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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 30 septembre 2021, n° 20/15136

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Belvedere (SA)

Défendeur :

M&A Partners (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

M. Malfre, M. Gouarin

Juge de l'exécution de Paris, du 22 oct.…

22 octobre 2020

Le 6 novembre 2003, la société Le Belvédère a donné à bail commercial à la société M. & Associés des locaux situés [...], moyennant un loyer annuel d'un montant de 107 500 euros hors taxes et hors charges.

Le 6 février 2013, ce bail a été renouvelé, moyennant un loyer annuel d'un montant de 113 400 euros hors taxes et hors charges.

Par jugement du 5 octobre 2018 assorti de l'exécution provisoire et signifié le 18 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a, notamment, annulé ce bail, condamné la société Le Belvédère à restituer à la société M. & Associés la somme de 205 214,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017, celle de 10 000 euros à titre d'indemnité de procédure et aux dépens.

Cette juridiction a également ordonné l'expulsion de la société M&A Partners et condamné cette dernière à verser à la société Le Belvédère une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 8 340 euros à compter du 1er juillet 2018 jusqu'à la libération des lieux.

Un procès-verbal d'expulsion du preneur a été établi le 22 août 2019.

En exécution de ce jugement, la société M&A Partners, venant aux droits de la société M. & Associés, a fait pratiquer, le 21 novembre 2018, une première saisie-attribution dont la validité a été reconnue par jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris du 18 avril 2019, confirmé par arrêt de cette cour du 28 janvier 2021.

Le 27 mai 2020, la société M&A Partners a fait pratiquer une nouvelle saisie-attribution à l'encontre de la société Le Belvédère, entre les mains de la société Perspective Habitat, preneur de locaux appartenant au débiteur saisi, en recouvrement de la somme de 130 648,50 euros, saisie dénoncée le 29 mai 2020.

Suivant acte du 26 juin 2020, la société Le Belvédère a fait assigner la société M&A Partners devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins, notamment, de voir annuler cette saisie et condamner le poursuivant à lui payer la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts.

Par jugement du 22 octobre 2020, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a dit n'y avoir lieu d'annuler la saisie-attribution du 27 mai 2020, rejeté la demande de désignation d'un séquestre ainsi que la demande reconventionnelle de dommages-intérêts et a condamné la société Le Belvédère à verser à la société M&A Partners la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.

Selon déclaration du 23 octobre 2020, la société Le Belvédère a interjeté appel de cette décision.

Suivant arrêt du 2 mars 2021, signifié le 25 mars 2021, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 5 octobre 2018 sauf en ce qui concerne le montant des condamnations pécuniaires et a, notamment, condamné la société Le Belvédère à payer à la société M&A Partners la somme de 1 518 738 euros au titre des loyers indûment réglés entre 2014 et 2017 et des honoraires de commercialisation ainsi que celle de 8 000 euros à titre d'indemnité de procédure.

La cour a également réduit le montant de l'indemnité d'occupation mise à la charge de la société M&A Partners en la fixant à la somme mensuelle de 5 000 euros à compter du 5 octobre 2018.

La société Le Belvédère a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, actuellement en cours.

Sur requête de cette dernière, le président du tribunal de commerce de Paris a, par ordonnance du 9 mars 2021 au visa des article L. 611-4 et suivants et R. 611-23 et suivants du code de commerce ainsi que des ordonnances n°2020-341 du 27 mars 2020, n°2020-596 du 20 mai 2020 et n°2020-1443 du 25 novembre 2020, ordonné l'ouverture d'une procédure de conciliation et désigné, pour une durée de 4 mois, la SELARLU Ascagne prise en la personne de Me L. avec pour mission d'assister la société Le Belvédère dans les négociations avec ses créanciers, notamment la société M&A Partners et de proposer toute solution permettant de pérenniser l'activité de l'entreprise et les emplois attachés.

Selon ordonnance sur requête du 12 mai 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a, notamment, reporté au lendemain de l'issue de la procédure de conciliation l'exigibilité des sommes dues par la société Le Belvédère à la société M&A Partners en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 mars 2021 et a arrêté et interdit toute mesure de dénonciation, d'exécution et recouvrement de la part de la société M&A Partners à l'encontre de la société Le Belvédère au titre de la condamnation mise à sa charge par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 mars 2021 et ce, jusqu'à l'issue de la procédure de conciliation, soit jusqu'au 9 juillet 2021.

Le 23 juin 2021, la société M&A Partners a fait assigner en référé la société Le Belvédère devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de rétractation de cette ordonnance.

Par dernières conclusions du 22 juin 2021, l'appelante demande à la cour, outre des demandes de « constater » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure de conciliation, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'annuler la saisie-attribution du 27 mai 2020 et a rejeté la demande de désignation d'un séquestre, statuant à nouveau, de dire et juger que l'acte de saisie-attribution du 27 mai 2020 est nul, d'ordonner la mainlevée de cette saisie, de condamner l'intimée à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive, plus subsidiairement, de désigner le séquestre de l'ordre des avocats de Paris ou tout autre séquestre et dire que le tiers saisi procèdera au règlement de ses loyers entre ses mains jusqu'à l'arrêt à intervenir de la cour d'appel, d'autoriser la société perspective Habitat à payer les loyers dus à la société Le Belvédère entre les mains dudit séquestre, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intérêts et de condamner la société M&A Partners à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 30 juin 2021, la société M&A Partners demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts, statuant à nouveau de ce chef, de condamner la société Le Belvédère à lui payer la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts et celle de 5 000 euros à titre d'indemnité.

