1er juin 2021 au cours de laquelle il a été procédé à l'exclusion de Mme B en sa qualité d'associée et le rachat de ses actions par la société elle-même.
Par exploit d'huissier du 7 juin 2021, la SAS Edova Groupe a assigné Mme B F E devant le tribunal de commerce statuant selon la procédure accélérée au fond aux fins:
Vu l'article 861-2 du code de procédure civile (en réalité 876-1),
Vu l'article 1843-4 du code civil,
Vu notamment l'article 11-3 des statuts,
Vu l'absence d'accord sur le prix de cession des 245 actions de l'associée exclue,
Vu qu'en l'état, un expert judiciaire ne peut déposer un rapport dans le délai de trente jours de la décision d'exclusion prévu par l'article 11.3 des statuts,
Vu l'impossibilité matérielle de respecter le délai de trente jours précités pour réaliser la cession des 245 actions de l'associée exclue,
- de nommer un expert et de lui confier pour mission de déterminer la valeur des 245 actions de la société Edova Groupe,
- de prolonger de six mois le délai imparti à la société pour acquérir et payer les 245 actions de Mme E,
- de réserver les dépens.
Mme E s'est opposée à titre principal à la demande et a sollicité, au visa de l'article
L 227-16 du code de commerce :
- la nullité des délibérations de l'assemblée générale des associés de la société Edova Groupe en date du 28 septembre 2017 ayant procédé à une augmentation de capital suivie d'une réduction de capital, réalisant "un coup d'accordéon inversé",
- de prononcer la nullité de la délibération de l'assemblée générale des associés de la société Edova Groupe en date du 1er juin 2021 l'ayant exclue de l'actionnariat de la société,
En conséquence,
- de débouter la SAS Edova Groupe de l'intégralité de ses demandes,
A titre subsidiaire, de modifier la mission de l'expert pour tenir compte de ce "coup d'accordéon inversé",
- de condamner la SAS Edova Groupe à verser à Mme B la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens.
Par décision rendue le 30 juin 2021, le président du tribunal a :
- débouté la SAS Edova Groupe de ses demandes,
- débouté Mme B de ses demandes reconventionnelles,
- condamné la SAS Edova Groupe à payer à Mme B F E la somme de
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Edova Groupe aux dépens.
Le premier juge a considéré :
- qu'il y avait de la part de Mme B non pas une contestation de la valeur des parts mais une contestation préalable de la décision d'exclusion elle même, de sorte que la demande faite par la SAS Edova Groupe au visa de l'article 1843-4 du code civil était mal fondée,
- que la demande de la SAS Edova Groupe se référant également à l'article 11-3 des statuts, il convenait de se référer à l'ensemble des statuts ; que l'article 27 des statuts prévoit que toutes les contestations, en particulier celles entre un associé et la société, sont soumises obligatoirement à la procédure d'arbitrage de la compétence du président du tribunal de commerce ; que Mme B contestait le processus ayant conduit à son exclusion ; que cette contestation relevait bien de l'article 27 des statuts et qu'il convenait donc de renvoyer les parties à mettre en oeuvre la clause d'arbitrage.
Par déclaration reçue le 7 juillet 2021, la SAS Edova Groupe a formé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées le 17 septembre 2021, elle demande à la cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- d'infirmer en toutes ses dispositions la décision du 30 juin 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Reims,
Statuant à nouveau,
- de nommer un expert pour déterminer la valeur des 245 actions,
- de prolonger de six mois le délai imparti à la société Edova Groupe pour acquérir et payer ces 245 actions à Mme E,
- de condamner Mme E au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens avec recouvrement direct.
