CA Caen, 1re ch. civ., 17 janvier 2023, n° 22/00410
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
L’URSSAF de Basse-Normandie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guiguesson
Conseillers :
M. Garet, M. Gance
Avocats :
Me Levacher, Me Lagasse, Me Balavoine
FAITS ET PROCEDURE
M. [O] [Z], chirurgien-dentiste exerçant en qualité de gérant de la Selarl Dr [Z], reste redevable d'un arriéré de cotisations de sécurité sociale pour le paiement duquel il est poursuivi par l'Urssaf de Basse-Normandie.
Par acte du 9 décembre 2020, l'Urssaf de Basse-Normandie a fait procéder à une saisie-attribution à exécution successive entre les mains de la Selarl Dr [Z] pour avoir paiement d'une somme totale de 669.433,95 € en principal, intérêts et frais.
Cette saisie-attribution lui ayant été dénoncée par acte du 15 décembre 2020, M. [Z] a fait assigner l'Urssaf de Basse-Normandie devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Cherbourg aux fins de nullité de la saisie et de mainlevée de celle-ci.
Par jugement du 3 février 2022, le magistrat a :
- déclaré valable la saisie-attribution à exécution successive pratiquée le 9 décembre 2020 par l'Urssaf de Basse-Normandie entre les mains de la Selarl Dr [Z] en vue du recouvrement de la somme de 669.433,95 € en principal, intérêts et frais due par M. [Z] ;
- dit n'y avoir lieu à mainlevée de la saisie ;
- débouté M. [Z] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouté l'Urssaf de Basse-Normandie de sa demande de communication de pièces sous astreinte ;
- condamné M. [Z] à verser à l'Urssaf de Basse-Normandie la somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure et résistance abusive ;
- condamné M. [Z] aux dépens ;
- condamné M. [Z] à payer à l'Urssaf de Basse-Normandie une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 17 février 2022, M. [Z] a interjeté appel de ce jugement.
L'appelant a notifié ses dernières conclusions le 15 avril 2022, l'intimée les siennes le 10 mai 2022.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 12 octobre 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [Z] demande à la cour de :
- rejeter toutes écritures adverses comme étant infondées ;
- déclarer recevable son appel formé à l'encontre du jugement déféré';
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger que le procès-verbal de saisie-attribution du 9 décembre 2020 est entaché d'irrégularités constituées, non seulement par l'absence de décompte précis concernant les frais de procédure dont le paiement lui est réclamé, mais également par l'absence de décompte précis concernant l'assiette et le point de départ des majorations, ainsi que l'assiette, le taux et le point de départ des intérêts ;
- juger que ces irrégularités lui causent un grief, car ce dernier n'a pas pu procéder à des vérifications quant aux sommes réclamées ;
En conséquence,
- annuler le procès-verbal de saisie-attribution ;
- ordonner la mainlevée de la saisie attribution ;
A titre subsidiaire,
- juger qu'aucune saisie-attribution à exécution successive ne peut être pratiquée entre les mains de la Selarl Dr [Z], s'agissant de saisies de créances distinctes ;
En conséquence,
- annuler le procès-verbal de saisie-attribution du 9 décembre 2020 ;
- ordonner la mainlevée immédiate de la saisie-attribution à exécution successive ;
A titre très subsidiaire,
- déduire des causes de la saisie la somme de 7.227,98 € en raison de l'imprécision des frais de procédure réclamés ;
- déduire des causes de la saisie la somme de 1.534 € en raison de l'absence de mention du taux, de l'assiette et du point de départ des majorations ;
Dans tous les cas,
- débouter l'Urssaf de Basse-Normandie de l'intégralité de ses demandes à son encontre ;
- condamner l'Urssaf de Basse-Normandie au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts ;
- condamner l'Urssaf de Basse-Normandie au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'Urssaf de Basse-Normandie aux entiers dépens de l'instance, en ce compris le coût du procès-verbal de saisie-attribution du 9 décembre 2020 et de sa dénonciation.
