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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 17 février 2023, n° 20/07234

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

NORD-SUD (SARL)

Défendeur :

PARGAL (SC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme RECOULES

Conseiller :

M. BERTHE

Avocats :

Me ETEVENARD, Me HITTINGER-ROUX, Me GUYONNET, SELAS CGR AVOCATS

Paris, du 3 mars 2020

3 mars 2020

Par acte sous seing privé en date du 31 janvier 2002, la société civile Pargal a donné à bail commercial à la société Nord-Sud des locaux au sein de la galerie des Champs élysées, [Adresse 3], soit un emplacement de boutique de prêt-à-porter au niveau 2 (rez-de-chaussée) de la galerie et deux réserves situées au 2e sous-sol, pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel de 373.164,70 euros HT et HC.

 

Le local occupé par la société Nord-Sud est situé devant l'escalator emprunté par les clients en provenance des boutiques du sous-sol, notamment ceux du magasin H&M, définitivement fermé en janvier 2022, et en face d'un ascenseur à usage de monte-charge.

 

Le gérant de la société Nord-Sud exploitait déjà par l'intermédiaire d`une société Arysta une boutique en sous-sol selon bail du 23 avril 1998, renouvelé le 31 janvier 2008 pour une durée de douze années.

 

À partir de l'année 2009, la société Pargal a entrepris des travaux de rénovation et restructuration de la galerie incluant des opérations de désamiantage, faisant appel aux Ateliers Jean Nouvel (AJN).

 

Dans le cadre de ces travaux nécessitant la cessation de 1'activité du preneur et la restitution provisoire des lieux loués, les parties ont conclu le 13 juillet 2010 des protocoles d'accord :

 

' un protocole traitant des modalités de réalisation des travaux de rénovation, le preneur désengageant à libérer les locaux au plus tard le 28 février 2011 et le bailleur à lui verser la somme de 2.115.000 euros à titre d'indemnité et de participation financière aux travaux qu'il devait entreprendre pour se conformer au nouveau concept architectural ;

 

' un protocole de résiliation du bail à effet du 28 février 2011, le bailleur annulant la dette locative du preneur, d'un montant de 821.709,58 euros HT ;

 

' une convention de mise à disposition précaire et gratuite d'un local de remplacement au 1er sous-sol à compter du 10 novembre 2010 jusqu'au 31 juillet 2011.

 

Par acte du 13 juillet 2010, la société Pargal a consenti à la société Nord-Sud un nouveau bail commercial, à effet au 1er mai 2011, d'une durée de neuf ans, dont six ans fermes, portant sur le local commercial précédemment occupé au rez-de-chaussée, un local à usage de réserve n°20, deux vitrines exposition sur la rue de Berri à gauche de l'entrée de la Galerie et un emplacement de stationnement au 2e sous-sol.

 

Par avenant du 3 mars 2011, la date d'effet du bail a été reportée au 25 mai 2011, une surface complémentaire de 4,50 m2 a été adjointe aux locaux du rez-de-chaussée et le loyer de base a été ramené de 325.000 euros HT et HC à 290.000 euros HT et HC.

 

Outre le loyer de base de 200.000 euros HT et HC, le bail a prévu un loyer variable additionnel de 7 % de la tranche de chiffres d'affaires HT comprise entre 5.000.001 et 5.500.000 euros et de 10 % de la tranche HT supérieure à 5.500.000 euros, une franchise de loyers, charges, taxes et accessoires de 28 mois à compter de la prise d'effet du bail et une dispense de versement de dépôt de garantie moyennant une garantie bancaire à première demande.

 

De la même façon, les sociétés Pargal et Arysta ont conclu des accords transactionnels pour les locaux exploités en sous-sol, un nouveau bail étant consenti à la société Arysta le 13 juillet 2010 lequel a été résilié de manière anticipée le 5 février 2014 d'un commun accord.

 

La société Nord-Sud, se disant confrontée à une baisse de son chiffre d'affaires et de la rentabilité de son fonds de commerce en raison notamment d'une perte de visibilité de son magasin à la suite des travaux de restructuration, de l'absence du second flux de clientèle qui lui avait été promis, provenant du 1er sous-sol qui se trouve désertifié, d'une modification de ses locaux et d'un retard dans l'achèvement des travaux de désamiantage, a fait assigner, par acte du 14 novembre 2014, la société Pargal devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir principalement, aux termes de ses dernières écritures, sa condamnation sous astreinte à traiter en transparence les gardes-corps horizontaux situés en périphérie de la trémie d'escaliers et d'escalators au niveau du rez-de-chaussée, ainsi que les garde-corps horizontaux situés en galerie basse au départ des escalators, et ce, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, la condamnation de la société Pargal à lui verser la somme de 418.089 euros à titre de réparation du préjudice matériel subi, sauf à parfaire, celle de 20.000 euros en réparation du préjudice moral subi et de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

 

Par jugement du 3 mars 2020, le tribunal judiciaire de Paris a débouté la société Nord-Sud de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer à la société Pargal la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et a ordonné l'exécution provisoire.