Par conclusions notifiées le 6 octobre 2021, Mme B F E demande à la cour :
A titre principal,
- de confirmer la décision en date du 30 juin 2021 en ce qu'elle a débouté la SAS Edova Groupe de ses demandes,
A titre subsidiaire,
Vu les dispositions de l'article L 227-16 du code de commerce,
- de prononcer la nullité des délibérations de l'assemblée générale des associés de la SAS Edova Groupe en date du 28 septembre 2017 ayant procédé à une augmentation de capital suivie d'une réduction de capital, réalisant un « coup d'accordéon inversé »,
- de prononcer la nullité de la délibération de l'assemblée générale des associés de la SAS Edova Groupe en date du 1 er juin 2021 ayant exclu Madame B de l'actionnariat de la société,
En conséquence,
- de débouter la SAS Edova Groupe de toutes ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
- de donner à l'expert judiciaire chargé de procéder à l'évaluation des actions de Madame B la mission suivante :
* Se rendre au siège social après avoir au préalable convoqué les parties et leurs conseils,
* Entendre les parties et leurs explications, ainsi que, si nécessaire et à titre de simples renseignements, tous sachants,
* Se faire remettre tous documents comptables concernant la SAS Edova Groupe et plus généralement toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, même détenues par un tiers,
* Examiner la comptabilité de la SAS Edova Groupe depuis l'exercice clos le 31 décembre 2013, proposer toute rectification qui s'avérerait nécessaire,
* Examiner en particulier le compte courant d'associé de Madame B, proposer toute rectification qui s'avèrerait nécessaire,
* Examiner les conséquences pour la valeur de la participation de Madame
B de l'opération de « coup d'accordéon inversé », réalisée suivant une assemblée générale en date du 28 septembre 2017,
* Dire si le chiffre d'affaires et le bénéfice de la société ont pu être affectés par la création par Monsieur Y de sociétés ayant le même objet social et concurrençant directement l'activité de celle ci, en particulier la société,
* D aux dires et réquisitions des parties,
* Fixer la valeur des 245 actions détenues par Madame B au capital social de la SAS Edova Groupe,
* Etablir un pré rapport et le soumettre aux parties pour leur permettre de faire valoir leurs observations par voie de dire,
* Dresser enfin un rapport déposé au greffe du tribunal et adressé aux parties.
En tout état de cause,
- de condamner la SAS Edova Groupe à verser à Madame B la somme de
5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux entiers dépens.
L'intimée sollicite à titre principal la confirmation du jugement.
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour considérerait qu'il n'y a pas lieu de mettre en oeuvre la clause d'arbitrage, elle demande à titre reconventionnel que ses demandes soient examinées :
* annulation de la délibération de l'assemblée générale du 28 septembre 2017
* annulation de la délibération de l'assemblée générale du 1er juin 2021 pour illégalité de la clause statutaire d'exclusion et irrégularité du processus ayant conduit à son exclusion
A titre subsidiaire si la juridiction venait à considérer qu'elle a été valablement exclue de l'actionnariat de la société et qu'il y a lieu de désigner un expert, de dire que sa mission devra être plus étendue.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'expertise :
Aux termes de l'article 1843-4 du code civil, I - Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II - Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.
Les dispositions de ce texte sont d'ordre public.
Le président du tribunal saisi à cette fin dispose d'un pouvoir exclusif pour désigner ce expert.
En l'espèce, il existe une contestation sur la valeur des parts sociales détenues par Mme B F E suite à son exclusion de la société Edova Groupe par décision de l'assemblée générale du 1er juin 2021.
Conformément aux statuts de la société, la société Edova Groupe l'a assignée par exploit d'huissier du 7 juin 2021 pour une audience fixée au 23 juin 2021.
Mme B F E a été questionnée par le conseil de la demanderesse le
10 juin 2021 sur son appréciation de la valeur des actions mais n'y a pas apporté de réponse.
S'il ressort de l'article 27 des statuts que "toutes les contestations qui pourraient s'élever pendant la durée de la société ou lors de sa liquidation entre les associés ou entre un associé et la société ou les dirigeants concernant les affaires sociales, l'interprétation ou l'exécution des présents statuts, seront soumises à la procédure d'arbitrage", l'article 11.3 des mêmes statuts prévoit expressément qu'il est fait recours à un expert dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil pour fixer le prix de cession des actions de l'exclu en cas de désaccord.
Il s'ensuit que d'évidence, ainsi que le soutient à juste titre l'appelante, les parties ont entendu déroger à la clause d'arbitrage pour ce qui concerne le point particulier de la détermination de la valeur de ces actions.
Il en ressort que les articles 27 et 11.3 doivent être appliqués indépendamment l'un de l'autre et que le président du tribunal de commerce ne pouvait décliner sa compétence au profit de l'arbitre au motif notamment que Mme B F E contestait le processus de son exclusion de la société.
La décision sera par conséquent infirmée et il sera fait droit à la demande formée par la société Edova Groupe suivant des modalités qui seront fixées dans le dispositif de la décision.
Même si les statuts ne tirent pas les conséquences de la désignation d'un expert en cas de désaccord sur le prix de cession quant au délai nécessairement rallongé dans lequel ce prix pourra être payé, il apparaît nécessaire, dans la mesure où la cession n'a pu intervenir dans les 30 jours de la décision d'exclusion statutairement fixés , de prolonger le délai imparti par la société Edova Groupe pour acquérir les 245 actions de Mme B F E suivant des modalités qui seront précisées dans le dispositif de la décision.
