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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 25 janvier 2023, n° 21/00953

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BALAY

Conseillers :

M. BERTHE, Mme. GIROUSSE

Avocats :

Me DOMINGUEZ, AARPI D.D.A AVOCATS

BOBIGNY, du 24 nov. 2020

24 novembre 2020

Par jugement du 13 février 2013, le loyer de renouvellement a été fixé à la somme annuelle de 21 200 €, hors taxes et hors charges, et ce, à compter du 11 décembre 2007.

 

Par jugement du 27 novembre 2013, le tribunal de commerce de Bobigny a placé Mme [O] en redressement judiciaire, un plan de redressement ayant été par la suite arrêté pour une durée de 10 ans par jugement du 02 juillet 2014.

 

Par acte du 07 juin 2016, un congé sans offre de renouvellement du bail et avec offre d'une indemnité d'éviction a été délivré à Mme [O] avec effet au 10 décembre 2016.

 

Par assignation du 16 janvier 2017, la preneuse a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de désignation d'un expert afin d'évaluer l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation, lequel a accueilli sa demande par ordonnance du 22 mars 2017, désignant M. [D] [G] en qualité d'expert qui a déposé son rapport le 30 avril 2019.

 

Par exploit du 24 juin 2019, la SCI [Adresse 1] a fait assigner à comparaître Mme [O] devant le tribunal de grande instance de Bobigny.

 

Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal de grande instance de Bobigny a fixé l'indemnité d'occupation annuelle hors taxes et hors charges due par Mme [O] à la SCI [Adresse 1] à la somme annuelle de 21 043 € hors taxes et hors charges à compter du 11 décembre 2016 ; fixé l'indemnité d'éviction due à Mme [O] par la SCI [Adresse 1] à la somme de 119 700 € ; débouté Mme [O] de sa demande au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ; dit que les frais d'expertise seront partagé par moitié entre la SCI [Adresse 1] et Mme [O] ; dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens.

 

Par déclaration du 11 janvier 2021, Mme [O] a interjeté appel total de ce jugement.

 

Par conclusions déposées le 28 mai 2021, la SCI [Adresse 1] a interjeté appel incident total du jugement.

 

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 septembre 2022.

 

 

MOYENS ET PRÉTENTIONS

 

Vu les conclusions déposées le 07 juin 2022, par lesquelles Mme [E] [M] ép. [O], appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour d'infirmer le jugement ; la recevoir en toutes ses demandes ; condamner la SCI [Adresse 1] à lui payer la somme de 237 500 € au titre de l'indemnité d'éviction et accessoires ; fixer l'indemnité d'occupation à compter du 11 décembre 2016 à la somme de 20 812 €/an ; débouter la SCI [Adresse 1] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; la condamner à lui payer la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris la totalité des frais d'expertise.

 

Vu les conclusions déposées le 28 mai 2021, par lesquelles la SCI [Adresse 1], intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise ; statuant à nouveau, fixer l'indemnité d'éviction due à Mme [O] à la somme globale de 103 141,50 € ; fixer l'indemnité d'occupation due par Mme [O] à la somme de 28 018 € hors taxes et hors charges à compter du 11 décembre 2016 ; dire que les frais de l'expertise seront partagés entre Mme [O] et elle ; dire que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera synthétisée.

 

Mme [E] [M] ép. [O] expose essentiellement que son chiffre d'affaires est en nette augmentation par rapport à celui des années 2016, 2017 et 2018, lequel a continué d'augmenter malgré la pandémie avant de reprendre son cours normal après 2021.

 

Elle prétend que l'éviction entraînerait une perte du fonds de commerce, laquelle doit être estimée à la somme de 185 000 €, sur lesquels doivent s'ajouter les frais de remploi estimés à 10 %, soit la somme de 18 500 €.

 

Elle soutient avoir subi un trouble commercial devant être fixé à la somme de 15 000 €, rappelant l'exercice de son activité dans les locaux depuis plus de 20 ans.

 

Elle ajoute que les frais de déménagement ont été minorés par l'expert et sollicite leur fixation à la somme de 4 000 €.

 

Elle soutient être à jour de ses loyers et/ou indemnités d'occupation.

 

La SCI [Adresse 1] expose, dans le cadre du calcul de l'indemnité d'éviction, au titre de la valeur du fonds de commerce déterminée par référence à l'excédent brut d'exploitation (EBE), la faible capacité bénéficiaire du fonds conduisant à retenir un coefficient maximal de 4, déterminant ainsi une valeur de fonds de commerce sur la base de 13 527 € x 3 = 40 581 €.

 

Elle soutient que la méthode par référence au chiffre d'affaires ne peut être retenue dès lors que l'appelante ne produit pas les pièces de nature à individualiser son chiffre d'affaires restauration par rapport à celui relatif à l'activité de café.

 

Subsidiairement, elle prétend que le taux relatif au chiffre d'affaires doit être appliqué à hauteur de 50 %.

