CA Aix-en-Provence, 1re et 9e ch. réunies, 28 octobre 2021, n° 20/10647
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Trepier Venturini (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thomassin
Conseillers :
Mme Pochic, Mme Tarin-Testot
Faits, procédure et prétentions des parties :
Madame V. a, suite à des mesures de saisies attributions diligentées à son encontre par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 'Le minou', entre les mains de ses locataires, l'entreprise R. et la société 'Sur le pouce délices cafés', fait assigner le syndicat des copropriétaires et son syndic en exercice, le cabinet C. Gestion Immobilière, devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nice afin, notamment, qu'ils soient condamnés in solidum, à lui verser la somme de 19 040.85 ' au titre de pertes occasionnées à l'occasion des mesures d'exécution.
Par jugement du 19 octobre 2020, dont appel, le juge de l'exécution de Nice, après avoir déclaré recevable madame V. en ses demandes, l'a déboutée et condamnée à payer au syndicat des copropriétaires le Minou et à son syndic en exercice, une somme de 3000 ' chacun, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance.
Madame V., qui a accusé réception de la décision notifiée par le greffe le 21 octobre 2020, en a fait appel par déclaration en date du 03 novembre 2020.
Dans ses conclusions enregistrées par RPVA le 26 février 2021 auxquelles il convient de se référer, madame V. demande à la cour, au visa des articles L.211-5 et R.211-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de l'article 1240 du code civil, de :
-débouter l'intimée de son exception d'incompétence soulevée pour la première fois en cause d'appel,
-juger que le syndicat des copropriétaires n'a pas mis en place un séquestre durant la procédure d'opposition sur la saisie des loyers commerciaux et n'a pas engagé d'action,
-juger qu'il s'agit d'une faute ouvrant droit à réparation du préjudice portant sur la perte de nombreux mois de loyers, de diverses charges et accessoires, divertis par le locataire, monsieur R., entre octobre 2016 et octobre 2017,
-juger que le syndicat n'a pas repris l'exécution des saisies attribution à l'encontre du tiers saisi défaillant,
-juger qu'il s'agit d'une faute ouvrant droit à réparation intégrale du préjudice portant sur la perte de loyers à compter du 09 octobre 2017 jusqu'au 21 décembre 2017,
-débouter les intimés de leurs demandes,
-condamner in solidum le syndicat des copropriétaires le Minou et son syndic en exercice à lui verser les sommes suivantes :
*19 040.85 ' au titre des pertes occasionnées outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec anatocisme,
*5000 ' à titre de dommages et intérêts eu égard à la particulière mauvaise foi développée dans le cadre de l'instance,
*7000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour l'essentiel, elle expose que :
-par ordonnance de référé, la présidente du tribunal de grande instance de Nice, le 23 juin 2016, l'a condamnée à payer la somme de 9 107 ' au titre d'arriérés de charges et de 1000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
-en dépit d'une saisie attribution sur ces comptes pour 3 923 ' et d'une proposition de règlements échelonnés, le syndicat des copropriétaires a diligenté le 05 et le 06 octobre 2016 deux saisies attributions entre les mains de ses débiteurs de loyers commerciaux, l'entreprise R. et la société Sur le Pouce,
-contestant le décompte présenté, elle a saisi le juge de l'exécution d'une demande de mainlevée des deux saisies lesquelles ont été suspendues, sans que les loyers ne soient consignés, ni qu'aucun séquestre n'ait été mis en place,
-le 09 octobre 2017 le juge constatait le désistement de sa demande, la condamnait aux dépens et à verser 3000 ' au titre des frais irrépétibles,
-monsieur R., premier saisi, n'a réglé aucune somme, ni au bailleur, ni à l'huissier de justice, se trouvant en liquidation judiciaire le 21 décembre 2017 avec cessation des paiements au 18 décembre de la même année,
-la deuxième saisie attribution venait éteindre la dette initiale outre les 3000 ' accordée par décision du 09 octobre 2017 et les dépens.
Elle fait valoir que le syndicat des copropriétaires soulève pour la première fois en cause d'appel, une exception d'incompétence, alors que s'agissant d'une exception de procédure elle doit être soulevée in limine litis, que cette exception ne peut prospérer s'agissant des conséquences dommageables d'une mesure d'exécution.
Elle fait grief au syndic de ne pas avoir poursuivi le premier tiers saisi devant le juge de l'exécution, alors que ce dernier s'est montré défaillant.
Elle relève l'absence de mise en oeuvre par le créancier, d'un séquestre des loyers ainsi consignés, lequel aurait permis de recouvrer la créance sollicitée et l'absence de poursuite du paiement de la cause à l'encontre du tiers défaillant, à compter du 09 octobre 2017 date du désistement, alors qu'à cette date le tiers saisi ne faisait l'objet d'aucune procédure collective, ni de cessation des paiements.
