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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 mai 2023, n° 20/11507

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

JEAN CASSEGRAIN (S.A.S.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme RECOULES

Conseillers :

M. BERTHE, Mme GIROUSSE

Avocats :

Me LESENECHAL, SAS JACQUIN MARUANI &amp, Me ETEVENARD, Me HENTGEN, Me MACHINET

Paris, du 13 mars 2020

13 mars 2020

Par acte du 09 avril 2009, Mme [L] [K], Mme [J] [Y], Mme [B] [F], M. [O] [F], M. [X] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H], Mme [R] [H], ci-après les consorts [F] et [H], ont donné à bail à la société Jean Cassegrain, des locaux commerciaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 4], à usage exclusif à titre principal de « maroquinerie, bagages et accessoires et, à titre accessoire, de prêt-à-porter, chaussures et équipement à la personne », pour un loyer annuel de base en principal de 402.468 euros, pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2009.

 

Par avenant du 25 mai 2011, la société Jean Cassegrain a été autorisée par les bailleurs à faire communiquer la boutique située [Adresse 4], transformée en espace de vente et à déplacer le local poubelles pour bénéficier d'un accès direct au sous-sol. En contrepartie, le loyer a été augmenté de 90.000 euros à compter du 1er juillet 2011.

 

Par avenant du 26 avril 2013, le loyer a été révisé pour être porté à la somme de 501.736,53 euros à compter du 1er avril 2012.

 

Par avenant du 29 octobre 2015, le loyer a été de nouveau révisé pour être porté à compter du 1er avril 2015 à la somme de 502.663,38 euros.

 

Par avenant du 16 février 2016, la société Jean Cassegrain a été autorisée par les bailleurs à d'importants travaux de restructuration des locaux donnés à bail décrits en annexe de cet avenant. En contrepartie, le loyer a été porté à la somme de 522.663,38 euros à compter du 1er janvier 2016.

 

Par acte extrajudiciaire du 16 juillet 2018, les consorts [F] et [H] ont fait délivrer à la société Jean Cassegrain un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er avril 2019, moyennant un loyer de 1.410.000 euros.

 

Par acte extrajudiciaire du 11 octobre 2018, la société Jean Cassegrain a accepté le principe du renouvellement du bail mais s'est opposée à une augmentation du loyer commercial sollicitant sa fixation au montant du dernier loyer contractuel valorisé à l'indice applicable au jour du renouvellement.

 

Par acte extrajudiciaire du 14 novembre 2018, les consorts [F] et [H] ont proposé un loyer en renouvellement fixé à la somme en principal de 2.115.000 euros.

 

Par mémoire du 26 février 2019, Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H], ont sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2019 à la somme de 2.115.000 euros, arguant de plusieurs motifs de déplafonnement du loyer.

 

Par exploit du 23 mai 2019, Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] ont fait assigner à comparaître la société Cassegrain devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir fixer le montant du loyer annuel à la somme en principal de 2.115.000 euros à compter du 1er avril 2019, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2019 et capitalisation desdits intérêts.

 

Par jugement mixte du 13 mars 2020, le Juge des loyers a :

 

- constaté le principe du renouvellement du bail liant les parties et portant sur des locaux commerciaux sis [Adresse 4], à compter du 1er avril 2019 ;

 

- dit que le loyer du bail en renouvellement doit être fixé à la valeur locative ;

 

- pour le surplus, avant dire droit sur le fond, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigné en qualité d'expert [I] [E] avec mission :

 

- de convoquer les parties, et, dans le respect du principe du contradictoire,

 

- de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;

 

- d'entendre les parties en leurs dires et explications ;

 

- de procéder à l'examen des faits qu'allèguent les parties ;

 

- de visiter les locaux litigieux situés [Adresse 4] et de les décrire ;

 

- d'entendre les parties en leurs dires et explications ;

 

- de rechercher la valeur locative des lieux loués à la date du 1er avril 2019 des articles L.145-33 et R.145-3 à R.145-8 du code de commerce ;

