Cass. 3e civ., 30 janvier 1991, n° 89-11.313
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1988), que les consorts B... sont propriétaires, ..., de locaux donnés à bail à M. et Mme A..., époux communs en biens, qui y exploitent un commerce de bonneterie, lingerie, chemiserie hommes, gants, vente de tous articles textiles ; que, pour ce fonds, qui dépend de la communauté, M. A... est seul immatriculé au registre du commerce, Mme A... étant immatriculée pour un autre fonds ; qu'en se référant aux dispositions de l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953, les époux A... ont, le 17 juin 1986, notifié à Mme B... que M. A... avait demandé à bénéficier de ses droits à la retraite et qu'ils avaient consenti une promesse de cession de leur droit au bail, les activités envisagées par le cessionnaire étant celles de confiserie, chocolaterie, liqueurs, pâtisserie, traiteur, glacier, spiritueux ; que Mme B... a fait assigner les époux A... pour faire juger que la cession projetée ne saurait être autorisée ;
Attendu que Mme B... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de cette demande, alors, selon le moyen, "1°) que, en cas de pluralité de preneurs, ceux-ci ne peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953 que s'ils remplissent tous la condition de départ à la retraite posée par ce texte de telle sorte qu'aucun d'entre eux ne puisse poursuivre l'exploitation du fonds malgré la cession du droit au bail ; que, dès lors, la cour d'appel a violé l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953 en reconnaissant aux époux A..., cotitulaires du bail litigieux, le droit de se prévaloir des dispositions de ce texte bien que M. A..., seul, ait demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ; 2°) que, en faisant systématiquement abstraction de la qualité de cotitulaire du bail de Mme A... et de son intervention dans les actes accomplis par elle en cette qualité, la cour d'appel, en violation de l'article 1134 du Code civil, a dénaturé par omission, tout à la fois, le bail commercial litigieux liant les époux A... à Mme B..., la promesse de cession de droit au bail consentie par les époux A... à M. D..., la signification de cette promesse faite par les époux A... à Mme B... le 17 juin 1986 et les conclusions d'appel des époux A... ; 3°) que, son refus de prendre en considération la qualité de cotitulaire du bail litigieux de Mme A... et ses interventions en cette qualité l'ayant conduite à s'abstenir de rechercher si, comme le soutenait la bailleresse, la dissimulation par Mme A... de sa véritable activité commerciale ne constituait pas une fraude à la loi emportant nullité de la signification du 17 juin 1986 faite aussi en son nom, au motif erroné que cela concernait la "situation matrimoniale" de M. A..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953 et de l'article 1116 du Code civil ; 4°) que, l'absence d'inscription au registre du commerce de l'un des époux communs en biens, cotitulaires d'un même bail, étant sans incidence sur leurs droits et obligations, comme sur ceux du bailleur, au regard du statut des baux commerciaux, prive sa décision de base légale au regard des articles 1er et suivants du décret du 30 septembre 1953, et notamment de son article 34-3-1, la cour d'appel qui, pour refuser à la bailleresse le droit d'invoquer la situation de Mme A..., cotitulaire du bail et susceptible de poursuivre l'exploitation du fonds après le départ à la retraite de son mari, se fonde sur la circonstance inopérante que M. A... est seul inscrit au registre du commerce au sujet du magasin du ... ; 5°) que, à supposer que Mme A... ait dû être inscrite au registre du commerce pour le magasin du ..., le défaut de cette inscription n'aurait pu avoir d'autre conséquence que de priver les époux A... du bénéfice du statut des baux commerciaux, de telle sorte que la cour d'appel a alors violé les articles 1er et suivants du décret du 30 septembre 1953, et notamment son article 34-3-1, en ne tirant pas de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement au regard de ces textes quant à l'impossibilité des époux A... de prétendre bénéficier de leurs dispositions ; 6°) que, les dispositions de l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953 ne pouvant trouver application en cas de poursuite de l'exploitation du fonds de commerce après la cession du droit au bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte en s'abstenant de rechercher si, en raison, d'une part, du fait que M. A... seul a demandé à bénéficier de ses droits à la retraite, d'autre part, de l'identité d'activités entre le fonds de commerce que Mme A... exploite conjointement avec son mari au 21 de la rue du Faubourg Montmartre, en vertu d'un bail dont elle est cotitulaire (et peu important que M. A... seul soit inscrit au registre du commerce pour ce local), et celui qu'elle exploite seule au 49 de la même rue, l'exploitation du premier ne pourrait pas être poursuivie par elle dans les locaux abritant le second ; 7°) que, Mme B... ayant versé aux débats les déclarations fiscales des époux A... dans lesquelles les bénéfices des deux fonds sis ... étaient mentionnés comme ceux d'un unique fonds de commerce situé à la fois à ces deux adresses, la cour d'appel a d'autant plus privé sa décision de base légale au regard de l'article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953 en s'abstenant de rechercher s'il n'en résultait pas que le fonds pourrait continuer à être exploité dans le magasin du ... après la cession du droit au bail des locaux sis au 21 de la même rue" ;
Mais attendu que l'arrêt constate, sans dénaturation, que les époux A... sont cotitulaires du bail et qu'avec le concours de son épouse M. A... a consenti une promesse de cession du droit au bail ; qu'après avoir relevé que M. A... était seul immatriculé au registre du commerce pour le fonds exploité dans les lieux et qu'il avait demandé à bénéficier de ses droits à la retraite, la cour d'appel, qui a retenu que le droit de céder le bail ne pouvait être limité que dans la mesure où le nouveau commerce serait incompatible avec la destination, les caractères, et la situation de l'immeuble, ce qui n'était pas le cas, en a justement déduit, sans avoir à procéder à des recherches que sa décision rendait inopérantes, que, si Mme A... exploitait seule et en son nom un autre fonds similaire, cette circonstance n'était pas de nature à justifier le refus de la bailleresse d'autoriser la cession projetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner Mme B... à payer des dommages-intérêts aux époux A..., l'arrêt retient qu'elle a eu un comportement fautif et dommageable ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever un fait de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice de Mme B..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme B... à payer aux époux A... la somme de 300 000 francs, l'arrêt rendu le 22 novembre 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.