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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4 et 7, 13 janvier 2023, n° 21/02975

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Les Mandataires (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bel

Conseillers :

Mme Alberti, Mme Bouzige

Avocats :

Me Lacroix, Me Madec

Cons. Prud’h. Marseille, du 28 janv. 202…

28 janvier 2021

Faits, procédure, prétentions et moyens des parties

La société AZA LAB, société de droit français, immatriculée le 29 juillet 2014 au tribunal de commerce de Marseille avec commencement d'activité le 1er juin 2014, est détenue par la société AZA Technology société en commandite simple de droit luxembourgeois dont l'objet social est l'acquisition et la mise en valeur de brevets, société elle-même détenue par la société AZA Management, société en commandite simple de droit luxembourgeois dont l'activité est la gestion et la promotion de la société AZA Technology.

Le 1er juin 2014, M. [B] [I] [I] a été embauché par contrat à durée indéterminée par la société AZA LAB en qualité de directeur marketing et stratégie statut cadre. Le 22 avril 2015, l'employeur était placé en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Marseille puis en liquidation judiciaire le 10 juin 2015.

Le 22 juin 2015, le salarié est convoqué par Me [L] liquidateur judiciaire à un entretien préalable dans le cadre d'une procédure de licenciement économique, le salarié acceptant le contrat de sécurisation professionnelle et est licencié le 13 juillet 2015.

La liquidation judiciaire de la société est prononcée par jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 10 juin 2015.

Le 15 janvier 2016, Me [L] informait le salarié que le Cgea refusait le paiement des créances de salaire.

Le 21 mars 2016, le salarié saisissait le conseil de prud'hommes de Marseille à l'encontre de Me [L] en sa qualité de mandataire liquidateur pour des demandes relatives à son licenciement et à des rappels de salaires, l'Unedic-Cgea de Marseille intervenant volontairement, et suite à une radiation, saisissait de nouveau le conseil le 1er mars 2019 des mêmes demandes.

Par jugement du 28 janvier 2021, cette juridiction a constaté la réalité du contrat de travail du salarié, fixé au passif de la liquidation judiciaire et fait droit à la demande des sommes visées aux relevés de créance dans la limite du plafond cinq, déclarant le jugement opposable au Cgea/Assedic en qualité de gestionnaire de l'Ags de [Localité 5] dans les limites légales et dit que les dépens seront prélevés sur l'actif de la société liquidée.

Le conseil a retenu notamment que le lien de subordination est démontré par le contrat de travail, les bulletins de salaire, les notes de frais, la validation des reportings et les points réguliers, le salarié travaillant en autonomie conformément à ses responsabilités.

Par acte du 25 février 2021, le Cgea de [Localité 5] a interjeté appel de cette décision

 

Vu les dernières conclusions notifiées le 4 mai 2021 par le Cgea de [Localité 5] tendant à voir la cour:

Infirmer le jugement entrepris aux motifs que la société AZA LAB a été immatriculée le 29 juillet 2014, qu'elle avait pour représentant légal une société de droit luxembourgeois et ne détenait pas de compte bancaire en France, qu'elle a eu une activité supposée inférieure à un an sans aucun chiffre d'affaire, que les contrats de travail litigieux ont été signés avant la signature des statuts de la société et avant son immatriculation, que ces contrats n'ont pas été repris dans les statuts , que les salariés ont reçu des arriérés de salaire de la part d'une société luxembourgeoise, eux-même étant d'anciens salariés et associés minoritaires d'une société Nex Vision participant au montage de la société AZA LAB, ne justifiant d'aucun lien de subordination et participant au montage d'une 'start up' sans chiffre d'affaire ni actif valorisable.

Subsidiairement il conclut à la fixation de sommes moindres avec une garantie dans les limites légales.

Vu les dernières conclusions du salarié notifiées le 2 juillet 2021 et tendant à voir la cour :

Confirmer le jugement entrepris,

Constater la réalité du contrat de travail le liant à la société AZA LAB,

juger que le refus de prise en charge de l'Ags est non fondé,

Fixer au passif de la liquidation judiciaire les sommes suivantes :

- 80 067,74 euros brut au titre des salaires des mois de septembre 2014 à mai 2015,

- 6 946,59 euros brut au titre des salaires du 1er juin au 22 juin 2015,

- 12 724,90 euros brut au titre des congés payés,

- 6 630,84 euros brut au titre du délai de réflexion,

- 3 536,45 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Déclarer le jugement opposable à l'Ags/Cgea de [Localité 5] et dire que les dépens seront prélevés sur l'actif de la société liquidée,

Et par suite,

Débouter l'Ags/Cgea de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens formés à l'encontre du salarié comme non fondées ou mal fondées en droit et en fait.

Le salarié conclut à la réalité de son contrat de travail, le Cgea ne démontrant pas le caractère fictif de ce dernier. Il expose avoir été recruté le 1er juin 2014 avec quatre autres salariés travaillant tous au sein d'une même société Nexvision et recrutés également dans le courant de l'année 2014, avoir travaillé dans les locaux et avec le matériel de l'employeur et a voir été placé dans un lien de subordination, avoir dès le début connu des retards dans le paiement des salaires puis la perte de leur outil de travail dès le 17 avril 2015, du fait notamment de coupure d'électricité et connexion internet.

Il ajoute que le business plan prévoyait un défaut de chiffre d'affaires durant les premiers mois de création de la société, la société devant passer par une période de développement/conception avant toute commercialisation, et qu'il ne s'agissait donc pas d'une société fictive ou de contrats de travail fictifs.

La déclaration d'appel a été signifiée à M. [L] en qualité de mandataire ad hoc, à personne se disant habilitée à recevoir l'acte le 6 mai 2021.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties la cour renvoie à leurs écritures précitées.

