CA Bordeaux, 1re ch. civ., 23 février 2021, n° 18/02385
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potée
Conseillers :
M. Braud, Mme Vallée
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE
Mme Françoise L. a été embauchée en qualité d'assistante maternelle du 1er octobre 2009 au 31 mars 2010 par Mme Magalie R. et M. Sébastien de la R..
En raison d'impayés de salaires, Mme L. a saisi en référé le conseil des prud'hommes de Bordeaux, lequel, par ordonnance rendue par défaut le 27 mai 2010, a condamné Mme Magalie R. et M. Sébastien de la R. solidairement à lui verser diverses sommes et à lui remettre son certificat de travail et son attestation Assedic.
Le conseil de Mme L. a saisi la SCP d'Huissiers de Justice Sébastien F. et E. P. (la SCP F.P.), le 9 juin 2010 pour recouvrer ces sommes.
Reprochant à cette étude un défaut d'information et des opérations menées en dehors de tout mandat, Mme L. l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux par exploit d'huissier du 3 décembre 2015.
Par jugement du 22 mars 2018, le tribunal a :
- débouté Mme L. de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SCP 'F. P.' de sa demande reconventionnelle,
- condamné Mme L. à verser à la SCP 'F. P.' la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- dit ne pas y avoir lieu d'ordonner l'exécution du jugement.
Mme L. a relevé appel de ce jugement par déclaration du 25 avril 2018.
Par conclusions déposées le 23 janvier 2019, Mme L. demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
- juger que la SCP F. - P. a accompli des actes inutiles, des fautes dans l'exécution de son mandat et s'en est trouvée dessaisie,
- juger que les fautes commises par la SCP F. - P. ayant un lien direct avec les préjudices de Mme L. engagent sa responsabilité contractuelle à son égard,
- condamner la SCP F. - P. à prendre en charge les frais de ses actes inutiles et à payer à Mme L. la somme de 1.200 € correspondant aux acomptes de sa débitrice,
- condamner la SCP F. - P. à payer à Mme L. la somme de 1.400€ au titre de la perte de chance de recouvrer sa créance,
- condamner la SCP F. - P. à payer à Mme L. la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts,
- débouter la SCP F.-P. de sa demande de condamnation pour propos injurieux,
- condamner la SCP F. - P. à payer à Mme L. la somme de 3000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'instance devant le tribunal et l'instance devant la cour d'appel et aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 23 octobre 2018, la SCP Sébastien F. et E. P. demande à la cour de :
- confirmer partiellement le jugement entrepris,
- débouter Mme L. de l'intégralité de ses demandes à son encontre,
- condamner Mme L. à payer à la SCP F.P. la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- le réformer en ce qu'il a débouté la SCP F.P. de sa demande reconventionnelle,
Statuant à nouveau,
- condamner Mme L. à payer à la SCP F.P. la somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux propos injurieux contenus dans ses conclusions,
- condamner Mme L. à payer à la SCP F.P. la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec bénéfice de distraction.
L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 26 janvier 2021.
L'instruction a été clôturée parordonnance du 12 janvier 2021.
Sur l'appel principal
L'appelante recherche la responsabilité de l'étude d'huissier d'abord pour avoir poursuivi l'exécution d'un jugement différent de celui objet du mandat confié par son avocat, à savoir une ordonnance de référé prud'hommal du 27 mai 2010, sans vérifier qu'elle était bien en possession de la minute du jugement des prud'hommes du 24 juin 2011 et d'avoir refusé de restituer le dossier bien que dessaisie.
La SCP F.P. réplique qu'elle n'a jamais été en possession de la grosse de ce jugement dont l'exécution a été confiée par l'appelante à un autre huissier, qu'elle n'a pas été dessaisie de l'exécution de l'ordonnance de référé, qu'il semble que le second conseil de Mme L. qui lui a demandé par courrier du 2 juillet 2013 de 'reprendre les mesures d'exécution', ignorait le mandat initial donné par le premier conseil et en tout cas, que l'appelante n'explique pas quel préjudice aurait entraîné le non respect du mandat invoqué.
