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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 14 janvier 2021, n° 20/00197

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

WPD Offshore GmbH (Sté)

Défendeur :

Eoliennes Offshore des Hautes Falaises (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Le Bras, Mme Igelman

T. com. Nanterre, du 31 déc. 2019, n° 20…

31 décembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE,

La SAS EDF Renouvelable France (EDF R) a répondu à l'appel d'offres de l'Etat français du 11 juillet 2011 pour la construction et l'exploitation de sites de production d'électricité par des éoliennes au large des côtes de la Manche et de l'Atlantique.

Le 18 novembre 2010, EDF R avait conclu avec le groupe Alstom un contrat 'Memorandum of Understanding' fixant les principes d'un partenariat industriel exclusif pour la fourniture de turbines.

EDF R a créé avec la société Enbridge qui est une société canadienne, chacune détenant la moitié des actions, une filiale, la SAS Eolien Maritimes France (EMF).

Le 10 janvier 2012, EDF R a pris des participations majoritaires via sa filiale EMF dans deux sociétés de projet qui avaient été créées par la société de droit allemand WPD Offshore GmbH (WPD) : 85 % dans la SAS Eoliennes Offshore du Calvados (EOC) opérant sur le site situé au large de Courseulles-sur-Mer et 70% dans la SAS Eoliennes Offshore des Hautes Falaises (EOHF) opérant sur le site situé au large de Fécamp, WPD restant actionnaire pour les pourcentages restants : 15 % dans EOC et 30 % dans EOHF.

EMF détient également la totalité des actions dans une autre société de projet, la société du Parc Eolien du Banc de Guérande (PEBG), qui opère sur le site de Saint-Nazaire.

EOC et EOHF, comme EMF, sont présidées par EDF R.

Le 10 janvier 2012, EMF et WPD ont conclu un pacte d'actionnaires aux termes duquel il est convenu que WPD contribuera à la préparation de l'appel d'offres et qu'EMF soumettra une offre portant sur les 4 sites.

Par arrêtés ministériels du 18 avril 2012, 1'Etat français a attribué à EMF les sites de Fécamp, de Courseulles-sur-Mer et de Saint-Nazaire.

Les transferts aux sociétés de projet des autorisations administratives d'exploitation des sites résultent d'un arrêté ministériel daté du 6 novembre 2012.

Le 30 avril 2015, EMF et le groupe Alstom ont conclu un contrat-cadre (ci-après, 'le contrat-cadre Alstom') pour la fourniture de turbines Haliade 150-6MW aux 3 sites.

En 2015 le groupe General Electric a racheté la branche Energie d'Alstom et repris les engagements de cette dernière au travers de sa filiale GE Wind France (GE).

Le calendrier des travaux a été retardé par des recours d'associations contre les projets devant les juridictions administratives.

En septembre 2018, GE a indiqué à EMF qu'elle renonçait à fournir deux des trois sites éoliens au motif qu'elle ne pouvait plus retarder son projet de production d'un nouveau modèle de turbines qui avait été empêché jusque-là par l'absence de livraison de la commande des turbines Haliade 150-6MW destinées à équiper les trois projets de parc éolien du fait des recours administratifs.

Se sont alors ouvertes entre EMF et GE des négociations et le 28 mars 2019 a été signé un 'Memorandum of Understanding' (ci-après, 'le MoU GE'), prélude à la conclusion d'un protocole transactionnel (ci-après 'le protocole transactionnel') détaillé, aux termes duquel :

- la clause d'exclusivité dont bénéficiait GE est levée de manière à permettre la conclusion d'un accord avec un nouveau fournisseur ;

- GE ne fournira des turbines que pour un seul des 3 projets, à savoir le premier purgé de tous les recours administratifs pendants devant le Conseil d'Etat ;

- GE versera une indemnité transactionnelle au titre de chacun des deux autres projets.

Parallèlement, EMF a entamé des négociations avec la société Siemens Gamesa Renewable Energy (SGRE), filiale du groupe Siemens, pour la fourniture de turbines de substitution.

Le 16 avril 2019, EMF et SGRE ont conclu ainsi un contrat-cadre (ci-après 'le contrat-cadre SGRE') pour la fourniture de turbines aux deux projets non approvisionnés par GE.

Le Conseil d'Etat a rejeté les recours des associations le 7 juin 2019, s'agissant du projet de Saint-Nazaire et le 24 juillet 2019, s'agissant des 2 autres projets.

Le 13 avril 2019, WPD, se fondant sur l'article L. 225-231 du code de commerce, a adressé par lettre recommandée avec accusé de réception à EDF R, en sa qualité de présidente de la société EOHF, plusieurs 'questions écrites liées aux renégociations en cours relatives à la fourniture des turbines du parc éolien'.

Considérant que les réponses apportées par EDF R dans sa lettre datée du 7 mai 2019 étaient insuffisantes, par acte d'huissier de justice délivré le 13 septembre 2019, WPD a fait assigner EOHF aux fins d'obtenir principalement de voir ordonner une expertise de gestion.