 

- de rendre compte du tout et donner son avis motivé ;

 

- de dresser un rapport de ses constatations et conclusions ;

 

- dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de la juridiction avant le 1er décembre 2020 ;

 

- fixé à la somme de 4.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] à la régie du tribunal de grande instance de Paris avant le 29 avril 2020 inclus, avec une copie de la décision ;

 

- dit que l'affaire sera rappelée le 15 mai 2020 à 09h30 pour vérification du versement de la consignation ;

 

- dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

 

- désigné le juge des loyers commerciaux aux fins de contrôler le suivi des opérations d'expertise ;

 

- fixé le loyer provisionnel pour la durée de l'instance au montant du loyer contractuel indexé en principal, outre les charges ;

 

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

 

- réservé les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Par déclaration du 31 juillet 2020, Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H], ci-après désignés les consorts [F]-[H], ont interjeté appel total du jugement.

 

 

MOYENS ET PRÉTENTIONS

 

Vu les conclusions déposées le 17 janvier 2023, par lesquelles les consorts [F]-[H], appelants, demandent à la Cour de :

 

- infirmer le jugement entrepris ;

 

Statuant à nouveau,

 

- juger que le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative de marché ;

 

- désigner un expert judiciaire avec pour mission :

 

- de convoquer les parties, et, dans le respect du principe du contradictoire,

 

- de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

 

- d'entendre les parties en leurs dires et explications,

 

- de procéder à l'examen des faits qu'allèguent les parties,

 

- de visiter les locaux litigieux sis [Adresse 4] et de les décrire ; - d'entendre les parties en leurs dires et explications,

 

- de rechercher la valeur locative de marché des lieux loués à la date du 1er avril 2019 des articles L.145-33 et R.145-3 à R.145-8 du code de commerce,

 

- de rendre compte du tout et donner son avis motivé,

 

- de dresser un rapport de ses constatations et conclusions,

 

- confirmer la décision entreprise pour le surplus ;

 

- débouter la société Jean Cassegrain de l'ensemble de ses demandes ;

 

- déclarer la société Jean Cassegrain irrecevable en son exception d'incompétence et subsidiairement l'en débouter ;

 

- condamner la société Jean Cassegrain aux dépens qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer aux appelants la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du même code.

 

Vu les conclusions déposées le 06 décembre 2022, par lesquelles la société Cassegrain, intimée, demande à la Cour de :

 

À titre principal,

 

- confirmer le jugement du juge des loyers commerciaux rendu le 13 mars 2020, en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit que le loyer du bail en renouvellement doit être fixé à la valeur locative et notamment attribué pour mission à Madame [I] [E] de rechercher la valeur locative des lieux loués à la date du 1er avril 2019 au regard des articles L. 145-33 et R. 145-3 à R. 145-8 du code de commerce ;

 

- débouter les consorts [F]-[H] de leur appel et de l'intégralité de leurs demandes ;

 

À titre subsidiaire,

 

- se déclarer incompétent pour fixer le loyer à la valeur locative de marché ;

 

- condamner les consorts [F]-[H] au paiement d'une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- condamner les mêmes et sous la solidarité au paiement des entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.

 

Sur la fixation du loyer de renouvellement,

 

Les appelants exposent que les parties ont convenu de la fixation du loyer de renouvellement au prix du marché et que le loyer ne saurait être inférieur au dernier loyer 522.663,38 euros ; que la clause du loyer en renouvellement à la valeur de marché n'a pas été stipulée de mauvaise foi ; que cette clause était bien stipulée dans l'avenant du 16 février 2016, lequel a été envoyé au preneur par son mandataire ; que le preneur n'a pas contesté ou émis d'observation relative à la clause litigieuse ; qu'il a disposé de huit jours pour analyser l'avenant ; que le juge des loyers a procédé à une mauvaise interprétation des clauses du bail ; qu'il n'y a pas de contradiction entre le titre de la clause litigieuse, lequel vise expressément le principe de la fixation du loyer, et le corps de cette dernière, lequel évoque la dérogation à la règle du plafonnement, préalable nécessaire à la fixation du loyer à la valeur locative de marché ; que cette clause est claire, laquelle ne peut donc être dénaturée par le juge ; que la commune intention des parties était de fixer le loyer à la valeur locative de marché.