Les pièces soumises à la cour établissent la chronologie suivante :
- le 9 juin 2010. Me C., premier conseil de Mme L., adresse à Me F. la grosse de l'ordonnance de référé du 27 mai 2010 pour signification et exécution, de préférence par saisie vente
- le 24 juin 2010, Me F. signifie l'ordonnance aux deux débiteurs et le 30 juin 2010 un commandement de payer aux fins de saisie-vente à Mme R.
- le 24 août 2010, Me F. procède à une saisie-vente chez M. de la R. et en informe Me C. par courrier du 27 août, précisant que le débiteur s'est engagé à solder sa dette en cinq versements espèces et qu'il a fourni l'adresse de Mme R.. Les échanges avec le cabinet d'avocat ont lieu sous la référence SF/769
- le 25 novembre 2010, Me C. demande à Me F. le retour du dossier avec la grosse de l'ordonnance de référé
- le 20 décembre 2010, Me F. retourne copie des diligences accomplies à Me C. et, en réponse à ses interrogations sur le sort de la saisie-vente par un courrier précédent du 8 décembre 2010, il l'informe qu'il enjoint M.de la R. de payer les sommes dues sous peine de vente des meubles saisis
- le 25 janvier 2011, Me C. informe Me F. que Mme L. a saisi les prud'hommes au fond et lui demande, compte tenu des difficultés à venir, de tenter sans délai une saisie attribution à Pôle Emploi, plutôt que de finaliser la saisie vente, Mme R. étant bénéficiaire d'indemnités de chômage.
- le 26 janvier 2011, Me F. informe Me C. que la saisie des rémunérations versées par Pôle Emploi n'est pas possible faute de disposer des lieux et date de naissance de la débitrice.
- le 8 novembre 2012, Me F. informe Me C. qu'il ne perçoit plus de versements de Mme R. qui était sans emploi ni indemnisée par Pôle Emploi et il sollicite des informations sur les lieu et date de naissance de M.de la R. pour effectuer une recherche de solvabilité.
- le 2 juillet 2013, sous la référence SF/769 mais visant l'exécution du jugement du CPH de Bordeaux du 24 juin 2011, Me L., second conseil de Mme L., fournit à l'huissier la nouvelle adresse de Mme R. et lui demande de 'reprendre les mesures d'exécution à son encontre' et de recouvrer par tous moyens les sommes fixées par le jugement précité.
- le 25 novembre 2014, Me L. dessaisi la SCP F.P. de son mandat et lui demande de justifier de ses diligences et des sommes perçues pour le compte de sa cliente.
Il ressort de l'ensemble de ces pièces, d'une part que, malgré la demande de retour du dossier du 25 novembre 2010, Me F. n'a pas été dessaisi , avant novembre 2014, de son mandat qui a été maintenu par les instructions reçues le 25 janvier 2011 visant toujours l'exécution en cours et d'autre part, que le second conseil de Mme L. ignorait manifestement la teneur du mandat de Me F. au vu du courrier du 2 juillet 2013, lui demandant de 'reprendre les mesures d'exécution' alors que Me F. n'avait pas été mandaté pour l'exécution du jugement du 24 juin 2011dont la grosse ne lui a jamais été adressée.
Il apparaît aussi à l'examen des autres pièces soumises à la cour que tous les actes d'exécution diligentés par la SCP F.P. et les factures de frais et honoraires, ne concernent que l'exécution de l'ordonnance de référé du 27 mai 2010 sous la même référence et que Mme L. avait aussi mandaté l'étude d'huissier Bonnamy-Visozo pour l'exécution du jugement du 24 juin 2011.
La conclusion issue de ces constats est que, même si Me F. n'a pas attiré l'attention du second conseil de Mme L., au reçu de son courrier du 2 juillet 2013, sur la teneur de son mandat initial, cette omission qui peut d'ailleurs se comprendre au vu de la même référence de dossier utilisée par Me L., n'a causé aucun préjudice à l'appelante qui avait en tout état de cause, confié l'exécution du jugement du 24 juin 2011 à un autre huissier et qui ne s'est jamais vu facturer des actes ou diligences à ce titre par l'intimée.
La responsabilité de l'huissier ne peut donc être engagée de ce chef.
