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Décisions

CA Aix-en-Provence, 18e ch., 15 juin 2010, n° 09/00075

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mallet

Conseillers :

Mme Jacquemin, M. Le Gallo

Avocats :

Me Guariglia, Me Pluchon

Cons. prud’h. Toulon, du 1er déc. 2008, …

1 décembre 2008

FAITS ET PROCÉDURE :

Monsieur Joël CHALEAT a été embauché par la SAS LIONEL DUFOUR en qualité deVRP Multicartes par contrat à durée indéterminée du 14 novembre 2005 pour une rémunération mensuelle moyenne brute de 1.624,27 € au dernier état de sa collaboration.

Il a été licencié par LRAR du 15 janvier 2008 pour faute grave aux motifs suivants :

comportement inacceptable vis à vis de sa hiérarchie ;

attitude négative, réfractaire et contestataire, nuisant à la bonne ambiance de l'agence ;

taux d'annulation excessif de 28,55 % à fin octobre 2007 alors que la moyenne nationale est de 7,98 % ;

dénigrement de la société et critique systématique de la politique commerciale de la société.

Il a saisi, en paiement de diverses indemnités, le Conseil de Prud'hommes de TOULON qui par décision du 1er décembre 2008, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, lui a alloué :

1.624,25 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

405 € à titre d'indemnité de licenciement ;

3.421,54 € à titre de remboursement de frais.

Et l'a condamné reconventionnellement au versement des sommes de :

1.083,45 € au titre d'un trop perçu sur solde de tout compte ;

2.000 € sur le fondement de la clause pénale de l'article 17 du contrat de travail.

Monsieur CHALEAT a relevé régulièrement appel le 11 mars 2008 de cette décision demandant à la Cour de confirmer le jugement s'agissant des frais professionnels, de l'infirmer pour le surplus :

* à titre principal

dire le licenciement nul ;

ordonner sa réintégration sous astreinte ;

ordonner le paiement de ses salaires pendant sa période d'éviction de l'entreprise, soit 44.667,61 € ;

* à titre subsidiaire

dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui allouer :

20.000 € à titre de dommages intérêts ;

4.872,81 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;

2.274 € à titre d'indemnité spéciale de rupture (art 14 de l'ANI) ;

2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS LIONEL DUFOUR s'oppose aux moyens soulevés et sollicite la confirmation du jugement, s'agissant du paiement de la clause pénale et son infirmation pour le surplus, le débouté du salarié en ses demandes et 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Pour la première fois en cause d'appel, le salarié soutient que son licenciement serait nul au motif que la lettre de licenciement a été signée par un Directeur régional de la société alors que selon l'article L. 227-6 du code de commerce, seul le président de la SAS aurait eu qualité pour procéder à son licenciement.

L'employeur fait valoir :

que l'article précité est inapplicable à la délégation du pouvoir de licencier ;

que la SAS est représentée 'à l'égard des tiers' par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts ;

que le salarié, intégré à l'entreprise, ne peut être considéré comme un tiers ;

que par ailleurs, le formalisme de l'article R. 123-54 du code de commerce n'est applicable que pour les délégations transférant un pouvoir aussi général que celui de représentant général de la société, que cette obligation n'est donc circonscrite qu'à la seule répartition, par les statuts , des pouvoirs entre le président et les autres mandataires sociaux ou directeurs généraux afin d'assurer la sécurité juridique des tiers pour empêcher la société de se défausser des engagements pris par ses représentants ;

que l'article R. 123-54 du code de commerce concerne l'ensemble des formes de sociétés, que dans la pratique les délégations de pouvoir ne sont jamais inscrites au K bis, que cette obligation ne s'applique pas à la possibilité pour les représentants légaux de déléguer une partie de leurs pouvoirs à d'autres personnes, que la délégation de pouvoirs n'a pas à être écrite ;

