CA Pau, 2e ch. sect. 1, 5 janvier 2023, n° 20/01242
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
OPEN SUD GESTION (SA)
Défendeur :
TULLIETS (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, SELARL ASTREA, Me BORNENS
La société anonyme Open sud gestion exploite un fonds de commerce d'hébergements en résidence de tourisme, comprenant des villas et des appartements meublés, dépendant de plusieurs ensembles immobiliers sis à [Localité 5] (40), pris à bail commercial dans le cadre d'un investissement défiscalisé réalisé par les propriétaires.
Par acte sous seing privé du 23 juin 1999, la SCI Tulliets a ainsi donné à bail commercial à la société Open sud gestion un lot, devenu n°916, dépendant de l'ensemble immobilier Club royal océan, constitué d'une villa de 5 pièces avec terrain de 1135 m², terrasse et piscine.
Par acte sous seing privé du 1er juillet 2010, les parties ont régularisé un nouveau bail, portant sur les mêmes locaux, expirant le 30 septembre 2018, moyennant un loyer annuel de 11.550 euros TTC.
Par acte d'huissier du 22 mars 2018, la SCI Tulliets a donné congé au 30 septembre 2018, avec refus de renouvellement et « offre d'indemnité d'éviction à déterminer ».
Le 20 septembre 2018, la société Open sud gestion a pris acte du congé et réclamé une indemnité d'éviction principale de 99.251,03 euros égale au montant cumulé des trois derniers chiffres d'affaires réalisés sur la villa louée.
A défaut d'accord amiable, et suivant exploit du 30 octobre 2018, la SCI Tulliets a fait assigner la société Open sud gestion par devant le tribunal de grande instance de Dax en dénégation du statut et expulsion, et, subsidiairement, en fixation d'une indemnité d'éviction calculée sur la base du chiffre d'affaire d'une année.
Par jugement contradictoire du 27 mai 2020, le tribunal judiciaire de Dax a :
- validé le congé délivré par la SCI Tulliets
- ordonné l'expulsion de la société Open sud gestion ainsi que celle de tout occupant de son chef, sans délai à compter de la signification du présent du jugement et si nécessaire avec l'assistance de la force publique, de la villa n°916 appartenant à la SCI Tulliets
- dit que cette expulsion se fera avec le concours de la force publique si besoin, et sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'une semaine à compter de la signification du présent jugement durant une période de 30 jours
- dit que la société Open sud gestion occupe sans droit ni titre les lieux depuis le 1er octobre 2018
- condamné la société Open sud gestion à verser à la SCI Tulliets une indemnité d'occupation mensuelle équivalente au montant du loyer mensuel contractuel au 30 septembre 2018
- dit que cette indemnité d'occupation est due à compter du 1er octobre 2018 jusqu'à la libération effective des lieux
- condamné la SCI Tulliets à payer à la société Open sud gestion la somme de 31.134,57 euros au titre de l'indemnité d'éviction
- condamné la société Open sud gestion aux dépens, outre le paiement d'une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le jugement a été signifié le 12 juin 2020 à la société Open sud gestion.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 22 juin 2020, la société Open sud gestion a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 23 septembre 2020, le premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.
La SCI Tulliets a réglé les causes du jugement assorti de l'exécution provisoire.
Le 29 octobre 2020, la société Open sud gestion a restitué les lieux loués, « aux risques et périls » du bailleur.
Le 15 décembre 2020, la SCI Tulliets a formé un appel incident.
