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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 28 juin 2022, n° 20/01195

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Teppane (SAS)

Défendeur :

Delta (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mme Bourdon, Mme Rochette

Avocats :

Me Raissac, Me Sauvebois Picon, Me Charles Gervais

T. com. Montpellier, du 20 janv. 2020, n…

20 janvier 2020

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

Par acte sous-seing privé du 16 décembre 2018, la SAS Teppane a consenti à la société en formation Delta prise en la personne de son associé unique, [T] [M], la location-gérance d'un fonds de commerce de restaurant exploité [Adresse 5]), pour une durée allant jusqu'au 15 décembre 2020, moyennant le paiement d'une redevance mensuelle de 2296,16 euros hors-taxes comprenant l'indemnité due pour l'occupation des locaux ; il est indiqué dans l'acte que la société Teppane est propriétaire du fonds de commerce depuis le 9 décembre 2016 et que le bail des locaux a été renouvelé à compter du 1er août 2016.

Il y est également stipulé que l'opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation, que la personne agissant au nom de la société est habilitée à cet effet en vertu d'un mandat qui lui est conféré par les membres fondateurs, que toutefois, pour emporter reprise automatique, l'immatriculation de la société devra intervenir au plus tard le 31 janvier 2019, la société devant justifier par la production d'un extrait de son immatriculation délivré par le greffe du tribunal de commerce, et qu'à défaut d'immatriculation de la société dans ce délai, le bien appartiendra définitivement aux membres fondateurs de la société identifiés aux présentes, indivisément entre eux dans la proportion de leurs droits dans le capital social (sic).

La SAS Delta a été immatriculée le 1er février 2019 au registre du commerce et des sociétés de Montpellier.

Par lettre recommandée du 31 janvier 2019, la société Delta s'est plainte auprès du propriétaire du fonds du défaut de fonctionnement des deux extincteurs et de la non-conformité des locaux aux règles de sécurité contre l'incendie ; elle a ensuite, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure, le 30 juillet 2019, la société Teppane de l'indemniser des travaux, qu'elle avait dû réaliser pour rendre les locaux exploitables, à hauteur d'une somme de 6508,02 euros, dénonçant le mauvais fonctionnement de la climatisation, la non-conformité de l'installation électrique et l'humidité apparue sur les murs, causée par le déshumidificateur et la pompe de refoulement défectueux ; elle sollicitait également une réduction du montant de la redevance à 1500 euros TTC par mois au lieu de 2740,56 euros et menaçait, à défaut d'accord, de poursuivre la nullité du contrat de location-gérance pour non-respect des dispositions de l'article L. 144-3 du code de commerce, tenant le défaut d'exploitation du fonds de commerce pendant deux années avant sa mise en location-gérance.

N'obtenant pas satisfaction, la société Delta a, par exploit du 15 novembre 2019, fait assigner à jour fixe la société Teppane devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir l'annulation du contrat de location-gérance et le paiement de la somme de 46'729,02 euros en remboursement des frais d'avocat et d'agence exposés, du dépôt de garantie, des redevances réglées et des travaux engagés dans le restaurant, y compris l'indemnisation d'un préjudice moral.

Le tribunal, par jugement réputé contradictoire en date du 20 janvier 2020, a notamment :

' dit et jugé nul le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 entre la société Teppane et la société Delta dans la mesure où le loueur n'a jamais exploité le fonds de commerce, objet de la location gérance, pendant une durée de deux années précédant la mise en location-gérance,

' dit et jugé qu'au jour de la signature du contrat de location-gérance, la société Teppane n'était propriétaire d'aucun fonds de commerce de restauration,

' débouté la société Delta de sa demande en paiement de la somme de 5000 euros au titre du préjudice moral,

' condamné la société Teppane à payer à la société Delta la somme de 41'729,02 euros détaillé comme suit :

' remboursement des frais d'avocat engendrés au titre de location-gérance : 1500 euros hors-taxes,

' remboursement du dépôt de garantie versée : 8000 euros,

' remboursement des frais d'agence : 7000 euros hors-taxes,

' remboursement de la redevance payés, hors l'indemnité d'occupation, depuis la signature du contrat jusqu'au jour du prononcé de la décision, soit : (2296 euros - 485 euros) x 11 mois = 19'921 euros,

' remboursement des travaux engagés dans le restaurant : 5308,02 euros,

' dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

' condamné la société Teppane à payer à la société Delta la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Teppane a, par déclaration reçue le 26 février 2020 au greffe de la cour, relevé appel de ce jugement en vue de son annulation.

