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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 22 avril 2022, n° 21/14921

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

DRCC (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme Le Cotty, Mme Dolbeau

T. com. Meaux, du 23 juill. 2021, n° 202…

23 juillet 2021

La société DRCC est une société par action simplifiée au capital social de 4.000 euros, immatriculée en 2009, spécialisée dans les travaux de couverture générale et charpente. Elle est détenue à 60% par Mme R., présidente, et à 40% par M. R., son oncle.

Un conflit familial a éclaté au cours de l'année 2017, à la suite duquel les relations entre associés se sont dégradées.

Reprochant à sa nièce des fautes de gestion, M. R. a assigné la société DRCC, le 15 septembre 2021, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Meaux aux fins de voir :

ordonner une expertise in futurum et une expertise de gestion des comptes de la société DRCC ;

nommer un expert notamment pour mission de donner son avis sur le respect ou non des obligations légales en matière de tenue des assemblées générales ordinaires, et notamment d'approbation des comptes de la société DRCC, donner son avis sur la gestion de Mme R. et dire si cette gestion est fautive et lui a causé un préjudice, de manière générale, donner son avis sur le respect ou non de ses obligations par la société DRCC, enfin, dire si les opérations suivantes ont été régulières et conformes à l'intérêt social :

' pour 7.600 euros à la société R. traiteur ;

' pour 5.650 euros à un prestataire dénommé « Parmi les fleurs » ;

' dépenses auprès d'une société Gala ;

' pour 2.951,90 euros auprès d'une société Le Prieuré ;

' pour 13.685 euros auprès d'une société Menuiserie Jocema.

Par ordonnance réputée contradictoire du 23 juillet 2021, le juge des référés a :

constaté la non-comparution à l'audience de M. R. ;

condamné M. R. aux dépens et au paiement à la société DRCC de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 29 juillet 2021, M. R. a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif à l'exception de celui relatif aux dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 22 novembre 2021, il demande à la cour de :

le dire recevable et fondé en son appel ;

en conséquence,

infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a implicitement débouté de ses demandes ou a présumé qu'il y renonçait ;

statuant à nouveau,

ordonner une expertise in futurum et une expertise de gestion des comptes de la société DRCC,

nommer un expert avec notamment pour mission, au titre de l'expertise in futurum :

' de se rendre sur place ;

' de se faire communiquer tout document utile à l'accomplissement de sa mission

' de donner son avis sur le respect ou non des obligations légales en matière de tenue des assemblées générales ordinaires et notamment d'approbation des comptes de la société DRCC ;

' donner son avis sur la gestion de Mme R. et dire si cette gestion est fautive et lui a causé un préjudice ;

' de manière générale, donner son avis sur le respect ou non de ses obligations légales par la société DRCC ;

dans le cadre de l'expertise in futurum, dire si les opérations suivantes ont été régulières et conformes à l'intérêt social :

' pour 7.600 euros à la société R. traiteur ;

' pour 5.650 euros à un prestataire dénommé « Parmi les fleurs » ;

' dépenses auprès d'une société Gala ;

' pour 2.951,90 euros auprès d'une société Le Prieuré ;

' pour 13.685 euros auprès d'une société Menuiserie Jocema ;

condamner la société DRCC à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société DRCC aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 10 novembre 2021, la société DRCC demande à la cour de :

déclarer irrecevables les demandes de M. R. ;

à titre subsidiaire,

débouter intégralement M. R. de ses demandes ;

en tout état de cause,

confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

condamner M. R. à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 mars 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité des demandes de M. R.

La société DRCC soulève l'irrecevabilité des demandes de M. R. en application de l'article 564 du code de procédure civile, au motif qu'en raison de sa non-comparution en première instance, ses prétentions n'ont pas été soutenues et qu'en conséquence, toute demande formée à hauteur d'appel est nécessairement nouvelle.

Cependant, en matière de procédure orale, le tribunal demeure saisi des écritures déposées par une partie ayant comparu, même si celle-ci ne comparaît pas ou ne se fait pas représenter à l'audience de renvoi (2e Civ., 17 décembre 2009, pourvoi n° 08-17.357, Bull. 2009, II, n°291).