Par ordonnance contradictoire rendue en la forme des référés le 30 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a :

- rejeté toutes les demandes de la société WPD Offshore GmbH,

- condamné la société WPD Offshore GmbH à verser à la société EOHF la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société WPD Offshore GmbH aux entiers dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 13 janvier 2020, la société WPD Offshore GmbH a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a rappelé que l'exécution provisoire est de droit. (RG 20-197)

Dans le même temps, une procédure identique a été engagée par WPD à l'encontre d'EOC, également pendante devant cette cour (RG 20-195).

Dans ses conclusions déposées le 28 octobre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, WPD demande à la cour, au visa des articles L. 225-231, L. 227-1 et R. 225-163 du code de commerce et y ajoutant par rapport à ses conclusions déposées le 28 octobre précédent, de l'article 145 du code de procédure civile, de :

- la dire recevable en son appel ;

- dire que les éléments communiqués par le président d'EOHF en réponse aux questions écrites qu'elle lui a posées ne sont pas satisfaisants ;

- dire que les trois opérations de gestion visées par la présente demande sont précisément identifiées et comprennent :

(1) la conclusion et l'exécution du contrat-cadre conclu entre EMF et GE le 30 avril 2015 dont l'objet est la production et la fourniture, par GE de turbines éoliennes de type Haliade 150-6MW destinées à équiper les trois projets de parc éolien ;

(2) les renégociations des termes du contrat-cadre du 30 avril 2015 intervenues entre EMF et GE ayant abouti à la conclusion du 'Memorandum of Understanding' en date du 28 mars 2019 et du Protocole Transactionnel ;

(3) les négociations intervenues entre EMF et SGRE visant à pallier l'inexécution par GE de ses obligations contractuelles et ayant abouti à la conclusion du 'Framework Agreement' (contrat-cadre) avec SGRE le 16 avril 2019 ;

en conséquence,

- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 31 décembre 2019 en toutes ses dispositions ;

et statuant de nouveau,

- dire qu'il y a lieu d'ordonner une expertise de gestion sur les trois opérations de gestion suivantes :

1. la conclusion et l'exécution du contrat-cadre conclu entre EMF et GE le 30 avril 2015, dont l'objet est la production et la fourniture, par GE de turbines éoliennes de type Haliade 150-6MW destinées à équiper les trois projets de parc éolien ;

2. les renégociations des termes du contrat-cadre du 30 avril 2015 intervenues entre EMF et GE ayant abouti à la conclusion du 'Memorandum of Understanding' en date du 28 mars 2019 et du Protocole Transactionnel ;

3. les négociations intervenues entre EMF et SGRE visant à pallier l'inexécution par GE de ses obligations contractuelles et ayant abouti à la conclusion du 'Framework Agreement' (contrat-cadre) avec SGRE le 16 avril 2019 ;

les chefs de mission de l'expert désigné devront notamment comprendre la rédaction d'un rapport portant sur :

- la potentielle faute de gestion commise par le président d'EOHF ayant laissé EMF, en dépit du conflit d'intérêts manifeste résultant de sa qualité d'actionnaire majoritaire de la société et d'actionnaire unique d'un projet de parc éolien concurrent basé à Saint-Nazaire, négocier et conclure des accords contractuels avec les fournisseurs de turbines sans mandat, ni pouvoir, ni autorité ;

- les documents justifiant du pouvoir et de la capacité d'EMF de conclure les différents accords contractuels avec les fournisseurs de turbines pour le compte de la société ;

- les raisons justifiant qu'EOHF, par l'intermédiaire de son président, n'ait pas été impliquée dans les discussions menées avec les fournisseurs de turbines (GE et SGRE) ;

- les raisons invoquées par GE pour revenir sur les engagements que cette dernière avait pris dans le cadre du contrat-cadre et les moyens juridiques mis en oeuvre pour tenter de contraindre GE d'exécuter ses obligations contractuelles ;

- les moyens mis en oeuvre par le président d'EOHF pour s'assurer de la défense de l'intérêt social dans le cadre de ces négociations avec les fournisseurs de turbines, eu égard à l'importance stratégique de la fourniture de turbines dans le projet qu'elle est en charge de développer ;

- les conséquences exactes, techniques et financières, du changement de technologie de turbines sur la pertinence économique et la pérennité du projet ;

- les moyens mis en oeuvre par le président d'EOHF pour limiter l'impact de ce changement de technologie des turbines devant être intégrées au parc éolien ;

- la matérialité des indemnités transactionnelles, versées par GE à EMF au titre du 'Memorandum of Understanding' et du Protocole Transactionnel et la pertinence du montant de ces indemnités eu égard au préjudice subi par EOHF ;

- les raisons et la pertinence du choix de sélectionner le premier projet purgé de tout recours administratif devant le Conseil d'État comme projet éolien devant bénéficier des turbines fabriquées par GE, eu égard à l'avancée et au développement des trois projets concurrents ;

- la pertinence et la régularité de la refacturation, à EOHF, de certains coûts relatifs au contrat-cadre conclu avec GE et/ou au Projet Saint-Nazaire bénéficiant, in fine, des turbines GE ;

- désigner un expert judiciaire qu'il lui plaira avec pour mission de :