 

En tout état de cause, elle affirme que la moyenne entre le résultat obtenu et le résultat procédant de l'évaluation par référence à l'excédent brut d'exploitation doit être opérée conformément à la jurisprudence, excluant ainsi la méthode visant à retenir celle étant la plus favorable au preneur.

 

Dans le cadre du calcul de l'indemnité d'occupation, elle prétend que les loyers de la commune de Pantin n'ont pas stagné entre 2007 et 2016 et expose que la valeur de renouvellement du local ne peut être fixée en-deçà de 450 € / m² B pour la partie commerciale, déterminant une indemnité d'occupation de 56,20 m²B x 450 € = 25 290 €.

 

Elle fait valoir pour la partie à usage d'habitation que celle-ci ne saurait être en-deçà de 21 €/m², déterminant une indemnité à ce titre de 27 m² x 21 € x 12 mois = 6 804 €.

 

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

 

Le congé avec refus de renouvellement délivré par la bailleresse le 7 juin 2016 a mis fin au bail liant les parties à compter du 10 décembre 2016 et il a ouvert droit à Mme [E] [M] épouse [O] au maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction.

 

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction :

 

Aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, en cas de congé avec refus de renouvellement, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, l'indemnité d'éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

 

Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquence de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.

 

Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.

 

Sur la valeur du droit au bail :

 

La valeur du droit au bail se déduit par la différence entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer si celui-ci avait été renouvelé, à laquelle il est d'usage d'appliquer un coefficient de situation en fonction de l'attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux.

 

L'expert judiciaire détermine la surface des lieux loués à 87 m² pour la partie commerce pondérée à 56,20m²B et à 27 m² pour la partie habitation.

 

Pour déterminer la valeur locative de marché de la partie commerciale, il produit 3 références de locations nouvelles allant de 140 € à 441 €/m²B, deux références de renouvellements amiables allant de 230 € à 337 €/m²B et 3 références de fixations judiciaires allant de 130 € à 350 €/m²B. Pour la partie habitation, il produit 11 références pour des prix allant de 20 € à 34€ le m². Il en infère une valeur locative de marché de 450 € par m²B pour la partie commerciale et de 18 € du m² pour la partie habitation. Les faits qu'en cas de renouvellement, le loyer aurait été plafonné et que la valeur du droit au bail doit être fixée à 41 000 € selon les estimations de l'expert, ne sont pas contestés.

 

Sur la valeur marchande du fonds de commerce :

 

L'expert relève que le transfert du fonds de commerce apparaît peu probable et ce point n'est pas discuté.

 

1° L'évaluation de la valeur du fonds de commerce selon l'excédent brut d'exploitation :

 

L'estimation par la rentabilité consiste à déterminer la capacité du fonds à dégager du profit puis à appliquer à ce résultat un coefficient multiplicateur. La capacité à dégager du profit est généralement calculée à partir de la moyenne de l'excédent brut d'exploitation comptable relevé sur les trois exercices les plus récents.

 

L'expert judiciaire retient un l'excédent brut d'exploitation moyen sur les exercices 2016 à 2018 de 19 050 € et un coefficient multiplicateur de 4. Il aboutit donc à une valorisation du fonds de commerce à 76 200 € selon cette méthode. Les parties ne fournissent aucun élément sur l'excédent brut d'exploitation plus contemporain ni sur les raisons qui permettrait de s'écarter du coefficient retenu par l'expert et la valorisation de ce dernier selon cette méthode sera retenue.

 

2° L'évaluation de la valeur du fonds de commerce à partir du chiffre d'affaires :

 

L'estimation par le chiffre d'affaires s'effectue en affectant un coefficient ou un taux à la moyenne des chiffres d'affaires des trois dernières années. Ce taux varie en fonction des caractéristiques propres du fonds et notamment de la ou des activités contractuellement admises qui y sont effectivement exercées.

 

L'expert judiciaire retient que le chiffre d'affaire moyen des trois derniers exercices (2016 à 2018) était de 101 756 € HT. L'expert judiciaire propose de retenir un taux de 50 % sur l'activité café au prorata des jours d'ouverture et de 85% sur la base d'une activité restauration qui représenterait 85% du chiffre d'affaires HT. Il aboutit à une valorisation de 102 600 €. Toutefois, l'expert précise que l'activité « café » est la plus rentable tandis que la fourchette de taux de l'activité restauration s'étage entre 50 et 105 % du chiffre d'affaires. Le taux de 85 % proposé par l'expert pour la seule activité « restauration » n'apparaît donc pas excessif pour être retenu comme taux global à appliquer à l'ensemble du chiffre d'affaires.

 

Le preneur fournit ses trois derniers chiffre d'affaires des exercices 2019 à 2021 desquels il ressort un chiffre d'affaire moyen HT de 99 974 €. Il en ressort une valorisation par la méthode du chiffre d'affaire de 84 978,18 € arrondi par commodité à 84 900 € (99 974x0.85).

