CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 19 janvier 2023, n° 22/00915
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Guizard, Me Letellier
Déclarant agir en vertu d'une ordonnance rendue le 13 février 2018 par le premier président de la Cour d'appel de Paris, la Selarl [X] a, le 21 avril 2021, régularisé une saisie-attribution à l'encontre de M. [U] et entre les mains de la société HSBC, pour avoir paiement de la somme de 3 931,10 euros ; elle a été dénoncée au débiteur le 23 avril 2021. La dette est constituée d'honoraires d'avocat impayés. Une autre saisie-attribution a été régularisée entre les mains de la société CIC, mais a été infructueuse.
M. [U] ayant contesté ces mesures, le juge de l'exécution de Paris a, suivant jugement en date du 25 novembre 2021 :
- rejeté la demande de sursis à statuer ;
- rejeté la demande d'injonction de communiquer sous astreinte ;
- rejeté la demande de mainlevée des deux saisies-attributions ;
- cantonné celle opérée entre les mains de la société HSBC à 3 424,35 euros ;
- déclaré irrecevable la demande de séquestre ;
- condamné M. [U] au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Selon déclaration en date du 7 janvier 2022, M. [U] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 06 décembre 2022, il a exposé :
- que l'ordonnance du premier président de cette cour avait été rendue en son absence, alors que son conseil était arrivé à l'audience un peu en retard ;
- que les sommes réclamées, au titre d'honoraires d'avocat, représentant 18 heures de travail ce qui était excessif, sont contestées, alors que la Selarl [X], étant intervenue au soutien de ses intérêts dans le cadre d'un dossier de construction, ne l'avait pas informé des conséquences d'un refus de réception ni de celles de la nature du contrat, un marché à forfait ;
- qu'il a saisi la Commission de déontologie du barreau, ainsi que le Bâtonnier de l'ordre des avocats d'une demande d'arbitrage sur la question de savoir si l'ordonnance du premier président de cette Cour rendue dans de pareilles conditions pourrait être exécutée ;
- que l'ordonnance de taxe du Bâtonnier de l'ordre des avocats ne lui a jamais été signifiée ni notifiée, seule une copie par lettre simple lui ayant été remise ; que si l'ordonnance du premier président de cette cour a été, elle, signifiée, cela ne pallie pas le défaut de notification de la décision du Bâtonnier ;
- qu'en outre, il s'est écoulé plusieurs années sans que la partie adverse ne lui réclame des sommes, et que la saisie-attribution a été mise en place inopinément ;
- que les intérêts ne seraient dus qu'à compter du 13 février 2018, date de la décision du premier président de cette cour, conformément à l'article 1231-7 du code civil, et non pas à dater de l'ordonnance de taxe du Bâtonnier de l'ordre des avocats ;
- qu'il y a lieu de l'exonérer de la majoration des intérêts légaux de 5 points, conformément à l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
- que les frais réclamés par provision par l'huissier de justice instrumentaire ne sont pas dus ;
- que cet auxiliaire de justice a bénéficié d'un trop perçu, des frais exclus par la décision dont appel ayant été réclamés ;
- subsidiairement, que la séquestration des fonds doit être ordonnée.
