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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 14 octobre 2021, n° 21/00856

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société d'Armatures Spéciales (SAS)

Défendeur :

Bouygues Bâtiment Ile De France (SA), BNP Paribas Factor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pages

Conseillers :

Mme Nerot, Mme Deryckere

TGI Versailles, du 9 mai 2017, n° Y19-10…

9 mai 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

Vu l'acte sous seing privé daté du 14 avril 2010 par lequel la société BNP Paribas Factor, l'affactureur (ci-après : la BNP) a signé un contrat d'affacturage avec la société Armat France permettant à cette dernière de lui céder ses créances dans la limite de 3.000.000 euros et de la subroger dans ses droits contre ses débiteurs puis l'émission, au profit de la société Armat et dans le cadre de contrats de sous-traitance, d'un certain nombre de factures au nom de la société Bouygues Bâtiment Ile de France (ci-après : la société Bouygues),

Vu la saisie-conservatoire pratiquée le 08 octobre 2015 par la société SAS, agissant en vertu d'une autorisation du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil du 28 septembre 2015, entre les mains de la société Bouygues portant sur les sommes dont cette dernière est redevable envers la société Armat France en garantie d'une créance de 1.099.032,35 euros en principal,

Vu le courrier en réponse de la société Bouygues, par sa direction juridique, du 12 octobre 2015 portant la référence « saisie-attribution de créance (sic), Sarl Armat France, hauteur 1.099.811,34 euros » qui déclarait :

« Nous faisons suite à la saisie-attribution de créance (sic) que vous nous avez signifiée en date du 08 octobre 2015, à l'encontre de la société Armat France dont le siège social est situé (').

Nos services comptables nous informent que nous détenons à ce jour une somme de 84.864,45 euros et ce sous réserve de la parfaite exécution de la société Armat France de ses obligations contractuelles.

Toutefois nous vous informons avoir reçu le 08 octobre 2015, soit le même jour, une notification de la banque BNP Paribas Factor nous informant d'une cession Dailly effectuée par la société Armat portant sur la totalité de son marché (soit : 521.000 euros HT et avenants éventuels) de l'opération située à [...],

puis la mainlevée de cette saisie-conservatoire par la société SAS le 15 octobre 2015 (à 16h17),

Vu la saisie-attribution pratiquée le 15 octobre 2015 (à 16h18), à la requête de cette même société SAS agissant en vertu d'une ordonnance de référé rendue le 1er octobre 2015 par le président du tribunal de commerce d'Evreux outre intérêts et frais (dénoncée à Armat France le 23 octobre suivant) puis une seconde saisie-attribution pratiquée le 24 novembre 2015, entre les mains de la société Bouygues Bâtiment Ile de France à concurrence « des sommes dont (elle) est personnellement tenue envers la société Armat France », ceci pour avoir paiement, dans le cadre de ces deux mesures de la somme en principal de 1.099.032,35 euros outre intérêts et frais,

Vu la réponse du 16 octobre 2015 de la société Bouygues tiers saisi, informant par son service juridique l'huissier instrumentaire comme suit :

« Nous prenons acte de la mainlevée signifiée le 15 octobre 2015 portant sur la saisie conservatoire de créance signifiée le 08 octobre 2015 à l'encontre de la Sarl Armat.

En ce qui concerne la saisie-attribution de créances que vous nous avez également signifiée le 15 octobre 2015, à l'encontre de la société Armat France, dont le siège social est situé (') nous vous informons qu'après recherches faites auprès de nos services comptables, qu'à ce jour nous n'avons pas de sommes disponibles au nom de la société Armat France »

Vu la réponse du préposé de la société Bouygues se présentant comme son secrétaire général, manuscritement portée sur le procès-verbal de saisie-attribution du 24 novembre 2015, à savoir : « nous avons déjà réglé l'ensemble des sommes dues à l'instant t ! à notre connaissance, cette société a cédé la totalité de ses créances. Je vous confirme mon propos sous 48h. Ne signe pas » et celle contenue dans la lettre de ce secrétaire général du 25 novembre 2015 :

« Nous faisons suite à la saisie-attribution de créance que vous nous avez signifiée en date du 24 novembre 2015, à l'encontre de la société Armat France dont le siège social est situé (').

Nous vous informons qu'à ce jour nous n'avons pas de sommes disponibles au nom de la société Armat France.

Nous vous informons qu'en tout état de cause, la société Armat France a préalablement, à la réception de la présente saisie, cédé la totalité de ces créances (sic) à divers établissements bancaires »

Vu la décision de mise en liquidation judiciaire de la société Armat France rendue le 06 janvier 2016 et les déclarations de créance des sociétés BNP (pour un montant de 96.806,04 euros) et SAS (pour un montant de 1.118.444,54 euros),

Vu les assignations délivrées les 17 et 22 mars 2016 par la société SAS à la société BNP Paribas Factor puis à la société Bouygues devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Versailles, la jonction de ces deux procédures successivement enregistrées, ceci aux fins, notamment, de voir dire que faute de preuve par la société BNP Paribas Factor d'un paiement antérieur à la saisie conservatoire du 08 octobre 2015 et à la saisie-attribution du 15 octobre 2015, la somme de 84.864,45 euros est attribuée à la SAS et afin, le cas échéant, de voir condamner la société Bouygues à lui payer la somme de 84.864,45 euros, outre les prétentions présentées dans les dernières conclusions de la demanderesse à l'action, laquelle réclamait alors, au visa des articles L 211-2, L 211-3 du code des procédures civiles d'exécution et 1250 du code civil, la condamnation de la société Bouygues à lui payer une somme supplémentaire de 432.583,57 euros au titre d'autres situations de travaux émises par la société Armat France au regard des saisies-attribution intervenues les 15 octobre et 24 novembre 2015,

