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Décisions

CA Reims, ch., 9 mars 2022, n° 22/00006

REIMS

Ordonnance

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Parlos

CA Reims n° 22/00006

9 mars 2022

1. Mme Brigitte B. épouse D. s'est portée caution d'un prêt consenti par la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la Bpalc) à la société Cal, qui avait acquis les parts sociales d'une société Agence du vignoble.

2. La Bpalc a fait délivrer à la société I@d France, agent immobilier, une saisie-attribution portant sur une créance à exécution successive née d'un contrat d'agent commercial immobilier conclus entre cette société et Mme D..

3. Par jugement en date du 30 décembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Reims, après avoir rejeté la demande de nullité de l'acte de dénonciation et de caducité de la saisie-attribution, a jugé que celle-ci devait produire ses effets à hauteur de 54 000 euros, rappelant que la décision était exécutoire sur minute.

4. Mme D. a relevé appel.

5. Par acte d'huissier en date du 2 février 2022, elle a fait assigner la Bpalc devant le premier président afin d'obtenir, sur le fondement de l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, l'arrêt de l'exécution provisoire.

6. Elle fait valoir deux moyens de réformation : en premier lieu, compte tenu de la nature des sommes perçues et de sa relation de dépendance économique avec la société I@d, il convenait de procéder à une saisie des rémunérations sur le fondement de l'article L. 3252-1 du code du travail et non à une saisie attribution ; en second lieu, les sommes saisies ne résultent pas d'une créance à exécution successive, mais de créances successives nécessitant autant de saisies-attribution.

7. En réponse, la Bpalc soutient que Mme D. échoue à démontrer l'existence d'un lien de subordination qui existerait entre la société I@d et Mme D., conférant à cette société la qualité d'employeur, et à établir que les rémunérations perçues ne le seraient pas en exécution de l'unique contrat la liant à ladite société.

Sur ce,

8. L'article R. 121-22, alinéa 1er et 3, du code des procédures civiles d'exécution dispose qu'en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel et que le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 3252-1 et suivants du code du travail :

9. Les articles L. 3252-1 et suivants du code du travail déterminent le régime des saisies des sommes dues à titre de rémunération à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de sa rémunération, la forme et la nature de son contrat.

10. L'application de ce régime suppose que le débiteur de la rémunération puisse être qualifié d'employeur et que la personne rémunérée, quels que soient le montant et la nature de sa rémunération, la forme et la nature de son contrat, se trouve dans une relation de subordination.

11. En l'espèce, l'existence d'une dépendance économique est invoquée en l'absence d'autres éléments de fait permettant de caractériser précisément cette relation de subordination.

12. Aussi, et sans préjudice de l'appréciation de la juridiction du second degré statuant au fond sur les éléments qui lui seront soumis, le moyen invoqué ne repose-t-il pas, au premier examen qui est celui de la juridiction saisie en arrêt de l'exécution provisoire, sur une base factuelle suffisamment évidente pour être considéré comme sérieux au sens de l'article R. 121-22, alinéa 1er et 3, du code des procédures civiles d'exécution.

Sur le moyen pris de la méconnaissance des dispositions applicables à la saisie-attribution d'une créance à exécution successive :

13. Selon l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution, les saisies peuvent porter sur les créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive.

14. La procédure de saisie-attribution d'une créance à exécution successive, autre que les rémunérations du travail, est régie par les articles R. 211-14 à R. 211-17 du code des procédures civiles d'exécution, les dispositions générales des articles R. 211-1 à R. 211-13 du même code s'appliquant sous réserve de ces dispositions particulières.

15. La créance à exécution successive puise sa source dans un contrat unique qui, dès sa formation, engendre de façon indivisible des droits et des obligations dont l'existence est d'ores et déjà certaine mais dont, par leur nature même, l'exécution s'inscrit dans la durée.

16. Les créances à exécution successives déjà nées au moment de la saisie sont des créances certaines, donc saisissables ; seuls les paiements sont reportés.

17. Elles se distinguent des créances successives, seulement éventuelles, qui naîtront peut-être si les relations entre le débiteur et le tiers se poursuivent.

18. Cette distinction, et donc la détermination du régime correspondant de saisie, doit notamment s'opérer lorsque les relations habituelles entre le débiteur et le tiers sont régies par une convention cadre.

19. Tel est le cas en l'espèce, puisque les relations entre la société I@d et Mme D. sont gouvernées par un contrat-cadre comportant une convention d'agent commercial immobilier, d'une part, et un 'système original de fonctionnement, d'organisation et de rémunération', dénommé 'stratégie commerciale et marketing de rémunération' d'autre part.

20. Or, dans l'hypothèse d'un contrat cadre, la jurisprudence, comme celle citée par la Bpalc, consiste essentiellement en une casuistique résultant de l'interprétation opérée par les juges du fond des documents contractuels.

21. Selon les contrats et les circonstances de fait, des obligations réciproques échelonnées dans le temps pendant une période de donnée et portant sur des prestations de référence caractérisent un contrat unique à exécution successive, quand, dans d'autres situations, bien que le contrat soit unique, les sommes réglées au fur et à mesure de leurs échéances ont autant d'origines distincte, leur indépendance entre elles n'autorisant pas à les réunir en une créance unique à exécution successive.

22. Aussi, au regard des lectures possibles des documents contractuels déterminant les conditions de la collaboration entre la société I@d et Mme D. et sans préjudice de l'appréciation de la juridiction du second degré statuant au fond, le moyen pris de la méconnaissance des dispositions applicables à la saisie-attribution d'une créance à exécution successive constitue-t-il un moyen sérieux au sens de R. 121-22, alinéa 3, du code des procédures civiles d'exécution.

23. Le caractère sérieux de ce moyen justifie l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement en date du 30 décembre 2021 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Reims (n° RG 21/00063).

24. Il est équitable de laisser à chacune des parties la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour la présente procédure.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement en date du 30 décembre 2021 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Reims (n° RG 21/00063),

Rejetons les prétentions des parties pour le surplus,

Condamnons la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la Bpalc) aux dépens.