Au contraire, l'Urssaf de Basse-Normandie demande à la cour de :
- déclarer irrecevable l'appel interjeté à son encontre;
- rejeter les demandes formées à son encontre comme étant irrecevables ;
- condamner M. [Z] aux dépens d'appel.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel':
Pour contester la recevabilité de l'appel interjeté à son encontre, l'organisme fait essentiellement valoir':
- qu'alors que l'affaire avait été plaidée devant le juge de l'exécution en son audience du 9 décembre 2021, soit à une époque où l'Urssaf de Basse-Normandie existait encore, un arrêté, en date du 28 juillet 2021, est entré en vigueur le 1er janvier 2022, pendant le cours du délibéré, portant création de l'Urssaf de Normandie, organisme qui est issu de la fusion entre les anciennes Urssaf de Haute-Normandie et de Basse-Normandie, lesquelles ont été dissoutes à cette date';
- que depuis cette époque, l'Urssaf de Basse-Normandie n'a plus d'existence légale, de sorte que M. [Z] ne pouvait pas valablement interjeter appel du jugement à son encontre, étant en effet rappelé, par application de l'article 32 du code de procédure civile, qu'est irrecevable toute prétention émise contre une personne dépourvue du droit d'agir.
La cour ne saurait suivre l'intimée dans cette analyse, étant en effet observé':
- qu'en dépit de la dissolution de l'Urssaf de Basse-Normandie intervenue à effet du 1er janvier 2022, le jugement déféré, en date du 3 février 2022, a bien été rendu à l'égard de l'Urssaf de Basse-Normandie';
- que dans ces conditions, M. [Z] ne pouvait pas intimer devant la cour une autre partie que celle à l'égard de laquelle la décision contestée avait été rendue, soit l'Urssaf de basse-Normandie';
- qu'au demeurant, si l'Urssaf de Basse-Normandie a certes été dissoute à effet du 1er janvier 2022, pour autant l'arrêté du 28 juillet 2021 dispose que «'les biens, droits et obligations des Urssaf de Haute-Normandie et de Basse-Normandie sont transférés à l'Urssaf de Normandie'», organisme nouvellement créé'; qu'ainsi, l'Urssaf de Normandie a nécessairement repris à son compte les droits que l'ancienne Urssaf de Basse-Normandie pouvait tirer du jugement rendu en sa faveur ;
- qu'à cet égard, il ne saurait être reproché à M. [Z], en l'absence d'intervention volontaire à l'instance d'appel de la nouvelle Urssaf de Normandie, de ne pas l'avoir lui-même appelée à la cause, dès lors en effet':
* que c'est bien l'Urssaf de Basse-Normandie qui a accusé réception de la déclaration d'appel que M. [Z] lui a fait signifier par un acte du 28 mars 2022, étant observé que cet acte a été remis à un agent qui a indiqué être habilité à le recevoir au nom de l'Urssaf de Basse-Normandie';
* que c'est encore sous le nom d'Urssaf de Basse-Normandie que l'organisme a constitué avocat devant la cour le 8 avril 2022';
* que c'est toujours sous cette même identité que l'organisme a conclu devant la cour le 10 mai 2022.
En conséquence et sauf à considérer que l'organisme, sous la dénomination qu'il persiste à vouloir conserver, renonce à défendre devant la cour voire à poursuivre le recouvrement des cotisations à l'origine du litige,'ce qui n'est cependant pas soutenu, la fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée.
Sur le moyen tiré de la nullité de la saisie-attribution':
- Irrégularité du décompte figurant dans le procès-verbal de saisie'pour défaut de précision des frais de procédure appliqués':
Se prévalant de l'article R 211-1 du code des procédures civiles d'exécution selon lequel l'acte de saisie contient à peine de nullité, notamment, le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorées d'une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d'un mois prévu pour élever une contestation, M. [Z], qui considère que le procès-verbal manque de précision quant aux frais de procédure qui lui ont été appliqués, dénonce l'irrégularité du procès-verbal et réclame en conséquence l'annulation de la saisie.
Cependant, ainsi que le premier juge l'a justement retenu, si les dispositions précitées prescrivent, à peine de nullité, de faire figurer dans l'acte de saisie un décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts, en revanche elles n'exigent pas que chacun de ces postes soit détaillé.
Par ailleurs, la circonstance qu'un de ces postes s'avère injustifié n'affecte que la portée de la saisie, non sa validité.