 

La société Nord-Sud a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 10 juin 2020.

 

 

Moyens et prétentions en cause d'appel

 

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

 

Vu les conclusions récapitulatives de la société Nord-Sud, en date du 3 novembre 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris, statuer à nouveau, condamner la société Pargal à lui verser la somme de 90.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la perte de visibilité du fonds de commerce, à traiter en transparence les gardes-corps horizontaux situés en périphérie de la trémie d'escaliers et d'escalators au niveau du rez-de-chaussée, ainsi que les garde-corps horizontaux situés en galerie basse au départ des escalators, et ce, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, se réserver la liquidation de l'astreinte, condamner la société Pargal à lui verser la somme de 418.089 euros à titre de réparation du préjudice d'exploitation subi, sauf à parfaire, celle de 20.000 euros en réparation du préjudice moral subi, celle de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, en tout état de cause, débouter la société Pargal de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

 

Vu les conclusions récapitulatives de la société Pargal, en date du 5 décembre 2022, tendant à voir la cour confirmer le jugement entrepris, débouter l'appelante de ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée.

 

Discussion

 

à l'appui de ses demandes de dommages-intérêts, le preneur invoque successivement des manquements à l'obligation contractuelle d'installer des garde-corps transparents, à l'obligation de délivrance, à savoir celle d'assurer un environnement commercial favorable, à l'obligation de ne pas modifier la forme de la chose louée, à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat, et enfin un dol et un manquement à l'obligation pré-contractuelle d'information, lesquels seront examinés en premier lieu.

 

Sur l'existence d'un dol pré-contractuel :

 

En l'absence de demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat prévue à l'article 1116 du code civil dans sa rédaction alors applicable, il n'y a pas lieu d'examiner ce moyen.

 

Sur le manquement à l'obligation pré-contractuelle d'information :

 

L'appelante soutient que la bailleresse l'a trompée sur un élément déterminant de son consentement avant la conclusion du contrat de bail du 13 juillet 2010, à savoir l'existence d'un second flux de clientèle abondant remontant du sous-sol de la galerie par l'escalator situé devant l'entrée de la boutique et provenant de la sortie principale du magasin H&M en sous-sol et de la sortie unique des boutiques situées au sous-sol de la galerie marchande, vanté en cours des négociations pré contractuelles, montré sur une vidéo dont un CD-rom lui a été remis à l'issue de son visionnage, manquement de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

 

Cependant, comme l'a relevé le premier juge et comme le soutient l'intimée, le CD-rom de simulation dont se prévaut le preneur rappelle expressément qu'il ne s'agit pas d'un document contractuel. S'il met en scène des personnes quittant le sous-sol et remontant l'escalator pour accéder au rez-de-chaussée et fait figurer des boutiques achalandées au niveau R-1, il ne fait pas pour autant la promotion d'un accroissement de la clientèle après travaux, de sorte que ce flux n'était pas entré ni le champ contractuel ni dans le cadre des négociations et que l'appelante n'apporte la preuve d'aucun manquement à l'obligation pré-contractuelled'information du bailleur.

 

Sur le manquement à l'obligation contractuelle d'installer des garde-corps transparents :

 

L'appelante expose avoir constaté après la signature des accords du 13 juillet 2010 une perte de visibilité de sa boutique au rez-de-chaussée du fait de la mise en place de garde-corps partiellement transparents autour de la trémie de l'escalier située devant l'entrée du magasin et totalement opaques autour des rampes des escalators, alors que le bail stipule à l'article 11-12 des conditions particulières : « la société Pargal s'engage à ce que les garde-corps horizontaux situés en périphérie de la trémie d'escaliers et d'escalators au niveau du rez-de-chaussée, à l'exception du linéaire de garde-corps situé dans l'axe de la sortie de secours vers la [Adresse 5] soient traités en transparence d'ici fin 2010. Il en sera de même des garde-corps horizontaux situés en galerie basse au départ des escalators, sous réserve de l'obtention de l'accord de l'architecte » et soutient que la bailleresse ne justifie pas du refus de l'architecte Jean Nouvel.

 

La cour fait sienne l'appréciation du premier juge qui a estimé que le courriel de la société d'architectes SRA en date du 18 août 2010 établissait à suffisance le refus de Jean Nouvel de vitrer totalement les garde-corps de sorte qu'ainsi que le relève la bailleresse, la condition de son accord étant défaillie, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé.

 

Par ailleurs, le preneur n'est pas fondé à invoquer une perte de visibilité et l'existence d'un préjudice de 90.000 euros en résultant, liée à la présence de ces garde-corps puisque ceux-ci pré-existaient à la signature du bail.

 

Sur le manquement à l'obligation de délivrance prise en son obligation de commercialité :

 

Aux termes des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et 1719 du même code, le bailleur d'un local situé dans un centre commercial est tenu de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose, de servir à son usage, en ce inclus les parties communes accessoires nécessaires de la chose louée, d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant toute la durée du bail et d'exécuter de bonne foi ses obligations.

