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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 30 octobre 2007, n° 06/06852

VERSAILLES

Arrêt

CA Versailles n° 06/06852

30 octobre 2007

Par acte sous seing privé du 23 décembre 1999, Madame Marie Jeanne SOULIER épouse FLOROS et Madame Christine SOULIER épouse NOTTEAU ont consenti à Monsieur Brahim OUSSALEM et à Monsieur Brahim BOUKRAISS un bail en renouvellement d'un bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er mai 1995 et pour se terminer le 30 avril 2004, portant sur des locaux situés 67 avenue Jean Jaurès à Sartrouville (Yvelines). Il était précisé au bail que le preneur devait exercer dans les locaux une activité d'alimentation générale.

Monsieur Brahim OUSSALEM est devenu seul preneur du bail, après avoir acquis la part indivise de Monsieur Brahim BOUKRAISS.

Par exploit d'huissier des 2 et 7 juillet 2004, Monsieur OUSSALEM a fait notifier aux bailleresses une demande de déspécialisation plénière en demandant l'autorisation d'exercer dans les lieux loués une activité “tous commerces à l'exclusion de commerce entraînant des nuisances sonores et olfactives“ en raison de l'ouverture prochaine, juste en face des lieux loués, d'une grande surface FRANPRIX.

Les bailleresses se sont opposées à cette demande par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l'huissier et reçue le 8 octobre 2004.

Le 12 mai 2005, les bailleresses ont fait délivrer une sommation visant la clause résolutoire, d'avoir à réaffecter à l'habitation, la totalité de l'appartement et de procéder à l'entretien des locaux, à savoir réfection des peintures et papiers peints outre les revêtements de sols.

C'est dans ces circonstances que par exploit en date des 6 et 10 janvier 2005, Monsieur OUSSALEM a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Versailles Mesdames SOULIER aux fins de voir dire que le refus opposé à la déspécialisation plénière était irrégulier en la forme et n'était pas justifié par un motif grave et légitime et pour voir dire en conséquence que la déspécialisation plénière signifiée les 2 et 7 juillet 2004 était réputée acceptée et devait intervenir de plein droit. Il sollicitait le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

En défense Mesdames SOULIER concluaient à la nullité de la demande de déspécialisation plénière et en conséquence au rejet des demandes de Monsieur OUSSALEM et reconventionnellement, elles demandaient que soit constatée l'acquisition de la clause résolutoire et qu'en conséquence l'expulsion de Monsieur OUSSALEM et celle de tous occupants de son chef soit ordonnée sous astreinte. Elles sollicitaient sa condamnation à compter du 12 juin 2005 et jusqu'à la libération effective des lieux au paiement d'une indemnité d'occupation égale aux loyers, charges et taxes majorée de 50 % outre le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

En réponse, Monsieur OUSSALEM concluait au rejet de la demande en acquisition de la clause résolutoire et à titre subsidiaire, demandait qu'un délai de 2 mois lui soit accordé pour la réaffectation d'une des pièces du local et la suspension des effets de la clause résolutoire pendant de délai.

Par jugement en date du 5 septembre 2006 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, le tribunal a:

-  condamné Monsieur OUSSALEM à réaffecter la totalité de l'appartement désigné au bail à usage d'habitation, y compris la réserve située à l'arrière qui constitue, en fait, la salle à manger de l'appartement,

-  accordé à Monsieur OUSSALEM un délai de deux mois à compter de la signification du jugement pour ce faire,

-  dit que pendant ce délai, les effets de la clause résolutoire seraient suspendus et que s'il était intégralement satisfait à l'obligation de réaffectation, cette clause serait réputée ne pas avoir joué,

-  dit qu'à défaut de réaffectation à l'expiration du délai de 2 mois, la clause résolutoire du bail serait réputée avoir joué de plein droit sans nouvelle décision judiciaire et dit que dans ce cas, Monsieur OUSSALEM devrait libérer les lieux, objet du bail et que faute de l'avoir fait, il pourrait être expulsé ainsi que tous occupants de son chef,

-  condamné, en tant que de besoin, Monsieur OUSSALEM au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer actualisé, augmenté de la provision sur charges, à compter de la déchéance éventuelle du délai de 2 mois accordé pour la remise en état,

-  ordonné l'exécution provisoire de ces dispositions,

-  débouté Monsieur OUSSALEM de ses prétentions tendant à la déspécialisation plénière de son bail, telle que sollicitée,

-  rejeté le surplus des demandes reconventionnelles,

-  condamné Monsieur OUSSALEM aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1800 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