Le 23 février 2021, la SCI Tulliets a vendu le local loué.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 octobre 2022.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022 par la société Open sud gestion qui a demandé à la cour, au visa des articles L145-1, L145-9, L145-14, L145-28, L145-29 du code de commerce, 1134 et 1156 anciens du code civil, d'infirmer le jugement entrepris, sauf sur le principe du droit à une indemnité d'éviction, et statuant à nouveau de :
- débouter la SCI Tulliets de ses demandes
- fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 117.000 euros et condamner la SCI Tulliets au paiement de ladite indemnité
- subsidiairement, ordonner une expertise, aux frais avancés du bailleur, aux fins de chiffrer l'indemnité d'éviction
- condamner la SCI Tulliets à lui payer :
- une somme de 52.000 euros au titre du préjudice qu'elle a subi entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022, du fait de la privation de jouissance et la dépossession des lieux et des pertes d'exploitation qui en découlent
- à compter du 1er janvier 2023 et jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, une somme de 2.166 euros par mois en réparation du préjudice qu'elle subit du fait de la privation de jouissance et la dépossession des lieux et des pertes d'exploitation qui en découlent
- en cas d'expertise sur les pertes d'exploitation, ordonnée par la cour, condamner alors la SCI Tulliets à lui payer une provision de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article L145-28 du code de commerce et surseoir à statuer sur le surplus
- fixer l'indemnité d'occupation due par la société Open sud gestion jusqu'au 29 octobre 2020 au même montant que celui du loyer contractuel au 30 septembre 2018, date d'effet du congé, sans indexation, outre un coefficient de précarité de 30 % et débouté la SCI Tulliets de toute demande plus ample ou contraire
- débouter la SCI Tulliets de son appel incident tendant à voir dire que la société Open sud gestion est privée de son droit à indemnité d'éviction pour manquement prétendu à ses obligations contractuelles
- débouter la SCI Tulliets de sa demande de paiement de la somme de 5.979,26 euros à titre de rappel de loyer et d'indexation
- rejeter toute demande de la SCI Tulliets au titre du rappel d'indexation, au delà de la somme de 1.818,50 euros
- débouter la SCI Tulliets de sa demande de paiement de la somme de 35.200 euros au titre de la conservation abusive des clés
- condamner la SCI Tulliets à lui rembourser la somme de 1.917,10 euros au titre du trop-perçu sur indemnité d'occupation
- ordonner la compensation entre ladite somme et tout arriéré d'indexation dont la société Open sud gestion pourrait être déclarée redevable
- condamner la SCI Tulliets au paiement d'une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2020 par la SCI Tulliets qui a demandé à la cour, au visa des articles L145-8 et L145-14 du code de commerce, d'infirmer le jugement sur le principe de l'indemnité d'éviction, et statuant à nouveau, de :
A titre principal :
- juger que la société Open sud gestion a manqué à ses obligations contractuelles en s'abstenant de payer les indemnités d'occupation dues au bailleur
- juger que la société Open sud gestion doit être privée de son droit à indemnité d'éviction
- condamner la société Open sud gestion à lui restituer l'indemnité d'éviction majorée des intérêts au taux légal depuis le 2 juillet 2020.
A titre subsidiaire :
- juger que la société Open sud gestion est fondée à percevoir une indemnité d'éviction dont le montant sera fixé à la somme de 31.137,57 euros.
En toutes hypothèses :
- condamner la société Open sud gestion à lui payer :
- sa dette locative de 5.979,26 euros
- la somme de 35.200 euros au titre de la conservation abusive des clés
- débouter la société Open sud gestion de ses demandes
- confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles de première instance
- condamner la société Open sud gestion à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
MOTIFS
sur la déchéance du droit au paiement d'une indemnité d'éviction
La disposition du jugement ayant validé le congé délivré par la SCI Tulliets n'est pas remise en cause par l'appelante, tandis que, à hauteur d'appel, la SCI Tulliets n'a pas repris son moyen, rejeté par le jugement, tiré de la dénégation du statut des baux commerciaux pour défaut d'immatriculation du locataire au registre du commerce et des sociétés.
La société Open sud gestion fait justement valoir que c'est à tort que le jugement, après avoir reconnu son droit à indemnité d'éviction, a ordonné son expulsion en violation de son droit statutaire au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction conformément aux dispositions de l'article L. 145-28 du code de commerce.
A hauteur d'appel, la SCI Tulliets a conclu à la confirmation de la disposition ayant ordonné l'expulsion de la société Open sud gestion en demandant la déchéance du droit au paiement d'une indemnité d'éviction pour manquement à l'obligation essentielle de payer l'indemnité d'occupation due à compter du 1er octobre 2018.
En droit, l'article L. 145-28 du code de commerce dispose qu'aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.
Selon ce texte, l'indemnité d'occupation est calculée sur la base de la valeur locative des locaux loués.
Cependant, elle est réputée fixée à la valeur du dernier loyer payé en l'absence de fixation, conventionnelle ou judiciaire, en application de l'article L. 145-28 et, le droit au maintien dans les lieux s'exerçant aux clauses et conditions du bail expiré, le locataire reste tenu de régler l'indemnité d'occupation, qui se substitue de plein droit au loyer, sans que le bailleur soit tenu d'en faire la demande.
