CA Paris, 4e ch. A, 3 mai 2006, n° 05/03736
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
BRESSON FINANCE ET INDUSTRIE (Sté)
Défendeur :
SERVICES CONSEILS POUR MIEUX ENTREPRENDRE (SA), HORIZONS (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CARRE-PIERRAT
Conseillers :
Mme MAGUEUR, Mme ROSENTHAL-ROLLAND
Avoués :
Me COUTURIER, SCP VARIN-PETIT
Avocats :
Me MAIER, SCP CPLC PARTNERS
Vu les dernières écritures signifiées le 20 mars 2006 par lesquelles la société BRESSON, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de débouter la société SCPME de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 mars 2006 aux termes desquelles la société SCPME prie la Cour de confirmer le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts, sollicitant à ce titre la condamnation de la société BRESSON à lui verser la somme de 208.704, 81 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements litigieux, soit :
- 120.000 euros au titre de l'atteinte faite à ses drouts sur sa base de données,
- 38.704,81 euros au titre du préjudice commercial et financier,
- 50.000 euros au titre de l'atteinte à l'image de la marque,
outre la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du caractère abusif de l'appel et celle de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que la société SCPME, constituée le 25 mars 1985, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre, depuis le 31 mai 2001, a notamment pour activité l'édition et la commercialisation d'agendas à destination des pays du continent africain ; qu'elle a fondé, le 17 juillet 1987, avec M.M. NDIAYE et CISSE, la société de droit sénégalais FRANCO-AFRICAINE D'EDITION F.A.E. pour assurer la diffusion des agendas qu'elle édite notamment au Sénégal et dans les pays francophones de l'ouest africain ; que suivant procès-verbal d'assemblée générale du 25 mai 2002, cette société a été dissoute 'eu égard aux nouvelles perspectives que chacun des associés s'est fixé' ;
Qu'estimant que les agendas 2003 commercialisés par la société de droit sénégalais HORIZONS, au sein de laquelle M.M. CISSE et NDIAYE sont associés, sous la marque 'Temporis', édités par la société BRESSON, reproduisent des informations figurant dans les agendas 2002 qu'elle édite et commercialise sur le continent africain, la société SCPME les a assignées devant le tribunal de commerce de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale ;
Que la société HORIZONS n'a pas comparu, de sorte que le présent arrêt sera rendu par défaut ;
- Sur les droits d'auteur et de producteur de base de données de la société SCPME
Considérant que la société SCPME se prévaut de droits d'auteur sur la forme et le style dans lesquels sont présentés les informations des agendas qu'elle édite et de la qualité de producteur d'une base de données recensant les dates et jours fériés en vigueur sur le continent africain ;
Que la société BRESSON dénie toute originalité aux éléments d'informations sur l'Afrique contenus dans les agendas litigieux ;
Considérant que selon l'article L.112-3 du Code de la propriété intellectuelle, jouissent de la protection instituée par ce code, les bases de données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ; qu'on entend par base de données un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessible par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ;
Considérant que l'agenda 2002 réalisé par la société SCPME, propre au Sénégal, comporte, outre un semainier, qui ne figure pas sur l'extrait (pièce N° 16) produit aux débats :
- une présentation générale du pays ainsi que des informations générales spécifiques à l'ensemble des pays du continent africain,
- un tableau récapitulatif des fêtes et/ou jours fériés :
* internationaux
* soit dans la zone de l'UEMOA, soit sur le continent africain ;
Considérant que le texte de 'Présentation' du Sénégal qui relate les caractéristiques géographiques, climatiques et ethniques de ce territoire, par sa composition et le style qui lui sont personnels, porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que répondant au critère d'originalité, il est donc protégeable en tant que tel ;
Que l'ordonnancement des informations relatives aux jours fériés dans la zone de l'UEMOA et aux jours fériés internationaux, sous la forme de tableaux, chronologique et par pays, et leur mise en page aux côtés des informations générales sur le pays auquel est destiné l'agenda ne résultent pas d'une simple compilation mais procède d'un choix arbitraire au regard de sa composition et de sa présentation, et constitue une création intellectuelle conformément au texte sus-visé ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.341-1 du Code de la propriété intellectuelle, le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel ;