(1) se rendre en tous les lieux et notamment dans les locaux d'EOHF, dont le siège social est situé C'ur Défense ' Tour B, 100 Esplanade du Général de Gaulle, 92932 Paris la Défense Cedex, et dans les locaux de son président, EDF R, dont le siège social est situé Coeur Défense ' Tour B, 100 Esplanade du Général de Gaulle, 92932 Paris la Défense Cedex, aux fins d'exécution de sa mission ;

(2) convoquer et entendre les parties ou tout sachant qu'il estimera nécessaire ;

(3) se faire remettre tous les documents qu'il estimera nécessaire à l'accomplissement de sa mission et, en particulier :

- les contrats conclus avec GE et SGRE et visés dans la mission de l'expert ;

- les correspondances échangées entre les parties sur la conclusion de ces contrats ;

- les livres, factures, et autres documents comptables pertinents ;

(4) procéder à toutes recherches utiles auprès des tiers parties aux différents contrats visés, GE et SGRE, dans la mesure où les opérations de gestion se rapportent à des transactions effectuées avec ces entités ;

(5) recueillir l'avis de tout autre technicien d'une spécialité distincte de la sienne s'il l'estime nécessaire ;

(6) donner son avis sur les présomptions d'irrégularités qu’elles ont soulevées dans le cadre de la présente demande et les potentielles responsabilités qui pourraient être encourues ;

(7) donner son avis sur les préjudices éventuellement subis par EOHF ;

(8) déposer son rapport sur les opérations de gestion identifiées au greffe de la cour d'appel de Versailles dans un délai de quatre mois suivant la date de sa saisine ;

- dire que les honoraires de l'expert désigné seront mis à la charge d'EOHF ;

en tout état de cause,

- condamner EOHF à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Oriane D., JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 16 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, WPD y ajoute après le chef de mission qu'elle veut voir confier à l'expert sur 'la pertinence et la régularité de la refacturation, à EOHF, de certains coûts relatifs au contrat-cadre conclu avec GE et/ou au Projet Saint-Nazaire bénéficiant, in fine, des turbines GE', une demande tendant à :

à titre subsidiaire, et si ce chef de mission n'entre pas dans le cadre de l'expertise de gestion en raison de l'absence de questions écrites adressées au organes sociaux de la société préalablement à la saisine du juge de première instance, à désigner un expert judiciaire ayant pour mission de rendre un rapport sur ce chef de mission, et ce, au visa de l'article 145 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le10 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, EOHF demande à la cour, au visa des articles L. 225-231, L. 227-1 et R. 225-163 du code de commerce, de :

à titre principal,

- déclarer caduque la déclaration d'appel de WPD ;

subsidiairement,

- déclarer mal fondée l'appel de WPD l'en débouter ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre le 31 décembre 2019 ;

- rejeter l'ensemble des demandes de WPD ;

en tout état de cause,

- condamner WPD à lui verser la somme de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Christophe D., avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2020.

Par des conclusions de procédure déposées le 18 novembre 2020, EOHF demande à voir déclarer irrecevables les conclusions de WPD déposées le 16 novembre 2020.

Par des conclusions de procédure déposées également le 18 novembre 2020, WPD demande à la cour de débouter EOHF de sa demande.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

La cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater que' ou 'juger que' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques.

Il est aussi précisé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

1 - Sur la caducité de l'appel

EOHF prétend que la déclaration d'appel de WPD est caduque dès lors que l'appelante n'a pas conclu dans le délai légal qui a expiré le 5 mai 2020 en application de l'article 905-2 du code de procédure civile, précisant que ce délai avait déjà été prolongé par le délai d'extranéité de l'article 911-2 du code de procédure civile.

WPD estime au contraire avoir respecté le délai légal qui lui était imparti pour régulariser ses premières conclusions d'appelant, délai qui a expiré durant la période d'état d'urgence sanitaire.

Sur ce,

Selon l'article 905-2 du code de procédure civile : 'A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe'. Selon l'article 911-2 du même code, ce délai est augmenté de deux mois si l'appelant demeure à l'étranger.

Il n'est pas discuté que WPD est domiciliée en Allemagne, que l'avis de fixation faisant courir son délai pour conclure a été envoyé le 5 février 2020 et que l'appelante a conclu pour la première fois le 23 juillet suivant.

Cependant l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 en date du 25 mars 2020 dispose que : "Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er (un mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire) sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois".

L'article 1er de l'Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire indique en a), qu'au I, les mots : 'l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée » se substituent les mots : « le 23 juin 2020 inclus'.

Ces textes s'appliquent à tous les délais de procédure devant la cour d'appel avec représentation obligatoire impartis à peine de caducité de la déclaration d'appel, y compris à celui prorogé par l'article 911-2. La prorogation des délais s'applique aux délais arrivés à échéance pendant la période juridiquement protégée.

En conséquence, le délai de l'appelante pour conclure qui aurait expiré le 5 mai 2020 en application des articles du code de procédure civile, a été prorogé au 23 juillet 2020, de sorte qu'aucune caducité de l'appel ne sera retenue.