que la nullité du licenciement est réservée aux cas de violation des règles d'ordre public, que la qualité du signataire de la lettre de licenciement ne bouleverse pas des équilibres sociaux majeurs, qu'aucun grief n'est par ailleurs justifié par le salarié qui l'invoque, qu'il s'agit d'une simple question de procédure ;

que les statuts de la société mentionnent expressément la possibilité pour le président de déléguer ses pouvoirs, que Monsieur ROBERT, directeur régional, disposait bien d'une délégation de pouvoirs afin de gérer son agence au quotidien, qu'il pouvait parfaitement signer une lettre de licenciement puisqu'une telle lettre ne contient aucun engagement vis à vis des tiers.

Mais attendu qu'en dépit de son étroite participation à l'activité économique de l'entreprise, le salarié reste juridiquement un tiers par rapport au contrat de société et au fonctionnement intrinsèque de celle-ci ;

Qu'aucun directeur général n'a été désigné dans les statuts, qu'il est seulement fait état de la possibilité pour le président de déléguer ses pouvoirs, qu'aucune personne n'est nommément désignée comme détenant une délégation de pouvoirs, que l'extrait K bis de la SAS, ne fait pas apparaître Monsieur ROBERT, directeur régional, comme détenteur d'une délégation ou subdélégation ;

Qu'ainsi, en application des dispositions de l'article L. 227-6 du code de commerce pour que le licenciement de Monsieur CHALEAT soit valable, la lettre de licenciement devait émaner du président de la SAS , Monsieur FIEVET, conformément au régime légal de celle-ci qui, contrairement à celui des autres formes de sociétés, concentre entre les mains du seul président la totalité des pouvoirs traditionnellement répartis entre divers organes et renvoie pour d'éventuelles autres dispositions aux statuts ;

Que le défaut de pouvoir de Monsieur ROBERT pour licencier constitue une irrégularité de fond qui affecte la validité du licenciement notifié à Monsieur CHALEAT ;

Qu'il s'ensuit que ce licenciement s'avère nul et de nul effet et que la demande de l'appelant tendant à voir constater cette nullité doit être accueillie.

Attendu que le salarié qui sollicite sa réintégration dans l'entreprise, exposant qu'il a fait valoir ses droits à la retraite à compter de juin 2005 soit avant d'entrer au service de la SAS , réclame le paiement de l'intégralité de ses salaires du jour de son éviction (18/01/2008) au jour de l'audience soit 1.624,27 € x 27,5 mois = 44.667,61 €.

Attendu que le salarié dont le licenciement est nul et qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite du montant des salaires dont il a été privé ;

Qu'il s'ensuit que doivent être déduits de la réparation du préjudice subi les revenus qu'il a tirés d'une autre activité et le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période ;

Qu'il résulte des écritures mêmes du salarié qu'il a été embauché par la société GVF à la suite de son licenciement de chez la SAS LIONEL DUFOUR ;

Qu'il ne justifie pas des revenus perçus à ce titre pendant la période considérée ;

Qu'il convient en conséquence de surseoir à statuer sur le montant des sommes réclamées au titre de son préjudice et des demandes complémentaires.

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

REÇOIT l'appel,

DIT que le licenciement intervenu est nul,

DONNE ACTE à Monsieur CHALEAT de ce qu'il a sollicité sa réintégration,

CONDAMNE la SAS LIONEL DUFOUR à réintégrer à son poste Monsieur Joël CHALEAT, dans le mois de la signification du présent arrêt sous astreinte de 30 € par jour de retard,

ET AVANT DIRE DROIT

RENVOIE la cause et les parties à l'audience du 09 septembre 2010 à 9 heures aux fins de permettre à Monsieur CHALEAT de justifier des revenus perçus du jour de son éviction, soit le 18 janvier 2008 au jour de l'audience 22 avril 2010,

DIT qu'il sera alors statué sur les demandes complémentaires et reconventionnelles,

Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation à la dite audience,

Réserve les dépens.