Vu le jugement contradictoire rendu le 09 mai 2017 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Versailles qui a :

•            rejeté les exceptions d'incompétence et fins de non-recevoir soulevées par la société Bouygues,

•            débouté la société SAS de toutes ses demandes,

•            condamné la société SAS à payer à la société Bouygues Bâtiment Ile de France une somme de 2.000 euros et à la société BNP Paribas Factor une somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

•            rejeté le surplus des demandes,

•            condamné la société SAS aux dépens,

•            rappelé que la présente décision bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire,

Vu l'arrêt contradictoire rendu le 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles, statuant sur appel de cette décision interjeté par la société SAS, qui a :

•            confirmé le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant,

•            débouté la société SAS de sa demande de production de pièces,

•            débouté la société BNP Paribas Factor de sa demande de dommages-intérêts,

•            condamné la société SAS à payer à la société Bouygues Bâtiment Ile de France une indemnité de 4.000 euros et à la société BNP Paribas Factor une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

•            condamné la société SAS aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour les avocats qui en feront la demande,

Vu l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 (pourvoi n° 19-10493) par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation qui, sur le moyen pris en sa première branche présenté par la société SAS, demanderesse à la cassation, a statué comme suit :

« Vu l'article 1134 du code civil en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Pour retenir que les créances objets de la saisie avaient été « cédées » à l'affactureur avant cette mesure, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les notifications de cessions adressées par l'affactureur au débiteur visent les articles L 313-23 et suivants du code monétaire et financier et qu'elles comportent les seules mentions relatives aux cessions « Dailly », à l'exclusion de celles prévues par l' article R 313-16 en cas de cession de créances, en vertu d'un contrat d'affacturage. Il en déduit que cette référence implique que l'affactureur a notifié des cessions de créance Dailly, de sorte que l'acte de cession suffit par lui-même à établir le transfert de créances, qu'il y ait eu ou non paiement de la créance par le cessionnaire au profit du cédant.

En se déterminant ainsi, sans examiner la convention d'affacturage, spécialement sans rechercher quelles en étaient les stipulations relatives aux modalités de transfert des créances à l'affactureur et si celui-ci n'acquérait pas les créances par voie de subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

et, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 15 novembre 2018 entre les parties en remettant l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce « jugement », en les renvoyant devant la cour d'appel de Versailles autrement composée, et en condamnant, enfin, la société Bouygues à payer à la société SAS la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la déclaration de saisine de la présente cour de renvoi, au nom de la SAS Société d'armatures spéciales-SAS et à l'encontre des sociétés Bouygues et BNP Paribas Factor, enregistrée au greffe le 10 février 2021,

Vu les dernières conclusions après cassation (n° 2) notifiées le 07 juin 2021 par la société par actions simplifiée SAS, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L 211-2 et L 211-3 du cpce, 1250 du code civil :

•            de la déclarer recevable et bien (sic) en sa déclaration de saisine, y faisant droit,

•            d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

•            a) au regard des saisies-attribution des 15 octobre et 24 novembre 2015, de condamner la société Bouygues Bâtiment Ile de France à payer 263.655 euros à la société SAS,

•            b) s'agissant de la cession Dailly BTP Banque du chantier 121 Malakoff-Paris :

•            si Bouygues Bâtiment Ile de France prouve avoir réglé des sommes à la BTP Banque et/ou que cette dernière a maintenu sa revendication Dailly, SAS s'en remet à justice pour décider qui prévaut de la cession Dailly ou des saisies,

•            si Bouygues Bâtiment Ile de France ne rapporte pas cette preuve, alors SAS est seul créancier et les sommes dues au titre de ce chantier doivent lui être versées, dans la limite de sa créance, au titre de ses saisies-attribution,

•            c) de condamner la société Bouygues Bâtiment Ile de France à communiquer à la société SAS copie de son grand livre 2015 pour les comptes Armat, Sabea, Armaplan, BTP Banque et BNP Paribas Factor, sous astreinte de 300 euros par jour à compter de l'arrêt à intervenir,

en toute hypothèse

•            de condamner la société Bouygues Bâtiment Ile de France à (lui) payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du cpc,

•            de condamner la société Bouygues Bâtiment Ile de France aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions (n° 1) notifiées le 21 mai 2021 par la société anonyme Bouygues Bâtiment Ile de France qui, visant les articles 1315 du code civil, R 221-5, R 211-10, R 211-11, L 211-2, L 211-3 du code des procédures civiles d'exécution ainsi que les cessions de créance Dailly notifiées à la société Bouygues le 22 juin 2015 (sur l'opération Malakoff), le 06 octobre 2015 (sur l'opération Clichy Batignolles), du 26 août 2015 notifiée à Bouygues le 08 octobre 2015 (sur l'opération Suresnes-Rothschild) et le 22 octobre 2015 (sur l'opération Gaston T.) outre la mainlevée de la saisie conservatoire de créances du 15 octobre 2015 à 16h 17 et la déclaration de créance de la société Bouygues à la liquidation judiciaire d'Armat France à hauteur de 717.698 euros TTC, prie la cour :

de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant,

de condamner SAS à payer à Bouygues une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile couvrant les deux procédures d'appel,

de la condamner en tous les dépens, dont distraction au profit de maître Oriane D., JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions notifiées le 11 mai 2021 par la société anonyme BNP Paribas Factor par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article 1346-1 du code civil et des pièces :

•            de constater qu'aucune demande n'est formulée contre BNP Paribas Factor,

•            de prononcer en conséquence sa mise hors de cause,

•            de statuer ce que de droit quant aux dépens,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 22 juin 2021,

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la procédure

Par dernières « conclusions après cassation 3 et aux fins de sursis à statuer » notifiées le 05 août 2021, la société SAS a soulevé un incident de procédure, demandant à la cour de rejeter les conclusions d'intimé n° 2 (notifiées le 02 août 2021) et la pièce n°49 de la société Bouygues Bâtiment Ile de de France alors produite et, subsidiairement, au visa des articles 377 à 379 et suivants du code de procédure civile, d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Paris dans l'affaire enrôlée sous le n° RG 19/13226 opposant la Selarl JSA, ès-qualités de liquidateur de la société Armat France, à la société Bouygues Bâtiment Ile de France, reprenant, sans modification le dispositf de ses précédentes conclusions.

