CA Montpellier, 1re ch. D, 3 septembre 2013, n° 12/05958
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LES ARCADES (SCI)
Défendeur :
KEBAIRI, KHENFOUF, VIDEO WOOD (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. MALLET
Conseillers :
Mme RODIER, Mme VIER
Avocats :
SCP AUCHE HEDOU, Me BOUYRIE
Par acte sous seing privé en date du 3 juin 1999, la Sci Les Arcades donnait à bail à la Sarl unipersonnelle Vidéo Wood, dont l'associé unique est Chérif Khenfouf, un local commercial situé [...].
Ce contrat stipule que les lieux sont destinés à 'l'exercice de commerce de vente et location de tout support CD compact disc'.
Le bail était renouvelé le 19 octobre 2009.
Par décision en date du 1er décembre 2010, le Régime Social des Indépendants - RSI - notifiait à Chérif Khenfouf l'octroi d'une pension d'invalidité partielle.
Le 11 février 2011, la Sarl Vidéo Wood signait avec Hadda Kebairi un compromis de cession de droit au bail sous diverses condition suspensive et en particulier, celle relative à l'absence d'opposition du bailleur.
Par acte en date du 17 février 2011, la Sarl Vidéo Wood notifiait à la Sci Les Arcades son intention de céder son droit au bail à Hadda Kebairi pour cause d'invalidité, par application des dispositions de l'article L. 145-51 du code de commerce, moyennant le prix de 95 000 euros avec déspécialisation des lieux en vue de l'exercice d'une activité de bazar, alimentation générale, orientale et boucherie, tissus, vaisselle, articles de décoration, appareils et objets divers.
La Sci Les Arcades contestait cette cession et par acte en date du 13 avril 2011, faisait assigner la Sarl Vidéo Wood, Chérif Khenfouf et Hadda Kebairi devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins d'opposition à la cession envisagée et subsidiairement, à la révision du loyer au regard de la déspécialisation des lieux.
En cours de procédure, Hadda Kebairi renonçait à l'acquisition projetée.
Par jugement contradictoire en date du 28 juin 2012, cette juridiction a :
rejeté des conclusions signifiées le 23 mai 2012,
débouté la Sci Les Arcades de ses demandes,
condamné la Sci Les Arcades à payer à la Sarl Vidéo Wood la somme de 42 750 euros au titre de la perte de chance de céder le doit au bail,
condamné la Sci Les Arcade à payer à la Sarl Vidéo Wood la somme de 4 165,70 euros au titre des loyers réglés pour la période du 1er mai au 31 décembre 2011,
condamné la Sci Les Arcades à payer à la Sarl Vidéo Wood la somme de 2 300 euros au titre des frais d'acte déboursés,
condamné la Sci Les Arcades à payer à Chérif Khenfouf la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice personnel,
condamné la Sci Les Arcades à payer à la Sarl Vidéo Wood, Chérif Khenfouf et Hadda Kebairi la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 27 juillet 2012, la Sarl Les Arcades a relevé appel de ce jugement.
L'ordonnance de clôture, initialement rendue le 22 mai 2013, a été rapportée et à nouveau prononcée sur l'audience du 12 juin 2013, à la demande de l'appelant et sans opposition de la part des intimés.
Vu les dernières conclusions déposées :
* le 12 juin 2013 par la Sci Les Arcades ;
* le 15 mai 2013 par la Sarl Vidéo Wood, Chérif Khenfouf et Hadda Kebairi.