2 - Sur la recevabilité des conclusions de WPD

EOHF prétend que les conclusions déposées par WPD le 16 novembre 2020 par lesquelles l'appelante forme une nouvelle demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile sont irrecevables, d'une part car tardives en application des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, d'autre part comme contrevenant à l'effet dévolutif d'appel, cette prétention ne figurant ni dans son acte introductif d'instance, ni dans ses dernières conclusions de première instance, ni dans ses premières conclusions devant la cour.

WPD estime que ses dernières conclusions déposées en réponse aux conclusions de l'intimée du 10 novembre précédent ne contreviennent pas au principe du contradictoire, s'agissant seulement de 'conclusions en réponse', et n'empêchaient pas l'intimée d'y répondre avant l'ordonnance de clôture.

Sur ce,

Selon l'article 16 du code de procédure civile : 'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.'.

Selon l'article 15 du code de procédure civile : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.'.

En application de ce texte, le juge a le pouvoir d'écarter des débats des conclusions de dernière heure.

Il n'est pas discuté que chacune des parties avait connaissance de la date de l'ordonnance de clôture et des débats, la date du 12 novembre pour la clôture ayant été décalée au 17 novembre, celle des débats restant fixée au 18 novembre, justement pour permettre à l'appelante de répondre aux conclusions de l'intimée du 10 novembre précédent.

La lecture des conclusions litigieuses remises le 16 novembre 2020 permet d'identifier les ajouts par rapport aux précédentes par un trait en marge ainsi que le rappelle en page 2 WPD dans ses conclusions de procédure en réponse. Ces ajouts figurent en pages 24, 26, 32, 37, 47, 48, 55 et 59. À l'exception de l'ajout figurant en page 24, tous concernent une refacturation supposée indue de frais par EMF à EOHF.

Aux termes du dispositif, il existe une nouvelle demande formée à titre subsidiaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile qui ne figurait pas dans ses conclusions précédentes et qui serait justifiée par la nécessité de procéder à des investigations supplémentaires sur cette refacturation indue de frais par EMF à EOHF, sujet sur lequel WPD admet n'avoir que le 15 septembre 2020 interrogé EOHF par une nouvelle question écrite.

Or ni cette information, ni aucun élément apparu en cours de procédure allégué par l'appelante ne justifient qu'elle ait attendu la veille de la clôture pour déposer des conclusions formant cette nouvelle demande d'expertise, cette fois sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Il sera retenu que ces conclusions en raison de cette prétention nouvelle, rendaient nécessaire une réponse de l'intimée. Elles ne sont pas en effet seulement, une réponse apportée aux conclusions adverses, à l'exception de l'ajout figurant en page 24 qui concerne l'information donnée par EOHF à WPD dans le cadre de la décision finale d'investissement (FID).

Or l'ordonnance de clôture étant fixée au 17 novembre 2020, pour des plaidoiries fixées au lendemain, le délai donné à l'intimée pour conclure en réponse ne peut être jugé suffisant, de sorte que faute d'être conformes au principe du contradictoire qui préside aux débats et que la cour doit veiller à faire respecter, sans qu'il apparaisse nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés tenant notamment, à l'absence d'effet dévolutif, les conclusions de l'appelante déposées le 16 novembre 2020 seront déclarées irrecevables, à l'exception toutefois de l'ajout figurant en page 24 matérialisé par un trait en marge.

3 - Sur le bien fondé de la demande d'expertise de gestion

WPD prétend que des présomptions d'irrégularités affectent les opérations de gestion dont pourrait résulter un risque d'atteinte à l'intérêt social de la société. Elle sollicite une expertise de gestion, mesure qu'elle estime utile pour assurer la protection de l'intérêt social d'EOHF.

Aux termes du dispositif de ses conclusions, WPD identifie trois opérations de gestion litigieuses :

1. la conclusion et l'exécution du contrat-cadre conclu entre EMF et GE le 30 avril 2015, dont l'objet est la production et la fourniture par GE de turbines éoliennes de type Haliade 150-6MW destinées à équiper les trois projets de parc éolien ;

2. les renégociations des termes du contrat-cadre du 30 avril 2015 intervenues entre EMF et GE ayant abouti à la conclusion du 'Memorandum of Understanding' en date du 28 mars 2019 et du Protocole Transactionnel ;

3. les négociations intervenues entre EMF et SGRE visant à pallier l'inexécution par GE de ses obligations contractuelles et ayant abouti à la conclusion du 'Framework Agreement' (contrat-cadre) avec SGRE le 16 avril 2019.

Elle précise qu'une faute de gestion a été commise par le président d'EOHF, à savoir EDF R, qui a laissé EMF négocier et conclure des accords contractuels avec les fournisseurs de turbines des sociétés de projet, sans aucun mandat donné par leurs représentants légaux, ni pouvoir, ni autorité et en dépit du conflit d'intérêts. Elle défend en effet l'idée qu'EMF disposant d'une position dominante dans les sociétés de projet en sa qualité d'actionnaire majoritaire d'EOC et d'EOHF et d'actionnaire unique de celle implantée à de Saint-Nazaire, avait tout intérêt à privilégier cette dernière.

Elle entend faire valoir que le seul fondement au prétendu mandat évoqué par EOHF n'est qu'une obligation d'information prise par EMF envers WPD, aux termes du pacte d'actionnaires conclu entre ces deux sociétés le 10 janvier 2012, mais soutient que cette clause ne constitue ni un mandat de représentation ni un engagement pris par EOHF. Elle réfute l'hypothèse d'un mandat tacite.

