CA Versailles, 14e ch., 3 juin 2021, n° 20/04562
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
France ENR (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Igelman
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. Yacine B. est actionnaire à 50% de la SAS France ENR qui a pour activité la pose de panneaux photovoltaïques et de pompes à chaleur.
Il a été également salarié de l'entreprise en qualité de cadre commercial itinérant.
La présidente de cette société, Mme Linda C., détient l'autre moitié des actions.
A compter du mois d'octobre 2019, les relations entre les deux associés se sont dégradées.
Par lettre du 22 janvier 2020, M. B. a souhaité obtenir des documents relatifs à la gestion de l'entreprise, courrier resté sans réponse.
M. B. a alors adressé le 27 avril 2020 un nouveau courrier à la présidente de la société France ENR au visa des articles L. 225-231 et L. 227-1 alinéa 3 du code de commerce, posant des questions précises sur la gestion de la société.
Par acte d'huissier de justice délivré le 2 juin 2020, M. B. a fait assigner en référé la société France ENR afin d'obtenir principalement la désignation d'un expert de gestion.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 septembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a :
- rejeté la demande de nullité de l'assignation signifiée le 2 juin 2020,
- dit M. B. recevable mais mal fondé,
en conséquence,
- débouté M. B. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné M. B. d'avoir à régler à la société France ENR la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civil,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- condamné M. B. aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 42,79 euros, outre les frais d'acte, de procédures d'exécution s'il y a lieu.
Par déclaration reçue au greffe le 22 septembre 2020, M. B. a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de nomination d'un expert de gestion, l'a condamné à payer 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a condamné aux dépens, a ordonné l'exécution provisoire et a rejeté toutes ses demandes.
Dans ses dernières conclusions déposées le 16 mars 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. B. demande à la cour, au visa des articles L. 223-37, L. 223-100 et L. 225-231 du code de commerce, de :
- déclarer recevable et fondé l'appel qu'il a interjeté ;
y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,
- le décharger des condamnations prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais et accessoires ;
- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes ;
- nommer un expert avec pour mission de :
- présenter un rapport sur tous les salaires payés en 2019 et en 2020 (contrat de travail, identité des salariés et rémunérations allouées) ;
- connaître les différents contrats conclus avec les tiers fournisseurs justifiant l'augmentation des achats sur l'exercice 2019 ;
- convoquer l'assemblée générale annuelle en vue d'approuver les comptes de l'exercice du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 ;
subsidiairement,
- enjoindre la société France ENR de convoquer l'assemblée générale en vue d'approuver les comptes de l'exercice du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 sous astreinte fixée à 250 euros par jour de retard depuis le 30 décembre 2020 ;
et, en tout état de cause,
- dire que les honoraires de l'expert seront supportés intégralement par la société France ENR ;
- condamner la défenderesse aux entiers dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile ;
- condamner la défenderesse au paiement de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société France ENR, à qui la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées, suivant procès-verbal en recherches infructueuses, le 13 octobre 2020, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2021.
A l'audience, la cour a demandé au conseil de l'appelant de communiquer par note en délibéré un extrait Kbis de la société France ENR, copie des accusés de réception des lettres du 22 janvier et 27 avril 2020 ainsi que ses observations sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande nouvelle à hauteur d'appel de celle tendant à ce qu'il soit enjoint à l'intimée de convoquer une assemblée générale en vue d'approuver les comptes de l'exercice 2019.
Le conseil de M. B. a transmis les éléments sollicités par message RPVA du 13 avril 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appelant sollicite l'infirmation de l'ordonnance attaquée qui n'a pas fait droit à sa demande de désignation d'un expert de gestion aux motifs qu'elle était prématurée puisque l'examen des comptes sociaux 2019 pourrait lui apporter l'essentiel des informations, inopportune dans la mesure où plusieurs procédures entre les associés sont en cours, chacun accusant l'autre de malversations ainsi qu'au motif qu'elle dépassait les pouvoirs du juge des référés.
M. B. conteste cette motivation, en relevant que l'analyse des comptes sociaux 2019 qui ont été versés tardivement au cours des débats de première instance par l'intimée révélait de nombreuses anomalies caractérisant la mauvaise gestion de l'entreprise.
