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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 13 septembre 2006, n° 05/02823

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LEVY (Epouse)

Défendeur :

COUSTOU GOBELINS (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. DUCLAUD

Conseillers :

Mme IMBAUD-CONTENT, M. ZAVARO

Avoués :

Me HUYGHE, SCP MENARD - SCELLE-MILLET

Avocats :

Me FEDDAZ, Me RAYNAUD DE LAGE

TGI Paris, du 21 oct. 2004

21 octobre 2004

Mme LEVY, locataire de locaux commerciaux sis à [...] selon bail en renouvellement du 15/4/1993 consenti pour 9 ans à compter du 1er/1/1993 pour l'activité de 'vente au détail de parfumerie, produits de beauté et accessoires s'y rapportant et soins de beauté', souhaitant eu égard à son âge et à son état de santé, cesser son activité pour prendre sa retraite et n'ayant pu trouver repreneur de son fonds de commerce, a décidé de céder son droit au bail ;

Elle a ainsi , par acte du 26/3/2002 , conclu avec la société LE FOURNIL DE PARIS , une promesse de cession soumise aux conditions suivantes: -prix de 243 918 ' ;- obtention par l'acquéreur d'un crédit au taux maximum de 8%;-prise de possession des lieux entre le 1er juillet et le 7 juillet 2002 ;-déspécialisation et conclusion d'un nouveau bail avec possibilité d'exercer l'activité de 'boulangerie sans fabrication sur place , pâtisserie, viennoiseries et dérivés , sandwiches , boissons à emporter ' ;- prix du loyer ne pouvant être majoré de plus de 50% du prix du loyer actuel;

Par acte extrajudiciaire du 22/4/2002, elle a, au visa de l'article L 145-51 du code de commerce, notifié cette promesse à sa bailleresse, la SCI COUSTOU- GOBELINS ;

La SCI COUSTOU- GOBELINS n'a pas dans le délai de deux mois imparti à cet effet par le texte susvisé, usé de son droit à priorité de rachat ni saisi le tribunal de grande instance ; elle avait, dans ce délai, pris contact avec la société LE FOURNIL DE PARIS et rencontré celle-ci le 11 /6/2002 pour avoir connaissance des conditions d'exploitation ;

Par lettre du 21/6/2002, la société LE FOURNIL DE PARIS indiquait à Mme LEVY que suite à l'entretien du 11/6/2002 avec la bailleresse, celle-ci lui avait par courrier du 17/6/2002 refusé la possibilité de s'installer dans les locaux litigieux et que dans ces conditions et ne pouvant obtenir satisfaction dans les délais stipulés à la promesse du 26/3/2002, elle se trouvait dans l'obligation de renoncer à la cession ;

Par le courrier ci-dessus du 17/6/2002 adressé à la société LE FOURNIL DE PARIS sur un papier à en-tête de Me Jean-Louis COUSTOU, avocat , la SCI COUSTOU- GOBELINS indiquait à celle-ci 'qu'une lecture attentive du bail et du règlement de copropriété faisait apparaître qu'on ne pouvait exercer dans l'immeuble aucune activité malodorante , que les copropriétaires étaient très sensibles à cet aspect et que c'était l'une causes du départ de la charcuterie exploitée auparavant dans l'immeuble , que le règlement de copropriété interdisait que soient placés dans les parties privatives des coffres forts ou objet dont le poids excéderait la limite de charge de façon à ne pas compromettre la solidité des planchers et des murs ni lézarder les plafonds et qu'il édictait par ailleurs que les conduits de fumée ne pouvaient être utilisés que pour l'usage auquel ils étaient destinés et qu'il était interdit d'employer des appareils pouvant bistrer ou détériorer ces conduits et qu'en conséquence , seule une assemblée générale des copropriétaires pourrait autoriser à faire renforcer les planchers du 1er étage et permettre l'utilisation d'une gaine dans le conduit de cheminée et que ce règlement , enfin, semblait considérer que la tolérance d'avoir installé deux cabines au 1er étage aux lieu et place d'un logement d'habitation expirerait à la fin du bail de Mme LEVY et qu'elle ne pourrait , au vu de l'ensemble de ces éléments , donner aucune autorisation quelconque pour installer l'activité exercée par la société LE FOURNIL DE PARIS ';