Appelant, Monsieur OUSSALEM demande à la cour dans le dernier état de ses écritures (conclusions du 19 juin 2007) d'infirmer le jugement, de dire que le refus des bailleresses opposé à la demande de déspécialisation est irrégulier en la forme, qu'il est intervenu hors délai et qu'il n'est pas justifié par un motif grave et légitime. Il demande également à la cour de dire que les bailleresses ne rapportent pas la preuve d'une infraction telle que formulée dans la sommation visant la clause résolutoire. En conséquence, il demande à la cour de dire que la déspécialisation plénière est réputée acceptée par les bailleresses et qu'elle est intervenue de plein droit à compter des 3 et 8 octobre 2004. Il conclut au rejet de la demande en acquisition de la clause résolutoire et réclame le paiement d'une indemnité de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Mesdames SOULIER dans le dernier état de leurs écritures (conclusions du 15 mai 2007) poursuivent la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Monsieur OUSSALEM de sa demande de déspécialisation plénière de son bail et l'a condamné au paiement d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

Formant appel incident pour le surplus, elles demandent à la cour de constater l'acquisition de la clause résolutoire et en conséquence d'ordonner l'expulsion de Monsieur OUSSALEM et celle de tous occupants de son chef sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et de le condamner à compter du 12 juin 2005 au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer charges et taxes qui auraient été exigibles en cas de poursuite du bail majorée de 50 %. Par ailleurs, elles sollicitent le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

SUR CE, LA COUR

I Sur la demande de déspécialisation plénière du bail:

Considérant que Monsieur OUSSALEM fait valoir que sa demande est pleinement régulière dès lors qu'il a bien indiqué qu'il souhaitait exercer dans les locaux une activité “tout commerce à l'exception de commerce entraînant des nuisances sonores et olfactives“ et qu'il justifie de ce que l'arrivée d'une grande surface alimentaire à l'enseigne FRANPRDC à 97 mètres de son local, met en péril son exploitation et a eu des conséquences directes sur son chiffre d'affaires; qu'il ajoute que le respect ou la violation des bonnes moeurs ne saurait être invoqué pour refuser la déspécialisation sollicitée;

Mais considérant que c'est à juste titre que les bailleresses ont fait valoir et que les premiers juges ont retenu que cette demande de déspécialisation était irrégulière au regard des dispositions des article L 145-48 et L 145-49 du code de commerce;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L 145- 48 du code de commerce le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier;

Que l'article L 145-49 précise que la demande faite au bailleur doit, à peine de nullité, comporter l'indication des activités dont l'exercice est envisagé;

Considérant qu'en l'espèce Monsieur OUSSALEM qui en vertu du bail avait été autorisé à exercer une activité d'alimentation générale, a sollicité des bailleresses une déspécialisation plénière pour être autorisé à exercer une activité: “tous commerces à l'exclusion de commerce entraînant des nuisances sonores et olfactives“;

Considérant qu'ainsi que l'ont retenu les premiers juges la seule exclusion “des commerces entraînant des nuisances sonores et olfactives“ sans autre précision ne permet pas de déterminer la nature des activités que Monsieur OUSSALEM entend désormais exercer et de vérifier si elles sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble; que l'article L 145-48 faisant référence à l'autorisation d'exercer une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, il en résulte que le preneur doit préciser la nature précise du ou des activités qu'il entend désormais exercer et ne peut se limiter à utiliser une formule générale telle que celle employée par Monsieur OUSSALEM;

Considérant que cette obligation se trouve confirmée par le fait que le preneur doit également démontrer que, compte tenu de la conjoncture économique et des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, la ou les activités nouvelles s'imposent; qu'en l'espèce Monsieur OUSSALEM se limite à soutenir que l'ouverture d'un magasin FRANPRIX à 97 mètres de son commerce d'alimentation générale met en péril son exploitation; que faute d'indiquer quelles nouvelles activités, il entend réellement exercer, Monsieur OUSSALEM ne démontre pas et ne permet pas à la cour d'apprécier si ces nouvelles activités sont pertinentes eu égard à la conjoncture économique et à l'organisation de la distribution dans le quartier où sont implantés les locaux loués; que les conditions visées à l'article L 145-48 étant cumulatives, il ne suffit pas de prouver que l'activé d'alimentation générale exercée à ce jour par Monsieur OUSSALEM n'est plus rentable compte tenu de l'arrivée d'une surface FRANPRIX qui offre également des produits d'alimentation générale;

Considérant que Monsieur OUSSALEM ne peut valablement soutenir que les bailleresses sont réputées avoir accepté sa demande de déspécialisation;

Qu'en effet les mentions exigées par l'article L 145-48 l'étant à peine de nullité, celle-ci ne pouvait être couverte que par une renonciation expresse des bailleresses à s'en prévaloir; que tel n'étant pas le cas en l'espèce, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de déspécialisation plénière de Monsieur OUSSALEM;

II. Sur la demande des consorts SOULIER:

Considérant que le 12 mai 2005 Mesdames SOULIER ont fait délivrer à Monsieur OUSSALEM par huissier une sommation d'avoir dans le délai d'un mois (de la délivrance de la sommation) à se conformer à ses obligations locatives et, en conséquence d'avoir à réaffecter la totalité de l'appartement désigné au bail à usage d'habitation, y compris la réserve située à l'arrière qui constitue, en fait, la salle à manger de l'appartement visée au bail et d'avoir à procéder à l'entretien qui lui incombe, conformément aux dispositions contractuelles à savoir, réfection des peintures et papiers peints et revêtements de sols;