Elle expose que, postérieurement à la clôture de l'instruction de cette affaire, la société Bouygues a produit un jugement rendu le 14 mai 2019 ayant rejeté la demande, par la Selarl JSA, ès-qualités de liquidateur de la société Armat France, de la société Bouygues au paiement de la somme de 544.351 euros et ayant admis cette dernière au passif de la société Armat à hauteur de 69.669 euros.

Elle soutient que la société Bouygues était partie à cette procédure et qu'il n'y a aucune raison valable qu'elle communique aussi tardivement ce jugement, de sorte que tant ces conclusions que cette communication doivent être rejetées.

Subsidiairement et au soutien de sa demande de sursis à statuer, elle fait valoir que le liquidateur a interjeté appel de ce jugement, que la procédure est pendante devant la cour d'appel de Paris (sous le n° RG 19/13226) et qu'elle est fixée pour être plaidée le 14 juin 2023.

Par dernières « conclusions d'intimé n° 3 aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture » notifiées par la société Bouygues le 03 septembre 2021 dont le dispositif « reprend en tant que de besoin l'ensemble des motifs qui le précèdent », elle demande notamment à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 22 juin 2021, de rouvrir les débats, de débouter la société SAS de sa demande de sursis à statuer, en sollicitant la confirmation du jugement.

Elle observe que le subsidiaire de son adversaire confirme, s'il en était besoin, la nécessaire prise en compte, dans le cadre des débats devant la cour de renvoi, d'un élément nouveau dont ni la cour d'appel précédemment saisie ni la Cour de cassation n'ont connu, qu'elle-même s'est toujours prévalue d'un principe de créance pour contester les prétentions adverses et que son conseil dans le cadre de la présente instance ignorait cette décision des juges consulaires où elle était représentée par un autre avocat, de sorte qu'« il » est bien fondé à faire état de cette décision.

Elle estime que quand bien même la décision serait frappée d'appel, la demande de sursis à statuer ne s'impose pas puisqu'elle justifie les déclarations faites à l'huissier instrumentaire lors des différentes saisies comme elle justifie la confirmation du jugement du juge de l'exécution en ce qu'il a retenu qu'elle « n'était effectivement débitrice d'aucune somme à l'égard de la société Armat France, tant lors de la saisie-attribution du 15 octobre 2015 que lors de la saisie-attribution du 24 novembre 2015 » si bien que ses déclarations ne peuvent être considérées comme incomplètes, inexactes ou mensongères au sens de l'article R 211-5 du code des procédures civiles d'exécution.

Ceci étant exposé, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l' article 803 du code de procédure civile, postérieurement à la clôture « aucune conclusion ne peut être déposée, aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office » sauf diverses demandes limitativement énumérées en son second alinéa, parmi lesquelles la révocation de l'ordonnance de clôture que l' article 803 du même code soumet à l'exigence de la révélation « d'une cause grave depuis qu'elle a été rendue ».

Force est ici de considérer que la production par la société Bouygues, en août 2021, d'un jugement rendu le 14 mai 2019 dans une instance dans laquelle cette même société Bouygues était demanderesse à l'action ne peut être considérée comme la révélation d'une cause grave postérieure à l'ordonnance de clôture rendue le 22 juin 2021.

Il importe peu, à cet égard, que deux conseils différents aient défendu les intérêts de la société Bouygues, dès lors qu'il s'agissait d'une même partie ayant nécessairement connaissance de la décision rendue le 14 mai 2019, qui plus est pour partie à son profit.

La société Bouygues est d'autant moins fondée en sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture que la société SAS faisait état, dans ses conclusions avant clôture, d'une « prétendue compensation » et d'une « prétendue créance intégralement rejetée par le liquidateur».

Alors que la société Bouygues avait, à ce stade de la procédure, toute faculté, si elle l'estimait utile au présent débat, de se prévaloir du jugement rendu deux ans auparavant par le tribunal de commerce qui limitait la créance revendiquée aux seuls surcoûts entraînés par la défaillance du sous-traitant après abandon de chantiers en décembre 2015, plutôt que de répliquer par son conseil, professionnel du droit, que cette contestation de sa créance ne remettait pas en cause l'application des clauses des contrats de sous-traitance et que « c'est le juge commissaire du tribunal de commerce de Créteil qui tranchera cette contestation » (page 25/38 de ses conclusions n° 1).

Il s'en induit que, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire formée par la société SAS, les conclusions au fond notifiées par les parties après clôture doivent être déclarées irrecevables, la cour ne statuant que sur les conclusions précitées (n° 2 et n° 1), de même que doit être écartée des débats la pièce n° 49 (soit le jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 14 mai 2019) produite par la société Bouygues postérieurement à la clôture.

Sur le périmètre de la saisine de la cour

L'arrêt sus-visé rendu par la présente cour d'appel ayant fait l'objet d'une cassation totale, il y a lieu de considérer qu'il n'en subsiste rien, de sorte que cette même cour, désignée comme juridiction de renvoi, se trouve investie de la connaissance de l'entier litige, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation et qui portait sur l'identification du mécanisme opérant, au cas d'espèce, un transfert de créance et de ses effets particuliers induits quant à la date de son transfert dans le patrimoine du subrogé.