En revanche, sauf clause expresse prévoyant sa mise en jeu en cas de non paiement de l'indemnité d'occupation, le bailleur ne peut délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire pour non-paiement de l'indemnité d'occupation.
En tout cas, le bailleur peut invoquer toute infraction aux clauses du bail expiré, qui survit pour fonder le titre légal d'occupation, contre le locataire maintenu dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction, sous peine de résiliation du bail entraînant la déchéance de son droit à indemnité d'éviction.
Mais, la résiliation du bail, comme la déchéance du droit à indemnité d'éviction, lorsque celle-ci est seulement poursuivie par le bailleur, nécessite de caractériser un manquement grave aux clauses du bail expiré.
En l'espèce, en l'absence de clause en ce sens, la SCI Tulliets a délivré un commandement de payer en date du 26 mai 2020 visant à tort la clause résolutoire pour le paiement de l'indemnité d'occupation du 1er trimestre 2020 d'un montant de 2.887,50 euros.
Les causes du commandement ont été régularisées dès le 23 juin 2020.
Il est exact que l'indemnité d'occupation des deuxième et troisième trimestres 2020 n'a pas été payée à son échéance mais a fait l'objet d'une régularisation en septembre et octobre 2020.
Cependant, ces retards de paiement, rapidement régularisés, survenus dans le contexte de la fermeture administrative de l'établissement du fait de la pandémie du covid 19, ne revêtent pas un caractère de gravité justifiant une déchéance du droit au paiement de l'indemnité d'éviction, peu important même le non-paiement des frais d'huissier du commandement de payer.
En outre, la société Open sud gestion justifie avoir, par erreur, en juillet 2020, payé une seconde fois l'indemnité d'occupation du 1er trimestre 2020.
C'est donc à tort que la SCI Tulliets invoque également un défaut de paiement de l'indemnité d'occupation d'un montant de 900,40 euros, pour la période du 30 septembre au 29 octobre 2020, date de la restitution des clés alors que, après imputation sur le trop-perçu, c'est la société Open sud gestion qui est créancière d'une somme de 1.987,10 euros.
Il résulte de l'ensemble des constatations qui précèdent que la SCI Tulliets doit être déboutée de sa demande de déchéance du droit à indemnité d'éviction.
La SCI Tulliets sera condamnée à payer à la société Open sud gestion la somme de 1.987,10 euros.
Et, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré la société Open sud gestion occupante sans droit ni titre à compter du 1er octobre 2018 et ordonné son expulsion des lieux loués.
sur la fixation de l'indemnité d'occupation
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, et en l'absence de convention contraire, l'indemnité d'occupation doit correspondre à la valeur locative des locaux loués.
En l'espèce, la société Open sud gestion entend voir limiter l'indemnité d'occupation au montant du loyer conventionnel dû au 1er octobre 2018, sans indexation postérieure, et en lui appliquant un abattement de précarité de 30 %.
La SCI Tulliets n'a pas conclu sur la disposition du jugement ayant condamné la société Open sud gestion à lui payer une « indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer mensuel contractuel au 30 septembre 2018 ».
Il se déduit seulement de sa demande formée au titre du paiement de l'arriéré d'indexation que l'indemnité d'occupation doit, selon l'intimée, être indexée annuellement conformément à la clause d'échelle mobile insérée dans le bail expiré.
Cependant, la disposition du jugement ayant fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer du bail expiré au 30 septembre 2018, dont il résulte que toute indexation postérieure est exclue, s'impose à la SCI Tulliets qui n'a pas formé un appel incident de ce chef.
S'agissant de la précarité du maintien dans les lieux, le congé délivré par la SCI Tulliets n'a eu aucune incidence sur l'exploitation du fonds de commerce, la société Open sud gestion ayant poursuivi la commercialisation des séjours de la villa louée, sans aucune altération de ses moyens de production ni charges indues, jusqu'à son départ des lieux en octobre 2020.
Par conséquent, et pour les motifs qui précèdent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer mensuel du bail expiré au 30 septembre 2018.
sur la créance d'indexation des loyers
La SCI Tulliets demande le paiement de la somme de 5.979,26 euros au titre du rappel de l'indexation annuelle des loyers et indemnités d'occupation, en application de la clause d'échelle mobile, à compter de l'année 2016 jusqu'au 29 octobre 2020.
Mais, d'abord, pour les motifs ci-avant exposés, il n'y a pas lieu d'indexer l'indemnité d'occupation due à compter du 1er octobre 2018.
