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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 6 septembre 2007, n° 06/01510

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ITM Entreprises (SA)

Défendeur :

Kerris (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

Mme Holman, Mme Boissel Dombreval

Avoués :

SCP Grammagnac-Ygouf Balavoine Levasseur, SCP Parrot Lechevallier Rousseau

Avocats :

SCP Utzschneider-Beaumont, Me Lehuede

T. com. Caen, du 10 mai 2006, n° 06/913

10 mai 2006

Vu l'ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce de Caen en date du 10 mai 2005 qui a déclaré irrecevable la demande formulée par la société ITM ENTREPRISES SA (ITME) à l'encontre de la société KERRIS SA sur le fondement de la violation du droit d'information, et l'a déboutée de toutes ses demandes.

Vu l'appel de ITME et ses conclusions signifiées le 31 mai 2007 demandant à la Cour d'infirmer partiellement l'ordonnance ; déclarer la demande fondée sur l'article L. 238-1 du Code de commerce recevable et constater que les éléments d'informations visés par l'article 135 du décret n 67-236 du 23 mars 1967 concernant les trois nouveaux administrateurs de la société KERRIS SA ne lui ont pas été communiqués et enjoindre sous astreinte aux dirigeants de la société KERRIS de fournir à la société ITME l'intégralité des informations concernant les références professionnelles de ces administrateurs ; constater que la société KERRIS a abusivement résisté à l'exercice légitime par la société ITME de son droit préférentiel de souscription à l'augmentation de capital de la société KERRIS, désigner tel mandataire qu'il plaira en lui impartissant la mission d'enregistrer au nom de la société KERRIS la souscription de la société ITME à l'augmentation de capital, donner acte à la société ITME de la libération intégrale de sa souscription et déposer le chèque établi par elle auprès de la SOCIETE GENERALE PSC Caen, se faire remettre le registre des mouvements de titres de la société KERRIS, y inscrire la souscription à l'augmentation de capital par la société KERRIS à concurrence de trente huit actions nouvelles et ensuite le restituer; enjoindre à la société KERRIS de remettre le registre des mouvements au mandataire désigné; condamner la société KERRIS au paiement d'une somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Vu les conclusions récapitulatives et additionnelles de la SA KERRIS signifiées le 5 juin 2007 par lesquelles elle demande à la Cour de confirmer la décision entreprise et de condamner la société ITM ENTREPRISES à payer la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

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Attendu que la société anonyme KERRIS comptait parmi ses actionnaires les époux Z..., majoritaires et la société ITME qui ne détenait dans le capital qu'une seule action; que ITME est liée contractuellement d'une part avec les époux Z... par un contrat d'adhésion et d'autre part avec la société KERRIS par un contrat d'enseigne assimilable à une franchise; que les époux Z... ont cédé leurs actions aux sociétés SAS SELIMA et SAS CSF, filiales du groupe CARREFOUR ainsi qu'à une personne physique, CSF apparaissant désormais comme l'actionnaire majoritaire de la SA KERRIS à la date du 24 novembre 2005.

Attendu que le 28 novembre 2005, le conseil d'administration de la société KERRIS a convoqué ITME en sa qualité d'actionnaire à une assemblée générale mixte qui devait se tenir le 13 décembre 2005, non pas au siège de la société mais dans les locaux de la société CARREFOUR; que l'ordre du jour consistait notamment en premier lieu à ratifier la cooptation de nouveaux administrateurs en remplacement des administrateurs démissionnaires et en second lieu à réduire la capital social à zéro et à l'augmenter en application des dispositions de l'article L. 225-129 VII du Code de commerce ;

Attendu qu'il résulte du texte des résolutions annexé à la convocation que le nouveau capital devait être porté à 3.750.000 € par la création et l'émission de cent cinquante mille actions nouvelles de numéraire d'une valeur nominale de 25 € chacune ; que par application des dispositions de l'article L. 225-132 du Code de commerce, la souscription aux actions nouvelles avait été réservée aux propriétaires des quatre mille actions anciennes; qu'en conséquence, le droit irréductible de souscription devait s'exercer à raison de soixante quinze actions nouvelles pour deux actions anciennes;

Attendu que le 12 décembre 2005, ITME a obtenu du Président du tribunal de commerce de Caen une ordonnance commettant un expert assisté d'un sténotypiste à l'effet d'assister à l'assemblée générale du lendemain.

Attendu que ITME qui ne s'est pas rendue à l'assemblée a reçu un courrier de la société KERRIS daté du 14 décembre 2005 l'avisant de la décision conforme prise par l'assemblée et du droit des actionnaires de souscrire à l'augmentation, ainsi qu'un bon de souscription; que par courrier du 28 décembre 2005 ITME a envoyé son bulletin de souscription pour 37,5 actions à titre irréductible et 0,5 action à titre réductible ainsi qu'un chèque de 950 € aux fins de libération intégrale de ces actions; qu'il lui a été répondu par courrier du 5 janvier 2006 que la titularité d'une seule action ne pouvait permettre à ITME de souscrire à l'augmentation du capital;

Attendu que c'est dans ces conditions que ITME a fait assigner la société KERRIS en référé aux fins d'une part d'enjoindre sous astreinte les dirigeants de la société KERRIS à lui fournir les renseignements complets sur les administrateurs cooptés et d'autre part de faire cesser le trouble manifestement illicite causé selon elle par la résistance à l'exercice légitime par ITME de son droit préférentiel de souscription et d'en tirer les conséquences;

Sur la recevabilité de la demande d'injonction :

Attendu que la demande exercée par ITME sur le fondement de l'article L.238-1 du Code de commerce est dirigée contre la société KERRIS alors que cet article permet aux actionnaires de demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre aux dirigeants de communiquer certains documents; que la loi du 15 mai 2001relative aux nouvelles régulations économiques, qui a institué cette procédure d'injonction, a dans le même temps abrogé l'article L. 225-119; que la rédaction des deux textes successifs est différente;

Attendu que l'ancienne disposition prévoyait qu'en cas de refus par la société de communiquer les documents , il serait statué par décision de justice à la demande d'un actionnaire et que par application de l'ancien article 143 du décret du 23 mars 1967, abrogé, le président du tribunal pouvait ordonner à la société sous astreinte de communiquer les documents; que le nouvel article L 238-1 du Code de commerce en revanche, permet d'obtenir directement des dirigeants communication des documents et précise dans son dernier alinéa que ce sont ces derniers qui supportent personnellement la charge de l'astreinte et les frais de procédure; que l'obligation de communiquer les documents dans le cadre des formalités afférentes aux tenues des assemblées incombent à la société en la personne de ses dirigeants, mais qu'en cas d'inexécution de son obligation, ce sont ces derniers qui sont personnellement sanctionnés par l'injonction sous astreinte;

Attendu que la précision apportée par le troisième alinéa selon laquelle l'astreinte est à la charge des dirigeants ne peut être interprétée comme ayant une portée limitée à la seule conséquence pécuniaire de la condamnation; que si telle avait été l'intention du législateur, il aurait institué une solidarité et non une obligation exclusive; qu'au contraire la disposition doit être comprise comme ayant été édictée afin d'éviter tout risque de mauvaise interprétation du texte, eu égard à la modification du destinataire de la norme;

Attendu qu'il convient donc de confirmer la décision du premier juge qui a déclaré irrecevable la demande en injonction de communiquer dirigée contre la société et non contre les dirigeants en leur nom personnel;

Sur l'exercice du droit préférentiel de souscription

Attendu que le droit préférentiel de souscription prévu à l'article L. 225-132 du Code de commerce n'avait pas fait l'objet d'une suppression par l'assemblée générale extraordinaire; qu'il en résulte pour chacun des actionnaires la possibilité d'exercer ce droit proportionnellement au nombre d'actions détenues dans le capital social de la société KERRIS; que l' assemblée

générale extraordinaire avait décidé d'attribuer de façon égalitaire 75 actions nouvelles pour 2 actions anciennes; que le président du tribunal a justement décidé que rien n'interdisait à l'assemblée générale extraordinaire de limiter la souscription d'actions nouvelles à la propriété de deux actions; que sous réserve d'un abus de majorité, hors débat, tout actionnaire titulaire d'un nombre impair d'actions anciennes doit donc se rapprocher d'un autre actionnaire, selon la pratique courante de la négociation des rompus afin de vendre ou d'acquérir un droit préférentiel ;

Attendu que la règle de répartition ainsi posée et l'impossibilité pour l'actionnaire de négocier l'achat de rompus ne peut être analysée en une suppression tacite du droit préférentiel de souscription et une exclusion volontaire de l'actionnaire; que la réduction du capital à zéro conditionnée par une augmentation du capital subséquente est valable si elle est décidée dans l'intérêt social, notamment lorsqu'elle est commandée par des pertes de la société et la survie de celle-ci; que cette double décision peut conduire à exclure un associé; que lorsque le droit préférentiel est maintenu, la règle de répartition posée par l' assemblée et l'impossibilité pour l'actionnaire titulaire d'un nombre insuffisant d'actions de négocier l'achat de rompus ne peut être analysée en une suppression tacite du droit préférentiel de souscription et une exclusion volontaire de l'actionnaire;

Attendu qu'il convient donc de confirmer de ce chef la décision du premier juge sans que cette décision soit en contradiction avec le rejet par le premier juge d'une action en indemnisation pour procédure abusive exercée contre ITME;

Sur l'indemnisation au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Attendu que les frais non répétibles que la société KERRIS a été contrainte d'exposer justifie la condamnation de la société ITME à lui verser 2.000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme l'ordonnance dans toutes ses dispositions;

- Condamne la société ITM ENTREPRISES SA à verser à la société KERRIS SA une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.