Il convient de constater que la société Bouygues poursuit la confirmation du jugement qui a débouté la SAS de toutes ses demandes - relevant incidemment que, pour la quatrième fois depuis le début de la procédure, elle modifie le quantum de sa demande indemnitaire pour la ramener à la somme de 263.655 euros, soit la différence entre le montant de sa créance admise au passif de la liquidation de la société Armat France et le total des sommes qui auraient été recouvrées judiciairement (1.118.444,54 ' 854.789 euros) ' mais ne conteste pas le rejet des exceptions de procédure et fins de non recevoir qu'elle a présentées devant le premier juge.

Sur l'action à l'encontre du tiers-saisi fondée sur l'existence de créances à exécution successive

Alors que dans le cadre de la saisie-attribution pratiquée le 15 octobre 2015, la société Bouygues a répondu à l'huissier, le 16 octobre 2015, qu'elle n'avait pas de sommes disponibles au nom de la société Armat, la société SAS fait valoir que toutes les sommes dues au 15 octobre 2015 et toutes les sommes dues postérieurement à cette date étaient intégralement saisies dès lors qu'il est « incontestable » que cette saisie-attribution a saisi les créances à exécution successive par le visa des articles R 211-15 à R 211-17 du code des procédures civiles d'exécution figurant dans l'acte au sein du rappel des divers textes applicables à la mesure.

La demanderesse à la saisine critique le jugement, évoquant une « saisie à exécution successive » alors que ce n'est pas la saisie qui détermine l'exécution successive mais la créance ou encore opérant une confusion entre les deux saisies, la première (du 15 octobre) visant expressément les créances à exécution successive et la seconde (du 24 novembre) pouvant être regardée, selon elle, comme une « saisie-attribution simple ».

Elle fait successivement valoir que la simple mention des textes précités est suffisante pour retenir que cette saisie s'appliquait expressément aux créances à exécution successive ; que les sociétés Bouygues et Armat France étaient liées par 4 contrats de construction, à savoir :

chantier [...] (marché à l'unité d'oeuvre au montant de 209.937 euros)

chantier P 19 Gaston T. à Paris (marché à l'unité d'oeuvre au montant de 461.091 euros)

chantier [...] (marché à forfait au montant de 521.000 euros)

chantier Batignolles P 17 (marché à forfait au montant de 333.313 euros)

dont le prix, ferme et non révisable, était fixé à l'avance et le règlement convenu sur remise de situations mensuelles par émission de factures correspondantes ; que pour chaque contrat les sommes facturées ne constituaient pas des créances distinctes nées d'accords indépendants mais, contrairement à ce que soutient la société Bouygues, des créances résultant d'un même contrat de sorte que l'article R 211-4 du code des procédures civiles d'exécution (sur l'obligation de déclaration spontanée du tiers saisi) a vocation à trouver application ; que la société Bouygues a d'ailleurs reconnu la portée de cette saisie-attribution sur les sommes dues postérieurement à la saisie par une lettre du 17 décembre 2015 et un paiement à son profit du 22 décembre 2015 (soit un chèque de 8.180,20 euros correspondant à une facture du 30 novembre 2015 de 41.498 euros); que ce tiers saisi qui n'a payé personne ne peut prétendre que ces quatre marchés sont des contrats-cadre eu égard à sa seule définition légale ressortant de l'article 1111 (nouveau) du code civil, d'autant qu'ils ne s'accompagnent pas de contrats d'application mais de simples situations de travaux donnant lieu à facturation et qu'il s'agit, en fait, de contrats à exécution successive ; que cette distinction est d'ailleurs dénuée d'intérêt dès lors que les prestations sont saisies, quand bien même elles ne seraient pas liquidées.

Elle ajoute que, par précaution, elle a fait délivrer une nouvelle saisie-attribution le 24 novembre 2015 et que la réponse qui lui a été faite, à savoir : « nous avons déjà réglé l'ensemble des sommes dues à l'instant t. A notre connaissance, cette société a cédé la totalité de ses créances » se heurte au fait qu'outre la question des cessions de créances, aucune preuve des paiements n'est rapportée.

Elle conclut que toutes les sommes relatives à des prestations effectuées par Armat au 15 octobre puis au 24 novembre 2015 sont saisies, quand bien même leur paiement serait à terme ou quand bien même elles ne seraient pas liquidées ou encore conditionnées à l'accord de Bouygues. Elle évoque précisément cinq factures émises les 30 septembre et 31 octobre 2015 (pièces 40, 44, 45, 50, 51) et trois du 25 novembre 2015 correspondant à des prestations antérieures (pièces 41, 46, 49) et affirme, pour finir, que Bouygues ne peut, non plus, se prévaloir d'une compensation avec sa propre créance sur Armat, au demeurant rejetée par le liquidateur, du fait de l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution.

Ceci étant exposé, il y a lieu de rappeler qu'en application de l'article L 112-1 du code des procédures civiles d'exécution une saisie-attribution peut porter sur une créance à exécution successive , selon la procédure régie par les articles R 211-1 et suivants du même code, ce qui évite au créancier saisissant de renouveler la mesure lors de chaque échéance, et que l'article 1111-1 (nouveau) du code civil, certes adopté postérieurement à la date de formation des contrats comme le fait valoir la société Bouygues, ne fait que transposer dans un texte la définition antérieurement dégagée par la doctrine et la jurisprudence en distinguant le contrat à exécution successive (à savoir « celui dont les obligations d'au moins une partie s'exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps ») du contrat à exécution instantanée (à savoir : « celui dont les obligations peuvent s'exécuter en une prestation unique »).