Ensuite, l'appelante conteste à juste titre le calcul de l'indexation annuelle des loyers fait par l'intimée en éludant la clause d'échelle mobile insérée dans le bail qui joue, non pas le 1er janvier de chaque année, mais à la date anniversaire du bail en juillet de chaque année, et limité, à la hausse comme à la baisse, l'indexation à hauteur de 50 % de la variation de l'indice national du coût de la construction.
L'appelante a exactement chiffré à la somme de 1.818,50 euros le montant du rappel de l'indexation restant dû entre juillet 2016 et juillet 2018.
La société Open sud gestion sera condamnée à payer à la SCI Tulliets la somme de 1.818,50 euros au titre du rappel d'indexation.
sur l'indemnité d'éviction
L'article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, la société Open sud gestion fait grief au jugement d'avoir évalué l'indemnité d'occupation sur la base d'un coefficient de 1 appliqué au chiffre d'affaires réalisé par l'exploitation de la villa louée alors que, selon la méthode hôtelière, retenue par le tribunal, le coefficient se situe dans une fourchette de 2,5 à 5 fois le chiffre d'affaires annuel, en fonction de la zone de chalandise et de la qualité de l'emplacement pour le commerce considéré, et des usages professionnels.
L'appelante précise que la méthode hôtelière est idoine en l'espèce dès lors que la revente du fonds d'hébergements dépend effectivement et principalement de sa capacité à générer du chiffre d'affaires même si l'exploitation actuelle dégage des pertes.
Sur la base d'un chiffre d'affaires moyen de 3.916.000 euros TTC, généré par l'ensemble de son activité à [Localité 5], et d'un coefficient de 3, l'indemnité d'éviction pour perte du fonds est égale à 11.748.000 euros.
A cette indemnité principale, l'appelante ajoute les indemnités accessoires suivantes calculées en pourcentage de l'indemnité principale :
- frais de déménagement 1 % : 117.740 euros
- préjudice commercial 5 % : 587.400 euros
- indemnité de remploi 10 % : 1.174.800 euros
Soit un total de 13.627.940 euros.
Et, le lot de la SCI Tulliets représentant 1 unité sur les 126 lots qui composent la partie hébergement du fonds de commerce et encore 10 lits sur les 1.074 exploités, l'appelante propose deux méthodes d'évaluation de l'indemnité d'éviction due par la SCI Tulliets :
-13.627.940/126 x 1 = 108.158 euros
-13.627.940/1074 x 10 = 126.880 euros (la première partie du détail du calcul est fondée, par erreur, sur 8 lits mais in fine c'est bien sur la base de 10 lits que ce montant a été calculé).
soit une moyenne arrondie de 104.000 euros justifiant, in fine, une indemnité d'éviction réactualisée de 117.000 euros.
Cela posé, pour la fixation de l'indemnité d'éviction, la détermination de la valeur marchande du fonds de commerce s'effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d'activité commerciale concernés.
Lorsque le fonds n'est pas transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du fonds et est dite de remplacement. Dans ce cas, la consistance du fonds indemnisable est appréciée à la date d'effet du congé tandis que la valeur de l'indemnité d'éviction doit être appréciée, lorsque le locataire est encore dans les lieux, à la date la plus proche possible de l'éviction, c'est-à-dire à la date où le juge statue, et, sinon, à la date du départ du locataire.
Ensuite, il ressort de la propre documentation versée aux débats par l'appelante que le coefficient en méthode hôtelière peut être inférieur à 1, notamment en province, tandis que le chiffre d'affaires théorique peut également faire l'objet d'un retraitement, tenant compte des spécificités de l'exploitation, avant application du coefficient multiplicateur.
En l'espèce, si l'exploitation du fonds d'hébergement de [Localité 5] avec des prestations de services para-hôtelières présente des analogies avec l'activité hôtelière pour laquelle les usages de la profession en matière d'évaluation du fonds de commerce font application d'un coefficient sur le chiffre d'affaires, la détermination de ces paramètres doit tenir compte des spécificités du mode d'exploitation en résidence de tourisme et du potentiel économique du fonds.
