CA Versailles, 3e ch., 12 mai 2006, n° 05/01013
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GROUPE FLO (SA), HIPPO GESTION ET CIE (SNC)
Défendeur :
SEGVAMA (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme WALLON
Conseillers :
M. REGIMBEAU, Mme. CALOT
Avoués :
SCP DEBRAY CHEMIN, Me TREYNET
Avocats :
Cabinet TABET, Me LANNELONGUE
Suivant acte authentique passé le 29 juin 2001, en l'étude de Me NARBEY, notaire à Paris, la SARL SEGVAMA est devenue propriétaire de terrains faisant l'objet d'un lotissement dénommé commerces Emile Z. sis à Bezons (95) - 39 à 45 avenue Emile Zola, d une superficie totale de 13,603 m2.
La SARL SEGVAMA a par ailleurs acquis des époux D. une propriété bâtie sise au 41 Emile Z..
La S. N.C. HIPPO GESTION et Compagnie, membre du Groupe FLO s'est montrée intéressée par l'acquisition d'un de ces terrains.
Par lettre du 28 mai 2001, le Groupe FLO a fait une offre à la SARL SEGVAMA dans les termes suivants :
- acquisition d'une parcelle numérotée 72 + 407 et pour partie 404, telle qu elle figure sur le plan annexé aux présentes, moyennant le prix de 5.500.000 francs',
- cette acquisition est soumise à la condition que la SARL SEGVAMA concède l'usage de parkings communs à l'ensemble des lots avoisinants,
- il était également précisé que l'offre demeurait valable trois mois à compter de la réception de la lettre.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 août 2001, la SARL SEGVAMA donnait son accord sans aucune réserve à la proposition de la SNC HOPPO GESTION et Compagnie, précisant que l'usage de 60 places de parking lui était accordé.
Le 18 septembre 2001, le Groupe FLO notifiait par lettre recommandée avec accusé de réception sa volonté de ne pas donner suite au projet au motif que son offre était restée sans réponse pendant presque trois mois.
Le 8 février 2005, la société GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION & COMPAGNIE ont relevé appel du jugement contradictoire rendu le 21 janvier 2005 par le tribunal de grande instance de NANTERRE qui, statuant sur les demandes de la SARL SEGVAMA, a :
- dit que la lettre de la SA GROUPE FLO adressée le 28 mai 2001 à la SARL SEGVAMA constitue une offre d'acquérir la parcelle de terrain qu'elle vise,
- dit que le courrier de la SARL SEGVAMA en date du 27 août 2001 constitue une acceptation de cette offre,
- dit que la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Compagnie sont responsables de l'inexécution du contrat de vente ainsi passé,
- condamné in solidum la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Compagnie à verser à la SARL SEGVAMA la somme de 80.000 euros à titre de dommages intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné in solidum la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Compagnie à verser à la SARL SEGVAMA la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Cie, appelantes, demandent, par infirmation du jugement entrepris, par conclusions signifiées le 29 novembre 2005 :
• à titre principal, vu l'article 31 du nouveau code de procédure civile,
• constater l'absence d'intérêt et de qualité à agir de la SARL SEGVAMA,
• déclarer en conséquence la SARL SEGVAMA irrecevable en son action,
• à titre subsidiaire, vu les articles 1101 et 1181 du code civil,
• mettre hors de cause la SNC HIPPO GESTION et Cie,
• déclarer la SARL SEGVAMA mal fondée en ses demandes,
• débouter la SARL SEGVAMA de l'intégralité de ses demandes,
• en tout état de cause,
• condamner la SARL SEGVAMA à restituer à la société GROUPE FLO la somme de 80.000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2005, date de leur versement,
• condamner la SARL SEGVAMA à payer respectivement à la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie la somme de 9.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie font valoir que le courrier de la société GROUPE FLO en date du 28 mai 2001 a été adressé non pas à la société SEGVAMA, mais à une société dénommée KENTAUROS, laquelle aurait seule intérêt et qualité à agir contre elles, que les concluantes sont des entités juridiques distinctes, que le courrier du 28 mai 2001 est une lettre d'intention et ne constitue nullement une offre d'achat, qu'en tout état de cause, le contrat de vente n'aurait jamais pu se réaliser, la condition suspensive relative à l'obtention d'un permis de construire pour une SHON de 650 m2 minimale, n'était pas réalisée au jour de l'acceptation par la SARL SEGVAMA de la prétendue offre du GROUPE FLO.
