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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 6 juillet 2023, n° 23/08064

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

IDLF (SA)

Défendeur :

Uniqlo Co. Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

M. Rondeau, Mme Chopin

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Pernot, Me Schwab, Me Pedron, Me Kong Thong, Me Mordack

T. com. Paris, prés., du 13 avr. 2023, n…

13 avril 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

La société IDLF, aux termes d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce en date du 31 janvier 2023, l'autorisant en application des dispositions de l'article 485 du code de procédure civile à assigner en référé à heure indiquée pour l'audience du 13 avril 2023, a fait assigner la société Uniqlo Co. Ltd par acte du 17 février 2023 devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de, notamment :

- ordonner à Uniqlo Co. Ltd de poursuivre la relation selon les conditions contractuelles en vigueur dans le 7ème avenant daté du 7 septembre 2022 pour deux saisons supplémentaires à savoir les saisons automne-hiver 24 et printemps-été 25 ;

- dire que la poursuite de la relation doit se faire selon les conditions suivantes :

Au moins 58 références par saison ;

Distribuées dans plus de trois-cents points de vente ;

À des conditions tarifaires équivalentes aux saisons printemps/été 2021 et automne/hiver 2021 ;

Pour un volume équivalent à celui réalisé en moyenne lors des saisons printemps automne-hiver 2020, printemps-été 2021 et automne-hiver 2021 ;

Moyennant une rémunération conforme à l'avenant n° 5 à savoir un million d'euros par saison et une partie variable conforme à l'article 3 c/ (« Bonus Fees ») de l'avenant 5520 ;

- condamner Uniqlo à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

En défense, la société Uniqlo a fait valoir l'incompétence des juridictions françaises, s'est opposée aux demandes, sollicitant en outre 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la demanderesse aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire du 13 avril 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- indiqué être compétent ;

- dit qu'il n'y a pas lieu à référé ;

- débouté les parties de toutes les demandes plus amples et contraires, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé à la partie demanderesse la charge des dépens, dont ceux à recouvrer par les greffes liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA.

Par déclaration du 4 mai 2023, la société IDLF a relevé appel de cette décision.

Elle a été autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du 12 mai 2023.

Dans ses conclusions remises le 21 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société IDLF demande à la cour, au visa des articles 554, 556 et suivants, 872 et 873 du code de procédure civile, L. 442-1 et L. 442-4 II du code de commerce, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel et ses demandes ;

- recevoir Mme [B] [W] en son intervention volontaire ;

En conséquence,

- confirmer l'ordonnance rendue en ce que le juge des référés s'est déclaré compétent ;

- infirmer l'ordonnance rendue en ce qu'elle a statué par les chefs suivants :

Disons qu'il n'y a pas lieu à référé ;

Déboutons les parties de toutes les demandes plus amples et contraires, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile mais uniquement lorsqu'elle déboute la société IDLF de ses demandes ;

Laissons à la partie demanderesse la charge des dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA ;

Statuant à nouveau,

Sur les rémunérations variables au titre des collections passées,

- condamner la société Uniqlo Co. Ltd à lui payer à titre provisionnel 916.498 euros au titre des rémunérations variables annoncées pour les collections passées soit :

36.052 euros au titre de la collection Automne-Hiver 2022 ;

396.689 euros au titre de la collection Printemps-Eté 2023 ;

483.757 euros au titre de la collection Automne-Hiver 2023 ;

Sur le préavis lié aux saisons additionnelles à venir,

À titre principal,

- ordonner la poursuite des relations commerciales entre elle, la société Uniqlo Co. Ltd, et Mme [B] [W] selon les conditions contractuelles en vigueur dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 pour deux saisons supplémentaires au-delà de la seule saison Printemps-Eté 2024 accordée par Uniqlo Co. Ltd dont les prestations principales et la rémunération s'achèvent le 6 juin 2023, à savoir les saisons Automne-Hiver 2024 et Printemps-Eté 2025, soit jusqu'au 30 juin 2024 pour la fin des prestations principales et des rémunérations principales avec une fin de contrat s'achevant avec la Sell-Off Period le 28 février 2027 ;

- prononcer, à la sagesse de la cour d'appel, une astreinte à l'encontre d'Uniqlo Co. Ltd de 10.000 euros par jour de retard dans la poursuite des relations commerciales à compter du (8) huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir jusqu'à la date de fin ordonnée ;

À tout le moins,

- condamner la société Uniqlo Co. Ltd à lui payer à titre provisionnel le montant de la rémunération fixe due pour deux saisons supplémentaires, à savoir les saisons Automne- Hiver 2024 et Printemps-Eté 2025, dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 soit :

250.000 euros à date du 30 septembre 2023 ;

250.000 euros à date du 31 décembre 2023 ;

250.000 euros à date du 30 mars 2024 ;

250.000 euros à date du 30 juillet 2024 ;

À titre très subsidiaire et laissée à l'appréciation de la sagesse de la cour,

- ordonner la poursuite des relations commerciales entre elle, la société Uniqlo Co. Ltd, et Mme [B] [W] selon les conditions contractuelles en vigueur dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 pour une saison supplémentaire au-delà de la seule saison Printemps-Eté 2024 accordée par Uniqlo Co. Ltd dont les prestations principales et la rémunération s'achèvent le 6 juin 2023, à savoir la saison Automne-Hiver 2024, soit jusqu'au 31 décembre 2023 pour la fin des prestations principales et des rémunérations principales avec une fin de contrat s'achevant avec la Sell-Off Period le 10 septembre 2026 ;

- prononcer, à la sagesse de la cour d'appel, une astreinte à l'encontre d'Uniqlo Co. Ltd de 10.000 euros par jour de retard dans la poursuite des relations commerciales à compter du (8) huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir jusqu'à la date de fin ordonnée ;

À tout le moins,

- condamner la société Uniqlo Co. Ltd à lui payer à titre provisionnel le montant de la rémunération fixe due pour une saison supplémentaire, à savoir la saison Automne-Hiver 2024, dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 soit :

250.000 euros à date du 30 septembre 2023 ;

250.000 euros à date du 31 décembre 2023 ;

En tout état de cause,

- débouter la société Uniqlo Co. Ltd en sa demande de voir écarter des débats les conclusions n°2 de la société IDLF régularisées le 16 juin 2023 ;

- débouter la société Uniqlo Co. Ltd de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Uniqlo Co. Ltd à lui payer la somme de 65.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société IDLF fait en substance valoir :

- que la compétence matérielle du juge des référés est établie dans une situation d'urgence même en présence d'une clause compromissoire ; que l'urgence est caractérisée eu égard aux graves difficultés financières de la société IDLF et de l'impossibilité de se réorganiser compte tenu de sa dépendance économique envers Uniqlo ;

- qu'à titre surabondant, les parties ont expressément prévu la possibilité de saisir le juge des référés pour prononcer une mesure conservatoire ;

- que le juge des référés est internationalement compétent, l'article 46 du code de procédure civile étant applicable et déterminant la compétence du juge des référés de Paris, siège de la victime de la rupture et aussi lieu d'exécution des mesures sollicitées ;

- que, sur le fond du référé, Uniqlo ne peut sérieusement prétendre que les parties se seraient accordées sur la durée du préavis ; qu'Uniqlo a brutalement et fautivement résilié le partenariat avec IDLF et Mme [W], alors que les relations commerciales étaient établies avec succès depuis dix ans, le trouble manifestement illicite étant établi ; qu'IDLF est dépendante économiquement d'Uniqlo, cette relation représentant près de 40 pour cent de son chiffre d'affaires, la clause de non-concurrence ayant rendu impossible la conclusion d'un partenariat équivalent ; que le délai de six mois est insuffisant pour lui permettre de se réorganiser ;

- que IDLF va subir également un dommage imminent, la situation économique d'IDLF étant fortement compromise et de nature à entraîner des licenciements dès l'été 2023 ;

- que le délai de préavis raisonnable, dans une situation de dépendance économique et en matière de mode, est de 12 à 18 mois, soit deux à trois saisons, délai permettant à la société de se réorganiser ;

- que les montants de rémunération variable annoncés par Uniqlo commandent de condamner provisionnellement l'intimée aux sommes en cause.

Dans ses conclusions remises le 22 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Uniqlo Co. Ltd demande à la cour, au visa des articles 16, 873 et 1449 du code de procédure civile, L. 442-1 du code de commerce, de :

À titre liminaire,

- écarter des débats les conclusions d'appel sur référé n° 2 communiquées par la société IDLF le 16 juin 2023 et les conclusions d'appel sur référé n° 3 communiquées par la société IDLF le 21 juin 2023 ;

À titre principal,

- infirmer l'ordonnance rendue par M. le président du tribunal de commerce de Paris le 13 avril 2023 sous le n°2023006191 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige ;

Statuant à nouveau, in limine litis,

- juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de la demande de la société IDLF et de Mme [W] à son encontre ;

- juger que son appel incident est recevable ;

En conséquence,

- renvoyer la société IDLF et Mme [W] à mieux se pourvoir ;

À titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance rendue par M. le président du tribunal de commerce de Paris le 13 avril 2023 sous le n° 2023006191 en ce qu'il n'a pas statué sur la condition d'urgence exigée par l'article 1449 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