En effet, en l'espèce, à la date d'effet du congé, l'activité de la société Open sud gestion s'exerce sur 126 unités composant un portefeuille de baux commerciaux hétérogènes, concédés au fur et à mesure des acquisitions des lots, ne présentant aucune indivisibilité juridique entre eux, facteurs de potentiels risques de litiges démultipliés par le nombre de bailleurs et la teneur de chaque bail, conférant au fonds de commerce une précarité propre à ce type d'exploitation que ne connaît pas un fonds de commerce d'hôtel à bail unique.
Au demeurant, la société Open sud gestion n'a produit aucune transaction concernant la cession d'un fonds de commerce d'hébergement en résidence de tourisme.
Par ailleurs, les bilans et comptes de résultats clos au 31 octobre, versés aux débats montrent une relative stabilité du chiffre d'affaires, mais sur une trajectoire baissière entre 2013 et 2018, puis entre 2018 et 2021 (pièces 11 à 16 et pièces 48).
L'excédent brut d'exploitation (EBE) est structurellement négatif :
- 2017 : - 98.761,97 euros
- 2018 : - 177.372,59 euros
- 2019 : - 261.076,99 euros
- 2020 : - 180.244,67 euros (pandémie)
Le résultat d'exploitation est également structurellement déficitaire :
- 2017 : - 41.894,57 euros
- 2018 : - 35.717,32 euros
- 2019 : - 297.286,79 euros
- 2020 : - 176.981,85 euros (pandémie)
Le compte de résultat clos pour l'année 2021 fait état d'un EBE de + 599.763,55 euros et d'un résultat de + 677.344,96 euros mais qui tient compte précisément du versement des aides liées à la pandémie.
S'il est exact que l'appréciation du potentiel d'exploitation est prépondérante par rapport à la perte comptable, l'exploitation du fonds de commerce d'hébergement de [Localité 5], grevé de charges d'exploitation importantes, ne se caractérise pas par un potentiel économique attractif pour un repreneur.
A cela s'ajoute, la saisonnalité de l'exploitation du fonds de commerce, un emplacement de qualité mais sans être exceptionnel sur une petite commune du littoral atlantique largement dominé par la côte basque et la pointe sud des Landes, ainsi que la segmentation de la clientèle, comme en témoigne le catalogue des tarifs versés aux débats.
La cour considère, sous le bénéfice des considérations qui précèdent, qu'elle est en mesure de fixer l'indemnité d'éviction sans ordonner une mesure d'expertise judiciaire.
Compte tenu de la qualité de l'emplacement et des caractéristiques des locaux loués avec terrain et piscine privative, mais aussi des aléas juridiques et économiques d'un mode d'exploitation tributaire d'un portefeuille de baux commerciaux hétérogènes conjugué à un potentiel économique peu attractif pour un repreneur, il y a lieu d'évaluer l'indemnité principale sur la base du chiffre d'affaires moyen rapporté au nombre d'unités exploitées, sans retraitement mais affublé d'un coefficient multiplicateur de 1.
En l'espèce, il y a lieu de fixer l'indemnité d'éviction principale sur la base d'un chiffre d'affaires moyen de 3.916.000 euros TTC, tel que chiffré par l'appelante, rapporté à 126 unités exploitées, soit une indemnité de 31.079,36 euros.
La SCI Tulliets a accepté la fixation de l'indemnité à la somme supérieure de 31.134,57 euros.
S'agissant des indemnités accessoires, la SCI Tulliets a proposé de racheter le mobilier meublant installé dans la villa loué. Aucune précision n'a été donnée sur les suites de cette offre mais la société Open sud gestion, qui a restitué la villa le 29 octobre 2020, n'a justifié d'aucune dépense ni frais à ce titre.
La société Open sud gestion ne peut prétendre à l'indemnisation d'un trouble commercial, non démontré, et justement contesté par le bailleur dès lors que le congé n'a eu aucune incidence sur l'organisation opérationnelle du locataire qui s'est borné à se défendre en justice.
Enfin, la société Open sud gestion ne peut prétendre à une indemnité de remploi dès lors qu'il n'existe pas de locaux de même nature à louer dans les ensembles résidentiels exploités à [Localité 5], étant observé que le fonds de commerce d'hébergement avec prestations para-hôtelières de [Localité 5] ne peut être exploité sur des locaux, au demeurant pas plus disponibles, qui seraient situés à l'extérieur de cette unité d'exploitation économique, et, alors que le locataire ne justifie d'aucun frais lors de la signature du bail.
