Cass. 3e civ., 16 mars 2023, n° 21-25.107
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Avocats :
SCP Gouz-Fitoussi, SCP Marc Lévis
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 6 octobre 2021, n° RG : 18/01257), par acte des 8 et 17 juin 2011, la société Mercialys (la bailleresse) a donné à bail à la société LMNJ 2 (la locataire) des locaux commerciaux situés dans un centre commercial.
2. Le 7 octobre 2015, la bailleresse a délivré à la locataire un commandement, visant la clause résolutoire insérée au bail, de payer un arriéré locatif intégrant une contribution aux dépenses relatives à des travaux portant sur la toiture et la climatisation du centre commercial.
3. Le 3 novembre 2015, la locataire l'a assignée en annulation du commandement de payer et en indemnisation des préjudices en résultant. La bailleresse a formé, à titre reconventionnel, une demande en paiement.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 620-1 du code de commerce il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter ; qu'en recherchant si la faute de la société Mercialys était la source des difficultés financières, bien qu'elle n'ait été tenue de rechercher que si le comportement du bailleur avait entraîné des difficultés que la société LMNJ 2 ne pouvait surmonter, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code, ensemble l'article L. 620-1 du code de commerce ;
2°/ que l'existence d'un dommage en relation de causalité avec la faute retenue donne lieu à réparation ; qu'en considérant qu'il n'était pas démontré que les difficultés rencontrées par le preneur trouvaient leur source dans le comportement du bailleur, quand seul un lien de causalité entre la faute et le préjudice suffisait pour retenir la responsabilité de la société Mercialys, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code ;
3°/ qu'un motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; qu'en émettant l'hypothèse avouée et gratuite que l'absence de production de la requête au tribunal de commerce « laissait entendre » qu'elle contenait des motifs autres que les griefs imputés au bailleur, sans déterminer avec certitude quelle était la cause des difficultés que la société LMNJ 2 ne pouvait surmonter ayant entraîné l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a entaché sa décision d'un motif hypothétique équivalant à un défaut de motifs en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, la cour d'appel a, par motifs adoptés, relevé, d'abord, que, si le tribunal de commerce avait jugé que la locataire pouvait bénéficier d'une procédure de sauvegarde, il n'avait pas précisé, dans les motifs de son jugement du 24 février 2016, l'origine et la nature des difficultés qu'elle n'était pas en mesure de surmonter. Elle a constaté, ensuite, que la locataire ne produisait pas la copie de sa requête aux fins de placement sous procédure de sauvegarde. Elle a ainsi fait ressortir que la locataire n'apportait pas la preuve de difficultés autres que financières, ayant justifié l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
6. En second lieu, elle a retenu que les difficultés financières rencontrées par la locataire étaient anciennes et qu'en l'absence de production des bilans et de tout document d'analyse financière, leurs causes n'étaient pas justifiées.
7. La cour d'appel a, par ces seuls motifs, excluant tout lien de causalité entre la faute imputée à la bailleresse et les préjudices résultant de l'ouverture de la procédure de sauvegarde allégués par la locataire, légalement justifié sa décision de ce chef.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la bailleresse diverses sommes au titre d'un arriéré locatif et d'une pénalité contractuelle, alors « que s'agissant de la définition des réparations locatives, les clauses dérogatoires au droit commun doivent être interprétées strictement, de sorte qu'à défaut de clause expresse en ce sens, les réparations afférentes, non au local donné à bail, mais à l'immeuble collectif dans lequel il est situé, telles les réparations portant sur la toiture doivent demeurer à la charge du bailleur ; qu'en l'espèce, l'article 6.1 du contrat de bail énonçait seulement que le preneur doit rembourser au bailleur « 1 - Les charges et prestations, et toutes dépenses d'exploitation, de réparation, d'entretien, de ravalement, de décoration, de remplacement, de rénovation et d'amélioration afférentes aux parties communes et/ou à usage collectif du centre Commercial et de ses abords, des parkings, des espaces verts et des VRD, y compris les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil quand bien même ces dépenses résulteraient la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l'administration par une injonction municipale et/ou par la réglementation actuelle ou future 2 - L'entretien, les réparations, la création, la vérification, la rénovation, la modernisation, les remplacements de toutes natures des équipements de toute nature du centre Commercial et de ses abords, y compris des parkings, ayant un caractère obligatoire ou non, y compris les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil quand bien même ces dépenses résulteraient la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l'administration et/ou par la réglementation actuelle ou future (équipements électriques, chauffage, climatisation, réseau des sprinklage, nappe haute et nappe basse, ascenseurs, de PC sécurité, escalators, monte charges ?) » ; que ne figurait pas expressément à l'article 6.1 la réfection de la toiture ; qu'en condamnant la société LMNJ 2 à contribuer aux charges relatives à la toiture et à la climatisation, sans rechercher comme elle y était invitée, si les stipulations expresses du contrat de bail commercial mettaient à la charge du locataire les travaux de toiture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103 nouveau du code civil, anciennement 1134 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 1720 et 1754 du code civil :
9. Il résulte de ces textes que le bailleur, à qui incombe la charge des travaux de réparations, autres que celles locatives, qui intéressent la structure et la solidité de l'immeuble loué, peut, par une clause claire et précise dont la portée doit être interprétée restrictivement, en transférer la charge au preneur.
10. Pour condamner la locataire à contribuer aux dépenses relatives aux travaux de réfection de la toiture du centre commercial, l'arrêt retient, d'une part, que le bail liant les parties met à la charge du preneur une contribution aux charges des parties communes et d'utilité collective, et notamment les réparations et remplacements des équipements du centre commercial, d'autre part, qu'une telle clause est licite.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si une clause claire et précise mettait à la charge de la locataire les travaux de réfection de la toiture du centre commercial, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule le commandement de payer délivré le 7 octobre 2015 et rejette la demande en dommages et intérêts formée par la société LMNJ 2, l'arrêt rendu le 6 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux