CA Versailles, 14e ch., 3 mars 2022, n° 21/04103
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Igelman, Mme de Rocquigny du Fayel
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants, créée en février 2015 a une activité de conseil.
Son capital est divisé en 110 actions réparties entre trois actionnaires :
- M. T. détient 90 actions,
- Mme L. détient 10 actions,
- Mme V.-T. détient 10 actions.
M. T. et Mme L. mariés depuis 2009, se sont séparés en 2017. Mme V.-T. est la mère de M. T..
Mme L. a exercé les fonctions de présidente depuis la création de la société jusqu'en avril 2016, date à laquelle M. T. lui a succédé.
Par lettre dont la date qui est discutée sera précisée ci-dessous, Mme L. a vainement posé diverses questions sur la gestion de la société, sur la convocation de l'assemblée générale annuelle et sur la communication des comptes sociaux.
Puis, par acte d'huissier de justice délivré le 31 mars 2021, Mme L. a fait assigner en référé la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants aux fins d'obtenir principalement, la désignation d'un expert chargé de présenter un rapport sur l'opération de gestion visée par l'assignation, la communication de documents et des réponses aux questions qu'elle avait posées.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 juin 2021, le juge des référé du tribunal de commerce de Nanterre a :
- débouté Mme L. de sa demande d'expertise de gestion,
- débouté Mme L. de sa demande au titre des questions écrites,
- débouté Mme L. de sa demande au titre de la communication des comptes sociaux des exercices 2015 à 2019,
- condamné Mme L. à payer à la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme L. aux dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration reçue au greffe le 29 juin 2021, Mme L. a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 29 novembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme L. demande à la cour de :
- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté ;
y faisant droit,
- réformer l'ordonnance de référé rendue le 10 juin 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau :
communication des documents sociaux sous astreinte :
à titre principal
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants à la communication complète de l'inventaire, des comptes sociaux et de la proposition d'affectation du résultat pour les années 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, sous astreinte à compter de l'arrêt à intervenir de 500 euros par jour retard, et ajoutant à la décision critiquée, condamner sous la même astreinte à la communication des comptes de l'année 2020 qui auraient dû être adressés au plus tard au 1er juin 2021 ;
à titre infiniment subsidiaire, s'il était considéré que la demande est nouvelle :
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants à la communication complète de l'inventaire et les comptes sociaux pour les années 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 sous astreinte à compter de la décision à intervenir de 500 euros par jour de retard ;
réponse aux questions écrites :
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants à faire une réponse complète et précise aux questions écrites posées, sous astreinte à compter de l'arrêt à intervenir de 500 euros par jour retard ;
expertise de gestion :
vu les articles L. 225-231, alinéa 3, et L. 227-1 du code de commerce,
à titre principal,
- ordonner la désignation d'un ou plusieurs experts qui seront chargés de présenter un rapport sur les opérations de gestion suivantes :
- l'état de réalisation des projets Open Mind Innovation dans lesquels la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi ;
- la réalité des projets financés par ces levées de fonds de Open Mind Innovation dans lesquels la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi ;
- la situation de trésorerie de la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants ;
- la nature et l'objet du contrat du travail, la nature du matériel acheté, la contrepartie de la rémunération d'intermédiaire et l'objet du crédit-bail ;
- dire que l'expert ou les experts pourront, dans le cadre de leur mission, solliciter du président de la société toutes explications et se faire remettre tous documents relatifs à ladite opération de gestion ;
- dire que le ou les experts pourront se faire assister par toutes personnes de leur choix ;
- fixer le délai de remise de ce rapport ainsi que la rémunération du ou des experts désignés, laquelle sera à la charge de la société ;
à titre subsidiaire, s'il était considéré que la demande est nouvelle, de :
- désigner un ou plusieurs experts qui seront chargés de présenter un rapport sur l'opération de gestion visée par l'assignation ;
- dire que l'expert ou les experts pourront, dans le cadre de leur mission, solliciter du président de la société toutes explications et se faire remettre tous documents relatifs à ladite opération de gestion ;
- dire que le ou les experts pourront se faire assister par toutes personnes de leur choix ;
