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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 4 janvier 2010, n° 06/00750

NANCY

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. DORY

Conseillers :

M. JAMET, Mme ROUBERTOU

Avoués :

SCP LEINSTER, WISNIEWSKI & MOUTON, SCP MILLOT-LOGIER & FONTAINE

Avocats :

Me VALLETTE, Me JEAN

EPINAL, du 24 nov. 2005

24 novembre 2005

La société Thierry G. a réalisé en 1995, sur commande et suivant les plans de Monsieur Richard T., un monument cinéraire de type Columbarium évolutif dont le modèle avait été déposé à l'INPI le 8 décembre1993 sous le numéro 936499, qu'elle a ensuite laissé entreposé dans son local de fabrication ;

Monsieur Z., gérant de la SARL GRANIMOND, fabrique pour sa part un Columbarium Prestige 8 Familles , modèle enregistré à l INPI le 6 juin 1989 et dont il est propriétaire suite à une cession à son profit enregistrée le 29 avril 1993 ;

Estimant que le modèle entreposé dans les locaux de la société GRANIT était en réalité une copie servile de son propre modèle, Monsieur Z. a fait établir un constat d'huissier le 11 mars 2003 destiné à le prouver ;

Par assignation en date du 16 juillet 2003, la société GRANIMOND et Monsieur Z. ont alors assigné la société Thierry G. devant le Tribunal de Grande Instance d'Epinal pour contrefaçon de son columbarium Prestige 8 Familles afin d'obtenir réparation de leurs préjudices induits par cet acte de concurrence déloyale, outre la cessation du comportement estimé litigieux ;

La société Thierry G. a répliqué qu'elle avait fabriqué un prototype, sur commande de Monsieur T., prototype qui n'avait jamais été commercialisé, Monsieur T. ayant renoncé à sa fabrication ;

Reconventionnellement, elle a sollicité la condamnation de Monsieur Z. et de sa société au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Par jugement en date du 24 novembre 2005, le Tribunal de Grande Instance d'Epinal a :

- débouté Monsieur Z. et la société GRANIMOND de leurs demandes,

- débouté la société THIERY G. de sa demande de publication et de sa demande d'indemnité pour procédure abusive,

- condamné Monsieur Z. et la société GRANIMOND à payer à la société THIERY G. la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamné Monsieur Z. ET L. SOCI2T2 GRANIMOND aux dépens, dont distraction au profit de la SCP KIHL, avocats associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;

Pour statuer ainsi, le Tribunal a estimé que chacun des modèles présentait un caractère propre puisque l'impression visuelle d'ensemble pour un observateur averti différait, le modèle Columbarium évolutif se présentant comme composé d éléments accolés en quinconce avec un pilier central éclaté et déstructuré et non comme un ensemble géométrique harmonieux tel le modèle Prestige 8 Familles ;

Le Tribunal a ajouté que la nullité de l'enregistrement de l'un ou l'autre des modèles n'avait été demandée par aucun titulaire de droits sur ceux-ci ;

Le Tribunal a estimé que la société Thierry G. avait réalisé le modèle litigieux sur ordre de Monsieur T., propriétaire du modèle, de sorte qu'elle s'était assurée que son donneur d'ordre bénéficiait sur le modèle qu'il avait déposé de la protection prévue par les articles L.513-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et que la société Thierry G. démontrait par conséquent sa bonne foi ;

Le Tribunal a encore ajouté qu'il résultait de témoignages portés aux débats que le modèle litigieux n'avait jamais été commercialisé mais stocké au milieu du dépôt de plaques de granit nécessaire à l'activité de la société Thierry G., de sorte que Monsieur Z. et la société GRANIMOND ne subissaient aucun préjudice ;

Monsieur Z. et la société GRANIMOND ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 14 mars 2006 ;