Elle fait valoir qu'elle n'a pu, du fait de ces errements, être libérée envers son créancier, et réclame l'indemnisation du montant de la perte de ses loyers, outre les arriérés d'augmentation de loyer, les régularisations de charges de copropriété, et le montant de la taxe foncière, soit la somme de 19 040.85 ' non payée par le locataires entre le 05 octobre 2016 et le 1er décembre 2017.
Elle indique qu'elle a perdu une chance de recouvrer ces montants du fait du placement du tiers saisi en liquidation judiciaire.
L'appelante relève qu'elle n'a pas perçu les loyers du deuxième tiers saisi, lesquels ont été appréhendés par le trésor public.
Dans ses conclusions enregistrées par RPVA le 1er février 2021 auxquelles il convient de se référer, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Minou, demande à la cour, au visa des articles L111-7 et R211-2 du Code des procédures civiles d'exécution de :
-confirmer le jugement querellé, sauf en ce qu'il l'a débouté, ainsi que le syndic de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts,
-condamner madame V. à lui verser la somme de 10 000 ' à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
-condamner madame V. aux dépens et à lui verser la somme de 3000 ' au titre des frais irrépétibles.
Pour l'essentiel il fait valoir que :
-le juge de l'exécution n'a pas compétence pour trancher les actions en responsabilité,
-les tiers saisis n'ont jamais réglé les loyers au créancier à l'occasion des saisies,
-il n'y avait donc aucune somme à séquestrer en l'absence d'offre de paiement,
-la contestation de madame V. devant le juge de l'exécution a empêché l'huissier d'exécuter la saisie contre les locataires,
-il lui appartenait de s'assurer auprès de son locataire de la consignation des loyers ou du séquestre amiable,
-elle a continué à percevoir les loyers de la société 'Sur le pouce',
-l'avis à tiers détenteur du Trésor Public, diligenté contre cette société pour une somme de 5589' ne couvre pas l'intégralité de la somme ainsi perçue soit 21 600 ', qui aurait pu désintéresser le syndicat des copropriétaires,
-la saisie des loyers n'empêchait pas madame V. de procéder aux régularisations des charges de copropriété, d'informer d'une augmentation des loyers, ni de récupérer la taxe foncière,
-il n'y a aucun lien de causalité entre l'absence de mise en place d'un séquestre et le non paiement des causes de la créance ou la perte de chance d'obtenir le paiement des loyers,
-elle n'a pas repris les saisies sur les loyers commerciaux après le désistement de madame V. en l'état de négociations avec celle-ci pour un règlement amiable,
-elle a perçu des loyers théoriquement indisponibles et multiplié les procédures pour contester le paiement des charges dont elle est redevable.
Par ordonnance d'incident du 20 avril 2021, la présidente de cette chambre a dit irrecevables les conclusions au fond et pièces du cabinet Cerruti Gestion Immobilière en date du 09 février 2021.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 mai 2021.
Sur l'exception d'incompétence :
En application des dispositions de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentées in limine litis avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
En première instance, le syndicat des copropriétaires concluait, s'agissant des prétentions indemnitaires de madame V., uniquement à leur rejet, de sorte qu'il soulève pour la première fois, à hauteur d'appel, l'incompétence du juge de l'exécution pour statuer sur l'action en responsabilité engagée à son encontre.
L'exception est, donc, irrecevable.
Sur la négligence fautive du créancier et de son mandataire :
Selon l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée.
L'appelante fait grief au créancier saisissant de ne pas avoir mis en place un séquestre durant la procédure d'opposition sur la saisie des loyers commerciaux, de n'avoir pas engagé d'actions et de n'avoir pas repris l'exécution des saisies attributions à l'encontre du tiers saisi défaillant.
Aux termes de l'article L. 211-5 du code des procédures civiles d'exécution, en cas de contestation devant le juge de l'exécution, le paiement est différé jusqu'à ce qu'il soit statué sur les mérites de cette contestation.
S'agissant des créances à exécution successive , l'article R. 211-16 du code des procédures civiles d'exécution prévoit qu'en cas de contestation, le tiers saisi 's'acquitte des créances échues entre les mains d'un séquestre désigné, à défaut d'accord amiable, sur requête par le juge de l'exécution'.
Il en résulte que si cette consignation est obligatoire, les modalités de désignation du séquestre ne sont pas définies et obéissent au régime général, de sorte que tout intéressé est à même d'en formuler la demande. L'obligation de séquestre ne pèse donc pas spécifiquement sur le créancier saisissant.
Il n'en demeure pas moins, que ce dernier constatant, selon ses propres conclusions, l'absence de tout offre de paiement de l'entreprise R., et l'absence de règlement des loyers par les tiers saisis à l'occasion des saisies, il lui appartenait en sa qualité de créancier saisissant, hors la période de contestation suspendant temporairement le paiement du tiers saisi, de mettre les tiers saisis récalcitrants en demeure de payer et d'exercer contre eux l'action en paiement.
