CA Aix-en-Provence, 15e ch. A, 17 juin 2016, n° 14/21288
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse de Crédit Mutuel de l’Etang de Berre (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coleno
Conseillers :
Mme Bel, M. Tatoueix
Par le jugement dont appel du 4 novembre 2014, le tribunal d'instance de Digne-les-Bains a rejeté la requête déposée le 24 septembre 2013 par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE en saisie des rémunérations de Christian B. pour recouvrement d'une créance de 101.208,84 € en vertu de la copie exécutoire d'un acte notarié de prêt du 11 août 2003, considérant :
-que la demande d'annulation de la requête pour défaut de précision du décompte sur les échéances impayées, les intérêts, leur taux, ainsi que les acomptes perçus et leur imputation n'est pas fondée en l'absence de preuve d'un grief dès lors qu'il dispose de la possibilité d'en demander la vérification au juge,
-que la demande de production des pièces de l'enquête pénale de l'affaire dite APOLLONIA n'est pas nécessaire à la solution du litige,
-que l'exception aux fins de sursis, présentée après une première exception de nullité est recevable, mais non fondée dès lors que le sursis n'est pas obligatoire et que preuve n'est pas rapportée que la plainte pénale serait susceptible d'exercer une influence sur la validité du prêt et la solution du litige,
-que l'exercice d'autres voies d'exécution à l'encontre du débiteur est inopérant dès lors qu'aucune information n'est donnée sur les sommes qu'elles ont permis d'obtenir,
-que la représentation par une secrétaire notariale au lieu d'un clerc de notaire prévu au mandat donné est cause de nullité, que l'exécution du prêt ne vaut pas confirmation de l'acte en vertu de l'article 1338 du code civil faute de connaissance du vice et d'intention de le réparer, que l'article 1998 alinéa 2 du code civil n'est pas applicable s'agissant d'un défaut de pouvoir et non d'un dépassement.
Le tribunal d'instance a en conséquence annulé le titre exécutoire et rejeté la requête, mais en outre rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive faute de preuve d'une erreur grossière ou d'une mauvaise foi du poursuivant.
Vu les dernières conclusions déposées le 8 mars 2016 par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE, appelante, tendant à la réformation de cette décision et demandant à la Cour de débouter M.B. de toutes ses demandes, de donner effet à la saisie des rémunérations de M.B., soutenant notamment :
que le moyen de nullité tiré du décompte n'est pas fondé en l'absence de texte, qu'il a été satisfait aux prescriptions de l'article R. 3252-13 du code du travail et que l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution impute au débiteur les frais de l'exécution forcée,
qu'il ne peut y avoir lieu à sursis à statuer du fait de l'information pénale en cours, purement dilatoire, que le dol invoqué qui procéderait des agissements de la société APOLLONIA qui n'est pas mandataire de la banque n'est pas justifié,
que les engagements souscrits par un mandataire dépourvu de pouvoir ont été ratifiés par l'emprunteur dans les termes de l'article 1998 alinéa 2 du code civil,
que le moyen de nullité d'un acte qui a reçu un commencement d'exécution est prescrit après un délai de cinq ans,
que, tiers au mandat, elle n'avait pas à vérifier les pouvoirs du mandataire, que Monsieur B. est engagé à son égard,
que le moyen tiré de l'article R. 211-8 du code des procédures civiles d'exécution n'est pas fondé, le défaut de paiement par le tiers saisi qui serait imputable à la négligence du créancier n'étant pas déterminé, alors qu'elle a fait diligence pour recouvrer sa créance, que 32.561,66 € ont été recouvrés par voie de saisies-attributions et que M.B., qui conteste toutes les mesures entreprises, reste devoir 80.170,60 € au 1er septembre 2015,
que la demande de délai de grâce n'est pas justifiée, M.B. ne fournissant aucun renseignement sur sa situation patrimoniale et financière,
Vu les dernières conclusions déposées le 8 février 2016 par Christian B. tendant :
*à la nullité de la requête à raison du caractère erroné et à tout le moins incomplet du décompte, en raison du défaut de détail du nombre et des dates des échéances impayées...défaut d'indication du taux d'intérêts, ce qui fait nécessairement grief dès lors que le débiteur se trouve dans l'impossibilité de calculer le montant exact de sa dette,
*à défaut au sursis à statuer à tout le moins jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur le plan pénal, lequel s'impose au regard de la validité du titre mais également des droits de la défense,
*à titre principal à la déchéance du droit d'agir du crédit mutuel à l'égard du crédit mutuel (sic) au visa de l'article R211-8 du COJ (sic), le crédit mutuel étant un créancier négligent vis-à-vis du tiers saisi, soutenant qu'en vertu d'une saisie-attribution de loyers initiée le 6 mars 2009, le crédit mutuel n'aurait perçu du tiers saisi que 32.561,66 € sur plus de 80.000 € attendus, qu'étant négligent contre le tiers saisi il perd son recours contre le débiteur contre lequel il fait grossir sans cesse les intérêts,
*à titre encore subsidiaire d'ordonner la nullité et la mainlevée de la saisie au constat que la créance de la banque n'est ni liquide ni exigible, les acomptes perçus n'étant pas mentionnés ni leur imputation, les décomptes produits étant incohérents,
*à titre plus subsidiaire d'ordonner le report de la dette de 24 mois sans intérêt en considération de son état d'endettement, de sa qualité de débiteur de bonne foi, victime d'une escroquerie,