Considérant que la société SCPME, qui justifie par la production du Grand livre des comptes 2001 et d'un tableau des investissements réalisés au cours des années 1996 à 2002, d'un investissement financier substantiel correspondant à 73.175, 53 euros pour élaborer et mettre à jour le contenu de la base de données servant à la réalisation des agendas litigieux, peut se prévaloir de la protection spécifique accordée au producteur de base de données ;
- Sur la contrefaçon
Considérant que la société SCPME reproche à la société BRESSON d'avoir commis des actes de contrefaçon du contenu de l'agenda 2002 destiné au Sénégal dont elle est l'auteur en reproduisant servilement une partie de son contenu dans l'agenda Temporis 2003 ;
Que pour contester le grief de contrefaçon, la société BRESSON fait valoir qu'elle n'a pas participé à l'élaboration du contenu de l'agenda mais a repris les données qui lui ont été communiquées par la société HORIZONS et n'est intervenue que pour son impression ;
Mais considérant que l'agenda Temporis 2003 édité par la société BRESSON reproduit servilement le texte de présentation du Sénégal figurant dans l'agenda 2002 de la société SCPME et reprend sous la même forme, la page mémento et les tableaux des jours fériés dans l'UEMOA et des jours fériés internationaux ; qu'en outre, cette reproduction résulte d'une copie servile des tableaux de l'agenda 2002, sans actualisation des jours ; qu'ainsi la société intimée relève pertinemment à titre d'exemples que :
- le mardi 1er janvier 2002 dans l'agenda Temporis 2002 est toujours mentionné un mardi, au lieu du mercredi, dans l'agenda Temporis 2003,
- le 'soulèvement populaire' au Burkina Faso est indiqué le jeudi 3 janvier dans l'agenda 2002 et repris tel que dans l'agenda temporis 2003, au lieu du vendredi,
- le jour de Noël 2002 qui tombe un mercredi, est également mentionné un mercredi dans l'agenda 2003 ;
Qu'outre la reprise de l'avertissement selon lequel 'les dates des fêtes musulmanes peuvent varier en fonction de l'aspect de la lune', la société SCPME met en évidence 77 reproductions qui attestent d'une extraction du contenu des informations contenues dans sa base de données, notamment la reproduction de dates qui, correspondant à des jours fériés en 2002, ne le sont plus en 2003 ou ont été déplacés ;
Que les erreurs nombreuses ainsi relevées ne sauraient être fortuites mais caractérisent une extraction illicite, quantitativement substantielle, du contenu de la base de données au sens de l'article L.342-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que la société BRESSON invoque vainement sa qualité d'imprimeur alors qu'elle a participé aux actes de contrefaçon en reproduisant les textes litigieux, au mépris des droits de propriété intellectuelle de la société SCPME ; que la bonne foi est inopérante devant les juridictions civiles ; qu'en outre, en sa qualité de professionnelle de l'édition, elle devait s'assurer auprès de son cocontractant, la société HORIZONS, qu'elle était bien titulaire des droits d'exploitation sur le contenu de l'agenda ;
Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu le grief de contrefaçon ;
- Sur les mesures réparatrices
Considérant que la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges, nécessaire pour mettre un terme aux agissements illicites, doit être confirmée ;
Considérant que la société SCPME forme un appel incident à l'encontre de la société BRESSON seule ;
Considérant que la société HORIZONS et la société BRESSON ont fait un usage illicite de la base de données de la société SCPME et ont reproduit sans droit le texte de présentation sur le Sénégal ainsi que des éléments formels de l'agenda 2002, pendant une année ; qu'il n'est pas contesté que l'agenda 2004 édité par la société BRESSON pour la société HORIZONS ne reproduit pas les données contrefaisantes ; qu'au regard de la baisse de son chiffre d'affaires au titre de l'année 2002, année correspondant à la vente de l'agenda 2003 litigieux, l'utilisation sans autorisation des informations spécifiques de la base de données, comme des autres éléments de son agenda, a été exactement indemnisée par les premiers juges par l'allocation d'une indemnité de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Que la société SCPME ne justifie pas d'une atteinte à son image de marque alors que les agendas litigieux n'ont pas été diffusés sous son nom ;
- Sur les autres demandes
Considérant que l'appel interjeté par la société BRESSON ne revêt pas un caractère abusif de sorte que la société SCPME doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef ;
Considérant, en revanche, que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent lui bénéficier, la somme complémentaire de 5.000 euros devant lui être allouée à ce titre ;
Que la solution du litige commande de débouter la société BRESSON de sa demande formée sur ce même fondement ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Déboute la société SCPME de son appel incident,
Condamne la société BRESSON à verser à la société SCPME la somme complémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne la société BRESSON aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.