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' La Sarl Les Arcades conclut, au visa des articles L. 145-51 du code de commerce et 1382 du code civil, à la réformation du jugement entrepris, demandant à la cour de :
* Sur le bien fondé de l'opposition à la cession-déspécialisation,
dire et juger que Chérif Khenfouf, atteint d'une invalidité partielle ne l'empêchant pas d'exercer son activité, ne remplit pas les conditions de l'article L. 145-51 du code de commerce ;
dire et juger que l'activité de bazar oriental est incompatible avec la destination de l'immeuble, telle que déterminée par la clause d'exclusivité insérée dans le cahier des charges des preneurs ;
dire et juger qu'elle avait un motif grave et légitime à s'opposer à la cession de bail, tenant le risque de voir sa responsabilité engagée et sa condamnation à des dommages et intérêts pour irrespect de la clause d'exclusivité ;
dire et juger qu'elle avait un motif grave et légitime à s'opposer à la cession de bail tenant le caractère extrêmement large et extensif de l'activité envisagée, lui ôtant toute possibilité de louer un local commercial à l'avenir ;
dire et juger en conséquence qu'elle était fondée à s'opposer à la cession ;
* Sur le bien fondé de la demande de révision des loyers,
dire et juger qu'elle était fondée à demander l'augmentation des loyers, tenant l'avantage procuré à la cessionnaire et le préjudice subi par elle ;
dire et juger qu'elle n'a commis aucun abus de droit en s'opposant à la cession du droit au bail et en sollicitant une révision des loyers ;
* Sur l'absence de préjudice de la Sarl Vidéo Wood et de Chérif Khenfouf,
dire et juger que la Sarl les Arcades (lire la Sarl Vidéo Wood) n'a pas subi de préjudice à hauteur de 90% du prix de la cession envisagée ;
dire et juger irrecevable le préjudice invoqué par Chérif Khenfouf au titre de l'article L. 145-51 du code de commerce ;
En conséquence,
débouter la Sarl Vidéo Wood et Chérif Khenfouf de toutes leurs fins et prétentions ;
débouter la Sarl Vidéo Wood et Chérif Khenfouf de leurs demandes reconventionnelle ;
condamner la Sarl Vidéo Wood et Chérif Khenfouf à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, avec application de l'article 699 du même code.
' La Sarl Vidéo La Sarl Vidéo Wood, Chérif Khenfouf et Hadda Kebairi concluent, au visa des articles L. 145-51 et suivants du code de commerce, 1147 et 1382 du code civil, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sci Les Arcades de son opposition et de sa demande en révision du loyer commercial, sollicitant de la cour :
la condamnation de la Sci Les Arcades à payer à la Sarl Vidéo Wood :
- la somme de 85 500 euros au titre de la perte de chance de céder son droit au bail,
- la somme de 25 729,12 euros (90% de 28 587,91 euros TTC ) au titre des loyers réglés du 1er mai 2011 au 31 décembre 2012,
- la somme de 1 286,46 euros TTC par mois du 1er janvier 2013 à la date du présent arrêt,
la condamnation de la Sci Les Arcades à payer à Chérif Khenfouf, la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice personnel ;
la condamnation de la Sci Les Arcades à payer à la Sarl Vidéo Wood et à Chérif Khenfouf, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamnation de la Sci Les Arcades à payer à Hadda Kebairi la somme de 1 500 euros sur le même fondement ;
la condamnation de la Sci Les Arcades aux dépens, avec application de l'article 699 du même code.
SUR CE :
Sur l'opposition à l'acte de cession-déspécialisation :
En application de l'article L. 145-51 du code de commerce lorsque le locataire commercial ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée par le régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales, a signifié à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l'exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a, dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification. A défaut d'usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le même délai de deux mois, il n'a pas saisi le tribunal de grande instance. La nature des activités dont l'exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble. Les dispositions de cet article sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.
En l'espèce, la Sarl Vidéo Wood ayant comme associé unique Chérif Khenfouf, locataire d'un local à usage commercial de commerce de vente et location de tout support CD compact disc, appartenant à la Sci Les Arcades, se prévalant des dispositions de l'article L. 145-51 du code de commerce pour avoir été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité partielle selon décision du RSI du 1er décembre 2010, a notifié à celle-ci, par acte du 17 février 2011, son intention de céder son droit au bail à Hadda Kebairi pour l'exploitation d'une activité de bazar, alimentation générale, orientale et boucherie, tissus, vaisselle, articles de décoration, appareils et objets divers ; la société bailleresse a saisi la juridiction de première instance le 13 avril 2011 pour s'opposer à cette cession - déspécialisation, soit dans les délais légaux.
Pour fonder son opposition, la Sci Les Arcades soulève en cause d'appel, le fait que Chérif Khenfouf ne remplit pas les conditions d'invalidité ouvrant droit au bénéfice de ces dispositions pour ne pas justifier d'une impossibilité totale d'exercer son activité professionnelle et soutient l'incompatibilité de l'activité envisagée avec la destination de l'immeuble au regard de la clause de non concurrence dont bénéficie l'ensemble des preneurs du centre commercial.
Sur le premier moyen, la cour observe que l'article L. 145-51 du code de commerce fait référence à l'admission du preneur au bénéfice d'une pension d'invalidité sans nullement spécifier la nécessité du caractère total de l'invalidité dont s'agit. Une telle condition n'est donc pas posée par ce texte.
