CA Nîmes, 2e ch. civ. A, 14 novembre 2019, n° 17/01437
NÎMES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel
Conseillers :
Mme Ginoux, Mme Robin
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur Paul J., propriétaire de terres plantées de vignes sur les communes de Cornillon et de Saint-Laurent de Carnols (30), a confié l'exploitation de ses terres à une société en commandite simple portant le nom commercial 'A.', qu'il a constituée le 22 décembre 1989 avec Monsieur Michel C. viticulteur.
Les apports en numéraires, à hauteur de 10 000 francs, ont donné lieu à la répartition de 6 parts pour Monsieur J. associé commanditaire et de 4 parts pour Monsieur C., associé commandité.
Par acte notarié du même jour un bail rural a été conclu entre Monsieur J. et la société A..
Monsieur C. a été initialement nommé gérant, puis une cogérance a été instaurée, sans limitation de durée.
Monsieur Paul J. est décédé le 04 janvier 2015, laissant pour lui succéder son épouse Madame Colette L. et leur fille Madame Cécile J..
Par exploit délivré en date du 14 avril 2015 Mesdames J. ont saisi le tribunal de grande instance de NIMES pour demander principalement la dissolution de la société, aux motifs que Monsieur C. a démissionné de ses fonctions de gérant le 31 décembre 2014, qu'il a commis des fautes de gestion et a abandonné les terres.
Par jugement en date du 30 novembre 2016 le tribunal de grande instance de NIMES a :
-prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture à effet du 03 octobre 2016 et ordonné une nouvelle ordonnance de clôture au jour de l'audience des plaidoiries du 10 octobre 2016,
-condamné Madame Colette J. et Madame Cécile J. à payer à Monsieur Yves C. la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit que Madame Colette J. et Madame Cécile J. supporteront les entiers dépens.
Mesdames J. ont relevé appel total de ce jugement par déclaration en date du 07 avril 2017.
Par ordonnance en date du 15 janvier 2019 le conseiller de la mise en état, faisant droit à la demande de Mmes J., a désigné Monsieur le Président de la chambre départementale des huissiers aux fins de nommer un huissier qui délivrera sommation interpellative à la MSA Languedoc, [...], dans les termes suivants :
'Produire toutes pièces et documents de nature à justifier que Monsieur C., gérant de la société C. J. et Cie, a fait jouer ses droits à la retraite, tels que date de dépôt d'un dossier de demande de retraite, communication dudit dossier, montant des sommes versées par la MSA à Monsieur C. au titre de cette retraite'.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 13 juin 2019 Mesdames J. demandent à la cour :
-d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture aux fins d'admission des sommations d'Huissier en date du 4 mars 2019 et du 29 mai 2019,
-de réformer en tous ses points le jugement du Tribunal de Grande Instance de NIMES rendu le 30 novembre 2016, et,
A titre principal :
-de constater que la société a pris fin au 31 décembre 2014 par la démission successive de ses deux gérants,
- de prononcer en conséquence la dissolution de la SCS C. J. ET CIE au 31 décembre 2014 et nommer tout liquidateur de son choix aux fins d'effectuer toutes les opérations nécessaires pour mener à son terme la liquidation de la société.
A titre subsidiaire :
-de constater les fautes de gestion de M. C. dans la SCS C. J. ET CIE,
-de constater que la mésentente entre les associés, doublée de l'incapacité comptable de M. C., entrainant une paralysie de la société,
-de prononcer en conséquence la dissolution de la SCS C. J. ET CIE au 31 décembre 2014 et nommer tout liquidateur de son choix aux fins d'effectuer toutes les opérations nécessaires pour mener à son terme la liquidation de la société.
En tout état de cause,
-de condamner M. C. au paiement d'une somme de 7000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître P., Avocat aux offres de droit.
Mesdames J. soutiennent en premier lieu que la dissolution de la société doit être prononcée :
- en application des statuts du fait de la démission des deux gérants, Monsieur C. par courrier en date du 04 juin 2014, les deux courriers qu'il a rédigés postérieurement ne pouvant être considérés comme une rétractation de sa décision de démissionner, et Monsieur J. par courrier du 25 août 2014,
-au regard de la situation de Monsieur C. qui a fait valoir ses droits à la retraite et ne peut plus exercer la qualité de gérant depuis le 1er février 2017.
Elles soutiennent à titre subsidiaire que la dissolution doit intervenir pour de justes motifs au visa de l'article 1844-7 5° du code civil, reprochant à Monsieur C. :
-d'avoir apporté partie de la vendange 2009 à la cave de Saint Gely de Cornillon contrairement aux engagements pris qui la destinaient à la cave de Saint Laurent de Carnols, sans en référer à son associé,
-d'avoir effectué un retour de produits phytosanitaires emportant le fait que la vigne n'a pas été traitée,
-de n'avoir pas présenté les comptes annuels 2016.
Elles soutiennent enfin que la dissolution anticipée de la société trouve son fondement dans la mésentente entre associés empêchant cette société de fonctionner normalement.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 29 juillet 2019 Monsieur C. demande à la cour :
-de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Grande Instance de NÎMES du 30 novembre 2016,
Et, y ajoutant,
-de condamner solidairement Madame Colette J. et Madame Cécile J. à payer à Monsieur Michel C. la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
-de les condamner solidairement aux entiers dépens d'appel.
Monsieur C. conteste en premier lieu avoir présenté une démission effective, son courrier daté du 04 juin 2014 étant suivi de deux courriers qui confirment sa simple intention.