Elles soutiennent que la SARL SEGVAMA ne rapporte nullement la preuve d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice qu'elle invoque.
La société SEGVAMA, intimée, par conclusions signifiées le 19 janvier 2006, demande de :
• confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a qualifié de contrat de vente l'offre faite par la SA GROUPE FLO le 28 mai 2001 et l'acceptation de la SARL SEGVAMA en date du 27 août 2001 et en ce qu'il a dit que la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION sont responsables de l'inexécution du contrat de vente ainsi passé, en ce qu'il a retenu le principe d'une indemnisation pour le préjudice subi et en ce qu'il a condamné in solidum la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie à payer à la SARL SEGVAMA la somme de 10.000 euros au titre des soucis et tracas,
• l'infirmer pour le surplus,
• vu les articles 1147 et subsidiairement, 1382 du code civil,
• condamner la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie à payer à la SARL SEGVAMA à titre de dommages intérêts, l'équivalent de 20 % du prix de vente, soit la somme de 167.694 euros du fait du préjudice résultant de l'immobilisation du terrain avec intérêts de droit à compter du 27 août 2001,
• subsidiairement, l'équivalent de 10 % du prix de vente, soit 83.847 euros,
• la somme de 231.696 euros correspondant au préjudice financier subi par la société SEGVAMA,
• condamner conjointement et solidairement la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie à payer la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société SEGVAMA objecte que le GROUPE FLO savait pertinemment qu'il contractait avec la société SEGVAMA, étant précisé que la société KENTAUROS est également gérée par M. Thierry F., que l'offre du 28 mai 2001 s'analyse en une offre sous condition de pouvoir utiliser les parkings et d'obtention du permis de lotir, que sa réponse le 27 août 2001, dans le délai de trois mois imparti, est une acceptation totale et sans réserve de l'offre faite par le GROUPE FLO tant en ce qui concerne l'objet de la vente que ses caractéristiques et son prix, que les conditions sont levées puisque elle a accepté de concéder l'usage des parkings et l'autorisation de lotir a été délivrée par la mairie de BEZONS le 20 juin 2001, que les appelantes avaient entrepris toutes les démarches pour obtenir le permis de construire qui a été accordé le 10 octobre 2001 sans modification, que le refus de donner suite à son offre constitue une inexécution de son engagement et le GROUPE FLO était tenu au titre de l'article 1147 du code civil, au paiement de dommages intérêts, qu'elle n'a pas pu retrouver un acquéreur qu'en août 2003 (société ETAP HOTEL).
