CA Caen, 2e ch. civ. et com., 14 novembre 2019, n° 19/01009
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ITM Alimentaire Ouest (SAS), ITM Entreprises (SAS)
Défendeur :
Cacobene (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mme Heijmeijer, Mme Gouarin
EXPOSE DU LITIGE
Le 7 décembre 2005 la société Cacobene, détenue par les époux L., et les époux L. qualifiés d'adhérents, ont conclu avec la société ITM Entreprises un contrat d'enseigne aux termes duquel la société Cacobene s'est engagée à exploiter un fonds de commerce sous l'enseigne 'Intermarché' à Saint-Vigor-le-Grand, dans des locaux acquis le 22 décembre 2005 par la société Foncière Chabrières.
Le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Cacobene par jugement du 3 août 2016 et homologué, par jugement du 20 janvier 2019, le plan de sauvegarde de la société qui exploite désormais son fonds de commerce sous l'enseigne 'Auchan' depuis le 26 juillet 2018.
Lui reprochant de n'avoir apporté aucune réponse aux questions posées s'agissant de l'approbation tardive des comptes, de la différence de dotations aux provisions sur actifs circulant entre 2014 et 2015, de l'état de cessation des paiements en 2015, des actions menées par la direction pour recouvrer une rentabilité ainsi que des fonds donnés à la société Laurianceau sans aucun remboursement, les sociétés ITM Entreprises et sa filiale, ITM Alimentaire Ouest, (ci-après les sociétés ITM) ont, par exploits du 7 janvier 2019, fait assigner en référé devant le Président du tribunal de commerce de Caen, sur le fondement de l'article L.225-231 du code de commerce, la société Cacobene, la Selarl Ajire, prise en la personne de Maître Erwan M., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société, et Maître Alain L., ès qualités de mandataire judiciaire, aux fins de désignation d'un expert chargé de présenter un rapport sur ces opérations de gestion.
Par ordonnance de référé du 6 mars 2019, le Président du tribunal de commerce de Caen a :
- mis hors de cause la Selarl Ajire, prise en la personne de Maître M., en qualité d'administrateur judiciaire de la société Cacobene et Maître L., en qualité de mandataire judiciaire de la société Cacobene,
- débouté les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné in solidum les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest à payer à la société Cacobene la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest à payer la somme globale de 2 000 € à la Selarl Ajire, prise en la personne de Maître M., ès qualités, et à Maître L., ès qualités au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest aux entiers dépens.
Les sociétés ITM ont relevé appel de cette décision le 21 mars 2019 en intimant uniquement la SAS Cacobène.
Dans leurs dernières conclusions remises au greffe le 12 août 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, les sociétés ITM demandent à la cour, au visa de l'article L. 225-231 du code de commerce, de :
Infirmer l'ordonnance déférée,
Statuant à nouveau :
Déclarer recevables les sociétés ITM en leur demande fondée sur les dispositions de l'article L.225-231 du code de commerce,
Désigner tel expert qu'il lui plaira, avec mission de :
- se rendre en tous lieux, sièges sociaux ou locaux, bureaux des personnes morales ou physiques mentionnées dans la présente assignation,
- se faire communiquer tous documents échangés entre les personnes précitées et plus particulièrement concernant les opérations de gestion visées dans les questions adressées par les sociétés ITM au Président de la société Cacobene et reprises dans le procès-verbal de constat en date du 18 octobre 2018,
- se faire communiquer ou examiner les comptes sociaux et documents comptables permettant de déterminer les conditions des opérations de gestion contestées,
- dire si des fautes ont été commises,
- fixer le préjudice éventuellement subi par les demanderesses ou la société,
Dire que les constatations et avis de l'expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe du tribunal de commerce de Caen dans les deux mois de sa saisine,
Fixer la provision à consigner au greffe à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans tel délai de l'ordonnance à venir,
Condamner la société Cacobene aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Gaël B. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamner la société Cacobene à prendre à sa charge les frais de l'expertise à intervenir,
Déclarer irrecevable la demande de la société Cacobene tendant à voir condamner les sociétés ITM au paiement de la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts,
Débouter la société Cacobene de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société Cacobene à payer aux sociétés ITM la somme de 1 500 € chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 9 septembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, la société Cacobene demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée, en conséquence débouter les sociétés ITM de l'intégralité de leurs demandes, y additant, les condamner in solidum à lui payer la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts, en toute hypothèse la somme de 17.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens en accordant à Maître Stéphane P. le bénéfice du droit de recouvrement direct instauré par l'article 699 du code de procédure civile.