Par ordonnance rendue le 7 mars 2008, le Conseiller de la mise en état de la première chambre civile de cette Cour a rejeté la demande des appelants tendant à la production forcée par la société Thierry G. des factures relatives à la commercialisation entre 1989 et 1993 de monuments funéraires selon le modèle Prestiges 8 Familles en retenant la contestation de l'intimée d'avoir commercialisé des monuments contrefaits et que, partant, l'existence des pièces dont la production était sollicitée n'était pas certaine ;

A l'appui de leur appel et dans leurs dernières conclusions en date du 26 juin 2008, Monsieur Z. et la société GRANIMOND soutiennent que l'huissier a constaté, par photographies prises de la voie publique, le stockage, sur le terrain de la société Thierry G., d'un modèle de columbarium en granit ressemblant à leur propre modèle déposé ;

Ils soutiennent encore que la vue générale, le jeu des formes ainsi que les couleurs permettent de constater la reproduction servile du modèle de columbarium Prestige 8 Familles' déposé dès 1989 ;

Ils arguent de ce qu'aucun justificatif de la commande par Monsieur T. n'est rapportée et contestent la crédibilité des attestations versées par ce dernier puisqu'en conflit récurrent avec eux ;

Ils contestent également l'attestation du dirigeant de la Marbrerie MUNIER établissant que le columbarium n'aurait jamais été commercialisé au motif que cette marbrerie est leur concurrent le plus agressif, outre le fait que ce document n'est pas établi dans les formes de l'article 202 du Code de Procédure Civile ;

Ils soutiennent encore que le modèle est bien exposé dans un but commercial dans les locaux de la société Thierry G. alors qu'un pilier massif en noir Afrique est destiné à équiper un autre monument de type Columbarium 8 Familles en cours de fabrication ;

Ils expliquent que le modèle fabriqué par la société Thierry G. ne correspond pas au modèle de Monsieur T. mais bien à leur propre columbarium Prestige 8 Familles' ;

Ils expliquent encore que la réalisation d'un prototype n'a jamais été considérée comme un acte réalisé à des fins expérimentales de sorte que la société Thierry G. ne saurait bénéficier des dispositions de l'article L.513-6 du code de la propriété intellectuelle permettant d'échapper à toute action en contrefaçon ;

Ils arguent de ce que la société Thierry G. aurait réalisé d'autres columbarium Prestige 8 Familles jusqu en avril 1993 alors que le modèle était déposé dès 1989 ;

Ils ajoutent que la preuve n'est pas rapportée de l'absence de commercialisation du modèle Prestige 8 Familles par la société Thierry G. ;

Ils ajoutent encore que la société Thierry G. a eu un comportement parasitaire et a entendu capter leur clientèle en reproduisant le modèle Prestige 8 Familles ;

Monsieur Z. estime qu'il est en droit d'obtenir des dommages et intérêts au titre de la diminution de la valeur patrimoniale du modèle qu'il estime à 30.000 € ;

Ils sollicitent la cessation des actes de concurrence déloyale sous astreinte ainsi que le paiement d'une provision sur le préjudice lié au manque à gagner sur le modèle contrefait, outre la nomination d'un expert pour déterminer leur préjudice ;

Par conséquent, Monsieur Z. et la société GRANIMOND demandent à la Cour de :

- vu les articles L 511-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle,

- vu l'article 1382 du Code Civil,

- vu l'article 1356 du Code Civil,

- eu égard à l'aveu judiciaire de la société THIERY G. ayant reconnu avoir fabriqué des modèles de columbarium Prestige 8 familles avant 1993,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement querellé et,

- statuant de nouveau :

- constater que la SARL THIERY G. a commis volontairement et sciemment des actes de contrefaçon sur le modèle de columbarium Prestige 8 familles de forme octogonale, avec colonne centrale, enregistré à l'INPI sous le n°893796, déposé le 6

juin 1989,

- en conséquence,

- faire défense à la SARL THIERY G., compte tenu de l'action contrefaisante, d'effectuer toute fabrication et/ou commercialisation du modèle contrefait précité, à savoir modèle de columbarium Prestige 8 familles de forme octogonale, avec colonne centrale appartenant à Monsieur Z. Marc, enregistré à l'INPI sous le n°893796 et ce, sous peine d'une astreinte définitive de 9.000 € par infraction constatée,