 

L'intimée expose que l'intitulé de la clause de loyer de renouvellement comportant la mention « de marché » a été insérée de mauvaise foi par le bailleur ; que cette clause a fait l'objet d'une modification tardive dans l'avenant ; que le contenu de la clause qui ne fait aucunement mention de la valeur locative de marché mais écarte seulement le plafonnement, diverge de son intitulé ; que le courrier des bailleurs du 8 février 2016 confirme que le prix du bail renouvelé correspondra à la seule valeur locative, ce qui constitue un manquement du bailleur à son obligation de négocier de bonne foi.

 

 

Motifs de l'arrêt :

 

Sur la valeur du loyer prévue par l'avenant du 16 février 2016 :

 

Il résulte de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Selon les articles 1189 et 1192 du code civil, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, les clauses claires et précises ne pouvant être interprétées à peine de dénaturation.

 

En l'espèce, l'article IV de l'avenant du 16 février 2016 convenu entre les parties est intitulé « Loyer en renouvellement à la valeur du marché ». Si l'intitulé d'une clause revêt effectivement un caractère contractuel, ce simple intitulé n'écarte pas de manière suffisamment détaillée et non équivoque la règle édictée à l'article L 145-33 du code de commerce au terme de laquelle le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. En effet, la nature lapidaire de l'intitulé de l'article IV ne décrit pas précisément l'étendue des obligations des parties, notamment le mécanisme de détermination de la valeur locative de renouvellement ni les dispositions du code de commerce dont les parties auraient entendu écarter l'application et il doit nécessairement s'interpréter au regard des stipulations qu'il annonce.

 

Le corps de la clause proprement dite stipule quant à elle : « Il est également convenu entre les parties, et c'est une condition essentielle et déterminante de cet avenant, que le prix du loyer en renouvellement ne sera pas soumis à la règle du plafonnement du fait, de la volonté expresse des parties et qu'il ne saurait être inférieur au dernier loyer contractuel [']. »

 

Le corps de la clause détermine ainsi la valeur plancher du loyer et décrit son mécanisme de calcul. Il exclut de façon expresse et non-équivoque la règle du plafonnement édictée par l'article L.145-34 du code de commerce.

 

En revanche, aucune précision n'est apportée sur la non-application des dispositions de l'article L145-33 du code de commerce, le corps de la clause n'excluant aucunement l'effet de ce texte. Le silence du corps de la clause sur la volonté des parties d'écarter l'effet de l'article L 145-33 du code de commerce ne saurait ainsi être considéré, sous peine de dénaturation, comme l'engagement inverse, exprès et non équivoque d'écarter l'application de la disposition légale du code de commerce relative à la détermination du montant des loyers des baux renouvelés.

 

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions par substitution de motifs et il n'y aura pas lieu de désigner un expert afin de rechercher la valeur locative de marché.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

 

Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] qui succombent devront supporter in solidum les dépens de l'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile. En outre, il apparaît équitable que Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] indemnisent in solidum la SAS Jean Cassegrain de ses frais irrépétibles d'appel à hauteur d'un montant de 8 000 €.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

 

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 13 mars 2020 du juge des loyers commerciaux de Paris,

 

Y ajoutant,

 

Condamne in solidum Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] à payer à la SAS Jean Cassegrain la somme de 8 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel,

 

Condamne in solidum Mme [B] [F], M. [O] [F], Mme [G] [H], M. [X] [H] et Mme [R] [H] aux dépens de l'appel,

 

REJETTE les autres demandes.