CA Aix-en-Provence, ch. civ., 20 juillet 1994, n° 94/10845
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mariani (ès qual.), Société en Commandite Simple Burles et Cie (Sté)
Défendeur :
Grossetti (ès qual.), Crédit Foncier de France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. François
Conseillers :
M. Rosello, Mme Braizat
Avoué :
Me Ermeneux
Avocat :
Me Abela
I FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant actes d'huissier des 16 et 21 mars 1994, le CREDIT FONCIER DE FRANCE a fait pratiquer des saisies attributions entre les mains de locataires de la SOCIETE BURLES ET CIE pour avoir paiement d'une somme de 38.890.046 F restant due en capital par cette société ;
Par jugement du 21 mars 1994, le Tribunal de Commerce d'AIX EN PROVENCE, admettait la SOCIETE BURLES ET CIE au redressement judiciaire, Me MARIANI étant désigné comme administrateur et Me GROSSETTI comme représentant des créanciers ;
Le 12 avril 1994, la SOCIETE BURLES ET CIE et Me MARIANI saisissaient le Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE d'une demande de main-levée des saisies-attributions aux motifs que celle du 21 mars 1994 effectuée le même jour que l'ouverture du redressement judiciaire, tombait sur le coup de l'article 47 alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985, cette procédure étant réputée intervenue à 0 heure ; que les autres saisies effectuées le 16 mars 1994 tombaient également sous le coup de ce texte, les créances de loyers venant à échéance le 1er avril 1994 n'étant pas liquides et exigibles le jour des saisies ;
Retenant qu'il y avait lieu de donner main-levée de la saisie-attribution effectuée le jour même où la procédure de redressement judiciaire avait été ouverte mais que pour celles pratiquées antérieurement, les loyers constituant des créances à exécution successive dont l'exécution n'était pas immédiate étaient cependant nées dans le patrimoine du débiteur et pouvaient donc être valablement saisis en application de l'article 13 de la loi du 9 juillet 1991, et de l'article 43 de cette loi rendant inopérant le redressement judiciaire à l'égard des procédures de saisie-attribution, que la sauvegarde des intérêts de la SOCIETE BURLE ne pouvait conduire à refuser au créancier de prendre des mesures "conservatoires" à son profit,
le premier juge a donné main-levée de la saisie-attribution pratiquée le 21 mars 1994 mais a rejeté la demande de main-levée des saisies attributions pratiquées le 16 mars 1994 ;
Au soutien de leur appel, Me MARIANI es-qualités et la SOCIETE BURLES invoquent le conflit existant selon eux entre les deux lois d'ordre public, celle du 25 janvier 1985 et celle du 9 juillet 1991 en prétendant que celle de 1985 doit prévaloir, notamment pour l'application de ses articles 1er, 35 à 37, 47 à 50 ; au regard de la loi de 1991, ils contestent le caractère disponible des créances saisies le 16 mars 1994 en invoquant l'opinion des Prs DERRIDA et DONNIER selon laquelle les créances à exécution successive apparues après le jugement de redressement judiciaire sont frappées dès leur naissance par les règles du dessaisissement avant qu'elles ne puissent être affectées par la saisie, l'article 13 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991 ne se référant pas à l'effet translatif immédiat de l'article 43 alinéa 1er ; ils concluent donc à la réformation partielle du jugement du 2 juin 1994 en demandant à la Cour d'ordonner la main-levée des saisies attributions pratiquées le 16 mars 1994 ; prétendant en outre que le CREDIT FONCIER DE FRANCE témoigne en l'affaire d'une volonté manifeste de nuire en privant la SOCIETE BURLES des ressources nécessaires à son redressement, ils réclament à l'intimé 600.000 F à titre de dommages-intérêts ; ils lui réclament enfin 50.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens ;
