CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 13 janvier 2023, n° 22/06997
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sodevhotel (SAS)
Défendeur :
Praxis Développement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Le Cotty, M. Birolleau
Avocats :
Me Monfort, Me Guichon, Me Gioux, Me Vincent
La SAS Sodevhotel, ayant pour président M. [Y] [C], détenue, à parts égales par les sociétés Mespar Invest - devenue JRI Capital, ayant pour président et associé unique M. [L] [P] - et Praxis développement (ayant pour gérant M. [N] [R] [J]) a été constituée en vue de l'acquisition d'un ensemble immobilier à destination d'hôtel situé [Adresse 3], dans le [Localité 2].
Dans le cadre de cette opération, la société Sodevhotel s'est portée acquéreur :
des parts sociales de la SCI Immobilière Senfi, propriétaire des murs dans lequel est exploité l'hôtel '[Localité 2] Liège' sis [Adresse 3], à [Localité 2] ;
des parts sociales de la société 'Hôtel [Localité 2] Liège', devenue la société 'Hôtel Whistler', propriétaire du fonds de commerce de l'hôtel Paris Liège.
Afin de financer l'opération, la société Sodevhotel a souscrit trois prêts :
5.500.000 euros afin de financer l'acquisition des parts sociales des deux sociétés ;
630.000 euros afin de financer la rénovation des équipements de l'hôtel [Localité 2] Liège ;
3.000.000 euros afin de réhabiliter l'immeuble de la SCI Immobilière Senfi ;
La société Praxis développement, la société Mespar et M. [R] [J] ont effectué des apports en compte courant.
Par décisions du 27 novembre 2018, les associés de la société Sodevhotel ont augmenté le capital de la société pour le porter de 10.000 à 710.000 euros par l'émission de 70.000 actions émises au prix de 10 euros chacune.
Le 30 décembre 2019, la SAS C.L.J Villepinte s'est portée acquéreur de l'ensemble immobilier en régularisant :- un protocole de cession des titres de la SARL Hôtel Whistler, au prix de 3.438.321,45 euros avec la société Sodevhotel ;
- une promesse unilatérale de vente de l'ensemble immobilier sis [Adresse 3], [Localité 2], au prix provisoire de 10.260.000 euros avec la SCI Immobilière Senfi ;
soit un total de 13.698.321 euros.
Les cessions des titres de la société Hôtel Whistler et des murs de la SCI Immobilière Senfi ont été réitérées le 30 juin 2020.
Réclamant, à la suite de ces cessions, le remboursement du solde de son compte courant, la société Praxis développement a mis en demeure la société Sodevhotel de convoquer une assemblée générale à l'effet de statuer sur les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2019 et de procéder au remboursement de son compte courant d'associé dans les livres de la société Sodevhotel à hauteur de 1.032.901,42 euros.
La société Praxis développement a assigné au fond la société Sodevhotel et à la société JRI Capital devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner la société Sodevhotel au remboursement de son compte courant d'associé.