Elle allègue l'existence d'une promesse de porte-fort prise par EMF envers le fournisseur de turbines conforme à l'article 1121 du code civil, où EMF agit en qualité de stipulant, Alstom en qualité de promettant et chaque société de projet en qualité de tiers bénéficiaires dont elle tire en page 37 de ses conclusions, une logique de cohérence avec l'absence de mandat.

Elle souligne le risque de confusion de patrimoine entre les sociétés de projet alors que s'impose la nécessité que chacune soit administrée et gérée conformément à son propre intérêt social, indépendamment du bon vouloir d'EMF, leur associée majoritaire.

Elle allègue des carences des organes sociaux, une rétention d'information vis-à-vis d'elle-même dont il serait résulté une violation de l'article 14 des statuts d'EOHF (page 39 de ses conclusions) et même la mise à disposition d'informations erronées par le président de la société dans son rapport de gestion le 28 février 2019 (page 40). Ainsi elle relève que si les associés ont approuvé le projet de Contrat Cadre, au cours d'une assemblée générale d'associés qui s'est tenue le 5 décembre 2014 :

- le comité de direction s'est réuni le 22 mars 2019 pour approuver les termes du MoU négocié avec GE mais sur la seule base de la présentation de trois pages adressée préalablement à ses représentants,

- seulement deux pages de présentation lui ont été adressées pour l'assemblée générale des associés qui s'est tenue le 4 avril 2019, aux termes de laquelle il était acté que GE ne fournirait des turbines que pour un seul des trois projets de parcs éoliens (Saint-Nazaire, Fécamp ou Courseulles-sur-Mer), à savoir le premier qui serait purgé de tous les recours administratifs actuellement pendants devant le Conseil d'État et que GE verserait à EMF une indemnité transactionnelle à hauteur de 50 millions d'euros par projet, admettant que finalement cette indemnité serait versée aux sociétés de projet mais estimant toujours non justifié son montant,

- le projet de contrat mentionné n'était pas annexé à la convocation de l'assemblée générale qui s'est tenue le 15 avril 2019 aux fins d'approbation des termes de l'accord-cadre (Framework Agreement) avec SGRE.

L'actionnaire minoritaire revendique un droit de regard sur les négociations menées avec GE. Il prétend que les sociétés de projets seront in fine les acquéreurs de ces turbines, tiers bénéficiaires du Contrat Cadre via une promesse de porte-fort et ne peuvent donc pas être exclues de ces négociations.

En outre, selon WPD, EMF savait pertinemment que le projet Saint-Nazaire était le plus avancé, en raison d'un calendrier particulièrement opportun du Conseil d'État, et qu'elle a choisi sciemment le critère de la fin des recours pour que la société de projet dont elle est actionnaire à 100 % bénéficie des turbines GE.

Elle reproche à EDF R, présidente d'EOHF, de ne pas avoir pris l'exacte mesure des conséquences financières négatives que le changement de fournisseur de turbines pourrait occasionner au projet porté par la société, aucune information concrète ni donnée chiffrée ne lui ayant été communiquée, la présidente se contentant d'indiquer que ce changement aurait 'un impact limité sur la rentabilité des projet' alors que s'imposait ne serait-ce que la nécessité d'une autorisation administrative complémentaire, avec le risque de nouveaux recours et de nouveaux retards.

Elle soutient aussi en page 31 de ses conclusions qu'au delà du mandat donné à EMF par EDF R, les négociations contractuelles et la conclusion des contrats avec les turbiniers sont bien des opérations de gestion menées par les organes sociaux d'EOHF, via son mandataire, et qu'en soumettant ces contrats conclus par EMF à l'approbation du comité de direction d'EOHF et de son assemblée générale d'associés, EOHF a repris à son compte ces engagements contractuels, de sorte que ces derniers font nécessairement partie des opérations de gestion d'EOHF.

Elle précise que l'expertise de gestion peut porter sur les décisions soumises à l'approbation de l'assemblée générale des associés, puisqu'une simple intervention de l'assemblée, en aval, ne suffit pas à exclure la qualification d'opération de gestion.

Elle prétend par ailleurs que des frais afférents à l'opération de Saint-Nazaire ont été facturés à EOHF (408 000 euros au titre des honoraires de Linklaters).

Elle conteste enfin que la présente instance serait liée à son obligation in fine de remboursement d'une partie des coûts de développement conformément au pacte.

EOHF rétorque tout d'abord, qu'une telle expertise de gestion ne peut être sollicitée par l'actionnaire minoritaire d'une société fille par rapport à un acte de gestion de la société mère, ce qui est le cas en l'espèce, les actes de gestion critiqués ayant été passés par EMF, actionnaire d'EOHF dans laquelle WPD est actionnaire minoritaire.

Elle soulève l'irrecevabilité d'une partie des demandes de WPD dès lors que les chefs de mission concernés n'ont pas fait l'objet de questions écrites préalables et dès lors qu'il a été répondu de manière satisfaisante à ses questions écrites.