M. [U] a en conséquence demandé à la Cour de :
- infirmer le jugement ;
- ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'arbitrage par lui sollicité ;
- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution opérée entre les mains de la société HSBC ;
- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il l'a cantonnée ;
- dire que seuls les intérêts au taux légal à compter du 13 février 2018 sont dus ; supprimer la majoration de retard de 5 points desdits intérêts ; ordonner la mainlevée de la saisie-attribution à due concurrence ;
- très subsidiairement, ordonner la séquestration des fonds saisis ;
- rejeter la demande de la Selarl [X] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Selarl [X] au paiement des frais bancaires générés par la saisie-attribution litigieuse, outre la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de saisie ;
- condamner la Selarl [X] au paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Selon conclusions notifiées le 2 décembre 2022, la Selarl [X] a répliqué :
- que selon l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le Juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ni en suspendre l'exécution, les prétentions de M. [U], notamment celle à fin de prononcé d'un sursis à statuer, se heurtant à ce texte ;
- que seul un recours en révision serait possible à l'encontre de l'ordonnance du premier président de cette Cour ;
- que les sommes en cause sont bien dues, au titre de ses honoraires en tant qu'avocat, sur la base de 250 euros HT de l'heure ;
- que le litige a déjà été porté devant le Bâtonnier de l'ordre des avocats si bien que la nouvelle saisine de ce dernier est irrecevable, et ce d'autant plus qu'il ne s'agit pas là d'un litige entre avocats à proprement parler ;
- que lors de la procédure relative à la fixation des honoraires, elle n'est pas intervenue ès-qualités d'avocats, étant représentée par un conseil ;
- que l'ordonnance du premier président de cette Cour a été notifiée à l'appelant par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 15 février 2018 et reçue le 19 février suivant, conformément à l'article 177 du décret du 27 novembre 1991 ; qu'il importe peu que la formule exécutoire ne figure par sur la décision, alors même que le débiteur ne justifie d'aucun grief ;
- que cette décision a ensuite été signifiée le 6 janvier 2021 ;
- que l'ordonnance du Bâtonnier de l'ordre des avocats, quant à elle, avait été notifiée en lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 19 décembre 2014 ;
- que s'agissant des intérêts, ils sont dus à compter du 16 septembre 2014 conformément à la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats qui a été confirmée de ce chef ; qu'il ne s'agissait pas là d'une condamnation à une indemnité ;
- que la contestation au sujet de la majoration des intérêts de retard est une demande nouvelle, comme telle irrecevable ; que subsidiairement, il y a lieu de la rejeter eu égard à l'attitude du débiteur ;
- que la demande de séquestration des fonds se heurte, elle aussi, aux dispositions de l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution.
La Selarl [X] a demandé en conséquence à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a calculé le montant des intérêts légaux majorés et décidé de cantonner la saisie-attribution, et de :
- déclarer M. [U] irrecevable en sa demande d'exonération de la majoration des intérêts de retard ;
- dire que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 19 décembre 2014 (date de la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats) et qu'ils sont majorés à dater du 20 avril 2018 et non pas du 30 juin 2018 comme indiqué par erreur dans l'acte de saisie-attribution ;
- dire que la saisie-attribution produira effet pour la somme de 3 931,10 euros ;
- condamner M. [U] au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux dépens qui seront recouvrés par Maître Letellier dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [U] demande à la Cour d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'arbitrage par lui sollicité. Le 13 octobre 2021, l'intéressé a saisi le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, sollicitant la mise en place d'une procédure d'arbitrage à l'encontre de Maître [X] et de Maître Calixte qui avait représenté celui-ci devant le magistrat délégataire du premier président de cette Cour. Il avance que Maître [B] a enfreint ses obligations déontologiques et fait observer que la Commission de déontologie a mis en évidence un manque de confraternité imputable à l'intéressée ; il ajoute que la Selarl [X] a affirmé faussement dans ses conclusions qu'il n'y avait pas eu de violation du principe du contradictoire. Accueillir la demande de sursis à statuer reviendrait à suspendre de facto l'exécution de la décision de justice détenue par la Selarl [X], ce qui est interdit au juge de l'exécution par l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution.
La décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats en date du 19 décembre 2014 fixe à la somme de 3 250 euros HT le montant total des honoraires dus à la Selarl [X] solidairement par les époux [U], donne acte à la Selarl [X] de ce qu'elle déclare avoir reçu une somme de 1 250 euros HT à titre de provision, et dit qu'en conséquence M. et Mme [U] devront solidairement lui verser la somme de 2 000 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2014, outre la TVA au taux en vigueur au moment de l'exécution des prestations, et les débours justifiés pour la somme de 20 euros ainsi que les frais d'huissier de justice en cas de signification de cette décision.
Par ordonnance du 13 février 2018, le magistrat délégataire du premier président de cette Cour a confirmé cette décision et condamné M. [U] aux dépens, et dit que ladite ordonnance sera notifiée en lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe de la Cour. Elle a été notifiée à M. [U] par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 février 2018 reçue le 19 février 2018, puis signifiée le 6 janvier 2021 à domicile.
La preuve de la notification de la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats est rapportée - elle a été faite par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 décembre 2014 reçue par l'appelant le 24 décembre 2014- et l'ordonnance du premier président de cette Cour qui fonde le poursuites est bien exécutoire.
Selon l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le Juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. C'est donc en vain que M. [U] conteste le quantum des sommes réclamées, y compris en ce qui concerne les intérêts, ou encore les conditions dans lesquelles la juridiction statuant en appel de la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats a évoqué l'affaire.