Par actes des 28 et 30 avril 2021, la société Praxis développement a fait assigner la société Sodevhotel et M. [C] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins, notamment, de voir ordonner à la société Sodevhotel et à M. [C] de lui communiquer, sous astreinte, les pièces énumérées dans l'assignation, prononcer la nullité des deux assemblées générales de la société Sodevhotel tenues le 30 septembre 2020 et désigner un administrateur provisoire de la société Sodevhotel. Aux termes de ses dernières conclusions, elle a sollicité la communication de documents sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert de gestion et la désignation d'un administrateur provisoire de la société Sodevhotel. A l'audience de plaidoiries, elle s'est désistée de sa demande de communication de documents fondée sur l'article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire du 28 janvier 2022, le juge des référés a :
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à voir prononcer la nullité des assemblées du 30 septembre 2020 ;
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire ;
désigné M. [X] [F], demeurant [Adresse 4] (11ème arrondissement), téléphone 1 [XXXXXXXX01], adresse e-mail : [Courriel 8]
en qualité d'expert de gestion,
avec pour mission d'établir, sous quatre mois à compter de la date de consignation de la provision sur ses honoraires, un rapport circonstancié sur les opérations de gestion ci-après désignées, concernant la gestion de la société Sodevhotel, dont le siège social est [Adresse 6] à [Localité 10], immatriculée au RCS de Paris sous le numéro B812807279, et ce dans le périmètre de ses exercices clos aux 31 décembre 2017, 31 décembre 2018, 31 décembre 2019 et 31 décembre 2020 :
1/ les conventions de comptes courants et les conventions de trésorerie passées entre la société Sodevhotel et la société JRI Capital (anciennement Mespar Invest), et entre la société Sodevhotel et la SCI Immobilière Senfi ;
2/ les contrats d'assistance et de prestations de services passés entre la société Sodevhotel, la SCI Immobilière Senfi , la société Hôtel Whistler et M. [L] [P], la société JRI Capital et la société CIM ;
3/ les opérations de cession des titres de la société Hôtel Whistler et de la SCI Immobilière Senfi ;
à cet effet, l'expert de gestion ainsi désigné aura pour mission de :
se rendre en tous lieux, siège social, établissements secondaires, locaux ou bureaux de la société Sodevhotel, de ses mandataires sociaux ou de son cabinet d'expert-comptable ;
se faire communiquer et examiner les comptes sociaux, les conventions de comptes courants et de trésorerie, les contrats de prestations et de services, les pièces et les documents comptables, bancaires, juridiques, fiscaux concernant les opérations de gestion mentionnées plus avant ;
exposer et décrire les opérations en compte courant passées entre la société Sodevhotel et la société JRI capital et les flux de trésorerie entre la société Sodevhotel, la SCI Immobilière Senfi ainsi que les flux financiers en partance de la SCI Immobilière Senfi des suites de l'apport en trésorerie dont elle a bénéficié ;
notamment, dans le périmètre de la société Sodevhotel, la SCI Immobilière senfi :
identifier et examiner les dates et les montants des mouvements financiers, préciser l'origine des fonds, décrire les modalités de ces mouvements financiers et, le cas échéant, leur justification ;
examiner les conditions de remboursement de la dette en compte courant, et, le cas échéant, si des garanties de recouvrement ont été prises et si des mesures de mise en recouvrement ont été engagées ;
donner son avis sur la conformité de ces opérations avec l'objet et l'intérêt social de la société Sodevhotel ;
donner son avis sur la régularité de ces opérations notamment au regard de l'interdiction posée par l'article L.225-43 du code de commerce (sur renvoi de l'article L.227-12 du code de commerce) et de la procédure de contrôle de l'article L. 227-10 du code de commerce ;
identifier et décrire les contrats d'assistance et de prestations de services passés entre la société Sodevhotel, la SCI Immobilière Senfi, la société Hôtel Whistler et M. [L] [P], la société JRI Capital et la société CIM ; déterminer leur nature, leurs conditions de passation et d'exécution, les flux financiers constatés, les justifications de ces flux, les prestations réalisées ;
notamment :
déterminer si ces contrats ne font pas double emploi avec les missions d'ores et déjà couvertes par d'autres prestataires, dirigeants ou conseils ;
donner son avis sur le caractère raisonnable ou non des montants mis à la charge de la société Sodevhotel dans le cadre de ces contrats, sur leur nécessité et leur matérialité au regard des besoins de la société Sodevhotel, sur leur intérêt spécifique pour la société Sodevhotel;
en indiquer les incidences sur la situation financière de la société Sodevhotel ;
donner son avis sur la régularité de ces opérations au regard de la procédure de contrôle de l'article L.227-10 du code de commerce ;
exposer et décrire les opérations de cession des titres de la société Hôtel Whistler et de l'actif de la SCI Immobilière Senfi ;
notamment :
identifier et examiner les dates et montants des flux financiers, et leurs modalités ;
préciser l'origine et les destinataires des fonds ;
décrire dans quelle mesure le prix de cession des titres de la société Hôtel Whistler est un prix provisoire et/ou définitif et si le prix définitif a été fixé ;
donner son avis sur la conformité des opérations ci-dessus avec l'objet et l'intérêt social de la société Sodevhotel ;
réunir tous éléments permettant de vérifier si des fautes de gestion ont été commises de nature à avoir porté atteinte à l'objet et à l'intérêt social de la société ;
dit que la mission pourra être prorogée, en cas de besoin justifié, à la demande de l'expert de gestion ;
autorisé l'expert à se faire assister par tout sachant de son choix ;
mis les honoraires de l'expert à la charge de la société Sodevhôthel ;
fixé à 4.000 euros le montant de la provision sur honoraires à consigner au greffe de ce tribunal, et ce dans un délai maximal de 15 jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous peine de caducité de la désignation de l'expert de gestion ;
autorisé la société Praxis développement à en faire, le cas échéant, l'avance pour permettre le démarrage et le déroulement de l'expertise ;
dit que l'expert commis devra déposer son rapport au greffe du tribunal et en adresser copie à chacune des parties en cause ;
pris acte du désistement de la société Praxis développement de sa demande relative à la fourniture, sous astreinte, de pièces et documents (référé probatoire) au visa de l'article 145 du code de procédure civile et du dessaisissement de cette demande ;
dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum la société Sodevhotel et M. [Y] [C] aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 87,02 euros TTC dont 14,29 euros de TVA.
Par déclaration du 4 avril 2022, la société Sodevhotel a relevé appel de cette décision de l'ensemble des chefs du dispositif, sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de voir prononcer la nullité des assemblées du 30 septembre 2020 et sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire.
Par déclarations des 12 et 20 avril 2022, M. [C] a relevé appel de cette décision de l'ensemble des chefs du dispositif, sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à voir prononcer la nullité des assemblées du 30 septembre 2020 et sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire et pris acte du désistement de la société Praxis développement de sa demande relative à la fourniture, sous astreinte de pièces et documents (référé probatoire) au visa de l'article 145 du code de procédure civile et du dessaisissement de cette demande.
Ces procédures ont été jointes.
La société Sodevhotel, par dernières conclusions remises et notifiées le 25 octobre 2022, demande à la cour, au visa des articles L.225-231 du code de commerce, 145 et 564 du code de procédure civile, de :
la recevoir en son appel ;
infirmer l'ordonnance de référé rendue le 28 janvier 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
prononcer l'irrecevabilité de la société Praxis développement en ses demandes tendant à ce qu'il soit :
ordonné à la SCI Immobilière Senfi, à la SARL Hôtel Whistler, à la société CIM, à la société JRI Capital et à M. [P] de communiquer tous documents juridiques, comptables et financiers sollicités par l'expert de gestion dans l'accomplissement de sa mission,
désigné la SELARL Ajassocié, prise en la personne de Me [V] ou SELARL AJRS, prise en la personne de Me [I] en qualité d'administrateur provisoire ou tel administrateur provisoire qu'il plaira à la cour ['] ;
subsidiairement,
débouter la société Praxis développement de toutes ses demandes y compris celle formulées au titre de son appel incident, fins et conclusions ;
en tout état de cause,
condamner la société Praxis développement à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction sera ordonnée au profit de Me Guichon, avocat au barreau de paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [C] , par dernières conclusions remises et notifiées le 2 novembre 2022, demande à la cour, au visa des articles 10, 11, 14, 17, 31, 32, 59, 121 à 123, 125, 145, 153, 155, 167 à 170, 243, 271, 385, 398, 492-1, 564, 700, 872, 873, du code de procédure civile, L.123- 16, L.123- 16-1, L.223-19, L.223 ' 21, L.223-22, L.223 ' 26, L.223-27, L.223-37, L.225-231, L.225-232, L.227-1, L.227-9, L.227-10, L.232-1, L.241-3 à L.241-5, L.811-1 et suivants, D.123-200, R.223-17, R.223-30 et R.225-71 du code de commerce, 12, 700, 1353 et 1362 du code civil, de :