Elle demande la cour, dans ses dernières conclusions déposées le 4 avril 2022 via le RPVA, de':

In limine litis, à titre principal :

' prononcer la nullité de l'assignation délivrée le 15 novembre 2019 et, par conséquent, prononcer la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 20 janvier 2020,

' à défaut, prononcer l'irrecevabilité de la demande de la société Delta et prononcer la réformation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 20 janvier 2020,

A titre subsidiaire :

' débouter la société Delta de sa demande en nullité du contrat de location-gérance,

' réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 20 janvier 2020 à ce sujet,

' prononcer la parfaite validité du contrat de location-gérance signé le 16 décembre 2018, et son exécution jusqu'au 15 décembre 2020,

' condamner la société Delta à lui payer :

' la somme de 28'424,39 euros au titre des redevances dues pour les mois de janvier à décembre 2020 déduction faite des sommes déjà versées,

' la somme de 2842,44 euros au titre de l'indemnité pénale conventionnelle,

' soit la somme totale de 31'266,83 euros majorée des intérêts au taux légal,

' condamner solidairement M. [M] à toutes les obligations nées du contrat de location-gérance,

' débouter la société Delta de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 48'540,02 euros,

À titre infiniment subsidiaire :

' condamner la société Delta au paiement d'une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer, soit 613,16 euros,

' prononcer la compensation des sommes dues entre elle et la société Delta au titre de la remise en l'état des parties,

' débouter la société Delta de sa demande de condamnation à hauteur de 48'540,02 euros,

En tout état de cause :

' condamner la société Delta à libérer le fonds de commerce et les locaux dans les plus brefs délais sous astreinte de 500 euros par jour, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte,

' condamner la société Delta à lui payer une indemnité d'occupation équivalente au montant du loyer soit la somme de 613,16 euros à compter du 15 décembre 2020 et jusqu'à la libération des locaux,

' condamner la société Delta au paiement de la somme de 5000 euros en réparation du préjudice subi par elle du fait de la privation du premier degré de juridiction,

' condamner la société Delta à lui payer la somme de 15'000 euros en réparation du préjudice subi en sus,

' débouter la société Delta de sa demande relative à un prétendu préjudice moral,

' condamner la société Delta au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

' l'assignation devant le tribunal, délivrée selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, est entachée de nullité compte tenu des diligences insuffisantes accomplies par l'huissier instrumentaire,

' la société Delta ayant été immatriculée le 1er février 2019, soit après la date butoir fixée conventionnellement, le contrat de location-gérance n'a pu être repris par elle, ce dont il se déduit que son action est irrecevable pour défaut de qualité à agir,

' l'article L. 144-3 du code de commerce a été abrogé par la loi du 19 juillet 2019 et contrairement à ce qui est affirmé, le fonds de commerce a été exploité durant deux ans avant sa mise en location-gérance, la fermeture du restaurant en période estivale n'ayant pas entraîné la perte de la clientèle attachée au fonds,

' la société Delta ne s'est plus acquittée de la redevance depuis le 1er janvier 2020,

' elle a accepté contractuellement de prendre les locaux en l'état et d'assumer le remplacement des matériels, installations et équipements qui viendraient à disparaître ou à s'altérer,

' à compter du 15 décembre 2020, le contrat de location-gérance est arrivé à son terme, mais la société Delta se maintient dans les lieux.

La société Delta et [T] [M], intervenu volontairement à l'instance, dont les dernières conclusions ont été déposées le 1er avril 2022 par le RPVA, sollicitent de voir :

A titre principal :

' dire et juger que l'acte introductif d'instance a été correctement signifié à la société Teppane,

' dire et juger irrecevables, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, les demandes de la société Teppane tendant au paiement des redevances dans le cas où le contrat serait jugé valide, au paiement d'une indemnité d'occupation, à la libération des locaux et au paiement de dommages et intérêts en réparation des prétendus préjudices subis, en ce qu'elles n'ont pas pour objet d'opposer compensation, ni de faire écarter les prétentions de la société Delta,

' dire et juger que la société Delta est cocontractante de la société Teppane du fait de la reprise de l'acte de location-gérance par la société dans les conditions de l'article 1843 du code civil et de l'article 6 du décret du 3 juillet 1978, lesquels dispositions sont d'ordre public,