Concernant sa situation de sa retraite, il indique qu'il a cessé début 2017 son activité en tant qu'exploitant agricole au sein de l'EARL Le Soleillan mais qu'il a dû renoncer à faire valoir ses droits lorsque la MSA lui a rappelé qu'il ne pouvait pas cumuler un emploi de gérant de la société A. (bien que non rémunéré à ce titre) et une retraite, et lui a demandé de rembourser les sommes indûment perçues au titre d'une pension de retraite.
Il réfute en deuxième lieu toute faute de gestion en répliquant :
-que partie de la récolte 2009 a été apportée à la cave de Saint Gély de Cornillon dans la mesure où la cave de Saint Laurent de Carnols n'était pas en mesure de l'accueillir dans de bonnes conditions,
-qu'il a toujours entretenu correctement les vignes, Mesdames J. étant à l'origine de la décision de retourner les produits phytosanitaires nécessaires pour ce faire,
- que les assemblées générales au cours desquelles les comptes annuels sont présentés se sont toujours tenues dans les locaux de l'expert-comptable et en présence de celui-ci, à l'exception de l'assemblée du 27 juin 2017 où Mesdames J. ont exigé que l'expert-comptable sorte des lieux, ce qui l'a placé en difficulté pour répondre aux questions comptables pointues,
-qu'il a enfin toujours réglé à bonne date le montant du fermage.
Il soutient en troisième et dernier lieu qu'il n'y a aucune paralysie des organes sociaux.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 août 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la démission de Monsieur C.
Au visa de l'article 1844-7 8e du code civil, la société prend fin pour toute autre cause prévue par les statuts.
L'article 3.6 des statuts de La SCS C. J. ET CIE stipule 'La démission du gérant doit être notifiée aux associés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception trois mois au moins avant la clôture de l'exercice en cours, date à laquelle elle prend effet.'
Il est constant que la démission du gérant constitue un acte unilatéral par lequel celui-ci manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à ses fonctions.
Suivant courrier daté du 04 juin 2014 adressé à Monsieur Paul J., Monsieur C. écrit : '........Toute chose ayant ses limites je vous informe donc que je prends mes dispositions pour démissionner en vertu de l'article 3.6 de nos statuts.
Les raisons de cette décision reposent sur l'ensemble des éléments mentionnés en supra, et par ailleurs le fait que je suis en train de préparer la transmission de ma propre exploitation à mon fils Jérémy.
Comme j'ai eu l'occasion de vous en faire part, cette décision est irréversible, néanmoins si la proposition peut vous satisfaire, mon fils et moi sommes disposés à accepter un fermage via notre société d'exploitation l'EARL le soleillan.'
Il sera observé sur la forme que Monsieur C. a adressé ce courrier en lettre recommandée à Monsieur Paul J., en visant expressément l'article 3.6 des statuts.
Ensuite, si les motifs invoqués évoquent l'immixtion de Mesdames J. dans l'exploitation de la société A., et le monopole que Monsieur J. s'est progressivement attribué concernant les mesures de gestion et moyens de paiement, l'exposé des faits parfaitement circonstancié et construit ne permet pas d'envisager que Monsieur C. ait écrit un tel courrier de façon irréfléchie à l'occasion d'un incident qui aurait constitué une pression particulièrement forte viciant sa réflexion.
Il sera en outre relevé :
-que Monsieur C. emploie à deux reprises le terme de décision, et notamment de décision irréversible, l'ensemble de ses courriers révélant qu'il utilise parfaitement la langue française,
-qu'ayant de nouveau écrit à Monsieur Paul J. le 06 juin 2014, il indique faire suite à son courrier du 04 juin 2014 auquel il le prie de se référer, sans revenir sur sa démission,
-que ce n'est qu'à l'occasion d'un courrier daté du 15 juillet 2014, à destination de Monsieur Paul J. que Monsieur C. apporte un tempérament en évoquant alors un projet de démissionner et en lui donnant un caractère hypothétique.
Quand bien même Monsieur C. tenterait de revenir sur les termes de son courrier initial, tant par ce courrier du 15 juillet 2014 puis par un courrier du 07 octobre 2017, il résulte de ce qui précède que sa décision de démissionner a été exprimée clairement et sans équivoque dès le 4 juin 2014, dans les formes prévues par les statuts, et qu'il a entendu en tirer les conséquences en formulant une proposition de fermage via sa propre exploitation agricole.
C'est donc par une interprétation erronée des courriers soumis à son appréciation que le tribunal a considéré que la démission de Monsieur C. n'était pas acquise.
La démission de Monsieur Paul J. ne faisant pas débat, il en résulte que La SCS C. J. ET CIE a été dissoute à la date du 31 décembre 2014 et il convient d'en ordonner sa liquidation.
Sur les demandes accessoires
Mesdames J., contraintes d'engager des frais irrépétibles pour faire valoir leurs prétentions en justice tant en première instance qu'en appel, se verront allouer la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur C., qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Dit que le courrier de Monsieur Michel C. en date du 04 juin 2014 s'analyse en une démission,
Prononce la dissolution de La SCS C. J. ET CIE au 31 décembre 2014,
Désigne La SELARL S. R. ET B., [...] aux fins d'effectuer toutes les opérations de liquidation de la société,
Condamne Monsieur Michel C. à payer à Madame Colette L. veuve J. et Madame Cécile J. la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur Michel C. aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître P. en application de l'article 699 du code de procédure civile.