in limine litis, déclarer irrecevable et à tout le moins mal fondée, la société Praxis développement en son appel incident à son encontre ;
le déclarer recevable et fondé en son appel à l'encontre de l'ordonnance de référé (RG 2021020317) rendue le 28 janvier 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris ;
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a désigné M. [X] [F] en qualité d'expert de gestion, fixé sa mission, mis les honoraires de l'expert à la charge de la société Sodevhotel, fixé le montant de la provision, pris acte du désistement de la société Praxis développement de sa demande relative à la fourniture, sous astreinte, de pièces et documents (référé probatoire) au visa de l'article 145 du code de procédure civile et du dessaisissement de cette demande, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné in solidum la société Sodevhotel et M. [Y] [C] aux dépens de l'instance ;
statuant à nouveau,
confirmer l'ordonnance entreprise pour le surplus ;
débouter la société Praxis développement de l'intégralité de ses demandes, fins, conclusions, y compris celles formulées au titre de son appel incident ;
condamner la société Praxis développement à lui payer une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Praxis développement aux entiers dépens (en ce compris des frais d'expertise de gestion), en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Praxis développement, par dernières conclusions remises et notifiées le 24 octobre 2022, demande à la cour, au visa des articles 873 du code de procédure civile, 225-231 du code de commerce, 564 du code civil de :
la juger recevable et bien fondée en son appel incident à l'encontre de la société Sodevhotel et de M. [C] ;
confirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris le 28 janvier 2022 en ce qu'elle a désigné M. [F] en qualité d'expert de gestion, fixé sa mission, pris acte du désistement de la société Praxis développement de sa demande relative à la fourniture sous astreinte de pièces et documents (référé probatoire) au visa de l'article 145 du code de procédure civile et du dessaisissement de cette demande et condamné in solidum la société Sodevhotel et M. [Y] [C] aux dépens de l'instance ;
sur son appel incident,
infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
statuant à nouveau,
étendre le périmètre de la mission de l'expert de gestion à l'exercice clos au 31 décembre 2021 ;
ordonner à la SCI Immobilière Senfi, à la société Hôtel Whistler, à la société CIM, à la société JRI Capital et à M. [P] de communiquer tous documents juridiques, comptables et financiers sollicités par l'expert de gestion dans l'accomplissement de sa mission ;
désigner la SELARL Ajassociés, prise en la personne de Me [V] ou tel administrateur provisoire qu'il plaira à la cour avec pour mission, sur une année de :
administrer, diriger et gérer la société Sodevhotel ;
assainir la situation de la société Sodevhotel ;
mettre en œuvre toutes les démarches utiles à la pérennité de la société Sodevhotel
recouvrer les créances et payer les dettes de la société Sodevhotel ;
convoquer l'assemblée générale des associés devant approuver les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2021 ;
se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à sa mission ;
donner aux associés toutes informations utiles, juridiques comptables et fiscales sur la situation de la société avec documents sociaux à l'appui ;
autoriser l'administrateur provisoire à se faire assister par toute personne de son choix ;
dire que ces missions pourront être prorogées sur autorisation par ordonnance rendue sur simple requête de l'administrateur provisoire ;
fixer la provision de l'administrateur provisoire à la somme de 5.000 euros ;
juger que les honoraires de l'administrateur provisoire seront à la charge de la société Sodevhotel ;
dire que l'administrateur provisoire commis devra déposer au greffe un rapport sur sa gestion tous les six mois et en fin de mission, et en adresser copie à chacune des parties en cause ;
condamner in solidum la société Sodevhotel et M. [C] à lui verser la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en première instance ;
en tout état de cause,
débouter la société Sodevhotel et M. [C] de l'intégralité de leurs demandes ;
condamner in solidum la société Sodevhotel et M. [C] à lui verser la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
les condamner aux dépens.
Par conclusions remises le 2 novembre 2022, elle demande au conseiller de la mise en état de rejeter les conclusions et les pièces n°22 et 23 remises le 2 novembre 2022 par M. [C].
La clôture de la procédure a été prononcée le 2 novembre 2022.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande de rejet de conclusions
Par conclusions remises le 2 novembre 2022, la société Praxis développement demande au conseiller de la mise en état le rejet des conclusions et des pièces n°22 et 23 remises le 2 novembre 2022 par M. [C].