- condamner la SARL THIERY G. en l'état de cette contrefaçon à payer à Monsieur Marc Z. en réparation du préjudice qu'il a subi en raison de l'atteinte ... ses droits patrimoniaux, la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts, cette somme visant à réparer l'atteinte au droit sur ce modèle exclusif appartenant à Monsieur Z., la contrefaçon entraînant une diminution de la valeur patrimoniale du modèle dont s'agit,

- désigner tel expert qu'il appartiendra, avec mission de réunir les éléments nécessaires à la détermination du préjudice subi, notamment le chiffre d'affaires réalisé et le bénéfice réalisé par la SARL THIERY G. au regard du modèle contrefait par elle et vendu en FRANCE,

- dire que la mission de l'expert sera la suivante :

* se rendre au siège social de la SARL THIERY G. situé ... de Cleurie - Le Syndicat - à 88120 VAGNEY, ou en tous lieux qui se révélerait nécessaire, notamment en tous locaux, bureaux, magasins, dépôts qui appartiendraient à la SARL THIERY G., ou dans toute société qui détiendrait directement ou indirectement des participations au sein de la SARL THIERY G.,

* dire qu'il pourra se faire communiquer à cette occasion tous documents comptables et commerciaux nécessaires afin de déterminer le nombre de monuments cinéraires contrefaisant le modèle déposé dont s'agit qui auraient pu être vendus et/ou commercialisés directement ou indirectement par la société SARL THIERY G. et ce depuis le 1er juillet 1989 (date de cession du modèle au profit de Monsieur Z.) jusqu'à ce jour,

* à cet effet, prendre contact, interroger toute personne ou représentant des municipalités qui auraient procédé à l'achat d'un tel modèle auprès de la SARL THIERY G.,

* déterminer le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés par la SARL THIERY G. sur la base de la vente du modèle contrefait,

* déterminer et chiffrer le préjudice causé aux requérants par l'atteinte à leurs droits privatifs,

- condamner la SARL THIERY G. à payer à la société GRANIMOND qui commercialise ledit modèle une indemnité à fixer à dire d'expert, en réparation du préjudice qui lui a causé et, par provision, allouer d'ores et déjà une somme de 25.000 € ,

Motifs

- dire et juger que ces condamnations seront assorties de l'intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, ainsi que de la capitalisation dans les termes de l'article 1154 du Code Civil,

- dire que l'arrêt à intervenir sera publié dans cinq journaux au choix de la société GRANIMOND et de Monsieur Z., et ce aux frais de la SARL THIERY G. à titre de dommages et intérêts complémentaires, dans la limite de 2.000 € par insertion,

- condamner la SARL THIERY G. au paiement au profit des appelants de la somme de 7.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance, en ce compris le droit de recouvrement ou d'encaissement prévu par l'article 10 du décret du 12 décembre 1996, tel qu'issu du décret du 8 mars 2001 et les frais liés au constat d'huissier établi le 11 mars 2003 que d'appel étant précisé que ces derniers seront recouvrés directement par la SCP LEINSTER, WISNIEWSKI & MOUTON, avoués associés à la Cour, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;

#1 Dans ses dernières conclusions en date du 1er décembre 2008, la société Thierry G. réplique avoir réalisé le Columbarium évolutif sur commande et selon les plans de Monsieur T., columbarium qui n'a jamais été commercialisé puisque Monsieur T. a abandonné ce projet qui n'était pas suffisamment original et que le co''t de fabrication s'avérait trop élevé ;

Elle ajoute que le Columbarium évolutif a été strictement réalisé en conformité avec les plans de Monsieur T. et présente des dissemblances avec le modèle Prestige 8 Familles ;

Elle soutient avoir à l'époque réalisé un prototype à des fins expérimentales au sens de l'article L.513-6 du code de la propriété intellectuelle, prototype qui a été stocké pendant plus de 7 années au bord de la route de sorte qu'elle n'a jamais eu l'intention de contrefaire le modèle litigieux ;