Par un deuxième courrier, cette fois à en-tête de la SCI COUSTOU- GOBELINS, la bailleresse précisait les termes de son précédent courrier du 17/6/2002 en indiquant qu'elle ne pouvait s'opposer à la cession de droit au bail laquelle s'imposait de droit à elle et qu'elle acceptait ladite cession n'ayant fait, par son courrier du 17/6/2002, que rappeler les contraintes édictées par certaines clauses du règlement de copropriété ;

Le 2/8/2002, Mme LEVY a fait assigner la SCI COUSTOU- GOBELINS et la société LE FOURNIL DE PARIS devant le tribunal de grande instance de PARIS aux fins, selon le dernier état de ses écritures, à titre principal, de voir déclarer parfaite la cession du droit au bail du 26/3/2002 et voir, en conséquence, la société LE FOURNIL DE PARIS condamnée à lui verser le prix de vente convenu, à titre subsidiaire, de voir dire la SCI COUSTOU- GOBELINS tenue, au visa des articles L 145-

51 du code de commerce et 1382 du code civil , de racheter le droit au bail aux conditions de la cession du 26/3/2002 et à lui verser, en conséquence , la somme de 243 918 ' à titre de dommages- intérêts et , en tout état de cause, de voir condamner in solidum la SCI COUSTOU- GOBELINS et la société LE FOURNIL DE PARIS au paiement d'une somme de 20 000 ' à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice que leur comportement fautif lui avait causé par manque à gagner du fait du ralentissement de son activité justifié par la cessation d'activité envisagée et par aggravation de ses conditions de travail à un âge avancé et dans un état de santé fragile;

La SCI COUSTOU- GOBELINS et la société LE FOURNIL DE PARIS ont conclu au mal fondé des demandes et formé chacune demande reconventionnelle en paiement de dommages- intérêts pour procédure abusive, la société LE FOURNIL DE PARIS demandant, en outre, à titre subsidiaire, la garantie de la SCI COUSTOU- GOBELINS pour toutes éventuelles condamnations prononcées contre elle au profit de Mme LEVY ;

C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu ;

Durant le cours de la première instance, Mme LEVY a , par acte extrajudiciaire du 6/8/2002, formé une demande de renouvellement suite à laquelle la SCI COUSTOU- GOBELINS , acceptant le principe du renouvellement, a proposé un loyer déplafonné de 16 000 ' par an avant d'exercer le 31/1/2005 son droit d'option en refusant le renouvellement du bail et en offrant paiement d'une indemnité d'éviction ce qui a donné lieu à une procédure ,actuellement en cours, en fixation de l' indemnité d'éviction et dans laquelle une expertise confiée à M. PAIN a été ordonnée;

* * *

Mme LEVY, appelante, demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement déféré

- de dire que la SCI COUSTOU- GOBELINS a fait de manière malicieuse échec au droit de la concluante de céder son droit au bail et, vu la notification du droit d'option du 31/1/2005, de condamner celle-ci au paiement de la différence entre le prix de cession et l'indemnité d'éviction à fixer et de surseoir à statuer jusqu'à la fixation de cette indemnité,

- en tout état de cause, de condamner la SCI COUSTOU- GOBELINS à payer à Mme LEVY la somme de 20 000 ' à titre de dommages- intérêts en réparation du préjudice moral occasionné à la concluante et au paiement d'une indemnité de 6000 ' au titre de l'article 700 du NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ainsi qu'aux entiers dépens ;

La SCI COUSTOU- GOBELINS, intimée, demande à la Cour :

- vu les articles 56 et 954 alinéa 1er du Nouveau Code de Procédure Civile, de dire la Cour non saisie des écritures de l'appelante,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme LEVY,

-y ajoutant, de condamner Mme LEVY au paiement d'une somme de 15000' à titre de dommages- intérêts pour procédure abusive,

-de condamner celle-ci au paiement d'une somme de 4000 ' au titre de l'article 700 du NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE et aux entiers dépens ;