Cette demande ayant été adressée au 'conseiller de la mise en état', et non à la cour, celle-ci n'est saisie d'aucune demande.
Sur la désignation d'un expert de gestion
La société Praxis développement sollicite une expertise de gestion concernant la gestion de la société Sodevhotel en raison des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion de cette société et le manque de liquidités de cette dernière.
L'article L. 225-231 du code de commerce, applicable aux SAS , dispose que : 'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi qu'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.'
Sur la recevabilité de la demande
Les appelants concluent à l'irrecevabilité de cette demande en ce qu'elle porte sur l'ensemble des actes de gestion de la société Sodevhotel, concerne une période disproportionnée, s'étend à des actes ne relevant pas de la gestion de la société Sodevhotel et revient à solliciter de l'expert de gestion une appréciation d'ordre juridique.
L'expertise de gestion doit avoir un objet limité et circonscrit à des questions précises sur des opérations de gestion déterminées. Contrairement aux allégations des appelants, l'expertise ordonnée porte bien sur des opérations de gestion précises énumérées par l'ordonnance entreprise, à savoir : les conventions de comptes courants et les conventions de trésorerie passées entre la société Sodevhotel et la société JRI Capital, et entre la société Sodevhotel et la SCI Immobilière Senfi ; les contrats d'assistance et de prestations de services passés entre la société Sodevhotel, la SCI Immobilière Senfi , la société Hôtel Whistler et M. [L] [P], la société JRI Capital et la société CIM ; les opérations de cession des titres de la société Hôtel Whistler et de la SCI Immobilière Senfi.
La période concernée, limitée à quatre années correspondant à l'opération d'acquisition et de cession de l'hôtel '[Localité 2] Liège', n'est, en outre, nullement disproportionnée.
Enfin, le président du tribunal de commerce n'a pas confié à l'expert de gestion la mission de porter une appréciation juridique sur la conformité des opérations, les avis demandés étant, à l'évidence, d'ordre essentiellement technique.
L'irrecevabilité invoquée sera, en conséquence, rejetée.
Sur le bienfondé de la demande
Les appelants concluent à l'absence de légitimité de cette demande au motif que la société Sodevhotel a déjà répondu aux interrogations de la société Praxis développement. Cette dernière soutient que les réponses apportées ne sont pas satisfaisantes au sens de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Il résulte de l'article L. 225-231 du code de commerce que les actionnaires ne peuvent saisir le juge des référés qu'après avoir posé par écrit au président du conseil d'administration ou du directoire des questions demeurées sans réponse ou sans réponse satisfaisante. Il appartient par ailleurs au juge saisi d'une demande d'expertise formée par un actionnaire ou un associé invoquant l'insuffisance des éléments de réponse aux questions écrites posées par lui, de rechercher si les éléments de réponse communiqués présentent ou non un caractère satisfaisant.
Il est constant que, par note en date du 28 septembre 2021 adressée à M. [C], président de la société Sodevhotel (pièce Praxis développement n°47 : questions écrites en vue de l'assemblée générale du 30 septembre 2021), la société Praxis développement a posé, par écrit, cinq questions sur :
- l'état des créances 'groupe et associés' (décomposition de ce poste, son origine, sa cause et sa recouvrabilité : garanties et date de recouvrement et/ou d'exigibilité) ;
- les dettes figurant au passif de la société Sodevhotel au 31 décembre 2020 ;
- l'emploi du produit des cessions des titres de la société Hôtel Whistler et de l'ensemble immobilier appartenant à la SCI Immobilière Senfi ;
- le point de savoir si la société Sodevhotel a approuvé des conventions réglementées entre les sociétés Hôtel Whistler et Immobilière Senfi, filiales de la société Sodevhotel, et leur dirigeant, M. [P] ;
- le calendrier prévisionnel de la liquidation de la société Sodevhotel.
