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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 11 janvier 2017, n° 16/01990

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mauhin (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseiller :

M. Robin

Avocats :

Me Boucon, Me Lecat, Me Vilar, Me Crovisier, Me Vonau

CA Colmar n° 16/01990

10 janvier 2017

La société de courtage d'assurance Alsass, créée en 2001 par MM. B. et H., a été placée sous administration provisoire par l'Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles le 12 novembre 2009, laquelle a désigné M. B. comme administrateur provisoire. Il a demandé ultérieurement le bénéfice d'une procédure de sauvegarde, qui a été ouverte par un premier jugement du 13 février 2012, suivi d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par un deuxième jugement du 21 janvier 2013 et convertie en liquidation judiciaire par un troisième jugement du 12 février 2013, désignant Me Mauhin aux fonctions de liquidateur.

Dans le cadre de cette procédure, M. B., ancien associé, a déclaré au passif une créance de 330 250 € à titre chirographaire, correspondant au montant créditeur de son compte courant d'associé. Le juge commissaire a admis cette créance par une ordonnance du 18 juin 2015.

M. B., administrateur provisoire et Me Mauhin, liquidateur de la société Alsass, ont interjeté appel de l'ordonnance et concluent au rejet de la déclaration de créance de M. B..

Les appelants exposent : M. B. était associé commandité de la société de courtage d'assurance Alsass ; en 2009, la société a décidé sous sa direction de résilier les contrats souscrits pour ses clients auprès du groupe Monceau et de les replacer auprès de la compagnie d'assurances Spheria ; ce transfert a été annulé, faute d'avoir été accepté par les clients de la société Alsass. M. B. avait consenti un abandon de créance au titre de son compte courant sous réserve d'une clause de retour à meilleure fortune ; il a réclamé le bénéfice de cette clause en s'appuyant sur des rapports comptables provisoires ; les rapports définitifs ont révélé une situation négative ; la société aurait dû provisionner les dettes résultant de l'annulation des contrats ; la société a été mise ensuite sous administration provisoire puis en liquidation judiciaire; le juge commissaire a excédé sa compétence en jugeant de la validité de la clause de retour à meilleure fortune et aurait dû inviter M. B. à saisir le tribunal de grande instance ; la cour d'appel devrait user de son pouvoir d'évocation pour conclure au rejet de la déclaration de créance de M. B..

Me Mauhin, liquidateur de la société Alsass, souligne en outre les pertes constatées et invoque l'absence d'un retour à meilleure fortune de la société, en contestant les conclusions tirées par M. B. des rapports d'expertise invoqué au soutien de sa demande.

M. B. ajoute en ce qui le concerne que le mandat d'administration reçu de l'Autorité de contrôle est toujours valide.

M. B. sollicite de la Cour la confirmation de l'ordonnance et le paiement par 'la liquidation judiciaire' d'une indemnité de procédure de 3000 €.

Il fait valoir : il était titulaire d'un compte courant d'associé créditeur de 330 250 € dans les comptes de la société ; le 29 juin 2007, il avait consenti à l'abandon de cette créance à condition (sic) de retour à meilleure fortune ; au 31 octobre 2009, il a été établi une situation comptable intermédiaire de la société montrant un résultat net d'exploitation de 2 897 310 € et un résultat intermédiaire de 2 664 161 € ; le commissaire aux comptes M. Guerder a conclu à la possibilité de mettre en œuvre la convention ; un rapport d'expertise ultérieur du cabinet Z., établi le 13 novembre 2012, a confirmé les résultats bénéficiaires de 2009 ; il a donc valablement déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective ouverte contre la société au mois de février 2012 ; sa créance doit donc être reconnue comme l'a estimé le juge commissaire ; l'intervention de M. B. comme administrateur provisoire devant la cour d'appel ne présente aucune légitimité ; il n'était pas partie à la procédure et ne pouvait faire appel ; seul Me Mauhin, désigné comme liquidateur, a qualité pour représenter la société ; les fonctions de M. B. ont pris fin avec l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire en application de l'article L. 237-15 du code de commerce ; ses conclusions doivent donc être écartées des débats ; la créance existait au jour de l'ouverture de la procédure collective ; le retour à meilleure fortune, constaté en 2009, redonne à sa créance son entier effet ; les contestations formulées par M. B. et par le liquidateur judiciaire contre le rapport de l'expert judiciaire sont inopérantes ; ce rapport n'avait pas été discuté ; l'administrateur provisoire a voulu dégrader a posteriori les résultats pour contester le retour de la société à meilleure fortune et imputer fautivement une prétendue régularisation au titre de la TVA qui n'était pas justifiée ; les contestations formulées par l'administrateur provisoire portent sur des faits postérieurs à 2009 et qui relèvent de sa propre gestion ; le montant de la créance de M. B. n'a pas été contesté ; la mise sous administration provisoire et la liquidation judiciaire sont des événements postérieurs au retour de la société à meilleure fortune.