Mme L. reproche en second lieu à l'huissier d'avoir accompli et facturé des actes inutiles, comme la saisie vente des meubles de M.de la R. qui ne sera jamais menée à terme, d'avoir perçu indûment des paiements de Mme R. sans en informer sa mandante et d'avoir engagé de sa propre initiative une saisie attribution sur les comptes de Mme R. en février 2012 alors que celle ci faisait des versements réguliers selon l'accord passé avec l'étude.
La SCP F.P. conteste ces griefs et affirme justifier de toutes ses diligences dans le cadre des instructions données par sa mandante.
S'agissant de la saisie-vente des meubles de M. de la R. et de la saisie attribution engagée à l'encontre de Mme R., il convient de se référer au courrier précité du 25 janvier 2011 par lequel Me C. demande à Me F. de tenter sans délai une saisie attribution à Pôle Emploi au préjudice de Mme R., plutôt que de finaliser la saisie vente opérée chez M. de la R..
Par ailleurs, l'historique des acomptes versés par Mme R. indique une absence de virement de sa part entre avril 2012 et janvier 2013. Aucun acte inutile n'est donc démontré sur ce point.
Pour ce qui concerne le défaut d'information sur les règlements perçus et le caractère indu de certains versements, la facture de frais et honoraires datée du 28 décembre 2012 adressée à Mme L., mentionne le montant des acomptes perçus à cette date, soit 721,54 € et le solde des honoraires dus s'élevant à 425,06 €.
La facture actualisée au 27 mars 2015 s'élève à 1.468, 07 € avec un solde dû de
286,53 €, soit des acomptes perçus de 1.281, 54 € (non mentionnés dans la facture).
Enfin, la dernière facture du 5 août 2016 fait état d'un total de frais de 1.493,81€ avec un solde dû de 12, 27 € compte tenu des acomptes perçus de 1.481, 54 €.
L'historique des acomptes versés par Mme R. retrace 54 versements plus ou moins réguliers de 20 € entre le 6 avril 2011 et le 6 juillet 2016.
La cour constate donc que si Mme L. a été régulièrement informée des versements perçus par l'étude et des frais prélevés directement sur les acomptes, la SCP F.P. a perçu, à compter de décembre 2014, des versements de Mme R. alors qu'elle était dessaisie depuis le 25 novembre 2014 de sorte qu'il y a lieu d'une part à restitution des sommes en cause, représentant 19 versements soit 380 euros et d'autre part à réduction des frais et débours non justifiés pour la période postérieure à novembre 2014, soit les frais du 1er mars 2015 et du 5 juin 2016 listés dans la facture du 5 août 2016 pour un total de 85,74€.
Mme L. est ainsi fondée à se voir créditer de la somme de 465, 74 € au titre des acomptes indûment perçues et des frais injustifiés sur le fondement de l'article 650 du code de procédure civile, somme dont il convient de déduire le solde débiteur de la facture du 5 août 2016 de 12,27 € soit la somme de 453,47 € qui sera mise à la charge de l'intimée par infirmation du jugement.
Pour le reste, les conditions d'engagement de la responsabilité de la SCP F.P. ne sont pas réunies en l'absence d'autres manquements au mandat donné et l'appelante ne justifie au surplus d'aucun préjudice indemnisable, faute de démontrer la perte de chance de recouvrer le solde des sommes dues sur des débiteurs présentés comme insolvables.
Sur l'appel incident
Bien qu'excessive, l'accusation de dissimulation volontaire de versements faite dans les conclusions de première instance ne présente pas de caractère injurieux au regard de la décision de la cour constatant le recouvrement de sommes par la SCP F.P. sans mandat après novembre 2014.
La demande de dommages et intérêts formée à ce titre sera donc rejetée.
Sur les demandes annexes
Il n'y a pas lieu à indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée supportera la dépens.
LA COUR
Infirme le jugement et statuant à nouveau;
Condamne la SCP Sébastien F. et E. P. à verser à Mme Françoise L. la somme de 453,47 euros;
Rejette les autres demandes;
Dit n'y avoir lieu à indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Rejette les demandes plus amples ou contraires;