Ainsi, il soutient que la nomination d'un expert est fondée sur le défaut de réponse aux questions écrites d'un actionnaire comme le prévoient les alinéas 1 et 2 de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Il rappelle à cet égard qu'il a vainement adressé à la société France ENR un premier courrier le 22 janvier 2020 afin que lui soient communiqués le compte de résultat 2019, le rapport de gestion de l'exercice 2019, les relevés bancaires de l'année 2019 et du 1er trimestre 2020, le chiffre d'affaires de l'année 2019 et du 1er trimestre 2020 puis un second courrier le 27 avril 2020 récapitulant des questions précises sur la gestion de la société et notamment le recrutement.
Il considère que ces seuls éléments factuels, en l'absence de réponse de la société France ENR, fondent sa demande de nomination d'un expert de gestion afin qu'il présente un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Il ajoute que cette nomination est également fondée sur la violation de l'article 19 des statuts de la société qui prévoient une consultation des associés sur les comptes et l'affectation du résultat de l'exercice social écoulé au plus tard dans les six mois de la clôture de l'exercice, tandis qu'à ce jour, il n'a toujours pas été consulté.
Enfin, il fait valoir que la nomination d'un expert est fondée sur l'augmentation considérable des charges d'exploitation au regard de l'augmentation injustifiée de la masse salariale passée de 49 116 euros en 2018 à 149 672 euros en 2019 et de l'augmentation injustifiée des achats de marchandises de plus de 60 000 euros, alors que les chiffres d'affaires des années 2018 et 2019 sont quasiment identiques.
Par ailleurs, au visa de l'article 225-100 du code de commerce, il sollicite la nomination d'un expert afin de convoquer l'assemblée générale et à défaut, qu'il soit enjoint à la présidente de convoquer l'assemblée générale sous astreinte.
Il relate qu'après qu'il a soulevé cette omission de la présidente, celle-ci s'est empressée de solliciter une prorogation exceptionnelle à laquelle il a été fait droit par ordonnance du président du tribunal de commerce de Pontoise du 14 septembre 2020 autorisant cette prolongation du délai de tenue de l'assemblée générale annuelle au 30 décembre 2020.
Il déplore toutefois une manoeuvre dilatoire puisqu'aucune assemblée n'a été convoquée à ce jour, ce qui a permis à la présidente de camoufler les comptes et a porté atteinte à ses droits à l'information, au vote ainsi qu'à ses droits pécuniaires.
En réponse au moyen d'irrecevabilité de cette prétention nouvelle en appel soulevé d'office par la cour, l'appelant fait observer qu'il s'agit d'une demande tendant aux mêmes fins que ces précédentes demandes, à savoir le respect de son droit d'information et de ses droits politiques en sa qualité d'associé.
Sur ce,
En application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile si, en appel, l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.
L'article L. 225-231 du code de commerce dispose que :
'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-10, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
(...)
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.'
Il convient tout d'abord de rappeler que l'expertise de gestion prévue par l'article L. 225-231 du code de commerce susvisé est une mesure dérogatoire aux règles de fonctionnement d'une société, permettant d'imposer une analyse de ce fonctionnement par un tiers à la société, de sorte que les textes qui prévoient la possibilité du recours à une telle expertise sont d'interprétation stricte.
Doit être en premier lieu recherché si les éléments communiqués en réponse aux questions écrites posées par un actionnaire minoritaire présentent ou non un caractère satisfaisant.
En second lieu, il convient d'apprécier le caractère utile de la demande d'expertise de gestion, laquelle ne peut être ordonnée qu'en présence de présomptions d'irrégularité des opérations de gestion, lesquelles doivent être suffisamment déterminées, ou d'un risque d'atteinte à l'intérêt social.
En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe au demandeur à l'expertise de gestion de rapporter la preuve des faits nécessaires au succès de sa prétention.
S'agissant des questions écrites posées par M. B., il ressort de manière constante des débats qu'aucune réponse ne lui a été adressée.