Le CREDIT FONCIER DE FRANCE réplique que la loi d'ordre public du 25 janvier 1985 est spéciale tandis que celle du 9 juillet 1991 est générale et s'applique à tous, et que si l'une doit être privilégiée, c'est celle de 1991 qui doit l'être ; que les appelants confondent le terme "disponible" utilisé dans l'article 43 de la cette loi avec le terme "exigible", que les créances à exécution successives naissent d'un contrat unique sinon elles ne seraient pas susceptibles d'être saisies par un seul acte, que l'article 13 de la loi du 9 juillet 1991 prévoit que les créances conditionnelles ou à terme font partie des biens saisissables ; il conclut à la confirmation du jugement dont apel et à l'irrecevabilité de la demande de 600.000 F à titre de dommages-intérêts formée pour la première fois en appel et subsidiairement à son rejet ; il réclame 50.000 F aux appelants sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens ;
Me GROSSETTI, intimé en qualité de représentant des créanciers s'en rapporte à justice ;
La régularité formelle de l'appel n'étant pas discutée et rien au dossier ne conduisant la Cour à le faire d'office, notamment quant au délai, il y a lieu de le recevoir ;
La contrariété des dispositions d'ordre public des lois de 1985 et 1991, n'est pas aussi évidente que les appelants le prétendent, si l'on considère que le législateur de 1991 devait avoir en mémoire la loi du 25 janvier 1985 lorsqu'il a édicté l'article 13 de la loi du 9 juillet 1991 qui prévoit expressément dans son alinéa 2 la saisie des créances conditionnelles, à terme, ou à exécution successive ; il est reproché à ce texte de ne pas dire aussi expressément, que l'effet attributif immédiat prévu par l'article 43 alinéa 1er s'appliquera à ces créances, mais l'article 43 venant dans l'ordre chronologique après l'article 13, ce grief n'est pas fondé d'un point de vue formel ; il n'apparait pas davantage fondé quant à l'analyse de ces dispositions, puisque l'article 13 fait partie du chapitre II de la loi, intitulé "dispositions générales" tandis que l'article 43 se situe dans le chapitre III relatif aux dispositions spécifiques aux mesures d'exécution forcée, et ne fait aucune distinction entre les créances qui doivent seulement être "disponibles" entre les mains du tiers ;
Or, il n'est pas contestable que les créances à exécution successives résultent d'un contrat unique, que la saisie-attribution n'a pas à être renouvelée à chaque échéance et qu'elle ne cesse de produire ses effets que par l'extinction de la dette du saisi ou lorsque le tiers cesse d'être tenu vis à vis du saisi (article 72 du décret du 31 juillet 1992) ; le redressement judiciaire à lui seul ne modifie en rien les obligations du tiers vis à vis du saisi ;
L'article 43 alinéa 2 de la loi de 1991 précise de son côté que la survenance d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire ne remet pas en cause l'attribution opérée conformément à l'alinéa 1er ;
En l'absence de toute distinction dans ce texte entre les créances immédiatement exigibles et les créances à exécution successives, les unes et les autres étant "disponibles" et pouvant par conséquent donner lieu à une saisie attribution dont l'effet attributif est immédiat, le tiers saisi doit se libérer entre les mains du créancier saisissant au fur et à mesure des échéances sans que la saisie puisse être remise en question ;
Il n'est rien réclamé à Me GROSSETTI qui ne demande rien non plus ;
Il convient en conséquence de confirmer le jugement du 2 juin 1994 ; la demande de dommages-intérêts des appelants est irrecevable en cause d'appel et au surplus infondée ;
Les appelants seront condamnés aux dépens d'appel mais aucune considération d'équité ou liée à la situation économique des parties ne justifie une condamnation par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare l'appel recevable en la forme,
Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement du 2 juin 1994,
Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par Me MARIANI es-qualités et la SOCIETE BURLES ET CIE,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Condamne Me MARIANI es-qualités et la SOCIETE BURLES ET CIE aux dépens d'appel et accorde à Me ERMENEUX et à la SCP TOLLINCHI en tant qu'avoué de Me GROSSETTI, le droit de recouvrer directement leurs avances.