Il résulte, en l'espèce, de la procédure et des pièces versées aux débats que les sociétés Bouygues et Armat France étaient liées, à la date de la mesure, par quatre contrats de sous-traitance portant sur les opérations précitées dont les prix, fermes et non révisables, étaient convenus à l'avance et qui donnaient lieu à une exécution échelonnée dans le temps ainsi qu'à l'établissement mensuel d'une situation des prestations réalisées et, après vérifications et corrections, à l'établissement de règlements.

Pour soutenir que ces contrats n'entrent pas dans la catégorie des contrats à exécution successive , la société Bouygues n'est pas fondée à se prévaloir de « l'absence de certitude et d'automaticité dans l'établissement des créances à venir et dans leur liquidation » dès lors que le principe de la créance est acté dès l'origine, qu'il existe un principe unique de créance découlant du même contrat dont l'exigibilité est échelonnée dans le temps, la variation du quantum des échéances ou leur caractère provisoire mis en avant par le tiers saisi étant inopérants pour qualifier ce contrat.

Elle n'est pas davantage fondée en son moyen tiré de la qualification de contrat-cadre caractérisé, selon la doctrine, par une pluralité de créances naissant successivement d'actes juridiques distincts qui, bien qu'intégrés dans un ensemble, sont indépendants les uns des autres et que l'article 1111 (nouveau) du code civil définit comme « un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d'application en précisent les modalités d'application », lequel aurait pour effet de contraindre le créancier mettant en oeuvre une mesure d'exécution forcée à réitérer les saisies.

En effet, les sommes mensuellement autofacturées en l'espèce, fussent-elles d'un montant variable en fonction de l'étendue et de la qualité de la prestation réalisée, ne naissent pas successivement d'actes juridiques indépendants mais procèdent d'un accord unique ayant pour objet la fourniture et la pose d'armatures, suivant un planning et des quantités prédéfinis pour la construction d'immeubles de bureaux ou de logement à Paris, Clichy ou Suresnes.

Il en résulte que ces contrats de sous-traitance s'analysent en des contrats à exécution successive , que l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution opérée le 15 octobre 2015 a porté sur les sommes venant à échéance en exécution de ces quatre contrats jusqu'à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits à concurrence de ce que le tiers saisi doit au débiteur et que la société Bouygues était légalement tenue de déclarer spontanément à l'huissier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur.

Dès lors, en application de l'article R 211-5 du code des procédures civiles d'exécution, le tiers saisi est susceptible d'engager sa responsabilité s'il est établi une négligence fautive ou des déclarations inexactes ou mensongères.

Sur l'engagement de la responsabilité du tiers saisi

La société SAS reproche au premier juge d'avoir considéré, au terme de son analyse relative au caractère saisissable des créances au titre de ces quatre marchés qui prenait acte du défaut de contestation, par elle-même, d'une cession de type Dailly au profit de la société BTP Banque, que, s'agissant la société BNP Paribas Factor, « la référence aux textes régissant les cessions et nantissement Dailly doivent conduire à considérer que ce sont bien des cessions Dailly qui ont été notifiées à Bouygues », qu'elles ne pouvaient, en conséquence, être saisies car elles étaient sorties du patrimoine de la société Bouygues dès avant la première saisie-attribution et étaient donc indisponibles.

Elle conteste la motivation du jugement énonçant que « les créances correspondant aux factures dont la SAS revendique la saisie n'étant devenues certaines qu'à compter de l'émission desdites factures, soit le 22 octobre et le 23 novembre 2015, ne pouvaient être saisies le 15 octobre 2015 » et qu'à la date de la seconde saisie, elles n'étaient plus saisissables pour avoir été cédées à la société BNP Paribas Factor.

Elle incrimine, de plus, un défaut de motivation du jugement quant aux conventions de paiement pour compte au profit des sociétés Sabea et Armaplan les 21, 26 et 28 octobre 2015, reprochant au premier juge de les avoir tenues pour valables alors que la saisie-attribution prévalait sur ces paiements et que, de plus, la preuve d'un paiement effectif n'est pas administrée.

La société SAS fait valoir devant la présente cour de renvoi, en justifiant des autofactures correspondantes représentant, selon elle, des sommes dues même si elles devaient être liquidées à terme, que la saisie devait porter sur les sommes suivantes dues à la société Armat, non échues le 24 novembre 2015 et quand bien même certaines auraient été facturées postérieurement :

59.941,83 euros (facture émise le 31 octobre 2015)

35.112 euros (facture émise le 30 septembre 2015)

57.458 euros (facture émise le 31 octobre 2015)

84.864,45 euros (facture émise le 30 septembre 2015)

84.984,55 euros (facture émise le 31 octobre 2015)

mais aussi, pour des travaux du 25 novembre 2015, sur les sommes de 41.498,19 euros, 98.830 euros et de 81.662 euros qui correspondent à des prestations avant cette date.

Elle estime dénuée de pertinence l'argumentation adverse tenant au fait que la société Bouygues peut se prévaloir d'une compensation ou du transfert de créance au profit de la BNP Paribas Factor qui ne revendique d'ailleurs rien, ou encore qu'elle se serait crue en présence d'une cession Dailly, ajoutant que la Cour de cassation a définitivement jugé qu'elle n'était signataire que d'un contrat d'affacturage avec la société Armat pour les trois chantiers en cours.

Elle tire, en conséquence, argument du défaut de mention, par cette dernière, de l'existence des cessions de créances dans sa réponse à la saisie-attribution du 15 octobre 2015, considérant qu'en réalité la société Bouygues a fait des déclarations inexactes ou mensongères, en violation de l' article R 211-5 précité, et précisant qu'elle n'a toujours pas payé les sommes dues à Armat.