En l'espèce, le procès-verbal de saisie-attribution du 9 décembre 2020 distingue':
- d'une part chacune des créances à recouvrer': celle issue d'une contrainte du 30 juillet 2015 validée par un jugement devenu exécutoire du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche du 16 novembre 2018 (dossier 1901589), celle issue d'une contrainte devenue exécutoire du 17 septembre 2018 (dossier 1808045), celle issue d'une contrainte devenue exécutoire du 28 novembre 2018 (dossier 1809470), enfin celle issue d'un jugement devenu exécutoire du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche du 28 décembre 2018 (dossier 1902452)';
- d'autre part et pour chacune de ces quatre créances, un décompte détaillant le «'principal d'ouverture'», les sommes dues au titre de l' article 700 du code de procédure civile, les majorations de retard, les frais de procédure, l'émolument réclamé au titre de l' article A 444-31, le droit d'engagement des poursuites, enfin les versements effectués, eux-mêmes déduits des sommes réclamées au titre de la saisie.
Certes, le procès-verbal n'énumère pas lui-même les «'frais de procédure'» réclamés par l'organisme, ceux-ci ayant été détaillés depuis par l'Urssaf à l'occasion du débat judiciaire de première instance (cf les pièces n° 11 et 12 de l'intimée).
Dès lors, il est exact que M. [Z] n'a pas été mis en mesure, au stade initial de la saisie, de s'assurer de la justesse des sommes qui lui étaient réclamées au titre de ces frais.
En conséquence, dans la mesure où ce défaut de précision affecte non pas la validité de la saisie mais néanmoins sa portée, il y a lieu de déduire les sommes de 1.684,30 €, 72,88 €, 40,09 € et 5430,71 € du champ des sommes à recouvrer dans le cadre de celle-ci, de sorte que la saisie ne pourra pas excéder la somme de 662.205,97 €.
- Irrégularité du décompte figurant dans le procès-verbal de saisie'pour défaut de précision des intérêts et majorations de retard appliqués':
Ici encore, M. [Z] se prévaut des dispositions de l'article R 211-1 du code des procédures civiles d'exécution pour dénoncer le manque de précision figurant dans le procès-verbal de saisie quant aux intérêts et majorations qui lui ont été appliquées.
Cependant, ainsi que le premier juge l'a justement retenu, les dispositions précitées n'exigent pas que l'acte de saisie fasse mention de l'assiette de calcul des majorations et intérêts de retard, de leur point de départ ni de leur taux.
Par ailleurs, il convient d'observer que pour certaines de ces majorations, elles sont intégrées dans le «'principal d'ouverture'» visé au procès-verbal de saisie, comme faisant partie des sommes déjà précisées et détaillées dans les titres exécutoires (contraintes ou jugements) décernées à l'encontre de M. [Z].
Il suffisait donc au débiteur de s'y reporter pour prendre connaissance du mode de calcul ainsi que du montant détaillé des majorations et intérêts qui lui ont été appliqués, sans pouvoir exiger de l'Urssaf qu'elle en dresse à nouveau un décompte détaillé dans l'acte de saisie.
L'organisme a donc satisfait aux prescriptions de l' article R 211-1.3°, de sorte que M. [Z] sera débouté de sa demande tendant à la nullité de l'acte de saisie, comme de celle tendant à voir déduire des sommes à recouvrer celles réclamées au titre des majorations et intérêts.
Sur le moyen tiré d'une créance saisissable née d'un contrat unique à exécution successive ':
L'article R 211-14 du code des procédures civiles d'exécution dispose':
«'Les articles R 211-1 à R 211-13 s'appliquent à la saisie des créances à exécution successive , sous réserve des dispositions suivantes.'»
L' article R 211-15 ajoute':
«'En l'absence de contestation, les sommes échues après la saisie sont versées sur présentation du certificat prévu à l' article R 211-6.
Le tiers saisi se libère, au fur et à mesure des échéances, entre les mains du créancier saisissant ou de son mandataire qui en donne quittance et en informe le débiteur.'»
