CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 30 mars 2017, n° 14/25447
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Otis (SCS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grasso
Conseillers :
Mme Jeanjaquet, Mme Mongin
Par jugement en date du 15 octobre 2002, confirmé par arrêt de la cour d'appel rendu le 20 septembre 2004, le tribunal de commerce de Reims condamnait, « solidairement et conjointement » monsieur Robert D. et madame Nicole D. à verser à la société OTIS la somme, en principal de 9348,37 euros.
Sur le fondement de ce titre exécutoire, la société OTIS, par requête en date du 13 juin 2012, a sollicité la saisie des rémunérations de madame D. à hauteur de 20755,55 € pour un principal de 9348,37 €; à défaut de conciliation un acte de saisie a été dressé le 15 novembre suivant; madame D. formait opposition par courrier en date du 21 novembre suivant.
Par requête en date du 21 juin 2013, la société OTIS a demandé la saisie des rémunérations de monsieur D., lequel soulevait une contestation à l'audience de conciliation.
Les deux contestations ont été jointes par le tribunal lors de l'audience du 21 janvier 2014, l'affaire ayant été plaidée le 20 mai 2014. Devant le tribunal les époux D. ont soulevé l'incompétence territoriale du tribunal de Bobigny, contesté la validité de la saisie et sollicité à titre subsidiaire une réduction du taux d'intérêt à 0,5%.
Par jugement en date du 23 septembre 2014, le tribunal d'instance de Bobigny:
- s'est déclaré territorialement compétent,
- a fixé «la créance de madame D.» à l'égard de la société OTIS à la somme de 17672,97 euros et ordonné la rectification de l'acte de saisie en ce sens,
- a fixé «la créance de monsieur D.» à l'égard de la société OTIS à la somme de 18161,16 euros et autorisé la saisie pour ce montant,
- a dit que ces deux créances porteraient intérêts au taux de 1% à compter du 24 septembre 2014,
- a condamné solidairement monsieur et madame D. à verser à la société OTIS la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a ordonné l'exécution provisoire et condamné monsieur et madame D. aux dépens.
Par déclaration en date du 17 décembre 2014, monsieur et madame D. ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions en date du 2 janvier 2017, ils soulèvent in limine litis, au visa de l'article R. 3252-7 du Code du travail, l'incompétence territoriale du tribunal d'instance de Bobigny, leur domicile étant situé [...], ce que n'ignorait pas la société OTIS qui leur a fait délivrer de nombreux actes de procédure à cette adresse, seul leur fils habitant à Drancy, et demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris qui a déclaré compétent un tribunal dans le ressort duquel ils n'ont pas leur domicile, de déclarer nul l'acte de saisie des rémunérations de madame Nicole D., de condamner la société OTIS à rembourser le total des sommes saisies au jour du prononcé de l'arrêt, lesquelles s'élevaient au mois de décembre 2016 à la somme de 7406,97 euros.
A titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à l'exception d'incompétence, ils sollicitent:
- l'infirmation du jugement entrepris qui a créé deux créances distinctes alors qu'il n'en existe qu'une,
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a autorisé la saisie des rémunérations de monsieur D. dont la retraite est inférieure au seuil permettant une saisie des rémunérations,
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que la prescription quiquennale des intérêts courait à compter de l'acte d'exécution délivré le 9 février 2011, au lieu de l'acte de saisie du 15 novembre 2012,
- l'exonération de tout intérêt du fait de leur situation de précarité,
- la condamnation de la société OTIS à leur verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société OTIS, dans ses dernières conclusions d'intimée en date du 30 avril 2015, demande l'entière confirmation du jugement entrepris ainsi que la condamnation des appelants à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à régler les entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2017.
Sur l'exception d'incompétence du tribunal d'instance de Bobigny
Considérant que les époux D. ont contesté la compétence du tribunal d'instance de Bobigny en faisant valoir qu'ils étaient domiciliés depuis une vingtaine d'années à REIMS, [...] dans une maison appartenant à l'office rémois d'HLM; que c'est leur fils Gabriel D. qui demeure dans un appartement de 40 m2 à Drancy, où les époux D. se rendent parfois;
Qu'à l'appui de leur exception d'incompétence ils se sont fondés sur les dispositions de l'article R. 3252-7 du Code du travail qui dispose: «Le juge d'instance compétent pour connaître de la saisie des sommes dues à titre de rémunération est celui du domicile du débiteur.
Si celui-ci réside à l'étranger ou n'a pas de domicile connu, la procédure est portée devant le juge d'instance du lieu où demeure le tiers saisi.
Ces règles de compétence sont d'ordre public»;
Que le tribunal d'instance a retenu sa compétence au motif que madame D. avait signé l'accusé de réception et s'était fait représenter par son mari à l'audience de conciliation du 15 novembre 2012, sans qu'à cette date ait été relevé un problème de compétence ce qui constituait une reconnaissance de résidence dans le ressort du tribunal d'instance de Bobigny, tout en constatant que madame D. avait dans son courrier de contestation mentionné son adresse à Reims; le tribunal s'est également fondé sur les dispositions de l'article R. 3252-42 du Code du travail pour fonder sa décision;
Mais considérant que l'absence de contestation de la compétence territoriale du tribunal d'instance lors de la phase de conciliation, ne saurait valoir reconnaissance de la compétence du tribunal saisi ni faire obstacle à ce que le moyen pris de l'incompétence de ce tribunal soit valablement soulevé devant la formation de jugement dudit tribunal devant qui s'ouvrent les débats;
Considérant également que l'article R. 3252-42 du Code du travail ne saurait trouver application en l'espèce, dès lors que monsieur et madame D. soutiennent, et justifient, qu'ils habitent à Reims depuis plusieurs dizaines d'années;
Qu'en effet, tant la signification du jugement rendu par le tribunal de commerce en 2003, que l'arrêt confirmatif rendu en 2004 par la cour de Reims, sa signification et les actes d'exécution forcée réalisés en 2011 et 2012, mentionnent l'adresse des époux D. à [...]; que les appelants justifient par la production de leurs feuilles d'impôts, quittances de loyer et relevés de comptes bancaires dans un établissement situé à Reims, que c'est bien dans cette ville qu'ils ont leur domicile et le centre de leurs intérêts, ce que la société OTIS ne peut prétendre avoir ignoré;
Considérant, en conséquence qu'il convient de faire droit au moyen soulevé par les appelants pris de l'incompétence territoriale du tribunal d'instance de Bobigny, le tribunal compétent étant celui de Reims et d'infirmer le jugement de ce chef;
Considérant cependant, que l'article 79 du Code de procédure civile prévoit que la cour d'appel ne peut statuer sur l'ensemble du litige que si elle est la juridiction d'appel relativement à la juridiction compétente, dans les autres cas, elle doit renvoyer l'affaire devant la cour qui est juridiction d'appel de la juridiction qui eût été compétente en première instance ;
Qu'en l'occurrence, le tribunal d'instance de Reims n'étant pas dans le ressort de la cour d'appel de Paris, il convient de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Reims;
Que l'entier litige étant déféré à la cour d'appel de Reims, il appartiendra à cette juridiction de statuer sur les entiers dépens de la procédure; que l'équité commande de condamner la société OTIS à verser aux époux D. une somme de 800 euros en remboursement des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la présente procédure devant la cour d'appel de Paris;
- Infirme le jugement rendu par le tribunal d'instance de Bobigny le 23 septembre 2014, en ce qu'il s'est déclaré compétent pour poursuivre les procédures de saisie des rémunérations de madame D. et de monsieur D. concernant le paiement solidaire des sommes dues à la société OTIS,
- Renvoie pour le surplus de l'examen de la procédure d'appel, le dossier à la cour d'appel de Reims à la diligence du greffe de la cour d'appel de Paris,
- Condamne la société OTIS à verser à monsieur et madame D., pris ensemble, la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.