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 16 février 2006.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que le moyen d'irrecevabilité tiré du défaut d'intérêt et de qualité à agir de la société SEGVAMA a été à bon droit écarté par les premiers juges, dès lors que les appelantes savaient qu'elles contractaient avec la société SEGVAMA et non la société KENTAUROS, que les courriers du vendeur émanent de la société SEGVAMA, étant rappelé que M. Thierry F. est le gérant de ces deux sociétés ;
Que de même, le jugement entrepris a considéré à juste titre que la société HIPPO GESTION et Cie, au regard des liens de droit l'unissant au GROUPE FLO, ne pouvait être mise hors de cause ;
- Sur le refus de contracter opposé par le GROUPE FLO
Que l'offre de contracter émanant du GROUPE FLO formulée par courrier du 28 mai 2001 a été consolidée par la réponse adressée le 27 août 2001 par la SARL SEGVAMA dans le délai imparti de trois mois, qui a repris à l'identique les caractéristiques de l'achat projeté : localisation du terrain à acquérir, prix de la transaction, superficie de la S. C.H. O.N, usage des parkings communs ;
Que le GROUPE FLO prenait l'engagement unilatéral d'exécuter la prestation offerte, sous condition de l'acceptation du destinataire mise en oeuvre par l'établissement d'une promesse de ventre notariée en l'étude de Me BRANDON, notaire à Paris 17 ème ;
Que l'acceptation de l'offre de contracter formulée dans le courrier en réponse de la SARL SEGVAMA (LRAR) concrétise l'échange d'un accord de volontés ferme et définitif entre les parties sur les éléments essentiels de la transaction, cette dernière précisant que son notaire, Me NARBEY, notaire associé à Paris 18 ème, adressera prochainement à Me BRANDON, un projet de promesse de vente et proposant un rendez vous de signature première quinzaine de septembre 2001 ;
Qu'un projet de promesse unilatérale de vente d'un lot de lotissement reprenant les termes de l'accord conclu entre les parties, a été effectivement adressé le 28 août 2001 par Me NARBEY à Me BRANDON ;
Qu'il convient de rappeler que les actes accomplis par les appelantes durant le délai de validité de l'offre de contracter, sont évocateurs de cette manifestation de volonté : envoi par fax à la SARL SEGVAMA le 18 juin 2006 d'un modèle de lettre à compléter pour l'autorisation de dépôt du permis de construire par le propriétaire, obtention du permis de lotir le 20 juin 2001, dépôt de la demande de permis de construire le 11 juillet 2000 par la société HIPPO GESTION et Cie ;
Que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l'offre de contracter ne peut s'analyser en une lettre d'intention, dans la mesure où cette offre est l'aboutissement des pourparlers échangés entre les parties sur les conditions d'acquisition depuis le 21 juillet 2000 (courrier de la société Hippo Gestion et Cie à M. F.), que la seule condition formulée concerne les parkings et nullement le quantum de la S. C.H. O.N, le permis de construire n'ayant été accordé que le 10 octobre 2001, étant rappelé que les appelantes ne contestent pas que la S. C.H. O.N avait été omise dans la demande de permis de construire ;
Qu'en conséquence, cette offre ayant été expressément acceptée sans réserves par la SARL SEGVAMA, la SA GROUPE FLO ne pouvait plus rétracter son offre de contracter le 18 septembre 2001 sur les conditions essentielles du contrat concernant la chose et le prix au sens de l'article 1583 du code civil sans engager sa responsabilité, du fait du non respect de son engagement contractuel ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la société HIPPO GESTION et Cie et le GROUPE FLO doivent être déclarés responsables de l'inexécution de la vente du terrain appartenant à la SARL SEGVAMA ;
- Sur la réparation du préjudice subi du fait de la rétractation de l'offre du GROUPE FLO acceptée par la société SEGVAMA
* du chef de l'immobilisation du terrain
Que l'immobilisation a duré un peu plus d'un an, du fait de pourparlers pendant 13 mois, que cependant aucune exclusivité n'avait été accordée ;
Que ce chef de préjudice sera indemnisé à hauteur de 50.000 euros ; * pour soucis et tracas
Que les premiers juges ont retenu à bon droit que le préjudice de la société SEGVAM devait être évalué à la somme de 10.000 euros ;
* préjudice financier
Qu'au regard des pièces produites, de la circonstance qu'un bail commercial en l'état futur d'achèvement ait été signé en août 2003, l'indemnité allouée sera d'un montant de 80.000 euros ;
Que l'indemnisation totale s'élève donc à 140.000 euros ;
Que les considérations d'équité commandent de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de la société SEGVAMA en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Compagnie sont responsables de l'inexécution du contrat de vente ainsi passé et condamné in solidum la SA GROUPE FLO et la SNC HIPPO GESTION et Compagnie à verser à la SARL SEGVAMA la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles,
INFIRMANT le jugement sur le montant de l'indemnisation allouée,
Et statuant à nouveau,
CONDAMNE in solidum la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie à payer à la société SEGVAMA la somme de 140.000 euros à titre de dommages intérêts,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE in solidum la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie à payer à la société SEGVAMA la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE in solidum la SA GROUPE FLO et la société HIPPO GESTION et Cie aux dépens de première instance et d'appel et admet Me TREYNET, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame THEODOSE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.