C'est précisément sur ce fondement que l'Urssaf a procédé à la saisie litigieuse entre les mains de la Selarl Dr [Z], l'organisme prétendant se faire régler de sa créance au fur et à mesure du versement par la Selarl des rémunérations dues au gérant de celle-ci, M. [Z].
Or, pour s'y opposer, ce dernier fait valoir':
- que les statuts de la Selarl ne comportent aucune clause relative à la rémunération susceptible d'être versée à son gérant, seule l'assemblée générale pouvant en décider et fixer la somme à lui régler';
- que si certaines assemblées ont pu lui accorder des rémunérations à ce titre, aucune n'en a jamais fixé le montant pour l'avenir';
- qu'en outre, ces rémunérations ont toujours été fixées «'dans un premier temps'» ainsi que les résolutions en font mention, lesdites rémunérations étant dès lors seulement provisoires';
- qu'en tout état de cause, il ne s'agit pas de créances à exécution successive (comme pourraient l'être des créances de loyer par exemple), mais de créances distinctes, par là même insusceptibles d'une saisie-attribution unique comme celle pratiquée le 9 décembre 2020';
Cependant et à l'instar de ce qu'a justement décidé le premier juge, la cour rappelle':
- que les statuts de la Selarl Dr [Z] précisent en leur article 17 que «'chacun des gérants a droit, en rémunération de ses fonctions, à un traitement fixe ou proportionnel, ou à la fois fixe et proportionnel, à passer en frais généraux'» et que «'les modalités d'attribution de cette rémunération, ainsi que son montant, sont fixés par décision ordinaire des associés'»';
- que c'est donc à tort que M. [Z] persiste à soutenir que les statuts de la Selarl ne comportent aucune clause relative à la rémunération du gérant';
- que depuis plusieurs années au moins, successivement en 2019, 2020 et 2021, chaque assemblée générale annuelle décide de lui servir une rémunération de gérant d'un montant mensuel de 35.000 €';
- qu'il s'agit donc bien de rémunérations régulières et ininterrompues versées chaque année à M. [Z], par là même de créances à exécution successive au sens des articles R 211-14 et suivants';
- qu'il importe peu également que ces sommes soient réglées «'dans un premier temps'», cette formulation, qui apparaît effectivement dans chacune des résolutions, n'ayant pas d'autre objet que de signifier que le gérant est susceptible de percevoir en sus un complément de rémunération'; qu'en tout état de cause, ces rémunérations sont versées à titre définitif au gérant, sans que celui-ci justifie avoir jamais dû en rembourser tout ou partie à la Selarl.
Dans ces conditions, la saisie-attribution pratiquée à la requête de l'Urssaf suivant acte du 9 décembre 2020, à exécution successive et au fur et à mesure du versement des rémunérations versées par la Selarl à son gérant, n'encourt aucune critique.'
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande tendant à la nullité ainsi qu'à la mainlevée de la saisie litigieuse.
Sur les autres demandes':
L'Urssaf, qui s'est d'ailleurs abstenue de conclure sur le fond devant la cour, ne justifie pas du caractère abusif du recours formé par M. [Z] à l'encontre de la saisie-attribution dont il a fait l'objet. En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [Z] à lui payer une somme de 2.500 € à titre de dommages-intérêts, l'organisme devant être débouté de toute demande à ce titre.
De même, faute de démontrer en quoi l'Urssaf aurait commis une faute en procédant au recouvrement forcé des sommes qui lui sont dues, M. [Z] sera débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [Z] au paiement d'une somme de 4.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, partie perdante, M. [Z] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition, contradictoirement et en dernier ressort':
- rejette la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. [O] [Z]';
- confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [O] [Z] de sa demande tendant à la nullité ainsi qu'à la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 9 décembre 2020 à la requête de l'Urssaf de Basse-Normandie entre les mains de la Selarl Dr [Z], en ce qu'il a condamné M. [O] [Z] au paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il a condamné M. [O] [Z] aux dépens de première instance';
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant':
* valide la saisie-attribution litigieuse pour un montant ramené à la somme de 662.205,97€ en principal, majorations et intérêts restant due par M. [O] [Z]';
* déboute les parties du surplus de leurs demandes';
* condamne M. [O] [Z] aux entiers dépens de la procédure d'appel.