- juger que la condition d'urgence exigée par l'article 1449 du code de procédure civile n'est pas remplie ;

En conséquence,

- juger qu'il n'y a pas lieu à référé et renvoyer la société IDLF et Mme [W] à mieux se pourvoir ;

À titre infiniment subsidiaire,

- confirmer l'ordonnance rendue par M. le président du tribunal de commerce de Paris le 13 avril 2023 sous le n° 2023006191 en ce qu'il a dit ne pas y avoir lieu à référé ;

Statuant à nouveau,

- juger que la société IDLF est irrecevable à solliciter le paiement par la société Uniqlo Co. Ltd à titre provisionnel du montant de la rémunération fixe due pour deux saisons supplémentaires, subsidiairement pour une saison supplémentaire ;

- juger, à titre encore plus subsidiaire, que la société IDLF est infondée à solliciter le paiement par la société Uniqlo Co. Ltd à titre provisionnel du montant de la rémunération fixe due pour deux saisons supplémentaires, subsidiairement pour une saison supplémentaire ;

En tout état de cause,

- infirmer l'ordonnance rendue par M. le président du tribunal de commerce de Paris le 13 avril 2023 sous le n° 2023006191 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société IDLF à lui payer la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

- juger son appel incident recevable ;

- juger que la demande de la société IDLF visant à la voir condamnée à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 916.498 euros est irrecevable ;

- débouter la société IDLF de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre en ce compris sa demande visant à la voir condamnée à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 916.498 euros en raison de son caractère infondé ;

- condamner la société IDLF à lui payer la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant M. le président du tribunal de commerce de Paris ;

- condamner la société IDLF et Mme [W] à lui payer in solidum la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre de la présente instance, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de la SELARL 2H Avocats en la personne de Me Schwab conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Uniqlo co. Ltd fait en substance valoir :

- qu'en matière internationale, le juge des référés français n'est compétent qu'à la condition qu'il existe un lien de rattachement réel entre l'objet de la mesure et le territoire français ; que le chef de compétence du lieu du dommage n'est pas applicable et que, s'agissant du lieu d'exécution de la mesure, il s'agit de l'adresse des locaux du défendeur, soit ici Yamaguchi au Japon ;

- que la demande ne présente pas non plus un caractère d'urgence justifiant d'écarter la clause d'arbitrage, étant observé qu'IDLF ne démontre pas que sa situation soit irrémédiablement compromise dans des conditions de nature à mettre en péril sa pérennité, la trésorerie n'étant notamment pas négative et tout risque de cessation des paiements étant éliminé ; qu'IDLF est la seule responsable de la situation financière obérée et que les mesures drastiques alléguées par l'appelante ne sont pas en lien avec les relations contractuelles envers Uniqlo ; qu'IDLF et Mme [W] auraient pu engager un arbitrage depuis près de huit mois ;

- que, subsidiairement, ni le trouble manifestement illicite ni le dommage imminent ne sont établis ; que, notamment, la signature du contrat de 2016 et des avenants 5 à 7 exclut toute rupture manifestement brutale de la relation ; qu'Uniqlo a accordé à IDLF un préavis largement suffisant de près de deux saisons, sans entretenir un quelconque doute ; qu'IDLF n'est pas en situation de dépendance économique vis-à-vis d'Uniqlo ;

- que les demandes de provision formées par IDLF à hauteur d'appel sont irrecevables comme nouvelles et sont au demeurant sérieusement contestables, alors qu'il n'existe pas de litiges entre les parties ou, pour le surplus, que les créances ne sont à ce stade qu'éventuelles.

Dans ses conclusions remises le 16 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [F] [B] [W] demande à la cour, au visa des articles 554, 872 et 873 du code de procédure civile et L.442-1 II du code de commerce, de :

- déclarer recevable son intervention volontaire à la procédure ;

- confirmer l'ordonnance rendue en ce que le juge des référés s'est déclaré compétent,

- infirmer l'ordonnance rendue en ce qu'elle a statué par les chefs suivants : disons qu'il n'y a pas lieu à référé ;

Et, statuant à nouveau,

À titre principal,

- ordonner la poursuite des relations commerciales entre les sociétés Uniqlo Co. Ltd, IDLF et elle selon les conditions contractuelles en vigueur dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 pour deux saisons supplémentaires au-delà de la seule saison Printemps-Eté 2024 accordée par Uniqlo Co. Ltd dont les prestations principales et la rémunération s'achèvent le 6 juin 2023, à savoir les saisons Automne-Hiver 2024 et Printemps-Eté 2025, soit jusqu'au 30 juin 2024 pour la fin des prestations principales et des rémunérations principales avec une fin de contrat s'achevant avec la Sell-Off Period le 28 février 2027 ;