Le 21 mai 2019 le procureur général a déclaré s'en rapporter.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 septembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L. 225-231 du code de commerce 'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société......
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion'.
Ces dispositions sont applicables aux SAS en application des dispositions de l'article L. 227-1, alinéa 3 du code de commerce.
En l'espèce il n'est pas discuté que les sociétés ITM représentent 5,58 % du capital de la SAS Cacobène, le reste des actions étant détenu par la société Laurianceau.
Les sociétés appelantes prouvent par la production du procès-verbal de constat établi le 18 octobre 2018 par maître Jean V., huissier de justice associé à Caen, à la requête de la société ITM entreprise qu'à l'occasion de l'assemblée générale réunie à cette date pour l'approbation des comptes de l'exercice 2015 de la SAS Cacobène le représentant de la société ITM entreprise a posé les questions reprises dans ce procès-verbal ,auxquelles monsieur L., gérant des sociétés Cacobène et Laurienceau n'a pas immédiatement répondu, un délai lui étant octroyé jusqu'au 30 novembre 2018 pour le faire.
Il est acquis qu'à la date de son assignation devant le premier juge le 7 janvier 2019 la SAS Cacobène n'avait pas répondu aux questions posées malgré une mise en demeure du 5 décembre 2018 et ne l'a fait que dans les conclusions prises le 6 février 2019 devant le juge des référés.
Contrairement à ce que soutient la SAS Cacobène l'expertise demandée sur le fondement du texte précité n'est pas une expertise de gestion générale qui devrait être rejetée pour ce motif et les opérations de gestion visées par cette demande sont décrites avec suffisamment de précision dans le corps des questions posées par les sociétés ITM et reprises devant la cour. La SAS Cacobène ne s'y est d'ailleurs pas trompée, le contenu de ses réponses démontrant qu'elle a parfaitement identifié les opérations de gestion en cause.
Les questions posées concernent les approbations de comptes tardives, la différence de dotations aux provisions sur actifs circulant entre 2014 et 2015, l'état de cessation de paiement en 2015, les actions menées par la direction pour recouvrer une rentabilité, les fonds donnés par la société Cacobène à la société Laurienceau sans aucun remboursement.
Ces questions ne sont de nature à justifier une expertise que si la situation qui les motivait, perdure, si elles ne se sont pas devenues sans objet et si leurs auteurs ne disposent pas déjà des informations suffisantes.
S'agissant des questions concernant les approbations de comptes tardives le juge des référés du tribunal de commerce de Caen a, à l'initiative de la SAS ITM alimentaire ouest et par deux ordonnances des 18 juillet 2018 et 19 décembre 2018, enjoint sous astreinte à monsieur L. ès qualités de président de la société Cacobène et à la société Cacobène de procéder sous astreinte au dépôt des comptes annuels de la dite société pour les exercices 2014,2015 ,2016 et 2017.
L'extrait de la page Infogreffe datée du 12 mars 2019 produite par la SAS Cacobène (pièce n°107) prouve qu'à ce jour les comptes des exercices 2014 à 2017 ont été déposés même si c'est avec retard.
Les sociétés appelantes auxquelles il était loisible d'engager plus tôt la procédure leur permettant de les obtenir, disposent ainsi des comptes les renseignant sur la situation financière exacte de la société durant ces exercices et les mettant en mesure de vérifier l'existence ou pas des irrégularités alléguées.
Il est dès lors inutile d'ordonner une expertise judiciaire à cette fin.
S'agissant de l'état de cessation des paiements en 2015 son existence n'a jamais été retenue, le tribunal de commerce de commerce de Caen ayant ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la SAS Cacobène par jugement du 3 août 2016 et arrêté son plan de sauvegarde par jugement du 21 janvier 2019, décisions définitives à ce jour.
Il serait dès lors totalement vain de donner mission à un expert de s'interroger sur 'l'éventuel état de cessation de paiement de cette société en 2015" et de rechercher pourquoi dans ce cas les comptes n'ont pas été établis en valeur liquidative conformément à l'avis qu'aurait émis le commissaire aux comptes.
Ces mêmes éléments qui attestent des actions menées par la direction pour recouvrer une rentabilité au-delà de l'année 2015 rendent tout aussi vaine l'organisation d'une expertise sur ce point.