EOHF prétend en outre, que cette expertise de gestion est totalement inutile puisque WPD a reçu toute l'information possible sur le changement de turbines et ses conséquences dans le cadre de sa décision finale d'investissement (FID) qu'elle a confirmée.

Elle prétend que la contestation de WPD est tardive puisque la structure actionnariale et le dispositif de négociation étaient actés dès l'entrée d'EMF au capital d'EOHF.

Sans prétendre qu'EMF ait explicitement disposé d'un mandat de sa part, EOHF précise qu'EMF était le seul interlocuteur du fournisseur de turbines et ce, dès 2010, bien en amont de l'entrée au capital d'EOHF et EOC et du dépôt de l'offre intervenue le 12 janvier 2012, et qu'elle avait pour rôle de négocier un contrat-cadre relatif aux trois sociétés de projet. Elle revendique l'existence d'un acord tacite depuis 2012. Elle rappelle qu'il n'a jamais été question que les sociétés de projet négocient en direct avec Alstom les conditions de l'accord-cadre relatif aux turbines. Elle rappelle qu'elle était la seule à pouvoir le faire puisqu'elle était initialement la seule titulaire des autorisations administratives d'exploiter les projets qui lui ont été attribués aux termes de l'appel d'offres.

L'intimée indique qu'aux termes du pacte d'actionnaire, EMF a une obligation d'information de l'actionnaire minoritaire (clause 8.5 du pacte) et que par conséquent, elle est compétente et dispose de tous pouvoirs pour conclure un contrat-cadre avec les fournisseurs de turbines (Alstom puis GE puis SGRE) pour le bénéfice des sociétés de projet.

Elle soutient qu'une expertise de gestion ne peut pas porter sur les relations juridiques entre les sociétés d'un groupe.

Elle affirme que le Framework Agreement du 30 avril 2015 a été négocié en toute transparence vis-à-vis des actionnaires d'EOHF qui a approuvé ses termes et conditions comme cela ressort des procès-verbaux des assemblées générales et des comités de direction (MB) dont elle rappelle la composition aux termes du pacte en son article 4 : cinq membres (trois nommés par EMF et deux par WPD).

Elle indique qu'aux termes de ses statuts le comité de direction de la société de projet doit donner son accord à la majorité simple pour toutes les décisions entraînant une charge de plus de 100 000 euros pour EOHF.

Tout comme l'appelante, EOHF admet une promesse de porte-fort d'EMF envers Alstom et en justifie l'existence par l'obligation qu'elle fait naître pour Alstom vis-à-vis de la société de projet, soutenant que c'est sans rapport avec l'existence ou pas d'un mandat.

Elle avance l'hypothèse que l'initiative de la présente instance s'inscrit dans la perspective du remboursement par WPD de la quote-part des dépenses de développement et de la prime due en cas de décision finale d'investissement (FID) positive.

L'intimée justifie la décision de GE de revenir sur ses engagements pris dans le cadre du Framework Agreement, souscrivant à la position prise par le juge initialement saisi qui a indiqué : 'GE a informé EMF de son intention de ne pas respecter ses engagements au titre du Contrat-cadre Alstom au motif qu'après avoir dû, pendant plusieurs années, à la demande d'EMF, différer l'exécution de la commande de turbines en raison des recours administratifs en cours, elle ne pouvait retarder plus longtemps la conversion de son usine à la production de turbines de nouvelle génération'.

Elle indique qu'une confidentialité absolue des négociations lui a été imposée par GE, le MoU ayant d'abord été négocié et établi, document traçant les grandes lignes d'un futur accord transactionnel entre EMF et GE, puis un accord transactionnel définitif, le Settlement Agreement, ayant ensuite été négocié, ses termes ayant été communiqués à WPD et soumis à la validation de l'assemblée générale d'EOHF. Elle soutient avoir fait des efforts pour informer l'actionnaire minoritaire qui a cependant voté contre la mise en oeuvre du MoU lors du comité de direction du 22 mars 2019 et ce, contre l'intérêt social.

Elle ajoute que l'approbation du Settlement Agreement a été soumise aux actionnaires lors de l'assemblée générale du 9 juillet 2019 et que WPD a pu le consulter, le vérifier et l'analyser chez ses avocats.

Elle entend faire valoir qu'elle a cherché une solution alternative de fourniture de turbines qu'elle a trouvée auprès de SGRE, solution dont elle entend minimiser l'impact (aucun nouvel arrêté n'a été nécessaire qui aurait pu susciter des recours et donc des retards) et qui aurait été approuvée par WPD, en tant qu'associé, par voie d'une décision unanime des associés au sein d'un comité de direction en date du 5 octobre 2018. Elle reconnaît que WPD s'est opposée à la résolution relative à l'approbation des termes du Framework Agreement avec SGRE.

Elle soutient qu'au 15 avril 2019, il était prévisible que le projet de Fécamp serait le premier concerné par une décision du Conseil d'État purgeant les recours intentés par les associations opposantes et que ce calendrier a ensuite été modifié indépendamment de la volonté d'EMF et de la direction d'EOHF. Elle prétend donc que les raisons de lancer en priorité le projet bénéficiant le premier de la décision du Conseil d'État sont objectives et connues des associés.