Au cours des débats oraux, le président a invité les conseils des parties à présenter leurs observations sur la recevabilité de la déclaration de créance de M. B. au regard du délai fixé par l'article R 622-24 du code de commerce, en raison de l'absence de production d'un acte formalisé de déclaration de créance de la part de l'intimé.

En réponse, Me Mauhin a informé la Cour de ce que M. B. avait déclaré sa créance par une lettre le 11 mai 2012 soit dans les délais légaux, avant même la publication légale du jugement de sauvegarde au BODACC du 18 mai 2012.

Sur ce, la Cour,

La recevabilité de la déclaration de créance par rapport à la date d'ouverture de la procédure collective a été reconnue par le mandataire judiciaire.

La qualité pour agir de M. B. a été contestée par M. B. sans que cette fin de non-recevoir ait été mentionnée au dispositif des conclusions soumises à la Cour, qui n'est saisie que de ce seul dispositif. Il n'y a pas lieu de statuer sur ce point, tout en relevant que l'article L. 237-15 du code de commerce invoqué par M. B. n'apparaît pas applicable à l'espèce et n'attache pas la fin de la mission de l'administrateur provisoire au prononcé de la liquidation judiciaire de son administrée.

Quant au fait que la société Alsass soit représentée par son liquidateur, une fois la procédure de liquidation judiciaire ouverte, il ne met pas fin de plein droit à la mission de l'administrateur provisoire, alors que ce dernier doit définir les droits des assurés, ce qu'il a fait après l'annulation des contrats Spheria.

En ce qui concerne le pouvoir juridictionnel du juge commissaire, celui-ci a pour mission de se prononcer sur l'existence et sur le montant de la créance déclarée, en application de l'article L. 624-3 du code de commerce.

Contrairement à ce que soutient M. B., le juge commissaire était donc compétent, pour apprécier l'existence et le montant de la créance déclarée par M. B., et devait examiner les conditions d'exigibilité de celle-ci sur la base de l'abandon de créances et des éléments comptables produits devant lui.

La Cour doit faire de même par l'effet dévolutif du litige, sans procéder par voie d'évocation.

Quant au fond, les droits de M. B. sont déterminés par les conditions prévues dans l'acte sous seing privé du 29 juin 2007, par lequel il a abandonné sa créance au profit de la société au titre de son apport en compte courant de 330 250 €.

Aux termes de cet acte, il a précisé : « en cas de retour à meilleure fortune, la société Alsass s'engage à restituer à M. B. le montant de sa créance. (...) La bonne fortune est définie par l'apurement de l'ensemble des pertes et par conséquent l'apparition d'un résultat net imposable supérieur à 1,5 million € soit un montant supérieur à celui de la somme des apports des associés commanditaires autres que MM. B. et H. ».

M. B. se prévaut d'une déclaration de créance, faite selon me Mauhin le 11 mai 2012 pour 330 250 €, à laquelle le mandataire judiciaire a répondu le 24 mai 2013 en contestant sa revendication avec le motif suivant : 'ni la mise sous administration provisoire ni l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Alsass ne peuvent être considérées comme un retour à meilleure fortune'.

