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Décisions

Cass. 3e civ., 20 avril 2023, n° 21-24.848

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Aix-en-Provence, du 30 sept. 2021

30 septembre 2021

 

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 septembre 2021) et les productions, le 26 janvier 2012, la société civile immobilière CLM Invest (la SCI) a donné à bail commercial à la société Châteaudis (la locataire) des locaux à usage de supermarché dépendant d'un centre commercial.

 

2. Une ordonnance du 10 juillet 2014 a désigné, en référé, un expert aux fins d'examen de divers désordres affectant le centre commercial.

 

3. Le 22 novembre 2016, la locataire a assigné la SCI en indemnisation de préjudices consécutifs aux manquements contractuels imputés à celle-ci.

 

4. Un jugement du 25 juillet 2017 ayant placé la locataire en liquidation judiciaire, la société Les Mandataires, agissant en qualité de liquidateur, a repris l'instance.

 

Examen des moyens

 

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

 

Enoncé du moyen

 

5. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour la perte de chiffre d'affaires, alors :

 

« 2°/ que la responsabilité civile exige, pour être retenue, la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux ; qu'à défaut d'existence de l'une des trois conditions cumulatives, elle n'est pas engagée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'expert avait retenu plusieurs désordres, « notamment l'absence de commercialisation de la cellule d'entrée du centre commercial, le non-respect des horaires d'ouverture, le défaut d'éclairage du site » ; que « s'agissant de l'absence de commercialisation de la cellule d'entrée du centre commercial, l'expert n'en a pas tenu compte pour évaluer le préjudice de la Sas Châteaudis, que s'agissant du non-respect des horaires d'ouverture (?) le premier juge à ce sujet a justement retenu l'analyse de M. [V] selon lequel, si la perte de marge liée au non-respect du règlement intérieur des autres commerçants a un lien de causalité avec la fermeture du mercredi, la baisse constatée, néanmoins est largement compensée par une fréquentation accrue les autres jours » ; qu'il résultait de ces constatations que les manquements contractuels relevés par l'expert, tenant à l'absence de commercialisation de la cellule d'entrée du centre commercial et au non-respect des horaires d'ouverture, n'avaient causé aucun préjudice financier à la société Châteaudis ; qu'en condamnant néanmoins la société CLM Invest à payer à la société Châteaudis la somme de 106 255 euros « correspondant au préjudice réel subi par cette société du fait du manquement du bailleur à ses obligations contractuelles », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;

 

3°/ que la responsabilité civile exige, pour être retenue, la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux ; qu'à défaut d'existence de l'une des trois conditions cumulatives, elle n'est pas engagée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'expert avait retenu plusieurs désordres, « notamment l'absence de commercialisation de la cellule d'entrée du centre commercial, le non-respect des horaires d'ouverture, le défaut d'éclairage du site » ; que « s'agissant du défaut d'éclairage du site constaté par l'expert, le premier juge, à juste titre, en a attribué l'imputabilité au bailleur et il a de la même manière, à bon droit, considéré que la société bailleresse n'a pas procédé à l'entretien diligent des extérieurs du centre commercial, à savoir les parkings, espaces verts et conteneurs à ordures ; que le premier juge a en conséquence justement déduit des éléments précédemment exposés que les défauts d'entretien étaient constitutifs de manquements contractuels, quand bien même ils ne pourraient pas être directement corrélés à une baisse d'activité chiffrable pour l'exploitant » ; qu'il résultait de ces constatations l'absence de tout lien de causalité entre le manquement contractuel relevé par l'expert, tenant au défaut d'éclairage du site, et le prétendu préjudice financier subi par la société Châteaudis ; qu'en condamnant néanmoins la société CLM Invest à payer à la société Châteaudis la somme de 106 255 euros « correspondant au préjudice réel subi par cette société du fait du manquement du bailleur à ses obligations contractuelles », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

 

5. Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

 

6. Pour condamner la SCI au paiement d'une certaine somme au titre de la perte de chiffre d'affaires, l'arrêt retient que celle-ci correspond au préjudice réel subi par la locataire du fait du manquement du bailleur à ses obligations contractuelles.

 

7. En se déterminant ainsi, après avoir retenu, d'une part, que ni l'absence de commercialisation de la cellule d'entrée du centre commercial, ni le non-respect des horaires d'ouverture n'avaient entraîné de préjudice, d'autre part, que le défaut d'éclairage et d'entretien du site étaient constitutifs de manquements contractuels quand bien même ils ne pourraient être directement corrélés à une baisse d'activité chiffrable pour l'exploitant, la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune faute de la SCI en relation de cause à effet avec le préjudice indemnisé, n'a pas donné de base légale à sa décision.

 

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

 

Enoncé du moyen

 

8. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au titre des manquements à ses obligations contractuelles et en retournement des pénalités prévues au règlement intérieur du centre commercial, alors « que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ; qu'en l'espèce, l'article 3.1 du règlement intérieur du centre commercial stipulait : « L'application du présent règlement est confiée au bailleur (?). Pénalités : Toute infraction au présent règlement intérieur sera sanctionnée par une pénalité forfaitaire et irréductible fixée à un trentième (1/30) du loyer mensuel, tant que l'infraction se poursuivra ou se renouvellera. Cette pénalité sera doublée si elle sanctionne une infraction : - aux règles de la continuité annuelle d'ouverture, telle que définies ci-dessus, - à celle s'appliquant aux journées d'ouverture pendant la semaine et aux horaires pendant lesdites journées, - aux prescriptions concernant l'éclairage de la vitrine et des enseignes, - aux règles concernant les soldes, promotions, coups de balai. Ces pénalités seront versées au bailleur » ; qu'en condamnant la société CLM Invest à payer à la société Châteaudis, représentée par Me [O] [T], ès-qualités, les sommes de 42 933,24 euros de dommages et intérêts au titre des manquements à ses obligations contractuelles et en retournement des pénalités prévues au règlement intérieur du centre commercial dans lequel se situait le local loué, au motif que « le principe du retournement des pénalités stipulées au contrat a lieu de s'appliquer en ce qu'il découle de l'application du principe de bonne foi dans l'exécution des contrats visé à l'article 1104 du code civil », la cour d'appel a violé l'article 1134 (devenu 1103 et 1104) du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

 

9. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

 

10. Pour condamner la SCI à payer à la locataire des pénalités stipulées par le règlement intérieur du centre commercial au seul profit du bailleur, l'arrêt retient que le principe du « retournement » des pénalités stipulées au contrat a lieu de s'appliquer en ce qu'il découle de l'application du principe de bonne foi dans l'exécution des contrats.

 

11. En statuant ainsi, alors que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à modifier les droits et obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile immobilière CLM Invest à payer à la société Châteaudis la somme de 106 255 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de chiffre d'affaires pour l'ensemble de la période du bail liant les parties et la somme de 42 933,24 euros de dommages et intérêts au titre des manquements à ses obligations contractuelles et en retournement des pénalités prévues au règlement intérieur du centre commercial, l'arrêt rendu le 30 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

 

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.