Or, postérieurement au 9 octobre 2017, date du jugement constatant le désistement de la débitrice, le syndicat des copropriétaires 'le Minou' n'allègue, ni ne rapporte pas la preuve d'aucune initiative à l'encontre de l'entreprise R. aux fins d'obtenir le recouvrement des sommes dues, sans pour autant justifier d'événements particuliers lui ayant permis d'anticiper l'ouverture à l'encontre du tiers saisi d'une procédure de liquidation judiciaire au mois de décembre 2017.
S'agissant de la saisie des loyers de la société 'Sur le Pouce', le simple appel téléphonique de l'huissier de justice au gérant, attesté en décembre 2017 par l'officier ministériel et selon lequel une partie des loyers aurait été versée à madame V., ce que cette dernière conteste, ne suffit pas à caractériser des diligences attendues du créancier saisissant, l'huissier lui même se déclarant en attente d'instruction de son mandataire s'agissant notamment d'éventuelles poursuites à l'encontre des deux locataires.
Le syndicat des copropriétaires 'le Minou' ne justifiant ainsi, en qualité de créancier saisissant, d'aucune initiative en vue d'une action à l'encontre des tiers saisis, ni d'aucune mise en demeure, il a fait preuve de négligence dans le suivi des saisie-attributions diligentées (Cass. 2e civ., 7 avr. 2011, n° 10-16.723 : JurisData n° 2011-006138), sans qu'il y ait lieu, en l'absence de toute preuve d'une faute imputable au syndic, de déclarer ce dernier responsable solidairement du dommage susceptible d'en résulter, la qualité de mandataire de ce dernier ne constituant pas un élément de nature à justifier d'une carence professionnelle ouvrant droit à indemnisation.
Madame V. déduit des manquements du syndicat des copropriétaires qu'il s'agit d'une faute ouvrant droit à réparation intégrale du préjudice portant sur la perte de nombreux mois de loyers, de diverses charges et accessoires, et sollicite l'indemnisation au titre des pertes ainsi occasionnées.
Néanmoins, outre la caractérisation d'une faute, l'indemnisation d'un préjudice nécessite de rapporter la preuve du préjudice en résultant et du lien de causalité entre celui-ci et la dite faute.
Or, la saisie des loyers n'empêchait pas la bailleresse de procéder à la régularisation des charges de copropriété, ni d'adresser une lettre aux locataires pour l'augmentation du montant des loyers, ni encore de récupérer la taxe foncière.
En outre, il n'est pas rapporté la preuve de la solvabilité de l'entreprise R. au cours de la période considérée, soit du 09 octobre 2017, date de la fin de la mesure de suspension des poursuites, au 21 décembre 2017, date de l'ouverture de la procédure de placement en liquidation judiciaire de la dite entité.
Enfin, l'inefficience de la saisie attribution diligentée par le syndicat des copropriétaires sur les loyers dus par la société 'Sur le Pouce' n'a pas privé madame V. du montant de ces derniers, ni d'une chance d'apurer même partiellement la dette à l'égard du créancier saisissant, l'appelante faisant état dans ses conclusions de l'appréhension par le trésor public d'une partie des loyers réglés par la dite société suite à un avis à tiers détenteur, et des manquements de ce même locataire en raison d'impayés de loyers, déclarés au passif de la procédure collective le concernant.
Dès lors en l'absence de preuve à la fois, de l'existence d'une faute du syndic en sa qualité de mandataire, d'un préjudice financier la concernant, au titre du recouvrement de la créance, comme de la perte de loyers, de lien de causalité entre les manquements du créancier et le dommage allégué, il convient de débouter l'appelante de sa demande indemnitaire en résultant et de confirmer le jugement la rejetant.
Sur les demandes indemnitaires :
Il résulte de la présente décision, que madame V. ne justifie pas de la mauvaise foi dont auraient fait preuve ses contradicteurs dans le cadre de la présente instance, les prétentions formées par l'appelante de ce chef seront donc rejetées et le jugement de première instance confirmé.
De même le syndicat des copropriétaires ne peut faire supporter à madame V. les conséquences de son impéritie, les contestations portées par celle-ci devant la juridiction trouvant leur fondement dans les carences du créancier poursuivant. La demande indemnitaire pour procédure abusive sera donc rejetée, et le jugement de première instance confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge et sera donc confirmé.
A hauteur d'appel, madame V., succombant en ses prétentions, sera tenue aux entiers dépens et condamnée à verser au syndicat des copropriétaires 'le Minou' la somme de 3000 ' en application des dispositions tirées de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe,
DÉCLARE irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par le syndicat des copropriétaires 'Le Minou',
CONFIRME le jugement en l'ensemble de ses dispositions déférées,
Y ajoutant,
CONDAMNE madame V. à payer au syndicat des copropriétaires 'Le Minou' la somme de 3000 ' en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE madame V. aux entiers dépens,