Selon l'intimée enfin, une solution transactionnelle a été recherchée dans l'intérêt social des sociétés de projet qui ne bénéficiaient pas des turbines GE.

Sur ce,

Selon l'article L. 225-231 du code de commerce : 'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social ['] peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe'.

A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. (...) S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mision et les pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.' .

La charge de la preuve des actes de gestion suspects et des présomptions d'irrégularités repose sur WPD.

Les actes de gestion suspectés d'irrégularité sont bien identifiés comme étant ceux conclus par EMF avec les fournisseurs de turbines, Alstom devenu GE, puis SGRE à savoir la conclusion et l'exécution du contrat-cadre conclu entre EMF et GE le 30 avril 2015 dont l'objet est la production et la fourniture par GE de turbines éoliennes de type Haliade 150-6MW destinées à équiper les trois projets de parc éolien (pièce 7), les renégociations des termes du contrat-cadre du 30 avril 2015 intervenues entre EMF et GE ayant abouti à la conclusion du 'Memorandum of Understanding' en date du 28 mars 2019 et du Protocole Transactionnel et les négociations intervenues entre EMF et SGRE visant à pallier l'inexécution par GE de ses obligations contractuelles et ayant abouti à la conclusion du 'Framework Agreement' (contrat-cadre) avec SGRE le 16 avril 2019.

Or ces contrats ont été conclus par EMF et des sociétés tiers et WPD n'est pas actionnaire d'EMF. L'appelante n'est en effet que la partenaire minoritaire au sein d'EOHF, EMF en est l'actionnaire majoritaire.

L'article L. 225-231 du code de commerce prévoit que l'expertise de gestion peut être étendue aux 'sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3", soit aux sociétés contrôlées par la société dont l'actionnaire demande une expertise.

Ce texte est d'interprétation stricte, l'expertise de gestion qui permet d'imposer une analyse de ce fonctionnement par un tiers à la société, est en effet une mesure dérogatoire aux règles de fonctionnement d'une société. Elle a pour finalité de permettre aux associés minoritaires d'être informés.

Or l'appelante admet volontiers en page 10 de ses conclusions que 'le Contrat Cadre' mentionne expressément que chaque Société de Projet est "responsable du développement du projet de parc éolien en mer, suite au transfert, par EMF, de la licence d'exploitation" et, qu'à ce titre, les engagements d'EMF envers Alstom constituent une promesse de porte-fort conformément à l'article 1121 du code civil, "EMF agissant en qualité de stipulant, Alstom en qualité de promettant et chaque Société de Projet agissant en qualité de tiers bénéficiaires".

Plus loin, elle dira que EDF R a laissé EMF conclure le MoU et le Protocole Transactionnel avec GE et ne discutera pas que c'est bien la décision d'EMF de sélectionner SGRE comme fournisseur alternatif pour les deux Projets ne bénéficiant pas des turbines produites par GE.

Aux termes de l'article 1846 du code civil : 'la société est gérée par une ou plusieurs personnes associées ou non, nommées soit par les statuts, soit par un acte distinct, soit par une décision des associés.' Il résulte de ce texte que seules la ou les personnes ainsi désignées accompli(ssen)t des actes de gestion. Aussi la décision de soumettre ces contrats litigieux à l'approbation du comité de direction ou des assemblées générales n'en fait pas des opérations de gestion d'EOHF, contrairement aux allégations de WPD, ces contrats n'ayant été passés qu'entre EMF et des tiers, les sociétés de projet n'en étant que les bénéficiaires, ses dirigeants n'étant pas parties.

La preuve formelle d'un mandat donné à EMF n'est pas rapportée et WPD conteste l'existence d'un mandat même tacite donné par EDF R présidente d'EOHF à EMF. Dès lors, elle ne peut affirmer que les actes de gestion critiqués sont 'des opérations de gestion menées par les organes sociaux d'EOHF', autrement dit menées par EOHF représentée valablement par EMF. Du reste, en l'absence d'un tel mandat, il n'est pas contesté qu'EMF en personne avec ses différents partenaires fournisseurs de turbines (Siemens puis GE et SGRE) apparaissent bien comme les seuls partenaires des accords contractuels passés et critiqués dans le cadre de cette demande d'expertise de gestion.

Dans le cas d'espèce, la demande n'est pas irrecevable au motif qu'elle serait dirigée contre la société mère (EMF) mais elle doit être rejetée au motif que les actes de gestion litigieux sont des actes de gestion accomplis par la société mère qui ne peuvent faire l'objet d'une expertise de gestion demandée par une actionnaire minoritaire de la filiale. En effet, de la même manière que l'expertise de gestion ne peut être étendue à la société holding de la société qui fait l'objet de l'expertise, l'associé minoritaire ne peut réclamer, en assignant la société dont il est actionnaire, une expertise de gestion sur des actes de gestion de la société holding, de sorte que les actes litigieux ne peuvent recevoir la qualification d'acte de gestion d'EOHF requise par l'article L. 225-231 du code du commerce.

Ce seul motif suffit à rejeter la demande d'expertise de gestion ; au surplus, quant à la deuxième condition requise, les observations qui vont suivre permettent d'établir que WPD ne fait pas la preuve des présomptions d'irrégularités susceptibles de porter atteinte à l'intérêt social qu'elle entend soulever à l'appui de sa demande d'expertise de gestion.