Pour plus ample exposé du litige, il est référé aux dernières écritures des parties.

SUR CE,

Sur le sursis à statuer

La bonne administration de la justice n'impose pas de surseoir à statuer sur la validité de la saisie-attribution pratiquée le 27 mai 2020, étant relevé que la procédure de conciliation invoquée par l'appelante a expiré le 9 juillet 2021.

Sur la validité de la saisie-attribution

La société Le Belvédère soutient que la saisie-attribution du 27 mai 2020 est nulle en ce que le jugement dont l'exécution est poursuivie était frappé d'appel et que la créance de la société M&A Partners n'était ni certaine ni exigible.

L'appelante fait valoir qu'elle bénéficiait à la date de la saisie litigieuse d'une créance réciproque d'un montant de 118 858 euros, de sorte que le montant de la créance figurant à l'acte de saisie était erroné et que la saisie est abusive.

Elle affirme que le calcul des intérêts mentionnés à l'acte de saisie est erroné en ce que « les taux acquis au taux annuel de 5,87 % représentent la somme de 20 511,41 euros et non de 20 511, 59 euros » et que la provision pour intérêts à échoir « est de 562,46 euros et non de 673,45 euros », estimant que ces erreurs ne lui ont pas permis d'avoir une information suffisante sur la somme réclamée.

Cependant, c'est à bon droit que le premier juge, dont l'intimée s'approprie les motifs, a retenu que le jugement du 5 octobre 2018 constituait bien un titre exécutoire pour être assorti de l'exécution provisoire et avoir été signifié au débiteur saisi, ce qui permettait à la société M&A Partners d'engager une mesure d'exécution sur son fondement.

Contrairement à ce que soutient la société Le Belvédère, le caractère éventuellement erroné du décompte des sommes réclamées figurant à l'acte de saisie ne saurait entraîner la nullité de celui-ci.

C'est par des motifs pertinents et non utilement contestés par l'appelante que le premier juge a estimé qu'après compensation des créances réciproques des parties, effectuée par le saisissant qui a déduit dans le décompte figurant à l'acte de saisie la somme de 111 648 euros due au titre de l'indemnité d'occupation mise à sa charge par le jugement du 5 octobre 2018, la société Le Belvédère lui restait redevable de la somme réclamée, étant relevé que l'appelante ne conteste pas qu'elle était débitrice de la société M&A Partners à la date de la saisie litigieuse dont il est rappelé qu'elle se fonde sur le jugement du 5 octobre 2018 et non sur l'arrêt du 2 mars 2021.

Enfin, s'agissant du calcul des intérêts, le premier juge a justement considéré que l'appelante se bornait à le contester sans expliciter son propre calcul, ce que celle-ci ne fait pas davantage à hauteur d'appel.

La saisie-attribution pratiquée le 27 mai 2020 par la société M&A Partners est donc régulière.

Sur l'utilité de la saisie

La société le Belvédère soutient que l'intimée a abusé de son droit de saisie en pratiquant une saisie-attribution pour un montant excédant largement celui de sa créance réelle et dans le seul but de « s'accaparer des sommes dont la société Le Belvédère est provisoirement débitrice et de les faire disparaître », ce qui lui cause un préjudice économique et moral, de sorte que mainlevée de la saisie doit être ordonnée et que des dommages-intérêts doivent lui être alloués.

Toutefois, il résulte des motifs précédemment exposés que la saisie litigieuse était justifiée au sens de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, étant en outre relevé que celle-ci a été pratiquée après d'autres mesures d'exécution seulement partiellement fructueuses.

La demande de mainlevée de la saisie et de dommages-intérêts formée par la société Le Belvédère sera donc rejetée.

Sur la demande de désignation d'un séquestre

Le premier juge a rejeté la demande de désignation d'un séquestre formée par la société Le Belvédère, au motif qu'elle reposait « sur la négation de la chose jugée ».

Au visa de l'article R. 211-16 du code des procédures civiles d'exécution, l'appelante fait valoir qu'en cas de contestation, la désignation d'un séquestre auprès duquel le tiers saisi s'acquitte des créances échues est obligatoire.

Cependant, la saisie-attribution litigieuse étant déclarée régulière pour les motifs précédemment exposés et la société M&A Partners justifiant, par la production d'une lettre de l'huissier instrumentaire du 11 juin 2021 (pièce 14), que les causes de la saisie litigieuse, fondée sur le jugement du 5 octobre 2018, étaient réglées, il n'y a plus lieu de désigner un séquestre.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts

Le droit d'exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s'il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l'appréciation de ses droits qui ne saurait résulter du seul rejet de ses prétentions. Faute pour la société M&A Partners d'établir un tel abus, sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

La société Le Belvédère, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

L'équité justifie de condamner la société Le Belvédère à payer à la société M&A Partners la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Rejette toutes autres demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société Le Belvédère aux dépens d'appel et à payer à la société M&A Partners la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.