En réplique, la société Bouygues soutient que c'est à juste titre que le juge de l'exécution a considéré que les cessions de créances professionnelles dont s'agit étaient des cessions Dailly eu égard aux mentions figurant dans les courriers de notification conformes aux exigences des articles R 313-15 et suivants du code monétaire et financier qui les régissent, les mentions propres au contrat d'affacturage n'apparaissant pas dans ces notifications.

Elle fait valoir que la Cour de cassation n'a en aucun cas définitivement tranché, dans la présente affaire, pour dire que la BNP était liée par un contrat d'affacturage, se bornant à reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir examiné la convention et ses stipulations relatives aux modalités de transfert des créances, mais estime qu'en définitive cette question ne présente pas d'intérêt pour la solution du litige dès lors qu'il s'avère que, quel que soit le support utilisé (cession Dailly ou subrogation conventionnelle) le transfert de créance a pour effet de sortir la créance du patrimoine du cédant au bénéfice du factor qui en devient « propriétaire » à la date du paiement subrogatoire (pour le factor subrogé) ou à la date du bordereau de cession (pour le factor cessionnaire) car dans les deux cas le transfert est, à ces dates, opposable erga omnes.

En l'espèce, compte tenu de la notification reçue dont le caractère trompeur a pu être reconnu par la société SAS, elle a pu considérer en toute bonne foi qu'il s'agissait de cessions Dailly, qu'elle n'a découvert le contrat d'affacturage de la BNP que postérieurement au 15 octobre 2015 et qu'il ne peut lui être reproché la moindre négligence fautive ou des déclarations inexactes ou mensongères.

Elle reprend les termes des réponses fournies à l'huissier, ceci dans le contexte de la notification de la BNP Paribas Factor, le 08 octobre 2015, de l'entier marché relatif au chantier de Suresnes-Rothschild et estime qu'aucune incohérence ou inexactitude ne peut lui être imputée à faute quant à l'absence de sommes disponibles déclarée ; que la formule employée était, à son sens, suffisamment générale pour viser à la fois les cessions de créances et les protocoles de paiement pour compte ; qu'il ne peut, non plus, lui être fait grief, ajoute-t-elle, d'avoir agi en fraude des droits de la société SAS en payant les fournisseurs d'Armat (soit les sociétés Sabea et Armaplan) au titre de trois protocoles de paiement régularisés les 21, 26 et 28 octobre 2015 dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle devait les sommes désormais réclamées par la société SAS à hauteur de 263.655 euros, d'autant que les bons d'acompte ne valent en aucun cas reconnaissance de dette et qu'au 15 mars 2016, date de sa déclaration de créance à la liquidation de la société Armat, celle-ci était redevable d'une somme totale de 717.698,77 euros TTC au titre de trois chantiers (Malakoff, Gaston T., Suresnes-Rothschild), étant rappelé que c'est au créancier saisissant qu'il appartient d'établir que son créancier était débiteur du tiers saisi et constaté que SAS s'en abstient.

Elle affirme, enfin, qu'elle a effectivement versé les sommes qu'elle restait devoir aux sociétés BTP Banque et BNP Paribas Factor après la notification de cessions de créances et conclut, pour finir, que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société SAS de l'ensemble de ses demandes.

Ceci étant exposé, il résulte des dispositions des articles L 211-3 et L 123-1 du code des procédures civiles d'exécution que le tiers saisi doit « apporter son concours lorsqu'il en est légalement requis », qu'il « est tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures ».

Il doit, par conséquent, répondre à l'huissier poursuivant de façon précise sans omettre les éléments susceptibles d'affecter l'obligation le liant au débiteur, et, en application de l' article R 211-5 du même code, peut être condamné au paiement de dommages-intérêts « en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère ».

A l'examen des pièces de la procédure et, plus précisément des actes de saisie-attribution litigieux et des réponses fournies (reprises in extenso ci-avant), il y a lieu de considérer que la société Bouygues qui s'est conformée à son obligation en répondant par sa direction juridique ' dont il pouvait être attendu une bonne connaissance de la règle de droit et qui, en l'espèce, s'est donné un temps de réponse à l'huissier ' a, d'abord, omis de le renseigner sur l'étendue de ses obligations.

Il en ressort en effet que ceci lui était expressément demandé, aux termes des actes délivrés, qu'il s'agisse de l'objet de la saisie-attribution et « des sommes dont vous êtes personnellement tenu envers la Sarl SAS France », de l'insertion de l' article L 213-3 dans l'acte qui vise « l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur » ou, sous la mention en caractères apparents « Très important » la précision : « vous êtes tenu de me fournir sur le champ les renseignements prévus à l' article L 211-3 du code des procédures civiles d'exécution et, à cette fin, de me communiquer tous renseignements et pièces justificatives relatifs à l'étendue de vos obligations envers le débiteur et, notamment, la nature du ou des comptes ainsi que leur solde à ce jour ».

La société Bouygues s'est bornée à répondre « qu'à ce jour nous n'avons pas de sommes disponibles », omettant ainsi de faire état de l'existence de quatre marchés de sous-traitance en cours d'exécution appelés à donner lieu à des paiements auxquels elle était personnellement tenue.

Du fait de l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution et de créances à exécution successive , si la société Bouygues fait état, pour sa défense devant la cour, d'une pratique d'autofacturation et des dispositions de l' article 22 des conditions spécifiques du contrat de sous-traitance selon lequel « les sommes versées en fonction de l'avancement des travaux sont réputées provisoires, elles peuvent être modifiées postérieurement en application du contrat.