À titre subsidiaire,

- ordonner la poursuite des relations commerciales entre les sociétés Uniqlo Co. Ltd, IDLF et elle selon les conditions contractuelles en vigueur dans les termes du dernier avenant daté du 7 septembre 2022 pour une saison supplémentaire au-delà de la seule saison Printemps-Eté 2024 accordée par Uniqlo Co. Ltd dont les prestations principales et la rémunération s'achèvent le 6 juin 2023, à savoir la saison Automne-Hiver 2024, soit jusqu'au 31 décembre 2023 pour la fin des prestations principales et des rémunérations principales avec une fin de contrat s'achevant avec la Sell-Off Period le 10 septembre 2026 ;

En tout état de cause,

- condamner la société Uniqlo Co. Ltd à lui payer la somme de 3.600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- débouter la société Uniqlo Co. Ltd de sa demande de condamnation de la société IDLF et Mme [W] à payer in solidum à la société Uniqlo Co. Ltd. la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de de procédure au titre de la présente instance, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de la SELARL 2H Avocats en la personne de Me Schwab conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [F] [B] [W] fait en substance valoir :

- qu'elle a intérêt à intervenir à la présente procédure ;

- que, compte tenu des dix années de collaboration, le préavis de six mois est insuffisant, caractérisant la rupture brutale au sens de l'article L. 442-0 du code de commerce.

SUR CE LA COUR

Sur la procédure

En l'espèce, à titre liminaire, il sera observé que Mme [B] [W] intervient volontairement, en tant que signataire avec IDLF de tous les contrats signés avec la société Uniqlo, précisant qu'elle participe nécessairement en tant que styliste et au titre de son image aux contrats, la rupture brutale alléguée la concernant également.

Elle justifie ainsi bien d'un intérêt à intervenir au sens de l'article 554 du code de procédure civile de sorte qu'il convient de la recevoir en son intervention volontaire.

La société Uniqlo Co. Ltd demande aussi à titre liminaire à la cour d'écarter des débats les conclusions d'appel communiquées par la société IDLF remises au greffe les 16 et 21 juin 2023, au motif que les conclusions n° 2 et n° 3 auraient été remises tardivement, en dehors du cadre procédural fixé par le premier président et en méconnaissance des droits de la défense.

Il sera rappelé sur ce point que l'ordonnance du premier président mentionne simplement un délai pour assigner et un délai pour conclure pour l'intimée, les dispositions des articles 917 à 925 du code de procédure civile n'interdisant pas le dépôt de conclusions supplémentaires.

En outre, s'il appartient au président, le jour de l'audience, de s'assurer qu'il s'est écoulé un temps suffisant pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense, il sera relevé que la société Uniqlo a pu conclure le 22 juin 2023, répondant ainsi aux dernières conclusions d'IDLF, Uniqlo ne précisant pas sur quels points elle n'aurait pas été en mesure de répondre, ce d'autant que les conclusions d'IDLF remises le 21 juin 2023 visaient à répondre à la demande de voir écarter des débats les dernières écritures produites. Uniqlo ayant au surplus formé appel incident, la société appelante au principal devait aussi pouvoir répliquer.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats les conclusions remises par IDLF.

Enfin, Uniqlo estime que la société IDLF serait irrecevable en ses demandes de condamnations provisionnelles, nouvelles à hauteur d'appel, demandes qui visent en substance à condamner Uniqlo à lui verser, à titre provisionnel, les rémunérations variables annoncées en réplique par la société intimée pour venir contester le préjudice allégué par l'appelante, outre les montants des rémunérations fixes en cas de maintien des relations contractuelles.

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Par ailleurs, dans le cadre de la procédure à jour fixe, il a été jugé, en application de l'article 918 du code de procédure civile, que ne sont pas recevables les conclusions de l'appelant ayant été autorisé à former un appel à jour fixe qui ne visent pas à répondre aux conclusions de l'intimé.

Enfin, selon l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Or, dans la présente affaire, il sera relevé :

- qu'IDLF observe à juste titre que les demandes formées à hauteur d'appel visent notamment à répliquer par rapport aux conclusions de l'intimée, à raison de la production en appel du rapport Kroll annonçant les rémunérations à venir pour IDLF et venant donc contester le rapport d'expert-comptable RBB produit par l'appelante, le reste des demandes étant en lien avec le maintien des relations contractuelles ;

- que la société IDLF peut donc valablement solliciter la condamnation provisionnelle d'Uniqlo, dans la mesure où il s'agit bien, pour l'appelante, de tirer les conséquences du maintien du lien contractuel et de répondre aux conclusions de l'intimée, les demandes étant à cet égard relatives aux conséquences de la révélation d'un fait, à savoir les sommes qu'IDLF pourrait toucher selon les propres écritures d'Uniqlo ;

- qu'à tout le moins, ces demandes constituent le complément nécessaire de la demande principale en poursuite des relations contractuelles, puisqu'elles visent à obtenir de la société intimée des condamnations provisionnelles en lien avec le contrat ou, à tout le moins, de nature à améliorer sa situation financière, les demandes étant fondées sur les sommes que reconnaîtrait Uniqlo comme devant toujours être dues.