M. B. a maintenu sa déclaration de créance en se fondant sur le rapport d'expertise comptable de M. Z. rédigé en 2013, et en considérant que le retour à meilleure fortune avait été constaté avant le placement de la société sous administration provisoire.

Il est constant que la société a été placée sous la responsabilité d'un administrateur provisoire M. B., désigné par l'Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles, puis a obtenu le bénéfice d'une procédure de sauvegarde le 13 février 2012, convertie en redressement judiciaire le 21 janvier 2013 et en liquidation judiciaire le 12 février 2013.

Deux rapports sont invoqués par M. B. au soutien de sa créance.

Dans un « rapport d'examen limité du commissaire aux comptes sur les comptes intermédiaires couvrant la période du 1er janvier 2009 au 31 octobre 2009 », M. Guerder, commissaire aux comptes de la société, a d'abord précisé qu'il a examiné les comptes intermédiaires établis par les commandités MM. H. et B., donnant à son examen « une assurance modérée moins élevée que celle obtenue dans le cadre d'un audit ».

Il a analysé ensuite la situation comptable telle qu'elle résultait du remplacement des contrats d'assurance Monceau par des contrats d'assurance Spheria en concluant que les comptes ne comportaient pas d'anomalie significative et reflétaient sincèrement le patrimoine et la situation financière de la société au 31 octobre 2009. Il a conclu de son examen : « des conventions d'abandon de créances d'associés avec retour à meilleure fortune sont susceptibles d'être mises en œuvre au vu la situation nette de la société ('). Leurs montants s'élèvent à 204 750 € et 330 250 € ». La situation intermédiaire arrêtée au 31 octobre 2009, alors que l'exercice comptable est clos au 31 décembre, fait apparaître un résultat net de 2 664 164 € à cette date. C'est sur cette base que M. B. soutient que la situation de la société serait redevenue positive.

Le second rapport invoqué par l'intimé est un rapport d'expertise établi le 13 novembre 2012 par M. Z., désigné par le juge commissaire le 5 avril 2012 comme expert judiciaire. Sur la base des comptes annuels de la société arrêtés au 31 décembre 2011, le cabinet Z. a vérifié les comptes de la société depuis 2009 dans le contexte du rachat des contrats d'assurance du groupe Monceau par Spheria pour évaluer les droits des assurés, notamment le coût initial d'acquisition, après que ce transfert des contrats d'assurance ait été annulé, et apprécier la pertinence des comptes annuels.

En ce qui concerne l'année 2009 clôturée le 31 décembre 2009, la contestation de la validité des transferts de contrats n'impliquait pas selon l'expert une obligation pour la société Alsass d'indemniser ses clients (p 15) mais pouvait justifier la provision inscrite dans ses comptes par l'administrateur provisoire, en raison du risque, en particulier l'obligation de rembourser le coût initial acquisition, l'expert contestant cependant la provision de la marge.

La Cour relève à cet égard que la demande de la société Spheria tendant à l'annulation des transferts avait été introduite dès le 10 décembre 2009.

L'expert a ensuite considéré que les valeurs de rachat des contrats Monceau devaient constituer un produit exceptionnel.

L'expert a d'abord valorisé les corrections apportées sur les comptes au 31 décembre 2009 en retenant un résultat positif de 8 440 461 €, mais a évalué néanmoins le résultat net à un montant négatif de 1 465 801 € et des capitaux propres également négatifs de 3 145 931 €. L'exercice suivant, clos au 31 décembre 2010, a été également jugé négatif (- 695 771 €) et des capitaux propres toujours négatifs ( - 3 841 008 €). L'expert a déduit de la nullité des contrats d'assurance, produisant ses effets de manière rétroactive, que les corrections comptables devaient être prises en compte. Il a chiffré les effets de l'annulation des contrats à 3 435 000 €, ce qui affecté les résultats de 2009, tandis que les comptes 2011 se sont avérés positifs dans une première analyse, grâce notamment à l'annulation rétroactive des valeurs de rachat diminuée de la reprise des provisions liées à la nullité des contrats, ainsi que le risque de TVA, tandis que le risque de règlement des capitaux garantis a été compensé par l'annulation des charges à payer à ce titre. Le résultat comptable au 31 décembre 2011 a été en définitive évalué de manière négative à ' 7 894 417 €.