Elles ne deviennent certaines, liquides et exigibles pour le bénéficiaire que sous réserve du respect par le sous-traitant des obligations mises à sa charge en vertu du contrat et notamment de l' article 23 », il lui était loisible d'en informer l'huissier comme ceci résulte de l' article L 211-3 précité prévoyant la délivrance de renseignements relatifs aux modalités qui pourraient affecter ses obligations.

S'agissant, par ailleurs, de la déclaration à l'huissier instrumentaire de la créance cédée le 23 septembre 2015 par la la société Armat France à la société BNP Paribas Factor, à juste titre la société Bouygues réplique à la société SAS que la Cour de cassation n'a pas « définitivement jugé » que la BNP Paribas Factor était signataire d'un contrat d'affacturage avec Armat France pour trois des chantiers Bouygues dès lors que l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 ne fait que renvoyer à l'examen des conventions de cession de créances et non point simplement à leurs notifications pour en juger.

Elle ne peut, en revanche, être suivie lorsqu'elle estime que la question de la détermination du mécanisme de transfert des créances cédées ne présente pas d'intérêt pour la solution du litige alors même qu'elle identifie justement les effets de la cession Dailly (à savoir, par application de l'article L 313-27 du code monétaire et financier en sa version applicable, que c'est la date apposée par le cessionnaire sur le bordereau lors de sa remise qui emporte le transfert de plein droit de la propriété de créance du client de l'établissement de crédit ou de la société de financement bénéficiaire du bordereau dans son patrimoine) et ceux de la cession par subrogation (à savoir, selon l'article 1250 alinéa 1er du code civil, que c'est la date du paiement qui emporte le transfert) et qu'il est donc nécessaire de démontrer l'antériorité du transfert ou de la subrogation pour exclure l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution.

Force est de considérer, en l'espèce, que la convention liant les sociétés BNP Paribas Factor et Armat s'analysait en un contrat d'affacturage dont les effets sont prévus à l'article 1250 du code civil et non point en une cession de créance dite Dailly, ainsi que l'admet l'affactureur qui précise en outre, dans ses conclusions, qu'il a notifié à la société Armat, le 24 novembre 2015, la résiliation sans préavis du contrat d'affacturage en raison de la brusque augmentation des risques.

Simplement destinataire de la notification d'une cession de créance par la société BNP Paribas Factor à la date du 08 octobre 2015 (comme en atteste le cachet de réception apposé sur cet acte produit en pièce n° 36 de la société Bouygues) qui visait les dispositions des articles L 313-23 à L 313-34 du code monétaire et financier facilitant le crédit aux entreprises, la société Bouygues, débiteur cédé, pouvait tenir pour acquis que cette cession avait vocation à produire les effets d'une cession dite Dailly, l' article L 313-28 du même code prévoyant qu'à compter de la notification, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ou de la société de financement.

Toutefois, il peut lui être reproché un défaut de diligence dès lors qu'elle s'est trouvée destinataire, ce même 08 octobre 2015, de la notification de cette cession de créance et d'un acte de saisie conservatoire ayant pour effet de rendre indisponibles les sommes pour lesquelles elle était pratiquée.

Elle se trouvait, de ce fait, confrontée à une situation de conflit et il pouvait être attendu du département juridique de cette société qui s'est donné un temps de réponse de 48 heures, qu'il fasse montre de prudence dans l'exécution du devoir d'information qui lui incombe en procédant, en particulier, à la vérification de la nature du contrat liant les sociétés Armat et BNP Paribas Factor, étant relevé que les dispositions du code monétaire et financier précitées obligent le cessionnaire à justifier des modalités de la convention en cas de contestation.

Ces diligences de nature à renseigner l'huissier instrumentaire sur la disponibilité des sommes entre ses mains s'imposaient d'autant plus, étant incidemment relevé que la société Bouygues assimilait dans son courrier du 12 octobre 2015 la saisie conservatoire pratiquée le 08 octobre 2015 à une saisie-attribution, qu'elle était effectivement en présence d'une saisie-attribution dont elle ne pouvait ignorer l'effet attributif immédiat rappelé, dans l'acte, par la reprise des dispositions de l' article L 211-2 alinéa premier.

Ainsi qu'observé par la société SAS, la société Bouygues n'a pas mentionné l'existence d'une quelconque cession de créance dans sa réponse du 16 octobre 2015 à la saisie-attribution du 15 octobre 2015 et alors qu'elle s'en prévaut devant la cour de renvoi, communiquant notamment une notification de cession de créance dite Dailly, le 22 juin 2015, par la société Banque du Bâtiment et Travaux Publics dans le cadre du marché de Malakoff (sans pour autant produire la convention liant cette banque à la société Armat), elle ne rapporte la preuve d'aucune revendication de ces cessionnaires ni du moindre paiement.

Il convient, par conséquent, de retenir une série de négligences imputables à faute à la société Bouygues dans l'exécution de ses obligations de tiers saisi.

Il résulte de ce qui précède, sans qu'il n'y ait lieu de faire droit à la demande de communication de pièces sous astreinte présentée par la société SAS, que la responsabilité de la société Bouygues doit être retenue, sur le fondement de l'article R 211-5 du code des procédures civiles d'exécution et que le jugement sera infirmé en ce qu'il en dispose autrement.

Sur la réparation du préjudice

La société SAS poursuit le paiement de la somme indemnitaire de 263.655 euros correspondant, comme il a été dit, aux sommes dues par la société Armat qu'elle n'a pu recouvrer à la date de la présente instance sur renvoi après cassation.

Après avoir stigmatisé la variation des demandes indemnitaires de son adversaire et pour conclure au rejet de la demande, la société Bouygues débat du quantum de la somme finalement réclamée à travers l'analyse des différentes factures émises, qualifiées de « prétendues « .