 

Le bailleur rappelle que la commercialité de la galerie n'est pas entrée dans le champ contractuel et qu'il a cherché à commercialiser les locaux vacants de la galerie.

 

Le preneur soutient, en substance, que le contrat de bail dans un centre commercial étant de nature atypique, il convient d'en déterminer les obligations essentielles, que l'environnement commercial et la clientèle du preneur étant alors sous la dépendance et la maîtrise exclusive du bailleur, celui-ci, corrélativement, a l'obligation de faire ses meilleurs efforts afin d'assurer au preneur un environnement commercial favorable. Il invoque divers manquements à cette obligation, tels que, notamment, la durée excessive des travaux de la pharmacie voisine, de ceux de désamiantage, la désertification du niveau inférieur de la galerie, la signature de baux précaires, l'installation de kiosques éphémères.

 

Cependant, à défaut de stipulations particulières du bail, il est de principe (3e Civ., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-14.423, 20-16.570, publié), comme le rappelle l'intimée que le bailleur n'est pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre. Toutefois, il peut engager sa responsabilité, s'il manque à des obligations résultant de stipulations contractuelles particulières.

 

Le preneur ne mentionnant pas l'existence de stipulations contractuelles particulières relatives à la bonne commercialité de la galerie, ce moyen n'est pas fondé, étant ajouté que le bailleur a satisfait à son obligation de moyen de commercialiser les locaux vacants en confiant, le 2 juin 2014, à la société Cushman & Wakefield un mandat de commercialisation de la galerie basse, et, le 13 septembre 2016, un mandat, renouvelé en 2017, de recherche de locataire à la société Locaparis chargée de la gestion de la galerie, mandats qui ont abouti à la conclusion de plusieurs baux.

 

Sur l'absence de cause du bail s'agissant d'une partie des locaux loués :

 

Le preneur soutient encore que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance puisqu'une surface de 34 m² ne peut servir que de réserve et non de surface de vente en raison de la présence de marches la rendant inaccessible aux personnes handicapées, que ces travaux de mise en conformité sont à la charge du bailleur.

 

La cour relève, comme le premier juge et l'intimée, que le preneur avait connaissance de la configuration des locaux au moment de la signature et qu'aux termes de l'article 14.5 des conditions générales du contrat les travaux de mise en conformité étaient à la charge du preneur.

 

Sur le manquement du bailleur à son obligation de ne pas modifier sans l'accord du preneur la forme de la chose louée :

 

à l'appui de ce moyen fondé sur l'article 1723 du code civil, le preneur évoque que, sans son accord, le bailleur a mis en place un ascenseur dissimulant la devanture de son magasin, diminué en hauteur la vitrine donnant sur l'accès situé [Adresse 4] et condamné une deuxième porte donnant sur la [Adresse 5].

 

Cependant, l'ont relevé tant le premier juge que le bailleur,l'ascenseur préexistait au bail, l'abaissement des vitrines du centre résulte de la charte architecturale des Ateliers Jean Nouvel, annexée au bail et le preneur n'établit pas que l'accès [Adresse 5] a été supprimé, à supposer que son existence entre dans le champ contractuel.

 

Sur l'exécution de mauvaise foi du bail :

 

Le preneur soutient qu'en organisant délibérément la désertification totale et durable du premier sous-sol de la galerie, en refusant toute diminution des loyers et charges devenus exorbitants et en usant de façon déloyale de ses prérogatives contractuelles relatives aux travaux de rénovation, le bailleur a exécuté de mauvaise foi le contrat et doit indemniser la société Nord-Sud de son préjudice.

 

Ainsi que le rappelle l'intimée, le versement au preneur au titre du protocole du 13 juillet 2010 d'une indemnité d'un montant de 2.115.000 euros afin de mettre en conformité ses locaux, l'annulation de la dette locative à hauteur de la somme de 821.709,58 euros HT, la mise à sa disposition à titre gratuit d'un local de remplacement pendant la durée des travaux de restauration de la galerie du rez-de-chaussée, le fait de consentir une franchise de loyer, charges et taxes d'une durée de 28 mois dans le cadre du nouveau bail soit à hauteur de la somme de 676.666 euros HT/ HC, outre la baisse du loyer annuel originairement fixé à hauteur de la somme de 325.000 euros HT et HC et ramené à celle de 290.000 euros HT et HC, cette liste n'étant pas exhaustive, excluent, ainsi que l'a justement observé le premier juge et que le rappelle l'intimée, toute mauvaise foi du bailleur dans l'exécution du contrat, étant observé, ainsi qu'il a été dit plus haut, que le bailleur n'a pas l'obligation de garantir la commercialité des lieux loués à défaut de stipulations contractuelles particulières et que le CD-Rom de démonstration ne constitue pas un engagement contractuel de l'existence d'un flux de clients en provenance de la galerie basse.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

 

Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.

 

L'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à l'intimée, en application de ces

 

PAR CES MOTIFS

 

LA COUR,

 

Confirme le jugement ;

 

Y ajoutant,

 

Condamne la société Nord-Sud à payer à la société Pargal la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

 

Condamne la société Nord-Sud à supporter la charge des dépens.