Elle argue de ce qu'elle n'est qu'un sous traitant des marbriers et ne dispose pas d'une vitrine commerciale ;

Elle soutient que les demandeurs ne justifient d'aucun préjudice puisqu'elle ne commercialise pas ce prototype qui n'a jamais été achevé et que Monsieur Z. ne saurait se prévaloir d'un quelconque préjudice moral puisqu'il n'est pas l'auteur du modèle en cause ;

Elle soutient encore que la demande d'expertise est infondée puisqu'elle ne fabrique pas de columbarium Prestige 8 Familles ;

Elle maintient sa demande reconventionnelle en attribution d'indemnités pour procédure abusive ;

Par conséquent la société Thierry G. demande à la Cour de :

- vu les articles L 511 et suivants et L 111 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle,

- vu l'article L 513-6 du Code de la Propriété Intellectuelle,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance d'EPINAL le 24 novembre 2005 en ce qu'il a débouté Monsieur Z. et la société GRANIMOND de leurs demandes et condamné Monsieur Z. et la société GRANIMOND au

paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais de première instance ainsi qu'aux dépens de la procédure,

- sur la demande reconventionnelle :

- condamner la SARL GRANIMOND et Monsieur Marc Z. solidairement à payer à la SARL THIERY G. la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

- condamner solidairement les appelants à payer à la SARL THIERY G. la somme de 7.500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en participation des frais irrépétibles d'appel,

- condamner les appelants aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP MILLOT - LOGIER & FONTAINE, avoués aux offres de droit ;

SUR CE :

Attendu que Monsieur Z. et la société GRANIMOND font grief à la société THIERY G. de contrefaire le modèle Prestige 8 familles ;

Qu'ils invoquent les dispositions des articles L 521-1 et L 521-2 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

#2 Mais attendu que l'intimée fait exactement valoir qu'elle a reproduit de manière isolée le modèle de columbarium évolutif déposé par Monsieur T. le 21 décembre 1993 ; que Monsieur T. a d'ailleurs attesté que le columbarium litigieux se trouvait devant l'atelier de Monsieur T., qu'il en était le concepteur, que la réalisation demandée n'était qu'un prototype réalisé dans des chutes, dans le seul but de vérifier ses proportions et son esthétique ; qu'il n'a jamais été commercialisé, ni vendu, ni achevé, ni été posé ; que Monsieur T. a ajouté qu'il ne figurait dans aucune documentation, ne correspondant finalement pas à ce qui était recherché ;

#3 Attendu qu'aucun élément ne permet de mettre en doute la sincérité de cette attestation ;

Que ces affirmations ne sont nullement démenties par les pièces produites par les appelants ; que d'autre part, il est avéré que Monsieur T. est également le concepteur du modèle Prestige 8 familles , que si Monsieur T. a cédé ce modèle à Monsieur Z. en 1989, cette cession n'a été inscrite au registre national des dessins et modèles que le 29 avril 1993, date d'opposabilité aux tiers, telle l'intimée ;

Attendu que dans ces conditions, il peut être considéré que les faits litigieux ont été accomplis tant de bonne foi qu'à des fins expérimentales par la société intimée ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement querellé aucune contrefaçon ne pouvant être imputée à la société THIERY G. ; que succombant en leur recours, les appelants seront condamnés aux dépens outre le paiement à la SARL THIERY G. de la somme de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Que la procédure ne peut être considérée comme abusive et vexatoire et ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts au profit de l'intimée ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant en audience publique et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris ;

Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Condamne in solidum Monsieur Z. et la société GRANIMOND à payer à la SARL THIERY G. la somme de QUATRE MILLE CINQ CENTS EUROS (4.500 € ) sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamne les appelants aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP MILLOT - LOGIER & FONTAINE, avoués associés à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;

L'arrêt a été prononcé à l'audience publique du quatre Janvier deux mille dix par Monsieur DORY, Président de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile.