CA Bordeaux, 1re ch. civ., 25 septembre 2019, n° 19/00751
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Emergence Bordeaux (SARL), Cosmopolite Wine (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Heyte
Conseillers :
Mme Brisset, M. Bougon
Avocats :
Me Bonnin, Me Guitard, Me Silva
M. X A, la Sarl Emergence Bordeaux et la Sas Cosmopolite Wine relèvent appel de l'ordonnance rendue le 29 janvier 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux enjoint :
1.- à M. X A ès qualités de président de la Sas Cosmopolite Wine d'avoir à produire sous astreinte :
- les comptes annuels 2015,2016 & 2017 de la Sas Cosmopolite Wine,
- les rapports de gestion et procès-verbaux des AGO statuant l'approbation des comptes sur la même période,
- le procès-verbal de l'AG de juin 2017, pour statuer sur la mise en sommeil de la société avec effet rétroactif au 1er janvier 22014,
- la liste mise à jour des actionnaires de l société, portant répartition du capital social,
- tous justificatifs de convocations qui auraient été adressées à M. Z Y aux fins de participer aux assemblées générales de la société ;
2.- à M. X A, ès qualités de gérant de la Sarl Emergence Bordeaux, d'avoir à produire sous astreinte :
- les comptes annuels 2015,2016 & 2017 de la Sas Cosmopolite Wine,
- les rapports de gestion et procès-verbaux des AGO statuant l'approbation des comptes sur la même période,
- les justificatifs des convocations qui auraient été adressées à M. Z Y aux fins de participer aux assemblées générales de la société ;
3.- mets à leur charge les dépens de l'instance.
Les appelants poursuivent l'infirmation de l'ordonnance, sauf lorsqu'elle rejette la demande relative à l'expertise de gestion, et concluent au débouté des réclamations de M. Z Y. Ils poursuivent sa condamnation à leur payer une somme de 5.000 € pour frais irrépétibles.
Au soutien de leur recours, ils font valoir que M. X A serait bien en peine de communiquer les documents qui lui sont réclamés :
* alors que la Sas Cosmopolite Wine est en sommeil depuis le 1er janvier 2014 dans l'attente de sa liquidation et que depuis cette date aucun document n'a jamais été établi ;
* alors que la société Emergence Bordeaux, créée en 2012, ne fait aucun chiffre d'affaires, ne dégage aucun bénéfice et qu'il n'existe aucun document à compter de l'exercice 2015, aucune assemblée n'ayant jamais été organisée du fait du résultat fiscal nul de la société.
Ils soulignent que ces faits sont parfaitement connus de l'intimé qui ne justifie pas avoir jamais montré le moindre intérêt pour le fonctionnement de ces structures et qui ne justifie pas d'un quelconque grief du fait de leur gestion.
Ils concluent à la recevabilité de leurs écritures et au rejet de la demande d'expertise sollicitée à titre reconventionnel par l'intimé, faute pour l'intéressé de justifier d'un intérêt et parce que sa demande est par trop générale ou parce qu'il possède la réponse à la question qu'il pose concernant le sort de son avance en compte courant qui reste inscrite comme telle dans les comptes de la société.
*
M. B Z Y conclut à l'irrecevabilité des demandes des appelants au vu des dispositions de l'article 961 in fine du code de procédure civile, à la confirmation de la décision déférée qui ordonne les communications de documents comptables et forme un appel incident sur le rejet de sa demande d'expertise.
Il fait valoir, sur la forme, que les conclusions d'appelants ne satisfont pas au formalisme des articles 960 et 961 du code de procédure civile et, sur le fond, qu'en ses qualités d'actionnaire et d'associé il a droit à la communication de divers documents sociaux, que la mise en sommeil de la Sas ou l'absence de résultat fiscal de la Sarl n'empêchent pas le dirigeant de ces structures de satisfaire à ses obligations comptables, même si pour ce fait il devait régulariser ou faire régulariser ses manquements à ses obligations. Par ailleurs, n'ayant aucune information sur la gestion de la société Emergence Bordeaux dont il est actionnaire, et dans laquelle il a investi une somme de 50.000 €, il s'estime en droit de faire vérifier par expertise sa situation comptable, la bonne tenue de sa comptabilité, la conformité et l'opportunité des opérations inscrites en comptabilité eu égard à leur intérêt social et la rémunération versée au dirigeant et son caractère raisonnable.
Il sollicite 5.000 € pour frais irrépétibles.
SUR CE, La cour :
Sur la recevabilité des écritures des appelants.
Les conclusions d'appelants n°2 comportent les mentions prévues aux articles 960 et 961 du code de procédure civile, si bien que la procédure est régularisée.
Sur les injonctions de communication.
Comme l'explique M. B Z Y, l'article L.225-115 du code de commerce, pour les sociétés par actions simplifiées, et l'article L. 223-26, pour les sociétés à responsabilité limitées, disposent que l'actionnaire, dans le premier cas, et l'associé, dans le second, ont un droit de communication étendu relativement aux comptes et documents sociaux et, en application des dispositions de l'article L. 238-1 du même code, s'ils n'obtiennent pas satisfaction sur leur simple demande, ils peuvent en référer au président du tribunal de commerce qui enjoindra aux dirigeants concernés de satisfaire aux communications qui leur incombent.