- fixer le délai de remise de ce rapport ainsi que la rémunération du ou des experts désignés, laquelle sera à la charge de la société ;
article 700 du code de procédure civile :
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants à lui rembourser la somme de 2 165,52 euros qui correspond au montant de l'article 700 du code de procédure civile qui a été saisi sur son compte à laquelle s'ajoute les frais d'Axa de 102 euros ;
dépens :
- condamner la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants aux entiers dépens ;
- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Maître Julie G., avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 29 octobre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants demande à la cour, au visa des articles 564 et 1240 du code de procédure civile et L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, de :
- déclarer irrecevables les demandes formées pour la première fois en cause d'appel par Mme L. ;
- confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Nanterre du 10 juin 2021 en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme L. de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner Mme L. à lui payer la somme de 3 000 euros pour appel abusif ;
- condamner Mme L. à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme L. aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les mesures d'investigations demandées
1- Sur la communication des documents sociaux sous astreinte :
Mme L. sollicite la réformation de la décision querellée qui a rejeté sa demande de communication de documents sociaux (inventaire et comptes sociaux de 2015 à 2019) sous astreinte, y ajoutant une demande de communication de documents de même nature pour 2020 et les propositions d'affectation du résultat de 2015 à 2019. Subsidiairement, elle maintient sa demande initiale.
L'appelante sollicite ces documents car elle prétend ne pas avoir été rétribuée par la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants pour un travail qu'elle a effectué depuis 2018 via une autre société qu'elle a créée, la société LM la Vie, pour le compte de la société Women in Africa. Elle indique qu'une procédure en paiement de ces factures est pendante devant le tribunal de commerce.
Accusant M. T., associé majoritaire, de faire payer par la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants le coût des procédures alors que la situation lui est imputable, Mme L. soutient qu'elle n'a dans ce contexte, reçu aucune convocation aux assemblées et ne dispose pas des comptes de la société intimée, contrairement aux droits que lui donne son statut d'associée minoritaire.
Elle conteste toute irrecevabilité qui tiendrait au caractère nouveau des demandes qui constitueraient au contraire « l'accessoire, la conséquence et le complément nécessaire de celles présentées en première instance ».
L'appelante persiste à dire que, contrairement à la demande qui lui en avait été faite 'le 23 novembre 2020", la société intimée n'a communiqué ni les comptes annuels sociaux des exercices 2015 et 2019 ni les propositions d'affectation des résultats, et que seules des informations fiscales lui ont été transmises à la suite de l'assignation. Elle conteste la régularité de la convocation aux assemblées générales. Elle relève qu'il n'est produit aucun procès-verbal d'assemblée générale.
Elle s'oppose dès lors à sa condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants sollicite au contraire la confirmation de l'ordonnance querellée.
L'intimée soulève l'irrecevabilité des demandes en appel seulement, de communication de nouveaux documents (comptes sociaux 2020 et propositions d'affectation du résultat de 2015 à 2020).
Elle constate que Mme L. ne fonde aucunement sa demande.
Sur le fond, selon la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants, Mme L., qui en a été présidente, était parfaitement informée de la tenue des assemblées générales de la société, de leurs modalités et en connaît le fonctionnement, à savoir que les comptes de la société HCM sont établis par un expert-comptable, un commissaire aux comptes ayant en outre, été désigné.
Elle précise avoir communiqué une nouvelle fois à hauteur de cour les documents demandés, avec une attestation de régularité fiscale et l'attestation de fourniture des déclarations sociales.
Sur ce,
Est d'abord questionné le fondement de la demande de communication de ces documents.
Selon l'article L. 223-26 du code de commerce :
'Le rapport de gestion, l'inventaire et les comptes annuels établis par les gérants, sont soumis à l'approbation des associés réunis en assemblée, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice sous réserve de prolongation de ce délai par décision de justice. Si l'assemblée des associés n'a pas été réunie dans ce délai, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal compétent statuant en référé afin d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, aux gérants de convoquer cette assemblée ou de désigner un mandataire pour y procéder.