' en conséquence, dire et juger recevable l'action de la société Delta,

' débouter la société Teppane de sa demande de nullité du jugement après avoir constaté que le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 (') est nul dans la mesure où le loueur n'a jamais exploité le fonds de commerce pendant une durée de deux années précédant la mise en location-gérance et qu'au jour de la signature du contrat de location-gérance la société Teppane n'était propriétaire d'aucun fonds de commerce de restauration,

' confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 20 janvier 2020, sauf en ce qu'il a limité la condamnation au paiement de la société Teppane à la somme de 41'729,02 euros et statuant à nouveau de ce seul chef,

' condamner la société Teppane à payer à la société Delta la somme de 48'540,02 euros,

' condamner la société Teppane à payer à la société Delta la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire, et dans le seul cas où il serait considéré que la société Delta n'est pas le cocontractant de la société Teppane,

' dire et juger recevable l'intervention volontaire de [T] [M],

' dire et juger que l'acte introductif d'instance a été correctement signifié à la société Teppane,

' débouter la société Teppane de sa demande de nullité du jugement,

' dire et juger irrecevables, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, les demandes de la société Teppane tendant au paiement des redevances dans le cas où le contrat serait jugé valide, au paiement d'une indemnité d'occupation, à la libération des locaux et au paiement de dommages et intérêts en réparation des prétendus préjudices subis, en ce qu'elles n'ont pas pour objet d'opposer compensation, ni de faire écarter les prétentions de la société Delta,

' après avoir constaté que le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 (...) est nul dans la mesure où le loueur n'a jamais exploité le fonds de commerce pendant une durée de deux années précédant la mise en location-gérance et qu'au jour de la signature du contrat de location-gérance, la société Teppane n'était propriétaire d'aucun fonds de commerce de restauration, dire et juger nul le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 entre la société Teppane et la société Delta,

' en conséquence, condamner la société Teppane à payer à M. [M] la somme de 48'540,02 euros, selon détail mentionné dans le corps des présentes conclusions,

' condamner la société Teppane à payer à M. [M] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire, si le contrat de location-gérance était jugé valable,

' dire et juger irrecevables, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, les demandes de la société Teppane tendant au paiement des redevances dans le cas où le contrat serait jugé valide, au paiement d'une indemnité d'occupation, à la libération des locaux et au paiement de dommages et intérêts en réparation des prétendus préjudices subis, en ce qu'elles n'ont pas pour objet d'opposer compensation, ni de faire écarter les prétentions de la société Delta,

' dans le cas où ces demandes seraient jugées recevables, débouter la société Teppane de sa demande de dommages et intérêts,

' dire et juger que le montant des redevances dues au titre du contrat de location-gérance ne peut être supérieur à la somme de 24'823,55 euros toutes taxes comprises.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 19 avril 2022.

Par message RPVA du 21 avril 2022, il a été demandé aux parties de s'expliquer sur l'absence d'effet dévolutif de l'appel, dès lors que la déclaration d'appel du 26 février 2020 saisissant la cour porte seulement sur l'annulation du jugement et qu'aucun appel-réformation n'a été formé par la société Teppane mentionnant les chefs du jugement expressément critiqués ; il leur a également été demandé de présenter leurs observations éventuelles sur la recevabilité de l'appel incident visant au paiement de la somme de 48'550,02 euros au lieu de celle de 41'729,02 euros alloué par le tribunal.

La société Teppane a présenté ses explications par note reçue le 26 avril 2022 via le RPVA et la société Delta, par message RPVA du 10 mai 2022.

MOTIFS de la DECISION':

1- L'étendue de la saisine de la cour':

Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile : « L'appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige et indivisible ; l'article 901 du même code dispose que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 57, et à peine de nullité : (...) 4° les chefs du jugement expressément critiqué auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige et indivisible.

Ainsi, lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement en raison de l'irrégularité de la saisine du tribunal, la cour d'appel ne peut, si elle annule le jugement, statuer sur le fond du litige, que l'appelant ait comparu ou pas en première instance'; en ce cas, l'effet dévolutif de l'appel pour le tout ne s'opère pas même si l'appelant a déposé des conclusions subsidiaires sur le fond devant la cour, conclusions qui sont alors sans portée ; en revanche, si la cour écarte le moyen de nullité du jugement tiré de l'irrégularité de l'acte de saisine du premier juge, elle doit statuer sur le fond, dès lors que les parties ont conclu sur le fond du litige, l'effet dévolutif de l'appel s'opérant alors pour le tout.