Elle se prévaut en outre du fait que ne sont visées que de simples situations de travaux qui ont donné lieu à des vérifications, du caractère tardif de l'établissement de bons d'acompte valant facture en regard de la date des saisies-attribution ou encore des cessions Dailly notifiées à Bouygues par la société BNP Paribas ou la Banque BTP qui les ont fait sortir du patrimoine d'Armat France en faisant obstacle à leur appréhension.

Elle invoque la défaillance de la société Armat dans les opérations 121 Malakoff, Gaston T. et Suresnes Rothschild, courant décembre 2015, ainsi que l'abandon de ses chantiers qui l'ont contrainte à déclarer à la liquidation de cette société Armat une créance de 715.971,51 euros pour ces trois opérations et estime que la société SAS n'est pas fondée à revendiquer le paiement en sa faveur de situations de travaux à échéance au 31 décembre 2015 ou 31 janvier 2016 (soit 6 factures émises pour un montant de 343.720,50 euros).

Ceci étant rappelé et s'agissant de l'existence d'un préjudice, il convient de considérer que les dispositions du droit spécial régissant les voies d'exécution font obligation au tiers, lorsqu'il est légalement requis, d'apporter son concours dans le cadre d'une procédure engagée aux fins d'exécution et le rendent débiteur d'une obligation de renseignement sincère et exhaustive, indépendamment de l'obligation au paiement qui ressort d'un devoir distinct et peut être contesté devant le juge de l'exécution.

L'argumentation de la société Bouygues qui entend faire la démonstration d'une absence de préjudice résultant des fautes qui lui sont imputées ne peut prospérer dès lors qu'elle était créancière de sommes résultant de quatre contrats à exécution successive dont le saisissant n'a pas été informé et que ces sommes ont été comptabilisées postérieurement aux saisies-attribution sans tenir compte du fait qu'elles étaient frappées d'indisponibilité du fait de la saisie, contribuant ainsi à la réalisation du dommage.

Il peut être ajouté, en toute hypothèse, qu'il résulte de la doctrine de la Cour de cassation que la réponse inexacte donnée par le tiers à l'huissier de justice suffit pour retenir qu'il en est résulté un préjudice (Cass civ 2ème, 19 mars 2009, pourvoi n° 08-11303, publié au bulletin).

S'agissant de son quantum, il convient de considérer que du fait de l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution sur les créances à exécution successive , la société Bouygues ne peut se prévaloir de la régularité d'une créance personnelle de fin de chantier à l'encontre de la société Armat qui a pris naissance en décembre 2015.

Si la société SAS soutient que ne sont pas satisfaites les conditions légales de la compensation, il convient surtout de faire application des dispositions de l'article L 211-2 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution duquel il résulte que la saisie-attribution d'une créance à exécution successive pratiquée à l'encontre de son titulaire avant la survenance d'un jugement portant ouverture d'une liquidation judiciaire de celui-ci, comme en l'espèce, produit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance après ledit jugement.

Elle ne peut non plus valablement opposer à la société SAS les protocoles portant paiement pour compte régularisés les 21, 26 et 28 octobre 2015 avec les sociétés Sabea, fournisseur d'Armat France, pour un montant de 67.611,92 euros et Armaplan, autre fournisseur d'Armat, dont elle pu tirer profit. C'est en méconnaissance de l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution pratiquée le 15 octobre 2015 que le premier juge a retenu que « la part Sabea expressément déduite des sommes dues à la société Armat France ne peut être considérée comme étant disponible dans le patrimoine de la société Armat France au jour de (la) seconde saisie (du 24 novembre 2015) »

Au soutien de sa demande indemnitaire, société SAS fait état, en en justifiant (pièces 40, 44, 45, 50, 51, 41, 46, 49), de prestations facturées (explicitées ci-avant) concernées par l'effet attributif immédiat de la saisie-attribution pour un montant total de 544.351,02 euros venues alimenter le compte de sa débitrice.

Eu égard à ce qui précède, la société SAS peut prétendre à l'indemnisation du préjudice corrélatif résultant de la perte de chance d'éviter le dommage qu'elle subit à hauteur de la somme de 263.655 euros, montant résiduel de sa créance à la suite des différentes procédures qu'elle a engagées pour en obtenir le recouvrement.

La société Bouygues sera, par conséquent, condamnée au paiement de cette dernière somme et le jugement infirmé en ce qu'il en dispose autrement.

Sur les autres demandes

Le jugement sera également infirmé en ses condamnations de la société SAS au paiement de diverses sommes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner la société Bouygues Bâtiment Ile de France à verser à la société SAS la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bouygues Bâtiment Ile de France qui succombe sera déboutée de ce dernier chef et condamnée à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant ceux de l'arrêt censuré

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

Déclare irrecevables les conclusions au fond des parties notifiées après le prononcé de l'ordonnance de clôture par ordonnance rendue le 22 juin 2021 ;

Ecarte des débats la pièce numéro 49 (soit le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de commerce de Créteil) produite par la société Bouygues avec ses conclusions au fond n° 2 du 02 août 2021 qui en constituaient le support ;

Vu l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation et la saisine de la présente cour de renvoi ;

INFIRME le jugement entrepris et, statuant à nouveau ;

Condamne la société anonyme Bouygues Bâtiment Ile de France, tiers saisi, à verser à la société par actions simplifiée SAS la somme indemnitaire de 263.655 euros en réparation du préjudice résultant de la faute commise dans l'exécution de son obligation de renseignement ;

Rejette le surplus des demandes présentées par les parties ;

Condamne la société Bouygues Bâtiment Ile de France à verser à la société SAS la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.