Considérant que Mesdames SOULIER ne contestent pas qu'il a été remédié au second manquement mais font valoir qu'en revanche Monsieur OUSSALEM a annexé la salle à manger de l'appartement pour la transformer en arrière boutique et que cette situation perdurait plus d'un mois après la délivrance de la sommation;

Considérant que Monsieur OUSSALEM réplique qu'il existe le même nombre de pièces qu'à l'origine à savoir 10 pièces et critique le plan versé aux débats par les bailleresses en faisant valoir qu'il date de 1912 et n'est pas contradictoire;

Considérant que le bail signé par Monsieur OUSSALEM énonce que le local donné en location comprend: “une grande boutique avec arrière boutique y attenant, un appartement contigu composé d'une antichambre, dégagement, salle à manger, deux chambres à coucher, débarras, cuisine avec eau et gaz, évier céramique et fourneau cuisinière, WC, avec appareil porcelaine à effet d'eau, une cave en sous-sol“; que le plan produit par les bailleresses même s'il est daté de 1912, confirme la disposition des lieux telle que décrite au bail;

Or considérant que tant le constat établi le 23 mars 2005 par Maître BORNECQUE WINANDY huissier que celui dressé le 20 mai 2005 par Maître ISMAN à la demande de Monsieur OUSSALEM et le plan annexé à ce second constat établissent que la salle à manger rattachée à l'appartement a été supprimée pour être transformée en “arrière boutique“ avec une porte sur la rue Louise Michel, accroissant d'autant la surface commerciale au détriment de la surface d'habitation; que cette “arrière boutique“ est totalement distincte de celle décrite au bail, laquelle était à droite du couloir et sans porte sur la rue Louise Michel; que la pièce dénommée “salon“ dans le constat de Maître BORNECQUE WINANDY et dans laquelle se trouve trois divans pouvant servir de lits ne correspond pas à la salle à manger visée au bail mais à l'une des deux chambres décrites au bail d'origine et figurant sur le plan dressé par Maître ISMAN; que la comparaison entre le plan de 1912 et celui établi par Maître ISMAN montre que le débarras situé entre la salle à manger et la première chambre (côté gauche du couloir) a été transformé en salle de douche et la comparaison entre les deux constats démontre qu'entre le 23 mars et le 20 mai 2005, Monsieur OUSSALEM a manifestement réaffecté à usage de chambre, une pièce qu'il avait transformé en buanderie tandis que l'autre chambre à coucher (photos 20, 21 et 22) sert de salon; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur OUSSALEM a affecté la salle à manger de l'appartement à usage d'arrière boutique de son commerce d'alimentation et que faute d'établir avoir réaffecté dans le mois de la sommation cette pièce à usage d'habitation, la clause résolutoire doit être mise en oeuvre ainsi qu'en ont décidé les premiers juges;

Considérant que devant la cour, Monsieur OUSSALEM ne démontre pas avoir régularisé sa situation dans le délai de deux mois fixé par les premiers juges et ne réitère pas au demeurant sa demande de suspension des effets de la clause résolutoire; que la clause résolutoire se trouve donc acquise à la date du 12 juin 2005;

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer actualisé, augmenté de la provision sur charges à compter du 12 juin 2005 et jusqu'à libération effective des lieux;

Qu'il sera fait droit à la demande d'expulsion dans les conditions précisées au dispositif; que rien ne justifie d'assortir cette mesure d'une astreinte;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux consorts SOULIER une indemnité complémentaire de 2 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation des frais hors dépens engagés au titre de la première instance;

Que Monsieur OUSSALEM qui succombe conservera la charge de ses propres frais et sera condamné aux dépens d'appel;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

-  CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a suspendu les effets de la clause résolutoire.

-  Le REFORMANT de ce chef, STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT,

-  CONSTATE l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail conclu le 23 décembre 1999 à la date du 12 juin 2005.

-  ORDONNE l'expulsion de Monsieur OUSSALEM et celle de tous occupants de son chef des locaux situés 67 avenue Jean Jaurès à SARTROUVILLE (78500) au besoin avec le concours de la force publique, selon les voies de droit.

-  CONDAMNE Monsieur OUSSALEM à payer à compter du 12 juin 2005 et jusqu'à libération effective des lieux loués, une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer actualisé, augmenté de la provision sur charges.

-  REJETTE toute autre demande des parties.

-  CONDAMNE Monsieur OUSSALEM à payer à Madame Marie Jeanne SOULIER épouse FLOROS et à Madame Christine Paule SOULIER épouse NOTTEAU une indemnité complémentaire globale de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du NCPC.

-  Le CONDAMNE aux dépens d'appel.

-  ADMET la SCP KEIME GUTTIN JARRY au bénéfice de l'article 699 du NCPC.

-  prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

-  signé par Madame Sylvie MANDEL, président, et par Madame Sabine MAREVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

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