2- La demande d'annulation du jugement du tribunal de commerce en date du 20 janvier 2020 :

Aux termes du premier alinéa de l'article 659 du code de procédure civile : « Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte » ; le procès-verbal doit dès lors mentionner précisément les diligences accomplies par l'huissier instrumentaire pour rechercher le destinataire de l'acte et il appartient à la cour de vérifier si ces diligences ont été suffisantes et notamment si l'adresse du destinataire aurait pu être obtenue au moyen de vérifications élémentaires ; il résulte, par ailleurs, de l'article 690 du code de procédure civile que la notification faite à une personne morale doit l'être au lieu de son établissement ; à cet égard, il est de principe que le lieu de l'établissement est généralement le lieu du siège social et qu'à défaut, la notification doit être faite au représentant légal de la personne morale ou à tout autre personne habilitée à recevoir la notification pour le compte de celle-ci.

Dans le cas présent, pour signifier l'assignation devant le tribunal de commerce, la SCP Ruiz et Ruiz-Rodier, huissiers de justice, s'est présentée, dans la matinée du vendredi 15 novembre 2019, au [Adresse 5] correspondant à l'adresse du siège social de la société Teppane, tel que mentionné au registre du commerce et des sociétés, et a constaté l'absence à cette adresse d'un établissement de la personne morale, sachant qu'à cette adresse, la société Delta y exploitait le fonds de commerce de restaurant, objet du contrat de location-gérance ; l'huissier instrumentaire s'est également transporté à l'adresse du [Adresse 1], pouvant constituer le lieu d'établissement de la société Teppane, compte tenu de courriers reçus à cette adresse par le président de la société (M. [L]), notamment une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 juillet 2019, mais a relevé que l'établissement (la bouquinerie du Languedoc) était fermé ; il a également envoyé à l'adresse du siège social de la société Teppane une lettre recommandée contenant une copie du procès-verbal de recherches et de l'acte objet de la signification, dont l'avis de réception revêtue d'une signature lui a été retourné le 19 novembre 2019.

Il s'ensuit qu'en l'absence, dans l'établissement correspondant au siège social indiqué sur l'extrait K bis, d'une personne susceptible de recevoir l'acte pour le compte de la société Teppane, la signification pouvait valablement être faite selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, après que l'huissier ait tenté, en vain, de signifier l'acte à une autre adresse où la société pouvait être établie'; il ne peut être reproché à celui-ci de ne pas avoir tenté de signifier l'acte à l'adresse personnelle du représentant légal de la personne morale, peu important à cet égard que la société Delta ait eu connaissance d'une adresse de messagerie électronique du représentant légal de la société Teppane ([Courriel 6]) ou d'un numéro de téléphone portable ayant donné lieu à un échange de SMS avec l'intéressé.

Dans ces conditions, la demande d'annulation du jugement ne peut qu'être rejetée et il appartient à la cour de statuer sur le fond du litige par l'effet dévolutif de l'appel, qui s'opère pour le tout.

3- La recevabilité de l'action de la société Delta':

L'article L. 210-6 du code de commerce, qui reprend les dispositions de l'article 1843 du code civil, dispose que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle n'ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, ces engagements étant alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société ; l'article 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 énonce que l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation avec l'indication, pour chacun d'eux, de l'engagement qui en résulterait pour la société est présenté aux associés avant la signature des statuts et que cet état est annexé aux statuts, dont la signature emportera reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci aura été immatriculée.

En l'occurrence, le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 l'a été par M. [M] au nom et pour le compte de la société Delta alors en cours de formation et ce contrat figure dans l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, qui se trouve annexé aux statuts signés le 27 décembre 2018 ; or, la clause du contrat subordonnant la reprise de l'engagement à l'immatriculation de la société avant le 31 janvier 2019, à défaut de quoi le membre fondateur restera tenu de l'engagement souscrit, contrevient aux dispositions d'ordre public susvisées selon lesquelles la reprise des engagements figurant sur l'état annexé aux statuts signés n'est conditionné que par l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés ; ladite clause doit donc être réputée non écrite, la liberté contractuelle ne permettant pas de déroger aux règles intéressant l'ordre public, étant observé que si la société Delta a été immatriculée le 1er février 2019 au RCS, la demande d'immatriculation avait été déposée bien antérieurement et que les redevances réglées de janvier à décembre 2019 l'ont été par elle, sans opposition de la société Teppane ; en outre, celle-ci sollicite, dans ses conclusions d'appel, non sans une certaine contradiction, la condamnation de la société Delta, et non celle de M. [M], au paiement des redevances dues à compter de janvier 2020, ce qui démontre qu'elle la considère comme sa cocontractante'; le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action doit donc être écarté.

