CA Versailles, 16e ch., 26 mars 2020, n° 18/07415
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
EOS France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grasso
Conseillers :
Mme Nerot, Mme Deryckere
Agissant en vertu d'un jugement réputé contradictoire (devenu définitif) rendu le 28 avril 2004 par le tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt qui a condamné madame Farida B. à payer à la société Cetelem une somme en principal de 19.883,43 euros outre intérêts au taux de 10,63 % à compter du 16 juin 2003, la société Eos France (anciennement dénommée Eos Credirec) qui se présente comme venant aux droits de la société Cetelem (devenue BNP Personal Finance) à la faveur d'une cession de créances notifiée puis signifiée les 20 mars 2013 puis 30 mars 2016 expose qu'après vaine tentative de règlement amiable du litige puis infructueuse saisie-attribution sur les comptes bancaires de la débitrice, elle a été conduite à déposer une requête aux fins de saisie de ses rémunérations le 26 juillet 2016.
Par jugement contradictoire rendu le 29 janvier 2018 le tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt, saisi de diverses contestations après l'échec de la tentative de conciliation, a dit la procédure régulière et la société Eos Credirec recevable,
-fixé la créance de la SA Crédirec comme suit :
* principal : 19.883,43 euros
* intérêts : 4.233,01 euros
* frais : 202 euros
soit un total de 24.318,44 euros,
-ordonné la saisie des rémunérations de madame Farida B. par la SA Eos Credirec pour la somme de 24.318,44 euros,
-dit qu'à compter de la présente décision les seuls intérêts sur cette créance porteront au taux légal sur la somme de 19.883,43 euros
-rejeté pour le surplus les autres demandes,
-ordonné l’exécution provisoire,
-condamné madame Farida B. aux dépens,
Par dernières conclusions (n° 3) notifiées le 03 février 2020 madame Farida B., appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 29 octobre 2018, prie la cour, visant les dispositions des articles L. 3252-11 et suivants, R. 3252-5 du code du travail, 117 et 119 du code de procédure civile, L. 218 du code de la consommation, d'infirmer ce jugement et, statuant à nouveau :
à titre principal , de prononcer la nullité de la requête aux fins de saisie des rémunérations reçue le 26 juillet 2016 par le greffe du tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt, en conséquence de débouter la société Eos France (anciennement dénommée Eos Crédirec) de toutes ses demandes, fins et prétentions,
à titre subsidiaire , de prononcer la prescription de l'action introduite par la société Eos France, en conséquence de « débouter » la société EOS France de toutes ses demandes, fins et prétentions,
plus subsidiairement , d'ordonner la prescription des intérêts échus avant le 26 juillet 2014,
plus subsidiairement, d'ordonner que la créance, cause de la saisie, produira intérêt à un taux réduit à compter de l'autorisation de saisie,
en toute hypothèse , de condamner la société Eos France à verser à maître H. la somme de 2.500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ainsi qu'au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de maître H., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 15 janvier 2020 la société par actions simplifiée Eos France (anciennement dénommée Eos Crédirec, venant aux droits de la société Cetelem) demande à la cour, visant les articles L 111-3 et suivants, L. 212-1 et suivants et R. 212-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution , L. 3252-1 à L. 3252-13 et R. 3252-1 à R. 3252-49 du code du travail, de :
-confirmer le jugement rendu le 29 janvier 2018 par le tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt en toutes ses dispositions,
en conséquence et y ajoutant,
-déclarer que la société Eos France vient aux droits de la société Cetelem et est désormais créancière de madame Farida B.,
-déclarer que le jugement rendu le 28 avril 2004 par le tribunal d'instance de Boulogne Billancourt constitue un titre exécutoire définitif permettant l'exercice de toutes voies d’exécution forcée,
-déclarer que la contestation de madame Farida B. est infondée,
-ordonner la saisie des rémunérations de madame Farida B. pour la somme de 33.337,31 euros,
-débouter madame Farida B. de l'intégralité de ses demandes,
-condamner madame Farida B. à payer à la société Eos France la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner madame Farida B. aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés par maître de C., avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 février 2020.