Les demandes nouvelles formées à hauteur d'appel seront donc déclarées recevables.

Sur la compétence du juge des référés du tribunal de commerce de Paris

L'article 1449 du code de procédure civile dispose que l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire.

Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

Par ailleurs, il résulte de l'article 46 du code de procédure civile que le demandeur peut saisir à son choix - outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

En l'espèce, s'agissant en premier lieu de la compétence matérielle du juge des référés, il faut rappeler que l'existence d'une clause compromissoire n'est pas de nature à empêcher une partie de saisir une juridiction, ce aux fins d'obtenir une mesure provisoire ou conservatoire, à la condition que le tribunal arbitral ne soit pas constitué et qu'il soit justifié d'une urgence, conformément à l'article 1449 du code de procédure civile.

Le contrat du 4 avril 2016 comporte une clause d'arbitrage, stipulant que tout litige ou toute réclamation découlant du contrat ou en rapport avec celui-ci sera définitivement réglé par voie d'arbitrage conformément au règlement de la chambre de commerciale internationale alors en vigueur.

Il est constant d'abord que le tribunal arbitral n'est pas constitué.

Concernant ensuite la condition d'urgence, il sera relevé :

- qu'IDLF verse aux débats un rapport d'expertise-comptable du cabinet RBB (pièce 24), qui fait notamment état de ce l'entreprise serait dans une situation critique à laquelle elle doit apporter des réponses dans un délai très court, soit moins de deux mois ;

- que, par ailleurs, IDLF fait valoir que le partenariat a duré dix années, cette collaboration représentant entre un tiers (2022) ou pratiquement la moitié (2020) de son chiffre d'affaires ;

- que, dès lors, dans ces circonstances, IDLF estime qu'il y a bien urgence à obtenir une mesure provisoire auprès du juge des référés ;

- qu'Uniqlo conteste la condition d'urgence ;

- que, cependant, contrairement à ce que soulève la société intimée, l'urgence ne suppose pas qu'IDLF démontre que la décision d'Uniqlo la place dans une situation irrémédiablement compromise de nature à mettre en péril sa pérennité ; que l'état des cessation de paiements, voire la liquidation de l'entreprise, ne sont pas des conditions de saisine du juge des référés lorsqu'existe une clause d'arbitrage, sauf à vider de toute substance l'application des dispositions de l'article 1449 du code de procédure civile ;

- que la condition d'urgence suppose en réalité de démontrer qu'un retard, même minime, dans l'audiencement de l'affaire pourrait devenir à l'évidence préjudiciable à l'une des parties ;

- qu'ici, nonobstant les contestations élevées par Uniqlo concernant le rapport du cabinet RBB les conséquences de la rupture sur la santé financière de la société IDLF ou encore les mauvais choix stratégiques de la société appelante, autant d'éléments qui relèvent du fond du référé, IDLF justifie suffisamment de la nécessité qu'il soit statué de manière urgente sur ses demandes, eu égard aux conséquences à tout le moins importantes et rapides de la cessation des relations contractuelles avec Uniqlo, qui résulte des pièces versées et de l'importance de ce client pour IDLF, un fort impact sur la rentabilité étant de nature à justifier de la saisine du juge du provisoire dans l'attente d'une décision sur le fond ;

- que, par ailleurs, contrairement à ce qu'indique la société Uniqlo, IDLF s'est montrée diligente pour saisir le juge des référés, puisque la rupture des relations commerciales a été actée au cours du mois de novembre 2022, qu'IDLF a mis en demeure Uniqlo d'acquitter les sommes dues et de prendre position sur le préavis par courrier officiel du 15 décembre 2022, avant de saisir la juridiction des référés en heure à heure, par acte du 17 février 2023, à la suite d'une ordonnance du magistrat du 31 janvier 2023 ;

- que la circonstance qu'IDLF aurait déjà pu saisir la juridiction arbitrale apparaît donc inopérante, étant relevé que le règlement d'arbitrage de la chambre de commerce internationale prévoit simplement la possibilité de déposer une requête en urgence, sans empêcher pour autant la saisine de la juridiction des référés ;

- qu'au surplus, IDLF peut aussi valablement soutenir que la clause 15.9 du contrat du 4 avril 2016 stipule aussi qu'à l'exception des mesures conservatoires, aucune des parties n'est autorisée à engager ou maintenir une action devant un tribunal pour tout litige découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci ;

- qu'il s'en déduit aussi que les parties ont entendu se réserver la possibilité d'agir devant les juridictions aux fins d'obtenir une mesure conservatoire, ce qui s'entend à l'évidence d'une demande visant à solliciter du juge des référés la poursuite d'une relation contractuelle à raison d'une rupture brutale alléguée des relations commerciales.