En tout état de cause, s'il peut être admis que le législateur ait entendu protéger le preneur qui ne peut plus exercer son activité professionnelle, les intimés justifient que l'admission d'une pension d'invalidité partielle par le RSI est liée à l'impossibilité d'exercer l'activité professionnelle de celui qui en bénéficie sans l'empêcher toutefois d'en exercer d'autres, à défaut de quoi, l'invalidité serait totale ; ainsi l'invalidité partielle permet de reprendre uniquement une activité professionnelle différente de l'activité antérieure.
Dès lors ce premier moyen d'opposition ne peut être retenue.
Sur le second moyen, la Sci Les Arcades produit l'état descriptif de division de l'ensemble immobilier dans lequel se trouve le local loué établi le 5 mai 1999 et le cahier des charges y afférent, en annexe duquel se trouve stipulée une clause de non-concurrence dans toute l'étendue du centre commercial des Arcades ; aux termes de ladite clause, la Sci Les Arcades déclare prendre l'engagement irrévocable d'interdire toute concurrence dans ce centre commercial aux commerces existants sous peine de nullité de toutes les conventions pouvant déroger à cette clause.
La Sci Les Arcades soulève l'incompatibilité de l'activité envisagée dans l'acte de cession du droit au bail convenue entre la Sarl Vidéo Wood et Hadda Kebairi avec cette clause de non-concurrence en ce que cette activité est de nature à entrer directement en concurrence avec un autre locataire exploitant un snack fast-food et en ce que son caractère trop large l'empêche de consentir d'autres baux commerciaux à l'avenir.
Pour rejeter ce second moyen, les intimés opposent d'une part, la prééminence des règles d'ordre public de la déspécialisation sur toute clause contraire de nature à réduire le droit des preneurs à bénéficier du dispositif prévu par L. 145-51 du code de commerce et d'autre part, la caducité de la clause de non-concurrence en l'état de son défaut de respect par le bailleur dans le cadre de différents baux consentis par lui ; ils soulignent enfin qu'il existe une multitude d'activités non concurrencées par l'activité projetée.
La cour relève que si l'article L. 145-51 du code de commerce est bien un texte d'ordre public, le droit du preneur qu'il consacre ne permet pas de faire échec aux règles conventionnelles régissant l'immeuble abritant les locaux loués et en particulier, un cahier des charges alors que ce texte même énonce que la nature des activités dont l'exercice est envisagé doit être compatible avec sa destination et ses caractères.
Par ailleurs, si l'activité de bazar, alimentation générale, orientale et boucherie, tissus, vaisselle, articles de décoration, appareils et objets divers ne vient pas directement concurrencer l'activité de snack-restauration rapide exploitée par un autre locataire exploitant sous l'enseigne Le Mozaik, s'agissant d'activité non similaire, le fait que la Sci Les Arcades ait consenti le 20 mai 2008 un bail à un autre commerçant, Max Fauveau, pour une même activité de snack et qu'antérieurement, du 1er mars 2002 jusqu'au 30 septembre 2005, un bail sur un fonds de commerce de grill, pizza pub et restaurant avait déjà été consenti, pour autant les intimés ne sont pas fondés à solliciter la caducité de la clause de non-concurrence qui s'impose au bénéfice de l'ensemble des locataires du centre commercial.
Enfin, la cour observe que le caractère extrêmement large de l'activité prévue dans la cession envisagée qui permet la vente de tout bien sans restriction, est de nature à empêcher la société bailleresse d'accorder à l'avenir d'autres baux pour toutes activités commerciales de vente de biens au regard de la clause de non-concurrence, sauf à prendre le risque de voir sa responsabilité engagée.
Ainsi, la société bailleresse justifie d'un motif sérieux et légitime pour s'opposer à la cession envisagée de sorte que son opposition à cet acte ne caractérise pas un abus de droit susceptible de justifier indemnisation de la société locataire et de son associé unique en lien avec l'absence de réalisation de cette cession.
Le jugement déféré sera qui a fait droit partiellement aux demandes des intimés, sera en conséquence infirmé et les demandes d'indemnisation de la Sarl Vidéo Wood et de Chérif Khenfouf seront rejetées.
Sur les autres demandes :
Aucune considération tirée de l'équité ne commande pas de faire application au profit de la Sci Les Arcades des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande de la Sarl Vidéo Wood et de Chérif Khenfouf sur le même fondement sera aussi en voie de rejet.
La Sarl Vidéo Wood et Chérif Khenfouf succombant supporteront les dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la Sarl Vidéo Wood et Chérif Khenfouf aux dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement direct au profit de la SCP Auché-Hédou, société d'avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.