4- La demande d'annulation du contrat de location-gérance et les conséquences en résultant':

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 144-3 et L. 144-10 du code de commerce alors en vigueur qu'à peine de nullité du contrat, les personnes physiques ou morales qui concèdent une location gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance ; il est de principe que la nullité du contrat pour défaut d'exploitation personnelle du propriétaire pendant deux années au moins avant la mise en location gérance du fonds, est une nullité d'ordre public qui n'a pas pour finalité la protection des intérêts particuliers des parties, mais qui a été instituée pour des motifs touchant l'ordre public économique.

En l'occurrence, le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 mentionne que la société Teppane est propriétaire du fonds de commerce depuis le 9 décembre 2016, le bail des locaux ayant été renouvelé à compter du 1er août 2016, et cette dernière a déclaré dans l'acte, page 22, qu'elle remplissait toutes les conditions exigées par l'article L. 144-3 du code de commerce.

Or, il ressort de l'attestation du salarié d'un restaurant voisin ([K] [V]) que le restaurant à l'enseigne « Teppane » devenue «'l'Egrégore'» a été fermé de juillet à décembre 2018 et qu'auparavant, il n'était ouvert que de manière sporadique, cette attestation étant corroborée par celle de l'occupante ([K] [E]) d'un appartement situé au-dessus du restaurant au [Adresse 5], faisant état de la fermeture du restaurant un laps de temps qui m'a semblé anormal surtout dans les mois d'été où les commerces du quartier sont tous ouverts ; l'état des inscriptions modificatives, tenu au greffe du tribunal de commerce, montre d'ailleurs que l'enseigne « Teppane » a été remplacé par l'enseigne « l'Egrégore » le 11 décembre 2018, peu avant la conclusion du contrat de location-gérance.

Dès lors que le fonds de commerce a été acquis par la société Teppane le 9 décembre 2016 et qu'il n'a fait l'objet d'aucune exploitation de juillet 2018 à décembre 2018, soit durant six mois consécutifs, la condition d'exploitation durant deux ans avant la mise en location-gérance ne se trouve pas remplie, la société Teppane ne pouvant sérieusement soutenir que le restaurant a seulement été fermé en période estivale, sans entraîner la perte de la clientèle.

Le contrat de location-gérance conclu le 16 décembre 2018 encourt ainsi l'annulation, qui a pour conséquence de replacer les parties dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat litigieux.

Au titre des restitutions, la société Delta est fondée à obtenir le remboursement des redevances payées, hors indemnité d'occupation, jusqu'en janvier 2020, soit la somme hors-taxes de 21'732 euros (1811 euros x 12), des frais réglés à l'avocat l'ayant assisté lors de la conclusion du contrat, soit la somme hors-taxes de 1500 euros, du dépôt de garantie versé en exécution des stipulations du contrat, page 19, soit la somme de 8000 euros, et des frais de l'agence MB transactions, dont elle a assumé le paiement, ainsi qu'il est indiqué en page 24 de l'acte, soit la somme hors-taxes de 7000 euros ; elle peut également prétendre au remboursement des travaux réalisés dans les locaux, constituant des impenses utiles, sans que la société Teppane puisse lui opposer les dispositions du contrat annulé prévoyant notamment que le locataire-gérant prendra le fonds et les éléments qui le constituent dans l'état où il se trouve au jour de la prise de possession sans pouvoir par la suite élever la moindre contestation à leur sujet et qu'il s'engage à remplacer les matériels, installations et équipements qui viendraient à disparaître ou à s'altérer ou qui seraient mis hors service, soit en raison de la vétusté, soit en raison de la simple usure ; en l'état toutefois des pièces produites il convient de limiter le montant de l'indemnité revenant à la société Delta à la somme de 3757,11 euros correspondant au coût des travaux de mise en conformité de l'établissement aux normes de sécurité et de protection contre l'incendie, soit le total des cinq factures éditées entre le 23 janvier 2019 et le 26 mars 2019 par la société Cap-Feu.