Les documents visés à l'alinéa précédent, le texte des résolutions proposées ainsi que le cas échéant, le rapport des commissaires aux comptes, les comptes consolidés et le rapport sur la gestion du groupe sont communiqués aux associés dans les conditions et délais déterminés par décret en Conseil d'Etat. Toute délibération, prise en violation des dispositions du présent alinéa et du décret pris pour son application, peut être annulée.
A compter de la communication prévue à l'alinéa précédent, tout associé a la faculté de poser par écrit des questions auxquelles le gérant est tenu de répondre au cours de l'assemblée.
L'associé peut, en outre, et à toute époque, obtenir communication, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, des documents sociaux déterminés par ledit décret et concernant les trois derniers exercices.
Toute clause contraire aux dispositions du présent article et du décret pris pour son application, est réputée non écrite.
Le I de l'article L. 225-100-1 s'applique au rapport de gestion. Le cas échéant, le II de l'article L. 225-100-1 s'applique au rapport consolidé de gestion.'
L'article L. 232-23 du même code précise que :
« Toute société par actions est tenue de déposer au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant l'approbation des comptes annuels par l'assemblée générale des actionnaires ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique :
1° Les comptes annuels, le rapport de gestion, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels, le cas échéant, éventuellement complété de leurs observations sur les modifications apportées par l'assemblée aux comptes annuels qui ont été soumis à cette dernière ainsi que, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés et le rapport du conseil de surveillance ;
2° La proposition d'affectation du résultat soumise à l'assemblée et la résolution d'affectation votée. »
Selon les statuts de la société : « l'Assemblée Générale est convoquée par tous moyens, huit jours au moins avant la date de la réunion et mentionnant le jour, l'heure, le lieu et l'ordre du jour de la réunion. »
Force est de constater que le juge des référés (et la cour en appel), n'a pas été saisi par Mme L. afin qu'il soit donné injonction au gérant de convoquer une assemblée générale ou de déposer les documents sociaux litigieux au greffe du tribunal de commerce et ce, depuis 2016.
Certes les procès-verbaux d'assemblées générales ne sont pas produits, seules les déclarations faites à l'administration fiscale le sont, mais pour autant, outre le fait que l'appelante a attendu pour réagir le 19 février 2020 (sa pièce 3), il n'est nullement démontré avec l'évidence requise que les assemblées générales n'ont pas été tenues, que les associés n'ont pas été valablement convoqués, qu'ils n'ont pas été destinataires des documents litigieux et que ceux-ci n'ont pas été déposés au greffe du tribunal de commerce dans le délai requis, sachant qu'il s'agit d'une exigence légale sanctionnée pénalement, et que Mme L. y a accès sans avoir à recourir au juge des référés.
Au surplus, au regard de la formulation de ses demandes, des 'comptes annuels depuis 2015" (sa pièce 3), Mme L. ne sollicite pas non plus les documents sociaux des 'trois derniers exercices', comme le texte précité l'y autorise.
Enfin, si aux termes de l'article 12 du code de procédure civile, le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, et donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en proposent, il est observé que dans le cas d'espèce, le fondement de la demande de communication n'est en réalité pas précisé ainsi que l'a justement relevé l'intimée.
Dès lors le recours à l'article 145 du code de procédure civile est possible mais il n'est pas davantage opérant, puisqu'il nécessite la démonstration d'un motif légitime et que Mme L. n'apporte dans le cadre de la présente procédure, aucun indice, aucune pièce qui pourrait rendre plausibles les griefs qu'elle formule à l'encontre de la société intimée concernant la non rétribution d'un travail qu'elle aurait effectué depuis 2018 via une autre société qu'elle a créée, la société LM la Vie, pour le compte de la société Women in Africa, qui permettraient d'envisager un procès non voué à l'échec. Elle indique d'ailleurs qu'une procédure en paiement qu'elle a initiée le 26 avril 2021, est pendante devant le tribunal de commerce, ce qui pose la question de la recevabilité de sa demande.
Dans ces conditions, sans même qu'il apparaisse nécessaire d'examiner la recevabilité des demandes de communication en fonction de la nature des pièces réclamées, celles-ci n'apparaissent pas suffisamment fondées et l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a jugé à ce titre.