Toutefois, il doit être relevé que dans son dossier de pièces versées à l'appui de ses demandes, l'appelant n'a pas transmis l'accusé de réception de nature à démontrer l'envoi effectif et valable de la lettre du 27 avril 2020 contenant les questions écrites qui doivent être préalablement adressées à la société concernée, avant de pouvoir solliciter une expertise de gestion.
A la demande de la cour, le conseil de M. B. a indiqué par note en délibéré que l'accusé de réception de la lettre du 22 janvier 2020 avait été égaré mais qu'il joignait la lettre adressée avec demande d'avis de réception à la présidente de la société le même jour, ainsi qu'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 janvier 2020 adressée à la société France ENR, rappelant que le 27 avril 2020, une lettre recommandée visant les termes de la lettre du 22 janvier 2020 avait été adressée à la société France ENR.
Cependant, il doit être constaté que les courriers en date des 22 et 30 janvier 2020 ne contiennent pas une liste de questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, s'agissant de demandes de communication de documents sociaux.
Seule la lettre du 27 avril 2020 contient les questions comme il est prescrit par l'article L. 225-231 susvisé, pour laquelle aucune preuve d'envoi ni de réception n'est versée aux débats, de sorte qu'il n'apparaît pas démontré que cette première condition exigée par le texte soit remplie.
S'agissant de la deuxième condition tenant au caractère utile de la demande d'expertise de gestion qui suppose la démonstration de présomptions d'irrégularité des opérations de gestion ou d'un risque d'atteinte à l'intérêt social, force est de constater que l'appelant invoque des présomptions d'irrégularité en se fondant sur la comparaison des bilans et comptes de résultats entre les années 2018 et 2019, tandis qu'il ne verse aux débats que le bilan et le compte de résultat pour l'année 2019.
Ainsi, faute pour la cour de pouvoir examiner les irrégularités dont M. B. excipe par le jeu de la comparaison des documents comptables de ces deux années, il doit être constaté que l'appelant échoue également à rapporter la preuve de l'existence de présomptions d'irrégularité, étant en outre souligné que la production aux débats de la seule copie d'une plainte pénale déposée par l'appelant contre Mme C. des chefs d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance, sans que la suite qui y a été donnée ne soit connue, est dépourvue de toute valeur probante quant à l'existence ou pas d'irrégularités de gestion.
Au regard de ces éléments, il convient de débouter M. B. de sa demande d'expertise de gestion.
L'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a ainsi jugé.
De la même manière, à considérer que la demande subsidiaire de l'appelant afin qu'il soit enjoint à la société France ENR de convoquer l'assemblée générale en vue d'approuver les comptes de l'exercice 2019 puisse être qualifiée de demande nouvelle recevable en ce qu'elle résulterait de l'évolution du litige, M. B. arguant de l'absence de réunion de cette assemblée générale suite à l'ordonnance du 14 septembre 2020 ayant prorogé le délai de sa tenue jusqu'au 30 décembre 2020, en tout état de cause, l'appelant ne verse aux débats aucune pièce de nature à démontrer qu'il aurait au préalable, et en particulier depuis le 30 décembre 2020, vainement mis en demeure la présidente de la société de convoquer ladite assemblée.
Dans ces conditions, aucune des prescriptions des articles 872 et 873 du code de commerce permettant au juge des référés du tribunal de commerce, et à la cour à sa suite, de prononcer une injonction de faire sous astreinte n'est suffisamment caractérisée, M. B. n'invoquant ni ne démontrant ni l'urgence, ni un trouble manifestement illicite, ni l'absence de contestation sérieuse.
En conséquence, il sera dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'injonction de M. B..
Sur les demandes accessoires :
L'article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, si M. B. échoue en ses demandes, il ressort toutefois des éléments du dossier qu'il est confronté à une opposition de la présidente de la société France ENR ou à tout le moins à une résistance de sa part quant à ses droits d'actionnaire.
En conséquence, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Chaque partie supportera les dépens de première instance et d'appel par moitié et par équité, il sera dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt rendu par défaut,
CONFIRME l'ordonnance du 10 septembre 2020 sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande de M. Yacine B. aux fins d'injonction,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,
DIT que chaque partie supportera par moitié les dépens de première instance et d'appel.