Il y a donc lieu de constater que la clause compromissoire n'empêche pas la saisine du juge des référés.

En second lieu, les parties s'opposent sur la compétence du juge des référés français pour statuer sur le litige, étant précisé que la société Uniqlo estime que sont compétents les tribunaux japonais.

Il sera rappelé que l'article 46 du code de procédure civile dispose que le demandeur peut saisir en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

Si l'article 46 précité demeure applicable au présent litige, contrairement à ce qu'indique la société intimée, notamment pour déterminer la juridiction territorialement compétente, il résulte aussi des principes applicables aux litiges comportant des éléments d'extranéité qu'il doit exister un lien de rattachement réel et suffisant entre l'objet de la mesure et le territoire français, ce pour justifier de la saisine du juge français et permettre notamment une éventuelle exécution forcée.

Il est constant que la société Uniqlo Co. Ltd a son siège au Japon.

IDLF fait valoir que le dommage consécutif à la rupture abusive des relations contractuelles, d'ordre délictuel, est subi au siège de la société victime de la cessation des relations, soit ici [Localité 6]. Uniqlo indique elle que toute injonction qui lui serait faite de poursuivre la relation serait nécessairement exécutée au Japon, excluant la compétence des juridictions françaises au profit des juridictions japonaises.

Il sera constaté :

- que, comme l'indique à juste titre l'appelante, le lieu du dommage est bien celui du ressort du tribunal de commerce de Paris, la société IDLF ayant son siège dans cette ville ;

- que le lieu d'exécution des mesures sollicitées est également [Localité 6], dans la mesure où l'éventuel maintien des liens contractuels se poursuivrait dans cette ville, ce dans les locaux de la société IDLF, s'agissant de prestations fournies en France avec préparation des collections dans ce pays ;

- qu'il existe un lien de rattachement réel et suffisant avec le territoire français.

Il y a donc bien lieu de confirmer la décision du président du tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a retenu sa compétence pour statuer sur les demandes.

Sur le fond du référé

En application de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage lié qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Il faut en outre rappeler que l'article L. 442-1 II du code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

La rupture des relations commerciales doit être imprévisible, soudaine et brutale, le délai de préavis s'appréciant en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la rupture.

En application de l'article L. 442-4 II du code de commerce, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire, étant rappelé qu'il appartient à la partie demanderesse en référé de démontrer que la pratique abusive constitue un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873 du code de procédure civile.

Selon l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

En l'espèce, il sera rappelé qu'Uniqlo, IDLF et Mme [F] [W] ont signé un contrat le 4 avril 2016, puis plusieurs avenants successifs.

En novembre 2022, Uniqlo a indiqué à IDLF qu'elle entendait mettre fin aux relations contractuelles, décision confirmée formellement par courrier recommandé du 28 novembre 2022.

Aux termes de ce courrier, il était fait état d'un préavis partant à compter de la date de réception de la lettre et expirant à la date correspondant à la fin de la période de soldes de la collection printemps/été 2024 (venant en complément de la collection automne/hiver 2023) courant jusqu'à la fin du mois du mois de février 2026.

Par courriel du 23 janvier 2023, Uniqlo indiquait à IDLF qu'elle renonçait au bénéfice de la clause de non-concurrence prévue par l'article 9 du contrat, pour la durée du préavis.

C'est dans ce contexte que les parties s'opposent sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales.