Il est arrivé à cette évaluation en retirant des comptes 2011 le gain réalisé par l'annulation rétroactive des valeurs de rachat (16 685 398 €) et en prenant en considération une note d'information adressée aux clients de la société le 16 décembre 2011 reconnaissant leurs créances.

Enfin, du fait de la reconnaissance de sa dette envers ses clients pour la valeur de rachat perçu du groupe Monceau, les capitaux propres retraités ont été évalués à ' 8 461 644 €, avec le risque d'actions en dommages et intérêts.

Hormis les comptes intermédiaires établis par les associés au 31 octobre 2009 et approuvés avec réserves et de manière prudente par le commissaire aux comptes, aucun des résultats comptables de la période 2009 à 2011 ne révèle ainsi une amélioration significative de la situation financière et comptable de la société.

C'est en vain que M. B. reproche à l'administrateur provisoire des affectations comptables et des provisions, notamment au titre de la TVA, qu'il conteste, dans la mesure où le propre rapport de M. Z. sur lequel il s'appuie ne remet pas en cause substantiellement cette gestion et a pondéré les résultats enregistrés par la prise en comte des effets de l'annulation des contrats d'assurance Spheria.

L'amélioration temporaire de la situation financière de la société au mois d'octobre 2009 apparaît en effet étroitement liée à l'opération de rachat des contrats d'assurance Monceau par la compagnie d'assurances Spheria, engagée par les dirigeants de la société Alsass, alors que ce transfert a été annulé en raison de l'absence de consentement des clients de la société Alsass : M. B. ne peut se prévaloir de ses propres agissements pour en déduire une amélioration significative de la situation de la société qu'il dirigeait.

Au surplus, M. B. admet que c'est à la date d'ouverture de la procédure collective que sa créance devait être appréciée : or, à cette date (13 février 2012), la situation de la société était gravement compromise, que l'on se place au moment de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ou au moment du prononcé du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire qui en a suivi.

Il ne peut donc être tiré de conséquences juridiques d'une situation comptable intermédiaire, qui ne reflète pas la réalité des comptes clôturés annuellement après la passation des opérations de l'exercice en cours.

Cela est d'autant moins crédible que, dès le 12 novembre 2009, l'Autorité de contrôle avait placé la société Alsass sous administration provisoire, décision qui devait être confirmée le 10 février 2010 puis par un arrêt du Conseil d'État ultérieur du 12 avril 2012.

Enfin, les comptes de l'année 2008 révélaient déjà une situation négative de 1,68 million €, selon les constatations relevées par le Conseil d'État et, le 10 décembre 2009, soit avant la clôture de l'exercice, la société Alsass, représentée par son administrateur provisoire, avait été assigné par la société d'assurance Spheria devant le tribunal de grande instance aux fins d'annulation des contrats souscrits par la société pour ses clients, en raison de l'absence de consentement de ceux ci.

Ces éléments, que M. B., associé commandité, ne pouvait ignorer, révèlent une situation déjà fragile, momentanément améliorée par l'opération effectuée sur les contrats d'assurance.

Ni le rapport du commissaire aux comptes, particulièrement réservé, ni celui de l'expert judiciaire ne sont de nature à permettre de considérer qu'à la fin de l'exercice 2009, la société Alsass était revenue à meilleure fortune dans les conditions requises par la clause stipulée par M. B..

Il y a lieu en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de rejeter les prétentions de M. B..

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Constate que M. B. n'a pas soulevé le défaut de qualité pour agir de M. B.,

Infirme l'ordonnance déférée,

Et, statuant à nouveau,

Constate que la Cour est saisie de l'appréciation de la créance déclarée par M. B. au passif de la société Alsass,

Dit que la preuve d'un retour de la société Alsass à meilleure fortune en 2009 n'a pas été rapportée,

Rejette la déclaration de créance comme mal fondée,

Condamne M. B. aux entiers frais et dépens.