*en tout état de cause de rejeter la requête comme inutile et abusive alors que le créancier détient des garanties, a engagé une procédure de saisie immobilière ainsi qu'une saisie-attribution qui est toujours en cours, et de condamner la banque au paiement de la somme de 2000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral occasionné par le caractère très vexatoire de la mesure,
Vu les dernières conclusions déposées le 7 avril 2015 par Maître B. et la SCP R. D. B. C. L. avec appel incident tendant à la réformation du jugement dont appel, au rejet des moyens fondés sur l'absence de qualité du mandataire et demandant à la Cour de condamner M.B. au paiement de la somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Vu l'ordonnance de clôture du 9 mars 2016,
Vu les conclusions déposées par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE le 8 mars 2016, veille de la clôture et de l'audience,
Vu les conclusions déposées le 9 mars 2016 tendant au rejet de ces dernières,
Attendu que les époux B. ne précisent pas quels sont les éléments des dernières conclusions adverses qui auraient exigé réponse de leur part, ni donc en quoi le principe de contradiction aurait été méconnu ;
Attendu, sur la nullité de la requête, qu'aux termes de l'article R. 3252-13 du code du travail, la demande de saisie des sommes dues à titre de rémunération est formée par requête remise ou adressée au greffe par le créancier, laquelle, outre les mentions prescrites par l'article 58 du code de procédure civile, contient à peine de nullité (') « 2°le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus ainsi que l'indication du taux des intérêts » ;
Attendu que la requête telle qu'elle figure au dossier du tribunal, vise l'acte de prêt notarié et contient un décompte des sommes dont le paiement est poursuivi présenté ainsi qu'il suit ;
total restant dû en euros : 101.208,84 €
que suit un détail des frais de procédure en 7 rubriques, et un détail des versements en une rubrique (un virement opéré par M.B. le 9 avril 2013), puis un tableau intitulé « détail des intérêts » qui ne contient aucune mention afférente à des intérêts contrairement à son titre mais, en deux lignes, apprend seulement que le virement ci-dessus est en réalité issu d'une saisie-attribution et n'est venu en couverture de la créance qu'après déduction de frais ;
Attendu que les époux B. sont fondés à soutenir que l'examen de l'acte de prêt apprend que le principal ci-dessus mentionné comprend nécessairement des intérêts puisque la somme prêtée s'élevait à 75.000 € ;
que la requête ne distingue donc pas les intérêts ;
qu'elle n'indique pas non plus le taux d'intérêt appliqué ;
Attendu que la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE soutient qu'un décompte détaillé était joint à la requête, ce que conteste l'intimé ;
mais que la requête ne mentionne pas qu'un décompte est joint, et qu'il n'en existe pas joint à la requête qui figure dans le dossier du tribunal ;
Attendu que la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE, qui dans ses conclusions ne vise aucune pièce à l'appui de son affirmation ci-dessus, ne démontre pas le fait contesté par les pièces qu'elle produit dont le bordereau ne mentionne aucun décompte arrêté à une date proche et pour la somme visée à la requête ;
que les seuls décomptes qu'elle produit sont, en pièce n°11 un décompte dont la date est au 22 janvier 2009, et en pièce n°38 un décompte arrêté au 20 mai 2014 ;
Attendu que la nullité est par conséquent encourue, si toutefois la partie saisie prouve le grief qui résulte de ces irrégularités ;
Attendu que de l'examen des décomptes ci-dessus produits par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE, il ressort que :
-le premier au 22 janvier 2009 est établi pour 75.045,70 € et mentionne un « taux actuel » de 9,40,
-le second au 20 mai 2014 est établi pour 83.537,49 € et mentionne : « intérêts 6,40% » ;
Attendu qu'il résulte de ces constatations que M.B. est fondé à soutenir que l'irrégularité de la requête lui cause grief dès lors qu'il s'en trouve placé dans l'incapacité de déterminer le montant réel de la créance ;
qu'il n'a pas échappé à la Cour que M.B. a -seul- produit en sa pièce n°55 un décompte de créance qu'il vise dans ses conclusions et qui est arrêté au 16 janvier 2013 à la somme de 102.209,01 €, soit la somme mentionnée dans la requête, et mentionne : « intérêts 6,400%, majoration 3,000% » ;
mais que cette donnée, qui fait apparaître qu'un tel décompte a bien existé, n'améliore pas la situation et ne modifie pas l'existence originaire du grief alors que les derniers décomptes produits par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE (pièce 48) sont tous établis sur la base d'un intérêt de 6,40 € ;
Attendu qu'il s'ensuit que la nullité de la requête est à bon droit soutenue ;
qu'il n'y a par conséquent pas lieu de prononcer sur les autres moyens ;
Attendu que Christian B. ne démontre pas le caractère fautif de l'action de la banque impayée ;
Attendu qu'il suit nécessairement du sens de la décision que la demande de dommages-intérêts formée par les notaires contre Christian B. n'a pas de fondement ;
Infirme le jugement dont appel et, statuant à nouveau,
Prononce la nullité de la requête déposée le 24 septembre 2013 par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE aux fins de saisie des rémunérations de Christian B. ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples;
Condamne la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE L'ETANG DE BERRE aux entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.