En l'espèce, il résulte des énonciations de l'ordonnance frappée d'appel que M. R. a comparu lors d'une première audience et qu'il a repris les termes de son assignation ou déposé des conclusions puisque le juge s'est estimé saisi. En effet, le juge des référés a, dans un premier temps, ordonné la comparution personnelle des parties puis, par ordonnance du 8 janvier 2021, ordonné une médiation.

Après prorogation de la médiation à trois reprises par ordonnances des 15 mars 2021, 19 avril 2021 et 20 mai 2021, l'affaire a été appelée par le greffe à l'audience du 9 juillet 2021.

En conséquence, le juge des référés demeurait saisi des écritures déposées par M. R., qui avait comparu lors d'une précédente audience, même si celui-ci ne comparaissait pas à l'audience de renvoi du 9 juillet 2021.

C'est donc à tort que le juge des référés a constaté que la non-comparution à l'audience de M. R. « laiss[ait] présumer qu'il ne souten[ait] plus ses demandes ».

L'ordonnance sera dès lors infirmée en ce qu'elle a, dans son dispositif, constaté la non-comparution à l'audience de M. R. sans statuer sur ses demandes.

Contrairement à ce que soutient Mme R., les demandes de l'appelant ne sont pas nouvelles puisqu'il sollicitait déjà, devant le premier juge, une expertise in futurum et une expertise de gestion.

Sur les demandes d'expertise

M. R. demande à la fois une expertise in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et une expertise de gestion, sans préciser l'objet de chacune d'elles. En outre, dans le dispositif de ses conclusions, seule la mission de l'expertise in futurum est détaillée, le contenu de l'expertise de gestion envisagée n'étant pas explicité.

En tout état de cause, selon l'article L. 225-231 du code de commerce, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société. A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Si ce texte, applicable aux sociétés par actions simplifiées, permet aux actionnaires détenant 5% du capital de demander une expertise de gestion, cette faculté ne leur est ouverte qu'après une phase préalable d'interrogation des dirigeants et si ces derniers n'ont pas répondu dans un délai d'un mois ou n'ont pas communiqué des éléments de réponse satisfaisants (Com., 14 février 2006, pourvoi n° 05-11.822, Bull. 2006, IV, n° 40).

En l'espèce, M. R. ne justifie pas avoir interrogé la présidente de la société DRCC de sorte que sa demande d'expertise de gestion ne peut qu'être rejetée.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

M. R. soutient qu'il a été exclu de la gestion de la société DRCC en l'absence de convocation aux assemblées générales, que certaines dépenses prises en charge par la société ont en réalité été effectuées pour le mariage de Mme R. et M. C. (fleuriste, traiteur notamment), et que ce dernier circule avec un véhicule appartenant à la société alors qu'il n'est pas salarié de celle-ci.

Cependant, la mesure d'instruction sollicitée a pour objet de vérifier le respect ou non des obligations légales en matière de tenue des assemblées générales ordinaires et d'approbation des comptes de la société DRCC, de contrôler la gestion de Mme R. et, de manière générale, d'examiner le respect ou non de ses obligations légales par la société DRCC.

Elle s'analyse donc en une mesure d'investigation générale excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile.

En outre, M. R. est en mesure de savoir s'il a ou non été régulièrement convoqué aux assemblées générales de la société et si les obligations légales ont, ou non, été respectées en la matière. Il expose d'ailleurs lui-même qu'il n'a jamais été dûment convoqué à une assemblée générale ordinaire en vue de prendre connaissance des comptes et de les approuver.

Il dispose du procès-verbal établi lors de l'assemblée générale du 30 juin 2017, dont il soutient qu'il s'agit d'un faux au motif qu'il n'a jamais été convoqué, contrairement aux indications y figurant.

Il dispose également des factures auprès des sociétés R. traiteur, « Parmi les fleurs », « Le Prieuré » et Jocema Menuiserie, dont il demande l'examen.

Il en résulte que la demande d'expertise est inutile et, en tout état de cause, trop générale pour pouvoir être accueillie.

Les demandes de l'appelant seront en conséquence rejetées.

Sur les frais et dépens

Le rejet des demandes de M. R. implique de laisser les dépens d'appel à sa charge, étant rappelé qu'il n'a pas critiqué, dans sa déclaration d'appel, le chef de dispositif relatif aux dépens de première instance, dont la cour n'est donc pas saisie.

Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Rejette les demandes d'expertise formées par M. R. ;

Laisse les dépens d'appel à sa charge ;

Rejette les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'à hauteur d'appel.