Interrogée par les sociétés appelantes sur la différence de dotations aux provisions sur actifs circulant entre 2014 et 2015 la SAS Cacobène a répondu qu’il s'agit de l'impact d'un versement sur le compte courant Laurenciau puisqu'une somme d'environ 68 K€ a été remboursée au cours de l'année 2015".
Les sociétés ITM qui procèdent par affirmation, ne démontrent pas en quoi cette réponse serait insuffisante et ce point ne peut justifier l'organisation d'une expertise.
Concernant 'les fonds donnés par la société Cacobène à la société Laurianceau sans aucun remboursement' il ressort de l'exposé fait dans l'assignation à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Caen délivrée les 4 et 6 février 2019 par la SAS ITM alimentaire ouest à la SAS Cacobène et à monsieur L. que depuis l'approbation des comptes sociaux de l'exercice 2014 à la fin de l'année 2015 les appelantes savent que le compte courant de la société Laurienceau, holding de la société Cacobène, est débiteur à hauteur de la somme de 773 143 € dont 337 645 € correspondant à un chèque établi par la société Laurienceau et jamais encaissé alors que les écritures comptables ont été cependant passées, qu'en 2015 la société Cacobène 'avait encore remonté à la société Laurienceau une somme de 270 251 €', que de l'avis même du commissaire aux comptes pour l'exercice 2015 cette créance de 773143 € devait faire l'objet d'une dépréciation'.
Les propres réponses de la SAS Cacobène aux questions posées confirment que les avances consenties à la société Laurienceau également dirigée par monsieur L. ont fait l'objet de régularisations le 9 décembre 2015 avec effet rétroactif au 1er janvier 2015 sous forme d'une convention de trésorerie et d'une convention de prêt, que ces conventions réglementées n'ont pas été soumises au vote de l'assemblée et a fortiori n'ont pas été approuvées.
La SAS Cacobène admet également qu'elle n'a jamais dénoncé la convention de trésorerie ni invoqué la déchéance du terme du prêt 'car cela n'aurait certainement pas permis d'obtenir le remboursement des avances' et 'du prêt'.
La SAS Cacobène reconnaît encore que 'la dette totale de la société Laurenciau s'est constituée au fil du temps entre 2010 et 2015. Elle a permis à la société Laurienceau de faire face à des charges de personnel qui, auparavant, étaient supportées par la société Cacobène elle-même'.
Or la société Laurienceau est une société holding ayant pour seule activité la prise de participations dans d'autres sociétés et dont il n'est pas justifié qu'elle aurait eu à supporter à hauteur de la somme de 773 000 € des charges de personnel autres que celles en rapport avec son dirigeant, monsieur L..
Il ressort des précédents développements que les sociétés appelantes disposent des éléments d'information suffisants pour engager, si elles le souhaitent, les actions visant à faire sanctionner l'abus de biens social dont ces éléments font suspecter l'existence sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expertise sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 235-231.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmée en ce qu'elle a débouté les sociétés ITM de cette demande.
Contrairement à ce que soutiennent les appelantes la demande indemnitaire de la SAS Cacobène n'est pas nouvelle puisqu'elle réclamait déjà 10 000 € à titre de dommages et intérêts devant le premier juge et s'est contentée d'actualiser sa demande devant la cour en la portant à 30 000 €.
Dès lors qu'elle est autant le fait des sociétés ITM que de la SAS Cacobène la multiplication des procédures générée par le caractère très conflictuel de leurs relations ne suffit pas à caractériser l'intention de nuire prêtée aux appelantes dans le cadre de la présente instance.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmée en ce qu'elle a débouté la société Cacobène de sa demande de dommages et intérêts.
Ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront confirmées.
Parties perdantes les sociétés ITM doivent être déboutées de leur demande au titre des frais irrépétibles et condamnées in solidum aux dépens de la procédure d'appel que maître P. sera autorisé à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser la charge de ses frais irrépétibles à la SAS Cacobène à laquelle les sociétés ITM doivent être condamnées in solidum à payer la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, dans les limites de l'appel,
Confirme l'ordonnance de référé rendue le 6 mars 2019 par le président du tribunal de commerce de Caen dans toutes ses dispositions concernant les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest et la SAS Cacobène,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest aux dépens de la procédure d'appel que maître P. sera autorisé à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest à payer à la SAS Cacobène la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les sociétés ITM Entreprises et ITM Alimentaire Ouest de leur demande au titre des frais irrépétibles.