C'est à tort que M. [U] objecte que la saisie-attribution litigieuse a été mise en place sans préavis, alors qu'aucun texte n'impose au créancier d'informer le débiteur par avance ou de lui adresser une mise en demeure, et ce d'autant plus que le 13 janvier 2021, le débiteur s'était vu délivrer un commandement à fin de saisie-vente de payer la somme de 3 112 euros. D'ailleurs, il n'a réglé aucun acompte depuis que la décision fondant les poursuites a été rendue.
La Selarl [X] forme un appel incident du chef du jugement qui a cantonné la saisie-attribution après avoir retiré de son assiette une partie des frais, tandis que M. [U] discute du montant global des frais antérieurs réclamés (800,21 euros). Il est exact que des frais à prévoir (pour 93,76 euros + 80,99 euros + 51,07 euros + 63,13 euros soit 288,95 euros) ont été facturés dans le procès-verbal de saisie-attribution litigieux, alors que l'article R. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ne permet que de réclamer une provision sur les intérêts à échoir. C'est à juste titre que le juge de l'exécution a retiré ces frais, et par ailleurs a rectifié le compte du surplus après avoir relevé qu'il n'était justifié, au titre des frais de procédure réclamés (800,21 euros), que du coût d'un commandement à fin de saisie-vente du 2 février 2021, d'une requête Ficoba, et d'une précédente saisie-attribution du 12 février 2021.
M. [U] avance que l'huissier de justice instrumentaire a bénéficié d'un trop perçu, des frais exclus par la décision dont appel lui ayant été réclamés. Le décompte de créance en date du 26 janvier 2022, produit par la SCP [T], commissaire de justice à Paris, n'a pas d'incidence sur le sort des saisies-attributions litigieuses.
La Selarl [X] demande à la Cour de dire que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 19 décembre 2014 (date de la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats) et qu'ils sont majorés à dater du 20 avril 2018 et non pas du 30 juin 2018 comme indiqué par erreur dans l'acte de saisie-attribution. En application de l'effet attributif immédiat de cette mesure prévu à l'article L. 211-2 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution, le créancier ne peut réclamer, postérieurement à sa mise en place, des sommes supplémentaires, le compte bancaire étant bloqué uniquement à hauteur des sommes visées dans l'acte de saisie-attribution. En outre, s'agissant du point de départ des intérêts, la Cour ne saurait décider qu'il est fixé au 19 décembre 2014 car la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats a précisé qu'ils couraient à dater du 16 septembre 2014. Ces demande seront rejetées.
S'agissant de la séquestration des fonds, elle ne peut intervenir, comme il est dit à l'article R. 211-16 du code des procédures civiles d'exécution, que lorsqu'il s'agit d'une saisie-attribution à exécution successive . Tel n'est pas le cas en l'espèce si bien que la demande y relative, formée par M. [U], doit être rejetée.
M. [U] réclame le bénéfice de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier qui dispose qu'en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé.
Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.
La Selarl [X] soutient que cette demande est une demande nouvelle, comme telle irrecevable. Selon l' article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L' article 566 permet toutefois aux parties d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge des demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Il faut considérer que la demande formée par M. [U] pour la première fois en cause d'appel constitue une prétention nouvelle, car au stade de la première instance, s'agissant des intérêts, il avait seulement contesté leur point de départ. Cette demande est irrecevable.
La saisie-attribution étant validée, la demande de M. [U] à fin de condamnation de la Selarl [X] au paiement des frais bancaires générés par les saisies-attributions litigieuses, et de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de saisie, ne peuvent qu'être rejetées.
Le jugement est confirmé en l'ensemble de ses dispositions.
M. [U], qui succombe, sera condamné au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
- CONFIRME le jugement en date du 25 novembre 2021 ;
y ajoutant :
- REJETTE la demande de la Selarl [X] tendant à voir juger que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 19 décembre 2014 et qu'ils sont majorés à dater du 20 avril 2018 ;
- DECLARE irrecevable la demande de M. [Y] [U] à fin d'exonération de la majoration des intérêts de retard au taux légal ;
- CONDAMNE M. [Y] [U] à payer à la Selarl [X] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE M. [Y] [U] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés par Maître Letellier dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.