 

***

 

Il en résulte que la valorisation de l'indemnité principale d'éviction proposée par la bailleresse à hauteur de 89 401,50 € sera retenue, arrondi par commodité à 89 402 € et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

 

Sur les indemnités accessoires :

 

Frais de remploi ou d'agence :

 

Ces frais comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour retrouver notamment un nouveau local. Les parties tout comme l'expert judiciaire les estiment à 10% de l'indemnité principale. Les frais de remploi seront fixés à 10% de l'indemnité principale d'éviction, soit : 8 940 € (89 402 €/10, arrondi par commodité).

 

Trouble commercial :

 

Cette indemnité compense la perte de temps générée par l'éviction, soit le moindre investissement dans le commerce et le temps de la recherche d'un nouvel emplacement. Le bailleur s'accorde avec 1'expert pour l'estimer, conformément aux usages, à 3 mois d'excédent brut d'exploitation tandis que le preneur estime son trouble commercial à 15 000 € sans toutefois en justifier. L'excédent brut d'exploitation ayant été déterminé ci-dessus à la somme de 19 050 €, l'indemnité pour trouble commercial sera donc fixée, conformément aux usages, à 4 762,50 € arrondi par commodité à 4 800 € (soit 19 050 €/4).

 

Frais de déménagement :

 

L'indemnité pour frais de déménagement a pour objet d'indemniser 1e preneur des frais exposés pour libérer les locaux dont i1 est évincé. L'expert judiciaire les estime forfaitairement à la somme de 2000 €. La preneuse les évalue à 4000 € sans produire toutefois aucun devis à l'appui de sa demande. La décision du premier juge, qui a fixé les frais de déménagement à la somme de 2 000 € préconisée par l'expert, sera donc confirmée.

 

***

 

Il ressort de1'ensemble des éléments ci-dessus exposés que l'indemnité d'éviction totale due à Mme [E] [M] ép. [O] s'élève à la somme de :

 

- indemnité principale : 89 402 €,

 

- frais de remploi : 8 940 €,

 

- trouble commercial : 4 800 €,

 

- Frais de déménagement : 2 000 €,

 

TOTAL : 105 142 €.

 

Sur l'indemnité d'occupation :

 

Il résulte de l'article L.145-28 et R 145-7 du code de commerce que le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d'une indemnité d'occupation jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, qui est égale à la valeur locative compte tenu de tous éléments d'appréciation, notamment les prix couramment pratiqués dans le voisinage concernent des locaux équivalents.

 

L'expert judiciaire évalue l'indemnité d'occupation à la somme de 23 370 € par an de laquelle il déduit un abattement de 10% pour précarité, soit 21 043 €. La bailleresse propose de fixer l'indemnité d'occupation à compter du 11 décembre 2016 à la somme de 20 812 €/an, sans justifier de son calcul. Le bailleur propose une l'indemnité d'occupation de 28 018 € compte-tenu d'un abattement de précarité de 10% dont il valide le principe également.

 

Il résulte des références fournies par l'expert que la valeur locative de la partie commerciale qu'il détermine est justifiée. En revanche, l'expert ne retient que la fourchette basse de la partie habitation (18€) alors que la bailleresse produit 15 références non contestées dans le même immeuble dont il ressort un prix moyen « habitation » du m² de 22,3€ et propose 21€/m². L'indemnité d'occupation sera donc fixée comme suit :

 

- partie commerciale : 56.2 m²B x 325 € = 18 265 €,

 

- partie habitation : (27m² x 21€) x 12 mois = 6804 €,

 

TOTAL : 25 069 €, auquel il convient d'appliquer un abattement pour précarité de 10%, soit une l'indemnité d'occupation de 22 562,10 € arrondi par commodité à 22 560 € HT HC.

 

Sur les demandes de « constater » :

 

Par application de l'article 954 du code de procédure civile , la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir «  constater », « dire » ou « juger » qui ne constituent pas des prétentions mais ne sont en réalité que le rappel de moyens invoqués.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

 

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles, y compris en ce qu'il a statué sur le partage des frais d'expertise.

 

L'appelante succombant en ses prétentions elle sera condamnée aux dépens de l'appel et il n'y aura pas lieu de lui octroyer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

 

INFIRME partiellement le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 24 novembre 2020 en ce qu'il a a fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 21 043 € et fixé l'indemnité d'éviction totale à la somme de 119 700 €.

 

Le CONFIRME pour le surplus,

 

Statuant à nouveau de ces chefs,

 

FIXE à la somme globale de 105 142 € l'indemnité d'éviction dont est redevable la SCI [Adresse 1] à l'égard de Mme [E] [M] épouse [O] qui se décompose ainsi :

 

- indemnité principale : 89 402 €,

 

- frais de remploi : 8 940 €,

 

- trouble commercial : 4 800 €,

 

- Frais de déménagement : 2 000 €.

 

FIXE l'indemnité d'occupation due par Mme [E] [M] épouse [O] à la SCI [Adresse 1] à la somme annuelle de 22 560 € à compter du 11 décembre 2016, outre les taxes et les charges prévues au bail,

 

Y ajoutant,

 

CONDAMNE Mme [E] [M] épouse [O] aux dépens de l'appel,

 

DIT qu'elle conservera la charge de ses frais irrépétibles d'appel,

 

REJETTE toute autre demande.