C'est donc une somme totale de 41'989,11 euros qui est due à la société Delta, à l'exclusion de tout autre somme, notamment en paiement d'une indemnité pour un préjudice moral qui n'est pas justifié.

En cause d'appel, la société Teppane demande la condamnation de la société Delta à libérer les lieux sous astreinte et à lui payer à compter du 15 décembre 2020 une indemnité d'occupation équivalente au loyer exigible pour l'occupation des lieux, soit la somme mensuelle de 613,16 euros ; il ne peut être soutenu que ces demandes sont irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile puisque la société Teppane n'a pas comparu en première instance et n'a donc pu soumettre aucune prétention au premier juge.

Pour s'opposer à de telles demandes, la société Delta prétend disposer, dans ses rapports avec la société Teppane, d'un contrat de sous-location des locaux, dès lors, soutient-elle, que cette dernière n'a pu lui donner un fonds de commerce en location-gérance ; elle fonde sa position sur un arrêt non publié rendu le 17 mars 2015 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (pourvoi n° 09-15433) et indique qu'elle a saisi le tribunal judiciaire de Montpellier pour que soit reconnue l'existence d'un contrat de sous-bail commercial portant sur les locaux du [Adresse 5], servant à l'exploitation d'un fonds de commerce de restauration.

Pour autant, le litige soumis à la Cour de cassation est bien différent de celui aujourd'hui soumis à la cour, puisque dans cette espèce, les juridictions du fond avaient été saisies par les bailleresses de locaux commerciaux d'une action en résiliation du bail formé à l'encontre du locataire au motif que le contrat de location-gérance que celui-ci avait conclu constituait une sous-location déguisée, prohibée par le bail commercial ; la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel Aix-en-Provence ayant prononcé la résiliation du bail en considérant que celle-ci, après avoir constaté la disparition du fonds de commerce, avait pu requalifier en sous-location la location-gérance et jugé que cette sous-location, interdite par le bail, était de nature à justifier la résiliation de celui-ci.

En l'occurrence, dès lors que le contrat de location-gérance se trouve annulé rétroactivement par l'effet du jugement du tribunal de commerce, confirmé en appel, il ne saurait être requalifié en contrat de sous-bail commercial ; il y a donc lieu, selon des modalités qui seront précisées ci-après, en conséquence de l'annulation du contrat, de condamner la société Delta à libérer les locaux qu'elle occupe, sans droit ni titre, situés [Adresse 5] et de payer à la société Teppane, à compter du 1er janvier 2022 une indemnité d'occupation de 613,16 euros par mois, égale au montant du loyer des locaux revalorisé depuis le 1er août 2021 ; il ressort, en effet, des pièces produites que les sommes correspondantes aux loyers ont été versées par la société Delta jusqu'en décembre 2021.

Il a été indiqué plus haut que l'assignation introductive d'instance avait été délivrée régulièrement ; la société Teppane, qui a été en mesure de présenter devant la cour les demandes qu'elle n'avait pu soumettre au premier juge, ne peut donc prétendre avoir été privée, par la faute de son adversaire, du double degré de juridiction ; elle n'établit pas davantage la preuve du préjudice financier qu'elle invoque, alors que le contrat de location-gérance se trouve annulé en raison du non-respect, qui lui est directement imputable, des conditions prévues à l'article L. 144-3 du code de commerce.

5- Les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Teppane doit être condamnée aux dépens d'appel, sans toutefois qu'il y ait lieu de faire application, au profit de la société Delta, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 20 janvier 2020, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Teppane à payer à la société Delta la somme de 41'729,02 euros,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la SAS Teppane à payer à la SAS Delta, au titre des restitutions découlant de l'annulation du contrat de location-gérance du 16 décembre 2018, la somme de 41'989,11 euros,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Delta à libérer les locaux qu'elle occupe, sans droit ni titre, situés [Adresse 5] dans le délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt, sous peine, passé ledit délai, d'une astreinte de 500 euros par jour de retard pendant le délai de trois mois passés lequel il sera à nouveau statuer,

Condamne la société Delta à payer à la société Teppane, à compter du 1er janvier 2022 une indemnité d'occupation de 613,16 euros par mois, égale au montant du loyer des locaux revalorisé depuis le 1er août 2021,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Teppane aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu de faire application, au profit de la société Delta, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.