En définitive, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI Tulliets à payer à la société Open sud gestion la somme de 31.134,57 euros à titre d'indemnité d'éviction couvrant l'intégralité du préjudice du locataire évincé.
sur le préjudice de dépossession des lieux loués
La société Open sud gestion sollicite l'indemnisation du préjudice subi du fait de la dépossession des lieux de la date de l'exécution du jugement entrepris, soit le 29 octobre 2020, à celle de la perception effective et intégrale de l'indemnité d'éviction qui lui est due.
Mais, s'il est exact que la SCI Tulliets a poursuivi l'exécution du jugement assorti de l'exécution provisoire à ses risques et périls en obtenant la restitution des locaux, non pas en exécution de la décision d'expulsion mais après paiement de l'indemnité d'éviction mise à sa charge, déduction faite des frais de justice, sans attendre sa fixation définitive, la confirmation du jugement au titre de l'indemnité d'éviction rend sans objet cette demande indemnitaire puisqu'il en résulte que la société Open sud gestion n'a pas fait l'objet d'une éviction prématurée en violation de l'article L. 145-28 du code de commerce, peu important même l'éventuelle remise en cause du paiement partiel par voie de compensation.
La société Open sud gestion sera déboutée de cette demande.
sur le préjudice pour retard de libération du local
La SCI Tulliets fait grief à son locataire d'avoir conservé les clés de la villa jusqu'au 29 octobre 2020 afin de l'exploiter pendant la période estivale 2020. Selon l'intimée, la société Open sud gestion devait, en exécution du jugement, libérer les lieux dans les trois mois du versement de l'indemnité d'éviction, soit, au plus tard, dès le 2 septembre 2020 correspondant à l'expiration du délai de 3 mois suivant la proposition de règlement de l'indemnité d'éviction formulée par son conseil le 2 juin 2020. La SCI Tulliets sollicite ainsi l'indemnisation de 8 semaines à 4.400 euros la semaine.
Mais, le règlement de l'indemnité d'éviction n'a été inscrit au crédit du compte Carpa du conseil de la société Open sud gestion que le 20 juillet 2020, laissant à celle-ci un délai expirant le 20 octobre pour libérer les lieux, de sorte que la SCI Tulliets ne justifie d'aucun préjudice du fait de l'indisponibilité de son bien pendant neuf jours sur la fin du mois d'octobre.
La SCI Tulliets sera déboutée de ce chef de demande.
sur les dispositions accessoires
Le jugement sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
Il sera fait masse des dépens de première instance qui seront partagés par moitié entre les parties, lesquelles seront déboutées de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance.
Succombant pour l'essentiel en son appel, la société Open sud gestion sera condamnée aux dépens d'appel et à payer une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DEBOUTE la SCI Tulliets de sa demande de déchance du droit à indemnité d'éviction de la société Open sud gestion,
DEBOUTE la société Open sud gestion de sa demande d'expertise judiciaire sur la détermination de l'indemnité d'éviction,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré la société Open sud gestion occupante sans droit ni titre depuis le 1er octobre 2018 et ordonné l'expulsion de la société Open sud gestion
- condamné la société Open sud gestion aux dépens et au paiement d'une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
et statuant à nouveau de ces chefs,
DEBOUTE la SCI Tulliets de sa demande d'expulsion de la société Open sud gestion,
FAIT masse des dépens de première instance et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties, sans distraction au profit de Me Dilhac,
DEBOUTE les parties de leurs demandes formées en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions ayant condamné la société Open sud gestion à payer :
- une indemnité d'occupation égale au montant du loyer conventionnel à compter du 1er octobre 2018
- une indemnité d'éviction de 31.134,57 euros
y ajoutant,
CONDAMNE la SCI Tulliets à payer à la société Open sud gestion la somme de 1.987,10 euros trop versée au titre de l'indemnité d'occupation,
CONDAMNE la société Open sud gestion à payer à la SCI Tulliets la somme de 1.818,59 euros au titre du rappel d'indexation des loyers entre juillet 2016 et juillet 2018,
ORDONNE la compensation, à due concurrence, entre les créances réciproques des parties,
DEBOUTE la société Open sud gestion de sa demande d'indemnisation pour dépossession des lieux loués,
DEBOUTE la SCI Tulliets de sa demande d'indemnisation pour libération tardive des lieux loués,
CONDAMNE la société Open sud gestion aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société Open sud gestion à payer à la SCI Tulliets une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
AUTORISE Me Dilhac, avocat, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.