2 - réponse aux questions écrites :
Mme L. sollicite l'infirmation de l'ordonnance et sollicite une réponse complète et précise aux questions écrites qu'elle a posées dans sa lettre du 23 novembre 2020 sur le paiement du PAS (prélèvement à la source) et les factures émises par la société LM la Vie de 17 316 euros.
La société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants indique en réponse, avoir réglé la somme de 322 euros qui lui était réclamée par le SIE et sur laquelle Mme L. s'interroge.
Elle admet qu'un différend oppose les parties sur le paiement des factures de la société LM la Vie qui fait l'objet d'une instance au fond.
Elle conteste cependant qu'il puisse être fait droit à ces demandes d'information dans le cadre de la présente procédure.
Sur ce,
Selon l'article L. 225-232 du code de commerce: 'Un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent, deux fois par exercice, poser par écrit des questions au président du conseil d'administration ou au directoire sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. La réponse est communiquée au commissaire aux comptes, s'il en existe.'
En l'espèce, c'est sur ce fondement précis que Mme L. a interrogé la société dans sa lettre datée du 19 février 2020 (sa pièce 3), lui indiquant :
« Je m'interroge sur une série de faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.
- Le 10 juillet 2019 le chef du service comptable et responsable du SIE de Levallois Perret m'a écrit en m'informant que « Le PAS des mois de mars et avril est impayé pour un montant total de 322 €. Cette situation est absolument inadmissible, le PAS étant précompté du salaire de vos salariés en vue d'être reversé au Trésor public. A défaut de régularisation immédiate (RIB ci-joint), je prendrai les mesures appropriées. »
- La facture de 17.316,- euros dues à la société LM la Vie n'a pas été payée.
Vous avez affirmé avoir payé le PAS.
En revanche, la facture de LM La vie n'a pas été payée.
Cette situation conduit à s'interroger sur la trésorerie de la société et caractérise des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.
Il vous est donc demandé de justifier de la situation de trésorerie de la société ainsi que les raisons pour lesquelles la facture de 17.316,- euros dues à la société LM la Vie n'a pas été payée et de confirmer que la société est à jour avec le paiement du PAS pour les échéances suivantes.
Je vous rappelle que votre réponse doit être communiquée à AUDEXO es qualité de commissaire aux comptes de Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants. »
Cependant, au dossier figure la preuve du remboursement de cette somme de 322 euros qui lui était réclamée par le SIE (pièce 10 de l'intimée). Par ailleurs, l'existence d'une instance au fond précisément sur les factures émises par la société LM la Vie que la société intimée conteste vigoureusement (cf ses conclusions au fond en pièce 12(2)), empêchent de voir dans les faits dénoncés un obstacle à 'la continuité de l'exploitation' en raison d'un problème de trésorerie, tel qu'allégué dans cette lettre du 19 février 2020.
Dès lors, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a jugé à ce titre.
3 - sur l'expertise de gestion :
Mme L. sollicite toujours la désignation d'un expert sur le fondement des articles L. 225-231, alinéa 3, et L. 227-1 du code de commerce, indiquant que l'examen des liasses fiscales l'a renforcée dans ses doutes concernant l'utilisation des fonds de la société par M. T., en particulier au regard de « la nature et l'objet du contrat du travail, la nature du matériel acheté, la contrepartie de la rémunération d'intermédiaire et l'objet du crédit-bail », se défendant de toute demande nouvelle.
Elle précise que dans sa lettre du '23 novembre 2020", elle a posé des questions restées sans réponse et que ses demandes d'explications et donc d'expertise de gestion portent sur une opération de gestion déterminée, à savoir :
- l'état de réalisation des projets Open Mind Innovation dans lesquels Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants aurait investi à hauteur de 55% de son capital,
- la réalité des projets financés par ces levées de fonds de Open Mind Innovation,
- la situation de trésorerie de Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants,
- la nature et l'objet du contrat du travail.
Selon Mme L., la mission de l'expert qu'elle propose n'est pas trop large et en lien direct avec l'intérêt social.
Elle relève qu'alors que la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants aurait investi à hauteur de 55% de son capital dans cette opération Open Mind Innovation, cet investissement ne figure pas dans les liasses fiscales communiquées et la société n'a pas fourni d'inventaire.
Elle suggère que l'existence d'un contrat de travail au bénéfice de M. Ernesto P. S. pour une société qui n'a pas d'activité, peut être à l'origine d'un abus de majorité qui priverait l'actionnaire minoritaire de tout dividende en décidant de ne rien distribuer mais de payer des salaires, l'achat de matériel, la rémunération d'intermédiaire ou la conclusion d'un crédit-bail.
La société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants estime au contraire, qu'est également nouvelle en appel la modification de la mission demandée à l'expert.
Elle s'oppose à la demande d'expertise de gestion, estimant que Mme L. n'apporte pas la moindre preuve de ses allégations du caractère suspect et des irrégularités des actes de gestion qu'elle évoque ou d'un risque d'atteinte à l'intérêt social.
L'intimée rappelle les règles de l'expertise de gestion.
Elle conteste l'existence d'une opération de gestion qui la concerne et soutient qu'elle aurait été 'imaginé(s) par Mme L. pour les besoins de la cause'. Elle conteste même avoir recruté M. Ernesto P. S., effectué la moindre étude préliminaire sur les neuromarqueurs du stress, lancé un appel d'offre auprès de fabricants d'EEG ou encore avoir collecté des fonds auprès de la BPI et de l'Agence de Développement de la Normandie. Selon l'intimée, les faits allégués sont de surcroît anciens, puisque datant de 2016.
Elle affirme que la société Open Mind Innovation est une entité juridique distincte dont elle actionnaire mais qui lui est étrangère, Mme L. ne cherchant à obtenir des éléments d'information sur sa valorisation, que dans la perspective de la procédure de divorce.
Sur ce,
Dans sa lettre en réalité datée du 19 février 2020 (sa pièce 3), Mme L., rappelant les textes applicables (L. 225-231 du code de commerce) a posé les questions suivantes :
« Question préalable à une expertise de gestion
La société a notamment investi dans Open Mind Innovation.
Vous avez notamment déclaré :
- En 2016 vouloir recruter Ernesto P. S., lancé une étude préliminaire sur les neuromarqueurs du stress, lancer des appels d'offre auprès des fabricants d'EEG pour vos premiers sets d'équipement
- Avoir collecté 2,6 millions de fonds provenant notamment de la BPI et de l'Agence de Développement de la Normandie.
Mme L. est en droit de :
- Connaître l'état de réalisation des projets que vous aviez présenté en 2016
- S'assurer de la réalité des projets financés par ces levées de fonds.
Mme L. s'interroge en effet sur la réalité et le sérieux des études conduites avec des fonds publics »
Selon l'article L. 225-231 du code de commerce :
' Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public, le comité d'entreprise et, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, l'Autorité des marchés financiers peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance ainsi que, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, à l'Autorité des marchés financiers. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité.'
Ces dispositions qui concernent les sociétés anonymes sont applicables aux sociétés par actions simplifiées en application de l'article L. 227-1, alinéa 3, du code de commerce.
La recevabilité de la demande d'expertise de gestion n'est pas questionnée, seuls le sont le bien-fondé de la demande et l'étendue de la mission qui serait éventuellement confiée à l'expert ; à ce stade du raisonnement, cette question de la recevabilité apparaît donc secondaire. Il sera simplement observé qu'en première instance, Mme L. demandait dans son assignation introductive, des explications sur :
'- l'état de réalisation des projets Open Mind Innovation dans lesquels Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi
- la réalité des projets financés par ces levées de fonds de Open Mind Innovation dans lesquels Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi,
- la situation de trésorerie de Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants.' (Cf pièce 5 (1) de l'intimée)
Dès lors, l'acte de gestion qui est ' la réalisation des projets Open Mind Innovation dans lesquels Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi' apparaît suffisamment identifié.
Cependant, 'la juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion n'est tenue de l'ordonner que si elle relève des présomptions d'irrégularité affectant une ou plusieurs opérations déterminées'. (arrêt de la Cour de cassation n°86-17.040)
Il incombe à Mme L. en sa qualité d'actionnaire minoritaire requérante, d'en apporter la preuve.