Par ailleurs, quelle que soit leur forme et quelle que soit leur activité les sociétés, sous la responsabilité de leurs dirigeants, ont l'obligation d'établir des comptes annuels et de les déposer. Ni les relations amicales qui ont pu exister entre M. B Z Y et M. X A, ni le fait que la Sas serait en sommeil et que la Sarl n'aurait jamais eu d'activité ne dispensent M. X A, ès qualités, de ses obligations sociales et comptables. Il lui appartient, le cas échéant de régulariser les situations comptables de chacune des deux structures. Par voie de conséquence, la décision déférée qui enjoint à M. X A de satisfaire à ses obligations de communication sera purement et simplement confirmée.
Sur l'appel incident.
M. B Z Y, associé de la société Emergence Bordeaux a investi dans cette société au titre d'une avance en compte courant une somme de 50.000 €. Cette société, de l'aveu de son dirigeant n'établit aucune comptabilité et ne réunit pas ses associés. Le gérant ne répond pas aux demandes de son associé. M. B Z Y, en sa qualité d'associé, est légitime à s'inquiéter du sort de son investissement. Les dispositions de l'article L. 223-37 du code de commerce l'autorisent à solliciter une mesure d'instruction qui aurait pour objet d'examiner une ou plusieurs opérations de gestion. Il conviendra d'ordonner une mesure d'expertise, resserrée sur le devenir de l'investissement de M. B Z Y. Pour qu'elle puisse effectivement fonctionner cette mesure sera exécutée aux frais avancés de M. B Z Y qui devra consigner au greffe de la cour une somme de 2.000 €.
Sur les mesures accessoires.
Les frais irrépétibles de M. B Z Y seront arbitrés à la somme de 2.000 € et les appelants supporteront la charge des dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS :
Vu l'avis de fixation à bref délai du 27 février 2019,
Déclare les appels recevables en la forme,
CONFIRME la décision déférée dans ses dispositions enjoignant à M. X A, ès qualités de président de la société Cosmopolite Wine et de gérant de la société Emergence Bordeaux, de communiquer à M. B Z Y, comptes annuels et documents sociaux,
INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau,
ORDONNE une expertise et désigne M. D C, 48 bis, ... de Lafontaine ..., 05 47 29 74 65 et 06 26 40 30 90, en qualité d'expert avec pour mission:
de se faire communiquer toute pièce nécessaire à la bonne exécution de sa mission,
d'examiner le compte courant d'associé de M. B Z Y,
d'en indiquer le montant, d'en retracer l'évolution et de dire qu'elle en a été l'utilisation le cas échéant, de donner son avis sur l'utilisation qui en a été faite au regard de l'objet social,
Par application des dispositions de l'article 964-2 du code de procédure civile, le contrôle de la mesure sera confiée au juge chargé de cette mission au Tribunal de Commerce de BORDEAUX
Dit que l'expert, sur son pré rapport, répondra aux dires des parties et déposera son rapport définitif au Tribunal de Commerce de BORDEAUX dans les trois mois de sa saisine,
Dit que l'expert devra remplir personnellement la mission qui lui a été confiée, et préciser dans son rapport qu'il a adressé un exemplaire de celui ci aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception,
Dit qu'il devra convoquer les parties et leurs défenseurs, prendre connaissance des documents de la cause nécessaires à l'accomplissement de sa mission et prendre en considération les observations et réclamations des parties, préciser la suite qui leur aura été donnée et lorsqu'elles seront écrites, les joindre à son avis,
Dit que l'expert ne pourra recueillir l'avis d'un autre technicien que dans une spécialité distincte de la sienne, et qu'il pourra recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leur nom, prénom, demeure et profession, ainsi que s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles,
Invite l'expert à établir un état prévisionnel du coût de l'expertise, à le communiquer au juge chargé du contrôle et aux parties dès le commencement de sa mission, ou au plus tard dans le mois suivant la première réunion d'expertise ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,
Dit que M. B Z Y devra consigner la somme de 2.000 €, au greffe du Tribunal de Commerce de BORDEAUX dans les 2 mois du prononcé de la présente décision, à valoir sur la rémunération de l'expert,
Dit que faute par M. B Z Y d'avoir consigné cette somme ou d'avoir fourni des explications au juge chargé du contrôle des expertises du Tribunal de Commerce de BORDEAUX sur le défaut de consignation dans le délai prescrit, la décision ordonnant l'expertise deviendra caduque,
Désigne le juge chargé du contrôle des expertises du Tribunal de Commerce de BORDEAUX pour surveiller les opérations d'expertise, à qui il devra en être référé en cas de difficulté,
Dit que l'expert devra transmettre, avec son rapport, en vue de la taxation, sa note de frais et honoraires au juge chargé du contrôle et aux parties qui devront transmettre leurs éventuelles critiques à ce juge dans le délai de quinze jours à compter de la réception de cette note de frais et d'honoraires.
Condamne M. A, ès qualités, et les sociétés Sas Cosmopolite Wine et Sarl Emergence Bordeaux à payer à M. B Z Y la somme de 2.000 € pour frais irrépétibles.
Condamne M. A, ès qualités, et les sociétés Sas Cosmopolite Wine et Sarl Emergence Bordeaux aux dépens.