Cass. 2e civ., 17 mai 2023, n° 21-24.494
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Thouin-Palat et Boucard
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 avril 2021) et les productions, par acte sous seing privé du 6 avril 1992, la Compagnie foncière du Loiret a conclu un "bail de locaux commerciaux et industriels" portant sur un appartement dépendant d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, situé à Nice, le preneur s'engageant à ne pouvoir exercer dans les lieux loués que le commerce d'hôtel meublé.
2. Le 3 mai 2007, la société Hôtel Mono, venant aux droits du preneur, (le preneur) a reçu notification du procès-verbal de la commission communale de sécurité du 2 avril 2007 émettant un avis favorable à sa demande de reclassement de l'établissement hôtelier en habitation, radiant l'établissement de la liste des établissements recevant du public et l'invitant à adresser une copie de la notification au bailleur.
3. Un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 7 octobre 2010 a confirmé la fixation du montant annuel du loyer sur renouvellement au 1er juillet 2001 des locaux à usage d'hôtel meublé.
4. Auparavant, le 21 décembre 2009, la société Largier-Giraud immobilier, venant aux droits du bailleur, (le bailleur) a signifié à la société preneuse un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction à effet au 30 juin 2010.
5. Le 23 juillet 2013, la société Mono, venant aux droits de la société Hôtel Mono, (le preneur) a assigné le bailleur en nullité du congé du 21 décembre 2009, et en paiement d'une indemnité d'éviction, et en fixation d'une indemnité d'occupation annuelle de 4 900 euros.
6. Par jugement du 20 janvier 2015, devenu irrévocable, le tribunal de grande instance de Nice a dit que le congé du 21 décembre 2009 n'était pas fondé et qu'il valait comme refus de renouvellement du bail commercial à charge pour le bailleur de payer une indemnité d'éviction à la société Mono, a ordonné une expertise en vue de l'évaluation de l'indemnité d'éviction, et a condamné le preneur à payer au bailleur, à compter du 1er juillet 2010, une indemnité mensuelle d'occupation.
7. Le 12 octobre 2015, le bailleur a signifié au preneur un commandement "de cesser toute sous-location des locaux donnés à bail et de se mettre en conformité avec les clauses et conditions du bail et notamment la clause de destination du bail".
8. Le 12 octobre 2016, le bailleur a assigné le preneur pour qu'il soit mis fin à son droit au maintien dans les lieux et que soit ordonnée son expulsion.
9. La société Largier-Giraud immobilier a interjeté appel du jugement ayant déclaré irrecevables ses demandes et déclaré nul le commandement du 12 octobre 2015.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
10. La société Largier-Giraud immobilier fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, de déclarer le commandement du 12 octobre 2015 de nul effet et de la débouter de ses demandes plus amples ou contraires et de toutes ses demandes, alors :
« 1°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même et qu'elle soit fondée sur la même cause ; que le juge ayant statué par le jugement du 20 janvier 2015 était saisi d'une demande de l'exposante en validité du congé délivré le 21 décembre 2009 avec refus de renouvellement et sans indemnité d'éviction, tandis que les juges du fond ayant statué par les jugement du 21 janvier 2019 et arrêt du 8 avril 2021 étaient saisis d'une demande en déchéance du droit au maintien dans les lieux par le jeu de la clause résolutoire, ce dont il résulte que les choses demandées lors de ces deux procédures étaient distinctes ; qu'en considérant cependant, par motifs éventuellement adoptés, que la chose demandée par l'exposante était la même que celle sollicitée lors du précédent jugement, dès lors qu'à l'époque, ses demandes « poursuivaient le même but qu'à présent, soit l'expulsion de la société Mono et l'absence de versement d'une indemnité d'occupation [lire d'éviction] », pour en déduire que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision des premiers juges faisait obstacle aux demandes soumises aux seconds, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même et qu'elle soit fondée sur la même cause ; que le juge ayant statué par le jugement du 20 janvier 2015 était saisi d'une demande de l'exposante en validité d'un congé donné sur le fondement de l'inexécution, par le preneur, pendant la durée d'exécution du bail, de travaux d'entretien, tandis que les juges du fond ayant statué par les jugement du 21 janvier 2019 et arrêt du 8 avril 2021 étaient saisis d'une demande en déchéance du droit au maintien dans les lieux fondée sur le non-respect, postérieurement à l'expiration du bail, de la destination du bail commercial, ce dont il résulte que les causes fondant les demandes dans les deux procédures étaient distinctes ; qu'en décidant le contraire, par motifs éventuellement adoptés, pour en déduire que l'autorité de la chose jugée par les premiers juges faisait obstacle aux demandes soumises par l'exposante aux seconds, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