L'éventuel défaut de communication des documents sociaux ou de preuve de la bonne tenue des assemblées générales n'apporte pas, au regard des développements ci-dessus exposés, de présomptions suffisantes d'irrégularités. Pour la même raison, l'éventuelle existence d'impayés (PAS et créance de la société LM la Vie) ne représente pas une preuve suffisante de difficultés de trésorerie.
Au regard de l'explication donnée par l'intimée sur l'existence d'une autre société qu'elle contrôlerait néanmoins, la société Open Mind Innovation qui est effectivement une entité juridique distincte qui lui est étrangère, le fait que l'investissement n'apparaisse pas dans les liasses communiquées n'est pas non plus un indice suffisant d'irrégularité.
En page 20 de ses conclusions, Mme L. présente un tableau, fruit de l'analyse des liasses fiscales qui lui ont été finalement communiquées en cours d'instance, dont il résulte l'existence de charges salariales en augmentation, rien en 2016 et 2017, puis 19 968 euros en 2018 et 47 175 euros en 2019, de rémunération intermédiaire (5 398, 3 680, 7 287 puis 6 812 euros entre 2016 et 2019) et des achats de matériel (2 051, 3 661, 5 712 puis 2 051euros entre 2016 et 2019), en diminution cependant.
Cependant s'il existe un contrat de travail ou même des achats de matériel ou rémunération intermédiaire constitutifs éventuellement d'abus du dirigeant ainsi que le soutient Mme L. en page 21 de ses conclusions, il s'agit d'actes de gestion à part entière sur lesquels il sera retenu qu'aucune question préalable, étape obligatoire, n'a été posée.
Ces éléments d'information donnés en cours de procédure par la consultation des liasses fiscales sont en conséquence insuffisants, même en présence d'un déficit fiscal de 10 374 euros en 2019, la preuve n'étant nullement rapportée par ailleurs d'une absence d'activité de la société, celle-ci affichant un chiffre d'affaires net en 2019 de 65 260 euros (pièce 14 de l'intimée), seul le total des charges d'exploitation (79 510 euros dont 47 175 euros de charges salariales) expliquant le résultat d'exploitation de - 10 374 euros.
Dès lors, il sera considéré qu'aucune preuve autre que simplement déclarative dans sa lettre datée du 19 février 2020, n'est donnée par Mme L. des irrégularités qu'elle allègue au sujet du seul acte de gestion pour lequel elle est en droit de demander des explications (la réalisation des projets Open Mind Innovation dans lesquels Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants a investi).
L'éventuelle menace de l'intérêt social n'est en outre pas davantage démontré par les éléments d'information fournis par l'appelante, de sorte que l'ordonnance sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
La société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants sollicite le paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, en l'absence de fondement de l'action engagée par Mme L. et en soulignant qu'un contentieux au fond est en cours.
Le droit de défendre ses intérêts en justice ne dégénère cependant en abus de nature à justifier l'allocation de dommages-intérêts qu'en cas d'attitude fautive génératrice d'un dommage, de mauvaise foi ou d'intention de nuire ou d'une erreur grossière sur ses droits.
Une telle preuve n'est pas rapportée à l'encontre de l'appelante et la demande de dommages-intérêts formée par l'intimée doit être rejetée.
Mme L. qui n'a pas établi que sa demande de communication des documents sociaux était valablement fondée, échouant en effet dans la démonstration que les textes qu'elle avait cités pouvaient être utiles à cet égard, bien que les liasses fiscales n'aient été communiquées pour la première fois qu'au cours de la procédure en première instance, sera effectivement déboutée de ses demandes relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance et l'ordonnance sera confirmée en ses dispositions à ce titre.
Partie perdante, Mme L. devra en outre supporter les dépens d'appel avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Il est en outre inéquitable de laisser à la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, Mme L. ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance rendue le 10 juin 2021,
Y ajoutant,
Condamne Mme Marine L. à payer à la société Hyacinthe-Charles Mozet & Descendants la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Dit que Mme Marine L. supportera la charge des dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.