 

Motifs

En l'absence de constitution du mandataire liquidateur le présent arrêt est réputé contradictoire par application de l'article 474 du code de procédure civile.

- Sur l'existence du contrat de travail et du lien de subordination

L'Ags conteste cette existence se fondant sur le fait qu'aucun chiffre d'affaire n'était prévu pendant les six premiers mois d'activité de la société, que les contrats de travail ont été signés avant la signature des statuts et de son immatriculation, qu'ils n'ont pas été repris dans les statuts .

L'existence du contrat de travail étant caractérisée par le lien de subordination entre le salarié et l'employeur, il incombe à l'Ags d'en démontrer l'inexistence, l'absence de reprise des contrats de travail dans les statuts , les conditions de fonctionnement de la société et l'absence de prévision d'un chiffre d'affaire durant les six premiers mois d'activité de la société n'étant pas des moyens pertinents de la fictivité du contrat de travail.

En effet, il convient de constater que cette société dépendait entièrement de la société AZA Technology en ce qui concerne sa création, sa présidence et son financement. Le fait de prévoir que cette création ne serait pas autonome financièrement durant les premiers mois, et que les salariés seraient embauchés au fur et à mesure du développement de l'entreprise n'est pas constitutif de la fictivité du contrat de travail, dès lors que l'entreprise doit démarrer une activité lui permettant de dégager un chiffre d'affaires.

Le salarié produit aux débats son contrat de travail le liant à la société AZA LAB signée le 1er juin 2014 aux termes duquel il est embauché à compter de cette date, exercera ses fonctions au siège de la société à l'adresse située [Adresse 3] et sous le contrôle et la responsabilité du dirigeant de la Sasu AZA LAB, le salarié faisant l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche auprès de l'Urssaf des Bouches du Rhône.

Il communique ses bulletins de salaire, un courrier recommandé en date du 23 janvier 2015 adressé à la société AZA Technology pour réclamer le paiement de salaires et un extrait de compte bancaire.

Il communique également différents mails et échanges portant sur des commandes ou prêts de matériels, sur la conception et les essais de produits, discussion sur les tarifs, tests à organiser, attestant de la réalité de l'activité de l'entreprise de sa création à sa liquidation, et des travaux effectués par les salariés pour le compte de cette société et dans le cadre de celle-ci, leur expertise professionnelle n'empêchant pas l'existence d'un lien de subordination.

Un mail en date du 14 avril 2015 envoyé par le directeur commercial de la société AZA LAB, M. [M] [F] au président de la société AZA Technology effectue un état des lieux de la situation et de l'évolution de l'entreprise depuis sa création, justifiant de la problématique de l'ouverture d'un compte bancaire en France, des premiers délais de paiement des fournisseurs anormaux dès août 2014, de l'arrêt des paiements y compris les salaires et les investissements à compter d'octobre 2014, avec certaines régularisations intervenues tardivement. Ce document justifie clairement d'un lien de subordination existant entre les salariés et le président de la société AZA technology.

Enfin il est communiqué l'inventaire établi par le commissaire priseur désigné dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société qui confirme l'existence de bureaux situés au siège social à [Localité 5] et l'existence du lieu de travail des salariés.

Au vu de ces éléments, il est établi que la société était inscrite au registre du commerce, avait un siège social et des locaux utilisés par les salariés, avait réglé des salaires et des fournisseurs même avec un certain retard et avait donc démarré une activité interrompue par des défauts de financement celle-ci ayant accumulé différentes dettes et ne bénéficiant plus des soutiens financiers de la société AZA Technology.

Il n'est donc pas rapporté la preuve du caractère fictif du contrat de travail liant les parties, le salarié ayant bien travaillé pour le compte de cette société dans le cadre d'un lien de subordination visé au contrat, dans les locaux de la société mis à sa disposition, et ayant été rémunéré dans ce cadre jusqu'à ce que l'employeur cesse les paiements de salaire.

- Sur les créances salariales

Le salarié a repris les créances établies par le liquidateur judiciaire, dont sont déduits les salaires perçus.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris et fixer les sommes dues ainsi qu'il suit :

- 80 067,74 euros brut au titre des salaires des mois de septembre 2014 à mai 2015,

- 6 946,59 euros brut au titre des salaires du 1er juin au 22 juin 2015,

- 12 724,90 euros brut au titre des congés payés,

- 6 630,84 euros brut au titre du délai de réflexion,

- 3 536,45 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société AZA LAB les sommes suivantes dues à M. [B] [I] [I] :

- 80 067,74 euros brut au titre des salaires des mois de septembre 2014 à mai 2015,

- 6 946,59 euros brut au titre des salaires du 1er juin au 22 juin 2015,

- 12 724,90 euros brut au titre des congés payés,

- 6 630,84 euros brut au titre du délai de réflexion,

- 3 536,45 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

Dit que la garantie Ags est limitée, toutes sommes et créances avancées confondues, à un ou des montant déterminés par décret en référence au plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions du régime d'assurance chômage, et inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposées par la loi;

Dit que l'obligation de l'Ags/Cgea de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte-tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par mandataire judiciaire, et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement;

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels;

Dit que la garantie des salaires est due pour les créances du salarié dans la limite de sa garantie légale, plafond 5 tel que prévu à la date à laquelle est due la créance;

Dit que l'Ags/Cgea ne doit pas sa garantie pour les demandes de dépens, d'astreinte, de cotisations patronales ou résultant d'une action en responsabilité;

Condamne M. [L] ès-qualités de mandataire liquidateur de la Sas AZA LAB aux entiers dépens.