Sur la contestation de la validité de la requête aux fins de saisie des rémunérations
Attendu que l'appelante oppose d'abord à la société Eos France une exception de nullité de cette requête en faisant valoir que l'huissier ayant délivré cette requête officiait à Calais et non dans le ressort du tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt, que le mandat que produit son adversaire, antérieur de deux années à la mesure, est un mandat général qui ne vise par madame B. qu'en raison de ce défaut de pouvoir, il doit être fait application des dispositions des articles 117 et 119 du code de procédure civile sans qu'elle n'ait à prouver l'existence d'un grief ;
Qu'elle soutient ensuite que cette requête, en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 3252-13 du code du travail, n'indique pas le mode de calcul des intérêts figurant dans le décompte de la créance qu'elle présentait, que c'est là une cause de grief puisqu'elle n'est pas en mesure de vérifier le montant des intérêts réellement dus et que cette irrégularité est sanctionnée par la nullité;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 02 novembre 1945 modifié les huissiers de justice sont des officiers ministériels ayant qualité pour « ramener à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire » et qu'ils jouissent d'une compétence territoriale élargie depuis l'adoption de la loi du 06 août 2015 ;
Que la société Eos produit un acte daté du 22 juillet 2014 donnant mandat à l'huissier en cause de déposer des requêtes en saisie des rémunérations, peu important sa date puisque ce mandat n'était pas à durée déterminée ou qu'il ne vise pas précisément le titre exécutoire en cause dès lors qu'est légale la pratique d'un mandat général ; qu'enfin, lors de l'audience de conciliation, la créancière était représentée par un huissier territorialement compétent ;
Que ce premier moyen de nullité ne peut donc prospérer ;
Que, s'agissant du grief tiré de l'irrégularité du décompte figurant dans la requête, soustrayant les intérêts prescrits et faisant apparaître les intérêts décomptés sans en préciser le détail, l'examen du décompte produit conduit à considérer que les sommes dues y sont exactement et exhaustivement précisées, ainsi que jugé par le tribunal ; que l'irrégularité dénoncée tenant à la production d'un décompte insuffisamment explicite ne constitue qu'un vice de forme et que la production en cours d'instance d'un décompte détaillé est de nature à faire disparaître le grief invoqué (Cass civ 2ème, 11 février 2010, pourvoi n° 08-22067, publié au bulletin) ;
Que madame B. échoue en ce second moyen de nullité ;
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Attendu que madame B. fait subsidiairement valoir que l'action du créancier est prescrite, par application de l'article L. 218-2 du code de la consommation applicable à l'ouverture de crédit qui lui a été consentie par la société Cetelem le 09 octobre 1999 et qui prévoit une prescription biennale ; qu'elle tire argument d'un avis rendu par la cour de cassation le 04 juillet 2016 (n° 16-70004) aux termes duquel « ce texte ne distingue pas selon le type d'action et, notamment pas entre les actions en paiement en vue d'obtenir un titre exécutoire et celles en recouvrement en vertu d'un tel titre » et, rappelant que le jugement fondant la poursuite a été rendu le 28 avril 2004, elle se prévaut de l'acquisition de cette prescription ;
Mais attendu que s'il est vrai que l'article L. 218-1 du code de la consommation prévoyant un délai biennal de prescription dérogatoire au droit commun qui a vocation à s'appliquer à toutes les actions engagées par un professionnel à l'encontre d'un consommateur, comme l'est l'action en recouvrement de la société Eos France à l'encontre de madame B., il résulte de l'article L 114-1 du code des procédures civiles d' exécution issu de la réforme de 2008 sur la prescription, que le créancier peut poursuivre pendant dix ans l' exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques ;
Que ce délai de prescription du jugement s'applique aux créances dues et échues à sa date, et que seules les obligations qui en découlent ultérieurement, non encore judiciairement constatées et liquidées, se prescrivent selon le délai originel qui leur est applicable ;
Que la requête ayant été déposée, en l'espèce, dans le délai de prescription de l'action en recouvrement qui expirait, selon les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, le 19 juin 2018, cette fin de non-recevoir doit être rejetée, comme en a décidé le premier juge ;
Sur la créance au titre des intérêts
Attendu qu'il convient en premier lieu d'observer que bien que la société intimée poursuive dans le dispositif de ses dernières conclusions, la confirmation du jugement « en toutes ses dispositions », elle demande « en conséquence » à la cour de fixer sa créance à la somme de 33.337,31 euros initialement décomptée dans sa requête alors que le premier juge en a réduit le montant à la somme de 24.318,44 euros en minorant le montant des intérêts exigibles ;
Que la société Eos France ne développant aucun moyen au soutien de cette demande, en méconnaissance des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, et le tribunal ayant à bon droit fait application du délai biennal de prescription aux intérêts de la créance en en réduisant le montant à la somme de 4.233,01 euros selon un décompte fourni par la créancière, il échet de confirmer le jugement de ce chef ;
Attendu, s'agissant en second lieu de la demande subsidiaire de madame B. tendant à ce qu'il soit ordonné que la créance, cause de la saisie, produise intérêt à un taux réduit, qu'elle ne chiffre pas, à compter de l'autorisation de saisie de ses rémunérations, que l'appelante fait état d'une quotité saisissable de son salaire nulle au jour de ses écritures ;
Mais attendu que le premier juge, réduisant au taux légal les intérêts produits par la créance en principal qu'il retenait, a justement pris en considération l'état de santé invoqué par madame B. et la précarité de sa situation matérielle en faisant application des dispositions de l'article L. 3252-13 du code du travail ;
Qu'en outre, la société Eos France, qui poursuit la confirmation du jugement sans contester cette disposition du jugement, fait pertinemment valoir qu'il appartiendra à la juridiction en charge de la répartition de mettre en oeuvre la saisie des rémunérations, justifiée dans son principe, selon les conditions et modalités prévues par le législateur ;
Qu'il s'en évince que la décision doit être confirmée sur cet autre point ;
Sur les autres demandes
Attendu que l'équité ne conduit pas à faire application de l'article 700 du code de procédure civile;
Que madame Farida B. qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;
CONFIRME le jugement entrepris et, y ajoutant ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes réciproques fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE madame Farida B. aux dépens d'appel, en application de l'article 42 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1991, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.