Il y a lieu de relever :

- que les parties ont signé divers avenants successifs pour les collections, la portée de l'avenant n°7, signée le 21 décembre 2022 soit postérieurement à la lettre de résiliation, étant particulièrement discutée, Uniqlo y voyant la démonstration d'un accord des parties sur la fin du contrat de 2016, là où IDLF indique qu'il s'agissait principalement de régulariser la situation de fait, à savoir la reconduction tacite du partenariat jusqu'à la collection printemps-été 2024 ;

- que force est de constater en toute hypothèse que l'avenant n° 7 ne permet pas de constater l'existence d'un accord sur la rupture, alors que celle-ci était alors déjà contestée par IDLF et que les collections successives avaient donné lieu à la signature de six avenants successifs ;

- qu'il n'en demeure pas moins aussi, comme l'a rappelé le premier juge, que, dès 2021, IDLF était en mesure de percevoir la baisse des revenus liée au partenariat avec Uniqlo ;

- qu'en effet, Uniqlo, dès un courriel du 31 août 2021, avertissait IDLF de la dégradation de la rentabilité de leur collaboration, en proposant une réduction de 50 % de la rémunération du projet, précisant devoir commencer "par une redevance de projet réduite" (pièce 16 Uniqlo), traduisant une part variable plus importante, ce qui allait être formalisé dans l'avenant n° 6, étant précisé que la seule mention de la pandémie dans ce message ne permet pas de déduire que cette annonce était liée aux seules conséquences de la crise sanitaire et que, même s'il est fait mention de la possibilité de donner la même ampleur au projet voire plus, l'information traduisait bien une détérioration, selon Uniqlo, des conditions financières du partenariat avec une inquiétude sur sa pérennité ;

- que la situation de dépendance économique, nonobstant l'ancienneté du partenariat entre les deux sociétés (dix ans) ou leur différence de taille, n'est pas à l'évidence établie ;

- que, comme l'a rappelé le premier juge, le contrat et les avenants successifs ont toujours permis à la société Uniqlo de fixer le nombre de références et les points de vente, la situation étant à cet égard restée largement inchangée depuis le début du partenariat ;

- qu'une part d'un tiers ou approchant la moitié du chiffre d'affaires ne caractérise pas à l'évidence une situation de dépendance économique, étant observé que la part du partenariat au sein du chiffre d'affaires était déjà en baisse comme l'indique IDLF (46 % du CA en 2020, 43 % du CA en 2021, 35 % du CA en 2022) ;

- que la levée de la clause de non-concurrence, fût-elle de pure opportunité, a été effective au 23 janvier 2023 selon le courriel adressé en ce sens par Uniqlo ;

- que la lettre de résiliation d'Uniqlo du 28 novembre 2022 fait mention d'un délai laissé jusqu'à la fin du mois de février 2026, étant à préciser que le préavis incluait plus précisément la saison automne/hiver 2023 et la saison printemps/été 2024, de sorte qu'IDLF doit donc en l'état trouver de nouveaux partenaires pour la saison automne/hiver 2024 ;

- que les parties divergent sur la portée de ce courrier, Uniqlo indiquant qu'il s'agirait d'un préavis supérieur à dix-huit mois (jusqu'en février 2026), IDLF y voyant au contraire un préavis limité à six mois, les prestations pour la saison printemps/été 2024 se terminant en juin 2023, la rémunération perçue par la suite étant dérisoire ;

- que la cour relèvera que les deux rapports RBB et Kroll, largement contradictoires, reprennent pour une grand part les dires des parties sur l'avenir prévisible d'IDLF, le rapport RBB faisant état de perspectives alarmantes pour la société appelante tandis que le rapport Kroll écarte tout danger de cessation des paiements ;

- que la société intimée relève à tout le moins valablement que la rémunération d'IDLF ne se limite pas à la phase de co-création, mais inclut aussi les périodes de co-marketing six à neuf mois avant le lancement de la collection, la phase de lancement et de commercialisation et la phase de soldes à l'issue de chaque collection (période dite "sell-off period") ;

- qu'il s'en déduit d'abord que les prestations pour la saison automne/hiver 2023 n'étaient pas terminées, compte tenu notamment des phases en cours de co-marketing et de commercialisation, la rémunération couvrant également ces différentes phases au regard du contrat et des avenants successifs ;

- que, surtout, Uniqlo indique aussi, pour s'opposer au rapport de l'expert-comptable RBB de la société IDLF, que, selon le rapport du cabinet Kroll (pièce 30), certes établi à sa demande, a déjà été notifié le règlement par Uniqlo de 961.000 euros, auquel s'ajoutera un montant de redevances variables estimé à 572.000 euros, à régler en fin d'année 2023 ;

- que la redevance à verser peut raisonnablement être estimée à la somme de 1.533.000 euros d'ici la fin de l'année 2023, les délais ainsi laissés par Uniqlo permettant à IDLF d'être encore rémunérée de manière substantielle au cours de l'année 2023, ce même si la "sell-off period" jusqu'au 28 février 2026 comportera à l'évidence une moindre rémunération ;

- que, dans ces conditions, la durée du préavis ne peut être raisonnablement estimée comme limitée à six mois, alors qu'IDLF continuera à être rémunérée après juin 2023 ; qu'IDLF relève toutefois aussi à juste titre que la durée de dix-huit mois, retenue par l'intimée, est contestable, le versement de sommes pour la phase de "sell-off period" étant assurément limité (invendus de fin de saison) ; que cependant, IDLF apparaît encore en mesure d'être substantiellement rémunérée pour l'année 2023 ;