CECI ETANT EXPOSÉ,

LA COUR,

Considérant qu'il sera préalablement relevé que contrairement à ce que prétend l'intimée, les conclusions de l'appelante répondent aux exigences des articles 56 et 954 alinéa 1er du Nouveau Code de Procédure Civile dès lors qu'il en résulte clairement que la responsabilité de la SCI COUSTOU- GOBELINS y est recherchée sur le fondement quasi délictuel en raison d'une attitude malicieuse destinée à faire échouer la cession et ayant occasionné, partant, préjudice à la concluante ;

SUR L'APPEL PRINCIPAL,

Considérant que Mme LEVY qui acquiesce au jugement en

ce que, au motif que la condition suspensive relative au prix du loyer n'avait pas été réalisée dans le délai convenu, il l'a déboutée de sa demande dirigée contre la société LE FOURNIL DE PARIS tendant à voir dire la vente parfaite estime, au soutien de son appel à l'encontre de la SCI COUSTOU- GOBELINS , que la société LE FOURNIL DE PARIS qui a, pour le motif susvisé, pu librement se dégager de ses obligations contenues à la cession , avait ,en fait, préalablement au terme du délai de réalisation de la condition suspensive, renoncé à son projet d'achat par la faute de la SCI COUSTOU- GOBELINS hostile à la cession et dont l'intention manifeste avait été de la dissuader de reprendre le bail en invoquant à dessein le règlement de copropriété ,en faisant des déclarations mensongères sur la cause du départ de la charcuterie qui , contrairement à ses assertions , avait pu exercer sans difficulté son activité durant de nombreuses années dans l'immeuble , en se gardant de faire état de sa qualité de copropriétaire majoritaire permettant sans problème l'obtention des autorisations requises de la copropriété et en faisant inexactement mention d'une simple tolérance pour l'occupation du premier étage ;qu'elle estime encore s'être trouvée entravée par la faute de la SCI COUSTOU- GOBELINS dans la recherche d'un nouveau cessionnaire du fait de l'absence, imputée à celle-ci, de fixation du loyer ensuite de sa demande de renouvellement du bail ;

Considérant qu'il résulte des éléments du dossier et notamment des conclusions d'appel des parties et des conclusions de première instance de la société LE FOURNIL DE PARIS en page 5 , que la SCI COUSTOU- GOBELINS a pris l'initiative d'une rencontre avec la cessionnaire dont elle s'était enquis de l'identité alors qu'elle n'avait pas à cette date été informée des conditions particulières de la cession dont elle avait simplement reçu notification du projet conformément aux dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce ;

Que cette initiative était contraire aux dispositions de l'article L 145-51 du code de commerce aux termes desquelles le bailleur n'a à être informé que de la nature de l'activité envisagée et du prix de cession proposé ;

Considérant que ceci joint aux difficultés alléguées au courrier du 17/6/2002 pour obtenir les autorisations nécessaires aux travaux à envisager pour l'exercice de la nouvelle activité présentées de manière telle qu'elles valaient quasi impossibilité d'obtenir cette autorisation au regard des clauses du règlement de copropriété et de l'intransigeance des copropriétaires quant à celles de ces clauses relatives à des activités malodorantes dont il était dit qu'elle avait conduit au départ d'un commerce de charcuterie , joint à l'affirmation péremptoire faite audit courrier de ce qu'aucune 'autorisation quelconque ne pouvait être donnée par le bailleur pour installer l'activité prévue ' , jointe encore à l'absence de toute saisine du tribunal dans les deux mois de la notification faite en avril 2002 du projet de cession et à la présentation comminatoire du courrier en cause adressé sur un papier à en -tête de Maître Jean- Louis COUSTOU, avocat , établit une attitude déloyale de la SCI COUSTOU- GOBELINS envers sa locataire dans le but manifeste, alors que son gérant, avocat, n'ignorait rien des conditions légales d'une cession du droit au bail en vue de la retraite et de la procédure à suivre en cas de désaccord sur le projet de cession , non pas d'attirer l'attention du cessionnaire sur de futures possibles déconvenues, mais de faire échouer la cession ;

Considérant que cette analyse ne peut être contredite par les 'précisions ' données par la bailleresse par courrier du 26/6/2002 qui ne l'ont été qu'en réponse aux protestations de Mme LEVY ensuite de l'information à elle donnée par la société LE FOURNIL DE PARIS, par courrier du 21/6/2002, de ce qu'elle ce qu'elle renonçait à la cession en raison du refus du bailleur ;