. Sur l'abus de majorité :

Ainsi que l'indique EOHF, ce mécanisme par lequel la société mère (EMF) négocie et conclut avec les fournisseurs de turbines des contrats-cadres dont bénéficieront les sociétés de projet (EOC et EOHF, les sociétés filles), est effectivement, fréquent.

Aux termes du Pacte entre EMF et WPD du 10 janvier 2012 : 'EMF s'engage à informer wpd, au préalable et par écrit, de la signature d'accords-cadres ou d'avenants à de tels accords conclus entre EMF ou l'une de ses filiales et tous fournisseurs (ce qui inclut mais ne se limite pas à Alstom), en relation avec le Projet ' 2 (pièce n° 2, art. 8.5). La traduction de cette clause, bien qu'en anglais dans les pièces, n'est pas critiquée par la partie adverse. Elle ne fait qu'imposer une obligation d'information de l'actionnaire minoritaire par l'actionnaire majoritaire sur la signature de contrats notamment, avec les fournisseurs de turbines.

Il sera tout d'abord retenu que dès lors que l'actionnaire minoritaire connaît dès sa prise de participation le schéma de gouvernance, il ne peut ensuite alléguer une présomption d'irrégularité tenant seulement à la position dominante de son associé, sans donner des éléments permettant de rendre plausible l'existence d'un abus. Or le fait de lui confier la négociation des contrats de turbines n'est pas efficace dès lors que l'intérêt social est sauvegardé.

Aucune atteinte à l'intérêt social n'est susceptible de résulter en effet d'un 'achat groupé' des turbines, qui n'est pas critiquable en soi, la négociation par un seul interlocuteur pour les trois sociétés emportant plus de poids vis-à-vis des co-contractants (Alstom-GE puis Siemens) pour obtenir de meilleures conditions commerciales, qu'un achat par société de projet.

Cette décision de confier à EMF la négociation des contrats litigieux n'est donc pas en elle-même révélatrice d'un indice d'un abus de position dominante de la société mère et donc d'une présomption d'irrégularité portant atteinte à l'intérêt social.

. Sur la confidentialité des négociations :

Il n'y a pas davantage de difficulté présumée à ce que l'actionnaire minoritaire des filiales ait été tenu à l'écart des négociations puisque celles-ci n'étaient pas au niveau d'EOHF, mais au niveau d'EMF et qu'EOHF dont elle est actionnaire n'était que tiers bénéficiaire du Contrat Cadre via une promesse de porte-fort, ce qu'elle admet volontiers.

. Sur le choix de GE et ses conséquences de ne plus fournir qu'un seul des trois sites :

À l'évidence, ce choix ne relève pas d'une décision d'EOHF.

Le choix de Saint-Nazaire, défini antérieurement à l'aléa, et par une cause déterminante du site, exogène au groupe, à savoir la purge par la juridiction administrative des recours des associations, ne permet pas de caractériser une suspicion de favoritisme et donc une présomption d'irrégularité. N'est pas étayée l'affirmation selon laquelle EMF savait pertinemment que le projet Saint-Nazaire était le plus avancé, à ce titre, en raison d'un calendrier particulièrement opportun du Conseil d'État.

Cette décision s'est donc imposée à la société de projet comme à EMF, et il est acquis que le choix de la société bénéficiaire des turbines GE ne souffre d'aucune présomption d'irrégularité. Dès lors, les conséquences du choix de GE (surcoût ou impact sur la rentabilité des projets et autorisation administrative complémentaire éventuellement nécessaire) et son choix lui-même de ne fournir en turbines qu'un seul des trois projets ne peuvent laisser suspecter d'irrégularité.

. Sur les frais afférents à l'opération de Saint Nazaire refacturés à EOHF :

Il n'est pas contesté qu'une question n'a été posée à la direction de l'entreprise qu'en septembre 2020, soit après la délivrance de l'assignation. En aucun cas, une présomption d'irrégularité à ce titre ne peut donc justifier le prononcé ce qui ne pourrait être qu'un complément d'expertise, s'il n'est pas fait droit à la demande principale.

. Sur l'indemnité versée par GE :

Il est acquis que cette indemnité a été reversée à EOHF. Son montant ne laisse présumer aucune irrégularité notamment, au regard de la qualité d'actionnaire majoritaire d'EMF dans EOHF.

En conséquence, au vu de l'ensemble de ces éléments, faute de critiquer des actes de gestion de la société EOHF dont elle est actionnaire minoritaire et de caractériser valablement des présomptions d'irrégularités, WPD doit être déboutée de sa demande d'expertise de gestion.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée.

4 - Sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, WPD ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.

Il est en outre inéquitable de laisser à EOHF la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. WPD sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REJETTE la demande de caducité de l'appel,

DECLARE irrecevables les conclusions de WPD déposées le 16 novembre 2020 à l'exception de l'ajout figurant en page 24 matérialisé par un trait en marge,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 31 décembre 2019,

Y ajoutant,

CONDAMNE WPD à payer à EOHF la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

DIT que WPD supportera la charge des dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.