- que, dès lors, la rupture ne peut, avec l'évidence requise en référé, être qualifiée de brutale, ce en tenant compte des particularités du secteur de la mode, du principe des collections saisonnières, de l'annonce de la dégradation de la rentabilité annoncée dès l'été 2021, la résiliation notifiée le 28 novembre 2022 permettant à tout le moins une rémunération substantielle d'IDLF jusqu'à la fin de l'année 2023, pour une durée donc légèrement supérieure à une année ;

- que, dans ces conditions, d'une part, le trouble manifestement illicite allégué par IDLF n'est pas établi, la rupture des relations commerciales ne pouvant en l'espèce être qualifiée à l'évidence de brutale au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce ;

- que, d'autre part, le dommage imminent ne saurait non plus être retenu comme commandant l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, étant rappelé à juste titre par la société intimée qu'en l'absence de rupture brutale de la relation commerciale, le dommage imminent au sens de cet article n'est pas établi, ne pouvant être réparé sur ce fondement un dommage légal ou légitime lié à la vie des affaires et conforme aux stipulations contractuelles signées entre les parties ;

- qu'au surplus, les mesures drastiques qu'IDLF prétend devoir prendre en cas de résiliation du contrat ne peuvent être à l'évidence mises en lien avec la seule cessation du partenariat Uniqlo ;

- qu'IDLF reconnaît d'abord, même en se fondant sur ses propres projections (rapport expert-comptable) que ses besoins sont liés à l'accroissement du poste production/achats matières, en lien avec sa croissance sur ses activités en propre ;

- que la croissance de l'entreprise ne peut être mise en lien avec l'arrêt du partenariat Uniqlo, ne pouvant être considéré que les relations contractuelles devraient être maintenues pour permettre le financement des investissements d'IDLF dépassant la simple réorganisation de la société, alors que le dommage imminent doit être en lien avec la résiliation ;

- que le risque de nomination d'un mandataire ad hoc ou de l'ouverture d'une procédure collective, allégué par l'appelante, apparaît en l'état très incertain, eu égard aux redevances qui restent à percevoir, une trésorerie même éventuellement négative ne commandant pas de telles mesures.

La décision du premier juge, au regard de ces éléments, sera donc confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de poursuite des relations contractuelles, étant précisé qu'il ne saurait y avoir lieu à référé sur les demandes subséquentes de condamnations provisionnelles au titre des rémunérations dues en cas de maintien des relations contractuelles.

A hauteur d'appel, IDLF sollicite aussi la condamnation d'Uniqlo Co. Ltd à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 916.498 euros, au titre des redevances que reconnaîtrait devoir verser la société intimée pour les collections passées soit :

36.052 euros au titre de la collection automne/hiver 2022 ;

396.689 euros au titre de la collection printemps/été 2023 ;

483.757 euros au titre de la collection automne-/hiver 2023.

Il sera rappelé qu'IDLF doit sur ce point faire la preuve que l'obligation de paiement de la société Uniqlo Co. Ltd n'est pas sérieusement contestable, qu'il s'agisse du montant réclamé et du caractère exigible des sommes à verser.

Il faut à cet égard relever qu'Uniqlo peut valablement faire valoir que, pour partie, les sommes donneront lieu à paiement après émission des factures conformément aux modalités prévues entre les parties (45 jours après émission) et que, pour le surplus, la cour ne saurait entrer en voie de condamnation provisionnelle sur le fondement d'estimations des rémunérations variables, des créances fondées en leur principe mais estimées au vu des données disponibles restant juridiquement éventuelles.

Il sera donc dit n'y avoir lieu à référé sur ces demandes.

Sur les autres demandes,

Le sort des frais et dépens de première instance a été exactement réglé par le premier juge.

A hauteur d'appel, la société IDLF devra indemniser la société Uniqlo Co. Ltd dans les conditions indiquées au dispositif pour les frais non répétibles exposés, et sera en outre condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Reçoit Mme [F] [B] [W] en son intervention volontaire ;

Dit n'y avoir lieu à écarter les conclusions d'appel de la société IDLF remises les 16 et 21 juin 2023 ;

Déclare recevables les demandes nouvelles formées à hauteur d'appel ;

Sur le fond du référé,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes des parties ;

Condamne la société IDLF à verser à la société Uniqlo Co. Ltd la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la société IDLF aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SELARL 2H Avocats en la personne de Me Schwab pour les dépens concernés en application de l'article 699 du code de procédure civile.