3°/ qu'en toute hypothèse, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; que la violation de ses obligations contractuelles par l'une des parties, postérieurement à une décision dotée de l'autorité de la chose jugée, constitue un événement postérieur à cette décision modifiant la situation reconnue en justice, peu important que des violations similaires aient été commises antérieurement à cette décision ; qu'en se bornant à énoncer que le bailleur avait eu connaissance avant le jugement du 20 janvier 2015 des faits qu'il invoquait, sans rechercher si la circonstance que le preneur ait exploité, postérieurement au jugement du 20 janvier 2015, les locaux en violation de la clause de destination du bail commercial ne constituait pas, à elle-seule, un événement postérieur à cette décision venu modifier la situation reconnue en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil ;
4°/ qu'en tout état de cause, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'il est constant que l'exposante invoquait l'existence d'un événement révélé à elle postérieurement au jugement du 20 janvier 2015, à savoir le non-respect par le preneur de la destination du bail commercial ; que pour retenir que le bailleur avait manifestement connaissance de cet événement avant le jugement du 20 janvier 2015, la cour d'appel s'est fondée sur un avis de la commission communale de sécurité de la ville de Nice du 2 avril 2007, dont elle n'a jamais constaté que l'exposante en avait eu connaissance, et sur deux précédentes décisions rendues dans une précédente procédure en fixation des loyers, dont elle a constaté qu'elles se référaient systématiquement à « l'hôtel » ou « l'hôtel meublé » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la connaissance par le bailleur, avant le jugement du 20 janvier 2015, du non-respect, par le preneur, de la destination du bail commercial, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
5°/ qu'en tout état de cause, pour retenir que le bailleur avait manifestement connaissance dudit événement avant le jugement du 20 janvier 2015, la cour d'appel s'est fondée, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, sur la connaissance de l'événement par le juge ayant rendu le jugement du 20 janvier 2015, et non par l'exposante ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la connaissance par le bailleur, avant le jugement du 20 janvier 2015, et avant la délivrance du congé du 21 décembre 2009, du non-respect, par le preneur, de la destination du bail commercial, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
12. Selon l'article 480 du code de procédure civile, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.
13. Ayant constaté, d'une part, par motifs adoptés, que, dans l'instance ayant abouti au jugement du 20 janvier 2015 et dans celle introduite par l'assignation du 12 octobre 2016, la chose demandée par le bailleur était la même dès lors que ses prétentions poursuivaient le même but, soit l'expulsion du preneur et l'absence de versement d'une indemnité d'éviction, l'identité de cause résultant de ce qu'il fondait sa demande dans les deux procédures sur un moyen de droit identique tiré de l'inexécution contractuelle de ses obligations par le preneur, d'autre part, que le bailleur n'avait pas interjeté appel du jugement du 20 janvier 2015 ayant relevé que, depuis 2007, les locaux avaient fait l'objet d'un classement en habitation, faisant par là-même ressortir qu'il s'agissait d'un fait constant pour les parties, la cour d'appel a pu en déduire que le bailleur avait connaissance de l'élément prétendument nouveau tiré de la violation, par le preneur, de la destination du bail et de l'interdiction de sous-location, et que ses demandes se heurtaient à l'autorité de la chose précédemment jugée.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.