Il a été répondu par la société Sodevhotel à ces questions dans le procès-verbal d'assemblée générale ordinaire du 30 septembre 2021 (pièce Sodevhotel n°61) :
- sur l'état des créances 'groupe et associés' :
- sur la décomposition : alors que la société Praxis développement demandait de lui 'indiquer la décomposition de ce poste, son origine, sa cause et sa recouvrabilité, force est de constater qu'en se bornant à indiquer que 'le poste 'Groupe et associés' 'se décompose de créances de la société Sodevhotel sur JRI Capital, mais également sur la société Immobilière Senfi', que 'la société Immobilière Senfi n'a plus d'actif ; donc, la recouvrabilité n'est pas à l'ordre du jour' et que 'la société JRI Capital m'a indiqué qu'elle finalisait des opérations de refinancement et me tiendrait informé de l'avancée de ce refinancement', M. [C] n'a pas précisé l'origine des compte courants d'associés débiteurs et n'a pas répondu complètement à la question posée (pièce Praxis développement n°62 : note en délibéré de la société Praxis développement du 20 janvier 2022) ;
- sur l'intérêt social de la société Sodevhotel à consentir un compte courant débiteur à la société JRI Capital et sur le flux de trésorerie avec la société Immobilière Senfi : si la société Sodevhotel fait état, dans sa réponse, de ce qu' 'un compte courant d'associé personne morale peut, en vertu de la loi, être débiteur', de ce qu' 'il est une pratique extrêmement courante d'avoir des conventions de compte courant entre les associés et la société' et de ce qu''il était impératif que les associés eux-mêmes de la société Hôtel Whistler présentent les meilleurs garanties de solvabilité, passant nécessairement par une trésorerie positive', la société Praxis développement oppose, sans être contredite, qu'aucune garantie des associés de la société Sodevhotel n'a été recherchée, seule ayant été demandée la caution personnelle de M. [N] [R] [J], gérant de la société Praxis développement ; il s'en infère qu'en ne précisant pas l'intérêt social de la société Sodevhotel attaché à ces flux de trésorerie, M. [C] ne répond pas complètement à la question posée ;
- sur l'absence de ce compte courant débiteur dans le rapport spécial des conventions réglementées soumis à l'approbation des associés : en se bornant à indiquer que 'c'est au commissaire aux comptes de faire un rapport spécial sur lesdites conventions et non pas au président. (...) Je vous invite donc à vous adresser à celui-ci si le rapport spécial qui vous a été adressé ne vous convient pas', M. [C] n'apporte aucune réponse à l'interrogation formulée ;
- sur la répartition comptable du produit de deux cessions des titres et des murs, les rémunérations versées à M. [P] et les sociétés qu'il dirige : M. [C] indique qu''il n'y a pas eu de répartition comptable du résultat à ce jour, seule une décision de l'assemblée générale étant compétente à cet effet' et que 'Je vous confirme que la société JRI Capital et CIM ainsi que M. [L] [P] n'ont perçu aucune rémunération sur l'exercice 2020" ; il convient d'observer qu'il n'est apporté aucune réponse réelle ni sur la répartition du produit des deux ventes, ni sur les rémunérations versées à M. [P], dirigeant de la société JRI Capital, et ce alors que M. [P] avait lui-même indiqué, par un courriel du 24 décembre 2019 à M. [R] [J], les rémunérations qu'il avait perçues à titre personnel au titre des exercices 2017 à 2019 (pièce Praxis développement n°6) ;
- sur l'existence, en 2020, de conventions réglementées entre les sociétés Hôtel Whistler et Immobilière Senfi et M. [P] : M. [C] admet ne pas être en mesure de répondre à la question posée, aux motifs que les comptes de la société Immobilière Senfi de l'année 2020 n'ont pas été approuvés et que la société Sodevhotel ne peut intervenir dans les comptes de la société Hôtel Whistler dont les titres ont été cédés le 30 juin 2020.
Il se déduit de ces éléments que les réponses apportées par la société Sodevhotel, incomplètes sur certains points, inexistantes sur d'autres, laissent subsister un besoin d'information et ne présentent pas un caractère satisfaisant au sens de l'article L. 225-231 du code de commerce.
La juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
En l'espèce, il existe des présomptions d'irrégularités et d'atteinte à l'intérêt social sur les points sur lesquels la société Praxis développement peut légitimement s'interroger :
- sur le compte courant débiteur de la société JRI Capital, pour un montant élevé, non contesté (1.121.655 euros en 2019 et 2.793.889 euros en 2020), alors qu'il n'est pas davantage discuté qu'aucune convention réglementée de compte courant Sodevhotel/JRI Capital n'a été approuvée au cours des exercices clos au 31 décembre 2019 et au 31 décembre 2020 ;
- sur l'avance de trésorerie consentie à la SCI Senfi, le transfert de fonds au bénéfice de la SCI Immobilière Senfi étant intervenu alors que cette dernière, qui a cédé son unique actif le 30 juin 2020, n'a plus aucun actif ;
- sur les opérations de cession des titres de la SARL Hôtel Whistler dont le prix est présenté par la société Sodevhotel comme encore provisoire - élément invoqué par la société Sodevhotel pour justifier le défaut de règlement de son passif - alors que le prix définitif devait être communiqué au cessionnaire au plus tard le 15 août 2020 et qu'il n'est pas fait état du règlement d'un quelconque différend ;
- sur la cession des titres de la SCI Immobilière Senfi pour un montant de 40.000 euros, prix manifestement fixé sans visibilité sur les comptes sociaux de la société Immobilier Senfi que M. [C] indique ne pas connaître (puisqu'il prétend ignorer si la société Sodevhotel dispose d'un compte courant dans les livres de la société Immobilière Senfi : 'dans le cas où la société Sodevhotel disposerait d'un compte courant dans les livres de la société Senfi Immobilier, il sera cédé à l'acquéreur' - pièce Praxis développement n°12), alors que la société Sodevhotel est associé unique de la SCI Immobilier Senfi ;
- sur les rémunérations procurées à M. [P] sous couvert de conventions d'assistance, conventions dont il convient d'établir si les formalités attachées aux conventions réglementées ont été respectées.
La société Praxis développement justifiant du caractère légitime de l'expertise de gestion sollicitée, l'ordonnance entreprise sera confirmée sur ce point.
Sur les demandes d'extension de la mission de l'expert de gestion
En premier lieu, la société Praxis développement demande d'étendre le périmètre de la mission de l'expert de gestion à l'exercice clos au 31 décembre 2021.
La société Praxis développement peut légitimement s'interroger sur l'état des comptes de l'exercice 2021 de la société Sodevhotel dont il n'est pas contesté qu'ils n'ont toujours pas été soumis à l'approbation de l'assemblée des associés, laquelle aurait dû se tenir avant le 30 juin 2022.
En conséquence, la cour, ajoutant à l'ordonnance entreprise, fera droit à la demande de la société Praxis développement et étendra à l'exercice clos au 31 décembre 2021 la mission de l'expert de gestion.
En second lieu, la société Praxis développement demande qu'il soit ordonné aux sociétés Immobilière Senfi, Hôtel Whistler, CIM et JRI Capital et à M. [L] [P] de communiquer tous documents juridiques, comptables et financiers sollicités par l'expert de gestion dans l'accomplissement de sa mission.
Les appelants font valoir que le juge ne peut se dessaisir entre les mains de l'expert sur la détermination des documents à communiquer et que cette demande est irrecevable en ce que d'une part, la société Praxis développement s'est, devant le premier juge, désistée de sa demande présentée au titre du référé probatoire fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, d'autre part, qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel.
La société Praxis développement fonde sa demande sur les articles 243 du code de procédure civile aux termes duquel le technicien désigné peut demander la communication de tous documents aux parties et aux tiers, sauf au juge à l'ordonner en cas de difficulté.
Toutefois, la mission de l'expert de gestion étant précisément encadrée par la décision le désignant, le juge ne peut se dessaisir entre ses mains du pouvoir de déterminer les documents à communiquer. La demande sur ce point de la société Praxis développement sera, en conséquence, rejetée.