Les demandes reconventionnelles formées par Mme B F E :
L'intimée sollicite l'annulation de deux assemblées générales qui se sont tenues les
28 septembre 2017 et 1er juin 2021.
C'est à juste titre que l'appelante fait valoir qu'elles sont irrecevables dans la mesure où le président du tribunal de commerce, dans le cadre strict de la procédure accélérée au fond dans lequel il statue, n'a aucun pouvoir pour se prononcer sur la validité de ces deux assemblées générales.
Il y aura lieu de renvoyer Mme B F E en tant que de besoin à saisir l'arbitre désigné par l'article 27 des statuts pour toute contestation relative à son exclusion de la société Edova Groupe.
La demande subsidiaire aux fins d'extension de la mission de l'expert :
La mission de l'expert, dont l'objet n'est pas de réaliser une expertise de la comptabilité de la société pour en vérifier la régularité et la sincérité, doit être exclusivement cantonnée à l'évaluation de la valeur des parts de l'exclue conformément à l'article 1843-4 du code civil que les parties ont au surplus intégré dans les statuts.
L'article 700 du code de procédure civile :
La décision sera infirmée en ce qu'elle a condamné la société Edova Groupe à une indemnité au titre des frais irrépétibles.
En équité, il sera alloué à la société Edova Groupe la somme de 1 500 euros.
Succombant en ses prétentions, Mme B F E sera déboutée de sa demande à ce titre.
Les dépens :
La décision sera infirmée.
Mme B F E sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct pour ceux d'appel par application de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juin 2021 par le président du tribunal de commerce de Reims.
Statuant à nouveau ;
Ordonne une expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et commet pour y procéder M. A C, ..., expert inscrit sur la liste de la cour d'appel de Reims, avec mission de :
Après avoir régulièrement convoqué les parties et leurs conseils,
- se faire remettre par les parties tous documents et pièces utiles, notamment les pièces comptables de la société Edova Groupe, ..., nécessaires à l'exercice de sa mission,
- déterminer la valeur des 245 actions détenues par Mme X B F E dans cette société.
Rappelle que l'expert pourra, en vertu de l'article 242 du code de procédure civile, recueillir des informations orales ou écrites auprès de toute personne déterminée, ou encore qu'en vertu de l'article 243 du même code, il pourra obtenir communication de tous documents auprès des parties ou des tiers, sauf au juge de l'ordonner en cas de difficulté ;
Dit que l'expert devra, lors de l'établissement de sa première note aux parties, indiquer les pièces nécessaires à sa mission, le calendrier de ses opérations et le coût provisionnel de sa mesure d'expertise ;
Dit que l'expert devra du tout dresser un pré rapport qui devra être remis aux parties au plus tard un mois avant le dépôt du rapport définitif afin que lesdites parties puissent faire valoir leurs observations qui seront annexées par l'expert à son rapport définitif, lequel devra être déposé dans les SIX MOIS du versement de la provision ;
Fixe à la somme de 2 000 euros toutes taxes comprises le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui devra être consignée entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Reims par la requérante à l'expertise, la société Edova Groupe, dans le délai de quatre semaines à compter de cet arrêt, et ce à peine de caducité de la désignation de l'expert ;
Dit que dans le délai de trois mois à compter de sa saisine effective (dépôt de la consignation), l'expert déposera au greffe de cette chambre et adressera aux parties un pré rapport comprenant son avis motivé sur l'ensemble des chefs de sa mission ; il laissera alors aux parties un délai d'un mois à compter du dépôt du pré rapport pour leur permettre de faire valoir leurs observations par voie de dires récapitulatifs ; puis, dans le mois suivant, l'expert répondra à chacun des dires qui, le cas échéant, lui auront été adressés et, de toutes ses opérations et constatations, auxquelles s'ajouteront ses réponses aux dires ; enfin, l'expert dressera son rapport qu'il adressera aux parties et qu'il déposera au greffe de cette chambre dans le délai prédéterminé ;
Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera pourvu à son remplacement d'office par ordonnance du président de cette chambre chargé du contrôle de cette mesure d'instruction ;
Dit que cette affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 13 avril 2022 pour vérifier l'état d'avancement des opérations d'expertise ;
Prolonge le délai imparti à la société Edova Groupe pour acquérir et régler le prix des 245 actions détenues par Mme X B F E dans cette société jusqu'à l'évaluation faite par l'expert.
Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles formées par Mme X B F E.
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne Mme X B F E à payer à la société Edova Groupe la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute Mme X B F E de sa demande à ce titre.
Condamne Mme X B F E aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct pour ceux d'appel par application de l'article 699 du code de procédure civile.