Considérant que dans ce courrier du 21/6/2002, la société LE FOURNIL DE PARIS n'évoquait pas un désaccord du bailleur sur le prix du loyer posé comme condition de la cession ;

Qu'il s'en déduit et alors qu'il n'est pas plausible que cette question n'ait pas été débattue lors de son entrevue du 11/6/2002 avec le bailleur puisqu'avait été alors débattue le problème de la charge financière des travaux nécessaires à la nouvelle activité ainsi qu'il résulte du courrier du 5/7/2002 adressé par la société LE FOURNIL DE PARIS à la SCI COUSTOU- GOBELINS , que la société LE FOURNIL DE PARIS entendait négocier les conditions de prix du nouveau bail avec la SCI COUSTOU- GOBELINS et que ce n'est pas cette question (auquel cas elle n'aurait pas, en effet, manqué d'en faire également état) mais uniquement celle relative aux autorisations de travaux et de leur charge financière qui l'avait fait renoncer à son projet, ceci étant conforté par les termes de son courrier susvisé du 5/7/2002 à la SCI COUSTOU- GOBELINS où, pour expliquer sa renonciation à la cession du droit au bail, elle n'évoque que les contraintes imposées par la copropriété ;

Considérant, dans ces circonstances, qu'il y avait toute probabilité pour que la cession puisse aboutir si la SCI COUSTOU- GOBELINS avait été de bonne foi et n'avait pas émis les objections ci- dessus quant à la possibilité des autorisations nécessaires aux travaux et alors que l'impossibilité d'obtenir cette autorisation n'est pas vérifiée si l'on considère que la SCI COUSTOU- GOBELINS ( ce qui n'est pas formellement contesté ) est aux dires de Mme LEVY , copropriétaire majoritaire et alors encore que la charge des travaux de mise en conformité aurait incombé au bailleur puisque nécessaire à l'exécution de l' obligation de délivrance ;

Considérant que le préjudice subi par Mme LEVY en raison de la faute susvisée de la SCI COUSTOU- GOBELINS s'analysant ainsi en la perte de chance de voir la cession aboutir, la responsabilité de celle-ci à l'encontre de sa locataire doit être retenue ;

Considérant qu'il doit être tenu compte dans l'évaluation du préjudice de l'indemnité d'éviction que la concernée percevra du bailleur ensuite de l'exercice par celui-ci de son droit d'option au cours de l'instance en fixation engagée suite à la demande de renouvellement et à l'accord initial sur le principe du renouvellement du bail ;

Considérant qu'il convient donc de surseoir à statuer comme sollicité par l'appelante sur l'évaluation du préjudice jusqu'à l'intervention de la décision fixant l'indemnité d'éviction ;

Considérant que la demande de Mme LEVY relative au préjudice moral sera réservée jusqu'à la réouverture des débats au terme du sursis à statuer et qu'il en sera de même concernant les demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

SUR LA DEMANDE de la SCI COUSTOU- GOBELINS EN DOMMAGES- INTÉRÊTS POUR PROCÉDURE ABUSIVE,

Considérant que la demande de Mme LEVY étant fondée en son principe, il ne saurait être fait droit à la demande de ce chef ;

Considérant que les dépens seront réservés ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Dit que les conclusions de l'appelante sont suffisamment motivées en fait et en droit,

AU FOND,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme LEVY à l'encontre de la SCI COUSTOU- GOBELINS,

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit que la SCI COUSTOU- GOBELINS a œuvré pour faire échouer la cession,

Dit sa responsabilité à cet égard engagée envers Mme LEVY,

Surseoit à statuer sur l'évaluation du préjudice jusqu'à la décision à intervenir sur la fixation de l'indemnité d'éviction, objet d'une procédure en cours devant le tribunal de grande instance de PARIS,

Déboute la SCI COUSTOU- GOBELINS de sa demande de dommages- intérêts pour procédure abusive,

Réserve la demande de Mme LEVY relative au préjudice moral et les demandes des parties au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sur lesquelles il sera statué lors de la réouverture des débats au terme du sursis à statuer,

Réserve les dépens.