Sur la désignation d'un administrateur provisoire
Sur la recevabilité de la demande
Les appelants invoquent l'irrecevabilité de la demande de désignation d'un administrateur provisoire :
- en l'absence d'appel, dans la cause, de tous les associés, en l'espèce, de la société JRI Capital ;
- en raison de l'existence d'une procédure au fond portant sur le remboursement du compte courant à la société Praxis développement.
Sur le premier point, la demande de désignation en référé d'un administrateur provisoire est une procédure contradictoire qui impose au demandeur d'assigner la société en la personne de ses représentants légaux et tous ceux qui peuvent avoir des intérêts contraires à défendre.
Il n'est pas démontré que la recevabilité d'une demande de désignation d'un administrateur provisoire d'une société serait, par principe, subordonnée à la mise en cause de l'intégralité des associés ou actionnaires ; les appelants n'établissent pas davantage que la société JRI Capital aurait, en l'espèce, un intérêt contraire à défendre - lequel ne saurait se présumer - seuls étant mis en cause les actes de gestion de M. [C] ès-qualités de président la société Sodevhotel, et aucun des moyens invoqués n'étant de nature à rapporter la preuve d'un quelconque intérêt contraire de la société JRI Capital :
- ni le fait que la désignation d'un administrateur provisoire serait coûteuse pour la société JRI Capital ;
- ni que cette dernière serait intéressée par le remboursement du compte courant de la société Praxis développement par la société Sodevhotel - finalité principale de la procédure, selon cette dernière - ce remboursement étant prévu par une convention conclue entre les sociétés Sodevhotel et Praxis développement à laquelle la société JRI Capital n'est pas partie (pièce Praxis développement n°54).
Sur le second point, l'existence d'une procédure au fond portant sur le remboursement du compte courant à la société Praxis développement ne fait nullement obstacle aux mesures ordonnées sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile.
L'irrecevabilité invoquée de ces chefs sera, en conséquence, rejetée.
Sur le bienfondé de la demande
Aux termes de l'article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Aux termes de l'article 873 du même code, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le juge des référés tient de ces textes le pouvoir de désigner un administrateur provisoire, soit en cas d'urgence, en l'absence de contestation sérieuse ou en présence d'un différend, soit en présence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite.
La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.
La société Praxis développement invoque, au soutien de sa demande de désignation d'un administrateur provisoire, l'atteinte au fonctionnement de la société Sodevhotel en ce que M. [C] viole les dispositions légales et statutaires relatives à la tenue des assemblées générales, à la convocation et à l'information des associés, n'administre pas la société dans des conditions normales, a vidé la trésorerie de la société Sodevhotel en consentant des créances au profit de sociétés insolvables.
Aucune des irrégularités invoquées par la société Praxis développement ne caractérise une paralysie des organes de gestion de la société Sodevhotel, ni une situation exposant cette dernière à un péril imminent:
- ni les anomalies invoquées en matière de convocation aux assemblées générales, celles-ci s'étant tenues ;
- ni les irrégularités de gestion mentionnées ;
- ni une possible révocation de son dirigeant, la société Praxis développement ne faisant, à cet égard, état que d'une éventualité.
L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu a référé sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Sodevhôthel et M. [Y] [C], parties perdantes, seront tenus in solidum aux dépens d'appel et condamnés sous la même solidarité à payer à la société Praxis développement la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile afin de l'indemniser des frais qu'elle a de nouveau été contrainte d'engager.
PAR CES MOTIFS
Dit que la cour n'est pas saisie de la demande de rejet des conclusions de M. [C] et de ses pièces n°22 et 23 ;
Rejette les fins de non-recevoir soulevées par les appelants ;
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Etend à l'exercice clos au 31 décembre 2021 la mission de l'expert de gestion ;
Déboute la société Praxis développement de sa demande tendant à ordonner à la SCI Immobilière Senfi, à la SARL Hôtel Whistler, à la société CIM, à la société JRI Capital et à M. [L] [P] de communiquer tous documents juridiques, comptables et financiers sollicités par l'expert de gestion dans l'accomplissement de sa mission ;
Condamne in solidum la société Sodevhotel et M. [Y] [C] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
Les condamne in solidum à payer à la société Praxis développement la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.